Moi, Marthe et les autres pourrait ressembler à un titre pas très français, il aurait été moins choquant de lire "Marthe, les autres et moi" avec le pronom personnel situé à la fin.
En même temps, quand la France n'existe plus, ses usages grammaticaux on s'en fiche un peu.
Paris est en ruines, les mots le sont tout autant.
La fin du monde a eu lieu il y a bien longtemps, nul ne se rappelle comment, et tout ce qui demeure ce sont des vestiges.
Le langage mais aussi les monuments et les hommes sont à cette image de ruines.
Notr-Dam, les Gallefayette, la Biblioth Natniale, le coc-cla, la mousse à raser Gilep's : les lettres s'effacent et le passé avec.
La préhistoire recommence sur les béquilles d'un monde qui était à son apogée.
"Certains peignent des choses dans la terre, d'autres peignent des poèmes sur les parois."
Je n'ai pas lu énormément de romans post-apocalyptiques :
Vivants d'
Isaac Marion,
Bird Box de
Josh Malerman ou encore
Et toujours les forêts de
Sandrine Collette. Des romans qui n'ont que peu de points communs mais qui inéluctablement décrivent les sur
vivants former des groupes d'entraide, des groupes d'individus qui s'affrontent les uns les autres, le pillage des biens restants pour tenter de prolonger un peu plus les cendres d'une existence.
Moi, Marthe et les autres ne fait pas exception à ces règles aussi tacites que probablement visionnaires. le groupe d'une cinquantaine de femmes et d'hommes composé autour d'Hardy lutte pour conserver une part d'humanité mais en vain. Dans cette capitale où il fait froid, où la nourriture se raréfie au point de se sustenter d'araignées, de cafards ou de vers, où la terre ocre semble toxique, ils doivent s'adapter.
"Dieu que cet homme est bon !" ne fait pas écho à la foi et à l'abnégation des êtres mais à leur goût en bouche, quand le cannibalisme est devenu la règle.
Quand les réserves de nourriture manquent, se régaler d'un mollet humain cuit à point est un délice.
"Demain, nous irons voir si les chairs sont carbonisés. Si oui, nous les écarterons. Si non, nous les mangerons."
C'est un nouveau monde hostile, fait d'affrontements, de cadavres, de faim et de peur.
Les hommes vivent dans les sous-sols du métro, nouvelles grottes de Lascaux.
Ils réinventent les outils ou les armes.
Leur amour a quelque chose de bestial.
"Ils disent que nous sommes des babouins, que nous nous accouplons comme des babouins."
Mais l'amitié et la force des liens qui les unissent permet de dresser une barrière fragile face au désespoir.
"Vivre comme nous, c'est composer avec le manque. Sourire de notre morcellement. Et beaucoup pleurer."
La véritable originalité dans les thèmes abordés est celui de l'oubli.
Si parfois la réalité est trop cruelle et que l'abrutissement par des drogues peut permettre d'y échapper un instant ( "Il n'est plus question que d'oubli" ), si les mots se déforment ( "On n'est que des orfolins." ), si personne ne se souvient de son identité ( "Dans la bande aussi, nous nous étions rebaptisés, nos noms ne nous étant pas connus." ), on ressent cependant une véritable lutte pour que
L Histoire soit retransmise de génération en génération. Et c'est avec un sourire désabusé qu'on les regarde perpétuer ce qui deviendra des légendes sur des sujets aussi divers que la charrue, les oiseaux, le gouda ou internet. Comme des flashs sans aucun lien du monde d'avant.
Avec le même humour triste, les chansons qui ont traversé le temps de John Holiways ont été reprises dans différents contextes, Quelque chose de Tennessee devenant par exemple leur hymne.
Tout passe par un langage qui devient absurde et dénué de sa signification première. Leurs sonorités comptent davantage.
"Nous ne disons que des mots que nous aimons : pus, canette, moufles, fétide, furoncle, chafouin."
Mais l'oubli a déjà commencé à l'emporter, aucun peintre ne s'est jamais appelé Francesco
Dali et aucun cycliste François Fignon.
Est-ce la mémoire transmise qui leur laisse encore ce semblant d'humanité ?
Autre originalité : La forme.
Celle-ci m'a beaucoup moins enthