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IMMENSISSIME COUP DE COEUR

Un homme
Mahmoud
Sur une plage
Qui empile les
Tartines au concombre et au sel
sur une pierre
Trois tas un pour
Chacun de ses enfants

Mahmoud qui plonge
Dans l'eau des souvenirs
Les champs de pastèque
Le chant du père, toujours
Verdi
Le café Farah et aussi Leïla
Qui riait
Et embrassait la lumière
Et Sarah toujours là

Un pays
La Syrie
Là où la lumière se retire
Ville
Après
Ville
Là où naquit
La civilisation
Et des poètes multiples
Bayrakdar, opposant au père Assad
Et beaucoup d'autres
Encore


Un écrivain
Antoine
Maître magicien qui
D'une histoire sombre
Fait une poésie
Et sème
Des graines de lumière

Un prix
Le prix Wepler-Fondation la poste
Qui récompense Mahmoud et
Antoine
Pour cette forme
D'écriture
Ces phrases courtes qu'on entend
Entrecoupées de
Silence et de
soupirs
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Un roman incroyable, tout en vers libres, un vieil homme, ancien enseignant, poète, plonge dans le lac el-Assad où se trouve le village de son enfance, ensevelis suite à la construction du barrage de Tabqa, c'est aussi l'occasion de plonger dans ses souvenirs, de l'enfance à ses vieux jours, ses joies mais aussi ses drames.
L'auteur par petites touches, par des allusions nous fait entrer dans l'Histoire de la Syrie.
C'est un grand roman réaliste, criant de réalité, de vérité, un vrai grand roman poignant, puissant, j'ai été émue par Mahmoud je n'avais pas envie de le quitter. A lire et relire, une perle.
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Un beau poème sur un « vieux fou », un poète qui fut la « Grande Ourse du petit monde des lettres » qui fut emprisonné, et qui perdit les siens

Un poème sur la vieillesse

Un poème sur un village englouti peu à peu par un lac artificiel

Un poème sur la mémoire et l'oubli

Un poème sur l'amour


Mais aussi un poème sur la Syrie,
un poème sur l'espoir que suscita le printemps arabe,

un poème sur la répression féroce entreprise par le régime de Bachar el-Assad

un poème qui renferme une violente charge sur ce dictateur

Ce livre m'a touché, m'a ému.
Il est empli d'amour, de tristesse, de solitude, de sensibilité et de résilience.

J'ai aimé le personnage de Mahmoud, ses journées passées sur sa barque, ses plongées au-dessus de ce qui était son village.

J'ai aimé le voir ressasser ses souvenirs, son impuissance à ne pas les oublier

J'ai aimé sa délicatesse devant la nature

J'ai ressenti une véritable empathie envers lui.

J'ai aimé ces vers libres et simples

Ce livre m'a rappelé que la Syrie continue à être sous la coupe d'un dictateur alors que nos gouvernements se sont hélas résignés à l'accepter.
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Prenez place sur la barque de Mahmoud, vieux fou ou vieil homme désabusé ? Préparez vous à plonger, pas seulement dans le lac, non, c'est aussi une plongée dans ses souvenirs.

C'est la guerre, vous entendez les combats comme un bruit de fond, et Mahmoud raconte son premier amour qu'il n'a jamais oublié, sa femme Sarah qu'il va falloir rejoindre, ses enfants partis se battre, ses années de prison, son enfance engloutie au fond du lac. Alors il plonge, Mahmoud, pour retrouver des fragments de sa vie d'avant le barrage, son village, la maison de ses parents…

Aller, au début on écoute les digressions de ce vieil homme par politesse, il radote le vieux ; et puis la nuit remplace le jour, on comprend que ce n'est pas que sa vie qu'il raconte, il nous parle aussi de politique, de guerre, de désillusions, de combats personnels, d'une vie d'épreuves, d'infortunes…

N'oubliez pas de remonter à la surface de temps en temps, de reprendre votre souffle, parce que la fin est déchirante…

Un magnifique roman, plaidoyer contre les régimes totalitaires et la guerre et une véritable ode à l'amour.

Bref, un condensé d'émotions à consommer sans modération.

À lire près d'un lac ou d'un bassin, les pieds dans l'eau, en écoutant une musique apaisante (Mille colombes?) et en grignotant des Makroudh, des Samsa ou des Baklawa avec du thé à la menthe…

Mon compte Instagram : @la_cath_a_strophes
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Recommandé par une grande librairie de Bruxelles, je n'ai eu de hâte que de lire ce roman en vers, texte à contre-courant puis que depuis le moyen-âge, je n'en avais plus vu, d'ouvrage qui soient un vrai roman mais aussi une suite de poèmes au rythme libre tout en douceur et simplicité.
À contre-courant aussi car le thème en est grave, urgent, violent : cela se passe en Syrie où un vieil homme s'avance vers la mort dans cette guerre fratricide qui a dévasté le pays récemment.
Un homme dont le village a été englouti et qui plonge pour le retrouver…
Un poète qui évoque son passé, sa première épouse décédée, ses fils partis à la guerre, sa solitude…
Un enseignant qui a renoncé à obéir, qui a connu la prison, la souffrance mais nous en apprend beaucoup sur son pays, sur ceux qui ne sont pas au combat…
Un homme malade qui plonge donc dans son passé comme dans l'eau du barrage et voit s'écouler le temps qui lui reste…
Peu d'intrigue pour un roman mais tout un monde qui se bâtit goutte à goutte…
Le rythme et la poésie d'Antoine Wauters nous plonge nous aussi en pleine Syrie, dans la retenue d'eau du barrage, la vie simple de cet homme et la poésie syriaque.
Il suffit de ne pas se débattre de se laisser couler doucement et de remonter de temps à autre pour apprécier le monde qui nous entoure.
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Antoine Wauters a choisi la forme du poème en vers libre pour son récit, qui rappelle celle de Charlotte par David Foenkinos. Il déroule en 18 chapitres un monologue dans lequel le vieil Elmachi Mahmoud décrit son quotidien, relate son passé, fait resurgir l'époque où le lac, le barrage n'avait pas encore englouti les lieux de son enfance.
Certains titres poétiques sont énigmatiques et attisent notre curiosité comme « Feuilles d'abricotier », « Bleue comme la lumière du sentier aux mûres ».

Ne soyez pas déroutés par la présentation de ce texte, cette écriture poétique est un ravissement. L'auteur belge explique dans un entretien pourquoi il privilégie cette forme narrative : le monologue c'est l'art de penser long.

Pour décor, les champs de pastèques,concombres, des fleurs de safran, le barrage de Tabqa en Syrie, inauguré en 1973 par Hafez el-Assad, le lac éponyme.

Le contexte politique est rappelé : La Syrie a perdu son Président. A l'annonce de sa disparition, «  tout le monde pleurait. La foule finit par aimer ceux qui la tyrannisent ». La mort accidentelle du fils aîné Bassel porte «  aux commandes » son fils Bachar qui a dû quitter ses études d'ophtalmologie à Londres.
En filigrane l'histoire de son pays défile ( le massacre de Hama). Antoine Wauters rappelle le printemps arabe qui mena à «  une vaste tente funéraire ».
Le vieillard Mahmoud vogue sur le barrage, à bord de «  sa tartelette de bois qui se dandine ». On le prend pour un fou, alors qu'il confie se sentir bien sur sa barque en bois de pin, à coque bleue.
L'écrivain interroge sur la pérennité de ce barrage dont la construction avait entraîné des fouilles, exhumant de multiples vestiges, sous prétexte de sauver le patrimoine.
Ne risque-t-il pas d'être détruit par les bombes?

On partage le quotidien d'Elmachi, ses habitudes matinales: « amasser, empiler des pierres » sur lesquelles il dépose des tartines sous cellophane : « du pain au concombre avec une pointe de sel et d'huile d'olive », qu'il doit protéger des mouettes. Pourquoi ce rituel puisqu'il ne les mange pas ?
Les vivres, les cigarettes, c'est son ami Badr qui lui fournit, mais il maigrit, «  sa peau saigne à l'endroit du grain de beauté ».
Il pousse une balancelle fixée à « un vieux chêne blessé par des balles anciennes ».
Dans son cabanon, il s'isole pour écrire, lui le poète dont les livres se vendaient à l'étranger, «  volaient par les airs » pour arriver aux « plus prestigieuses librairies ».
Muni de son masque, de son tuba, il plonge afin de retrouver ce qui est noyé , a été submergé: sa maison d'enfance, l'école où il a enseigné, le café Farah, le minaret et la mosquée. Tous ses souvenirs gisent sous les eaux.
Mais dans ce lac, il ne rencontre que des déchets, des algues, parfois pire quand « les fichus ciseaux » ont décapité un être innocent. ( à qui il offre une sépulture décente).
Il lui arrive de sauver un papillon, un chien blessé et délivre même une femme violée en égorgeant son persécuteur, «  avec douceur » ! Cette veuve relate les rêves de son mari qui ne voulait pas de cette Raqqa où «  les stylos et le papier sont interdits ».

Sur sa barque qui danse au milieu de l'eau, il égraine une grenade.
Il décrit avec poésie ce qu'il voit : les grenouilles aux «  doigts écartés, aux «  ventres blonds et roses qui le regardent comme scotchés à l'écran de lumière », créée par les «  couloirs verts et or « de sa lampe torche.

Il retrace son début de carrière comme professeur, son coup de foudre pour Leila-de-la-montagne dont il brosse un portrait amoureux. Passage poignant quand il rend hommage à celle qui a perdu la vie en couches avec leur fille.
A 40 ans, il s'est enfui , après avoir pris le temps de se justifier auprès de ses élèves, lui qui ne supportait plus «  la corruption et l'ivresse du pouvoir du Président ».
Puis, l'homme, tendre, apostrophe Sarah, la deuxième femme à qui «  il n'a pas su dire combien il l'a aimée», friande de poètes russes, qui repose sous un prunier.
Il évoque leur séjour à Paris ( de l'été 1987 à l'automne 90) où il dédicaçait ses livres, leurs enfants «  qui ont pris les armes » , partis se battre aux quatre coins du pays.
Il se remémore les trois ans passés en prison, torturé, contraint d'écrire «  des choses prorégime », pour avoir «  dévié de la route des cases du parti ». Période où ses poèmes se sont fixés dans « le huis clos de ses pensées ». N'est-ce pas la poésie qui l'a aidé à tenir debout, à lui éviter le suicide ?
Une absence qui laisse des stigmates.

Il remonte jusqu'à son enfance, il convoque « Mahmoud des prairies », ses parents, Mounir et son troupeau. La voix de Sarah se fait également entendre pour glorifier son amour mais aussi pour relater l'agression tragique dont elle fut victime.

Sont abordés les thèmes de la perte d'un enfant ( « on ne peut plus avoir un buisson de lumière dans le coeur »), de l'absence, de la vieillesse, du sens de la guerre.
En vieux sage, Mahmoud contemple la nature et sait s'émerveiller devant «  un brin d'herbe, l'architecture d'une fleur, la perfection de ses pétales ».
Il se plaît à observer « un scarabée courant se réfugier dans l'espace clos d'une pomme de pin », à converser avec le pin, à contempler « une gerboise qui fuse loin des rochers » ou encore l'envol d'un cortège d' outardes.
Scènes hélas troublées par le sifflement des balles, les sirènes, les combats,les avions.

L'écrivain poète fascine par son art de faire côtoyer gravité et poésie, par ses images : la main du vieil homme «  scrute l'horizon comme un voilier secoué par le doute ».
Il sait titiller nos sens par les saveurs (« baklava », « yalanji », «  dibs fléfleh », sorbets aux fruits, boisson d'arak) par les odeurs qui traversent ce récit : « odeur d'if et de bois fumé »,odeurs d'anis, de thé noir, « parfum de Sarah-de-son coeur », mais aussi l'odeur de la liberté et le parfum unique d'une maison.

L'écrivain belge excelle dans la variété du style employé : lyrique ,vocatif,poétique,anaphorique dans le chapitre final (« J'ignore »). Il recourt aux points de suspension pour éviter de décrire une scène insoutenable ou à l'oxymore. On le devine autant amoureux des mots que Mahmoud : « Les mots comme des filets à papillons pour les causes perdues », « L'écriture comme une barque entre mémoire et oubli ».
L'écriture pour consigner cette vie où « malheur et joie se sont mêlés ».

Antoine Wauters brosse un magnifique et émouvant portrait de « Mahmoud des eaux et des regrets ». Les confessions de ce vieux sage, qui retombe parfois en enfance, tant il est déboussolé, seul, forment un ensemble poignant et poétique, rempli de peur, de rage, de chagrin, noyé dans la nostalgie, les larmes sur fond de guerre en Syrie.
Un auteur qui gagne à être lu, une plume qui monte.
Dernière parution : le musée des contradictions, aux éditions du Sous-sol.

Le bulletin d'humeur de Jean-Claude Vantroyen , intitulé «  Chacun chez soi », publié dans le Soir du 26- 27 mars 2022 interpelle. On y apprend que le comité de lecture des éditions Penguin Random house ne publiera pas le roman d'Antoine Wauters malgré l'enthousiasme de l'éditrice. «  Un européen blanc ne peut se mettre dans la tête d'un Syrien et parler pour lui », ce qui rappelle la polémique autour de l'Américaine noire Amanda Gorman concernant sa traduction.
Et de conclure «  le wokisme fait des ravages idiots ».
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À bord d'une barque, perdu dans l'immensité du lac Assad, sur l'Euphrate, Mahmoud, un vieux professeur de lettres, laisse ses souvenirs remonter à la surface. Seule la voix de sa seconde épouse Sarah fera écho à son long monologue. le poète que certains prétendent fou se remémore des scènes de son enfance avant que les eaux du lac ne viennent tout engloutir.
Antoine Wauters nous délivre un long poème d'une beauté et d'une puissance incroyables. La douceur des souvenirs des jours heureux laisse la place à l'évocation du docteur Bachar, personnage insignifiant qui va se transformer en un être sanguinaire et plonger la Syrie dans l'horreur. Et pourtant dans ce récit tout ne semble que tendresse et mélancolie, c'est là que se trouve la magie de la plume d'Antoine Wauters. Un roman lumineux et envoûtant, l'amour d'un vieil homme pour son pays, ses deux femmes, ses enfants et la poésie qui peut tout apaiser.
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Mahmoud Elmachi, un vieil homme, seul sur sa barque, dérive sur le gigantesque lac el-Assad crée par la construction du barrage de Tabqa. le village de son enfance se trouve juste dessous, précisément à l'endroit où il plonge avec masque, palmes et tuba, jusqu'à l'épuisement parfois, pour revoir sa maison, l'école, le café Farah, les lieux familiers. Il s'isole ainsi régulièrement pour réfléchir à sa vie, au passé, à la Syrie des Assad, à ce qu'est devenu son pauvre pays… Et puis, il y a ce grain de beauté très douloureux : une tumeur, il le sait. Pourtant, il savoure pleinement ces moments où il laisse divaguer sa mémoire : ses parents, ses amis, sa première femme, Leila, morte en couches, sa deuxième épouse, Sarah, leurs chers enfants, deux garçons et une fille, son passé d'enseignant et de poète, les discussions entre amis, les voyages… et la prison. Oh, ce n'était pas le paradis sous le règne du père, mais là, avec Bachar au pouvoir, c'est devenu… c'est devenu… indicible.
***
J'imagine que, comme moi, beaucoup de lecteurs ont été surpris par la forme de ce superbe roman écrit en vers libres, en un long monologue. Mahmoud raconte d'abord lui-même ses souvenirs, à la première personne, mais son magnifique et bouleversant récit est parfois coupé de parenthèses où un narrateur-spectateur prend la parole à la troisième personne. Qui est-ce ? difficile à dire… Dans trois chapitres (5, 11, 15), Sarah assure la narration en s'adressant à son mari. le texte reste magnifique qu'il dénonce les horreurs commises par l'Ophtalmologue ou les affres de la prison, qu'il célèbre l'amour fou ou la griserie de l'écriture. En prison précisément, écrire devient évasion et résistance, écrire sans tracer les lettres, écrire dans sa tête pour se protéger et protéger ses poèmes. Je vous défie de lire les deux derniers chapitres sans que les larmes vous montent aux yeux… Premier coup de coeur de l'année pour moi.
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Finaliste de plus de 15 prix littéraires, lauréat des prix Wepler, Marguerite Duras et du Livre Inter, Mahmoud ou la montée des eaux est le succès le plus foudroyant de son auteur, le belge Antoine Wauters.
Court (130 pages), sous la couverture jaune reconnaissable entre mille des prestigieuses éditions Verdier, ce roman entièrement rédigé en vers libres nous emmène dans un pays meurtri, la Syrie.
Une plongée intense, poignante et remarquable par les yeux d'un vieux poète, Mahmoud Elmachi.

C'est dans l'infiniment intime que se révèle l'Histoire.
Antoine Wauters compose un long poème pour dire l'amour des mots, leur importance et leur rôle, pour relever le monde et ce qu'il en reste après l'horreur et la terreur.
Mahmoud Elmachi plonge tous les jours dans le lac El-Assad, un lac artificiel résultant de la construction d'un gigantesque barrage sous Hafez el-Assad, le père du sinistrement célèbre Bachar el-Assad. Avec ses palmes et son tuba, Mahmoud tente de se souvenir. du café Farah. de la maison de Mounir. de la mosquée. de l'école Baïbba. de ses arbres, de ses jardins. de tout ce qui dépassait, qui fut rasé ou submergé, comme effacé.
De ces habitants aussi, déplacés presque déportés.
Il se souvient au contact de l'eau, dans le silence humide du lac. Il espère entendre la voix de ses enfants partis protester au Printemps, celles de Brahim, Salim et Nazifé. Et puis celle de Sarah, sa douce Sarah. Sa femme qu'il aime tant, jusqu'à l'absurde, tout le temps.
Le roman, lent et méticuleux, nous mène avec douceur vers l'horreur et la tristesse. Antoine Wauters soigne son vers comme ses personnages, celui de Mahmoud d'abord, poète rescapé des prisons du régime, amoureux éternel et père inconsolable. Celui de Sarah ensuite, une femme aimante et intelligente, à l'amour et à l'ingéniosité immense.
C'est avec concision et pudeur que l'auteur belge relève les fantômes de son héros, allant jusqu'à le faire épier pendant qu'il expie.

Les drames se jouent et se superposent, se répondent en échos dans Mahmoud ou la montée des eaux. On contemple les ruines sous-marines d'une ville disparue sous le poids de la dictature, effaçant en silence un monde dont seul le narrateur se souvient avec entêtement.
Comme on contemple les ruines de la Syrie, ce pays enfermé dans une dictature sanglante depuis des dizaines d'années, qui a eu le malheur de croire qu'il se libérerait au Printemps avant de chuter un peu plus bas dans l'horreur, accompagné par le silence des Nations et la complicité tacite des puissants.
Comme on contemple les ruines de l'existence de Mahmoud, victime d'une guerre, d'un emprisonnement, d'une inondation et d'amours manquants.
Au sein du roman, les blessures parlent à travers Mahmoud, elles semblent s'interroger mutuellement. Drame d'un pays, drame d'une famille.
Mahmoud se souvient de Leïla, la première femme qu'il a aimé et son enfant mort-né avec elle. Puis de Sarah, celle qui aime les lettres autant que lui, préférant les romans russes aux poèmes. Celle qui invente pour préserver leurs enfants.
C'est une fragilité humaine qui irrigue cette introspection qui prend de-ci de -à des allures de confession. Des aveux d'impuissance et de désespoir.
Antoine Wauters mêle à part égales douleur et beauté, surnageant sur les bleus des jours qui passent. Près du lac. Avec quelques offrandes pour les disparus. Ceux qui ont perdu la voix.

Alors voilà le récit de Mahmoud, celui de l'amour d'un pays meurtri, torturé, décimé. Celui d'une femme puis d'une autre, de deux immenses histoires qui restent fichées en lui. Celui d'enfants qui ont pris les armes pour la liberté quand lui a perdu l'espoir de la retrouver.
Antoine Wauters montre tout et rien à la fois. Il entretient la pudeur à chaque vers, la dignité et l'humanité, cultivant la lenteur comme un remède à la folie du monde.
En face, le monstre rôde, le monstre Assad, père et fils, l'ignominie qu'on laisse au pouvoir. Qui tue, qui mutile, qui viole. Assisté par des fous et des tortionnaires anonymes.
C'est un étrange mélange salvateur, à la fois de colère et d'amour, que nous offre l'auteur, à travers le regard mélancolique et lancinant d'un vieil homme qui porte un deuil sans fond. Un deuil qu'il noie littéralement tous les jours, qui attend la montée des eaux, encore plus haut afin d'y trouver une forme de repos, comme les souvenirs de sa jeunesse reposant, silencieux, au fond du lac el-Assad. Un lac qui ne devrait pas exister, un lac qui a noyé la vie de Mahmoud, un lac construit et nommé par le même tyran qui a noyé son pays tout entier.
Alors, il nous reste ces mots, celui du poète si doux dans une vie si dure, ces mots de beauté qui savent tout dire, même en vain, même sans fin.
Parce qu'il faut bien.

De ce poème sublime, Antoine Wauters en tire une humanité qui foudroie. Sur les ruines d'un pays ou d'un amour, dans la tête d'un vieil homme meurtri qui se souvient. Mahmoud ou la montée des eaux est une intense déclaration d'amour aux poètes et à la liberté, un cri de désespoir sur la monstruosité des hommes et la beauté de ceux qui aiment envers et contre tout.
Un grand livre qui ne refuse qu'une chose : le silence et l'oubli.
Lien : https://justaword.fr/mahmoud..
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La montée d'émotion vous serre la gorge, l'eau est au bord des yeux et menace de vous déborder. Mahmoud va vous toucher de part sa solitude et son désespoir.
Mahmoud est un syrien âgé et malade, brisé par le régime el-Assad. Son esprit libre de poète n'a bien sûr pas pu se plier au carcan d'une dictature et il l'a payé dans sa chair. Puis la guerre civile, né du cri de liberté du printemps arabe, lui a arraché sa famille, ses trois enfants Brahim, Salim et Nazifié, et puis Sarah, son épouse. Mahmoud est vivant mais il vit dans un tombeau, un tombeau de souvenirs cauchemardesques, un abîme de mélancolie et de lamentations. le maigre fil qui le maintient vivant se trouve sous les eaux du lac el-Assad, un lac artificiel immense qui a englouti le village de sa jeunesse. Mahmoud plonge depuis sa petite barque bleue, avec des moyens rudimentaires, il sait où est le café, la mosquée, la maison de ses parents, il n'y a pour lui d'apaisement qu'au fond de ce lac, et de ses souvenirs.
.

Il a vécu la construction d'un monstre architectural, monstre du propagande du régime qui a fièrement donné son nom au Lac. le barrage de Tabqar fait quatre kilomètres cinq cent de large pour soixante mètres de haut et il retient les eaux de l'Euphrate. En aval, des centaines de villages furent engloutis par ses eaux, et plus de dix mille personnes furent délocalisées.
.

J'ai été saisie par la puissance de cette image, Mahmoud retrouvant sous les eaux du Lac son village d'enfance. Un paysage réduit au minimum du bleu d'un ciel et de l'eau, un soleil aveuglant desséchant une terre marron et grise, et la frêle silhouette de cet homme qui s'enfonce jusqu'à ne plus paraître dans un village endormi et silencieux à jamais.
Une image empreinte d'une poésie rare, tout comme le personnage de Mahmoud, le poète qui s'adresse à Sarah très souvent dans ce livre, retranscrit en vers libres.
.


C'est précisément en cet endroit où le livre m'a le plus touchée que j'ai aussi ressenti un malaise, une sorte d'inadéquation. Certes le livre a été écrit de bonne foi, par un auteur indéniablement empreint d'une empathie peu commune à l'égard d'un pays ravagé par la guerre.
.

Est-il pour autant possible de se glisser dans la peau d'un syrien? En effet, le livre est écrit à la première personne du singulier. On peut imaginer ce que pense un syrien du régime, surtout un artiste tel que Mahmoud, on peut imaginer les réflexions qu'il aurait sur la France ( suite à 20 ans de mandat français), sur l'archéologie (quand aux découvertes faites par la communauté internationale avant l'engloutissement), ou même sur l'image qu'il a de "l'Ophtalmologue" (Bachar el-Assad) et de son prétendu désintérêt pour le pouvoir alors que c'est son frère aîné qui aurait dû y accéder. Antoine Wauters/Mahmoud va jusqu'à fantasmer une scène entre Bachar el-Assad et celle qui deviendra sa femme, Asma. On peut imaginer... mais l'emploi du "je" leur donne un reflet de porte-parole, comme si l'auteur s'appropriait une douleur nationale qui n'est pas la sienne, or je l'ai vécu aussi comme une impudeur. Une proximité impudique avec le personnage.
.

Quant à cette image, poétique à couper le souffle, de cet homme qui se laisse couler vers ses souvenirs...N'y a-t- il pas aussi dans cette beauté qui fait le socle du livre, le fantasme romanesque d'un européen?

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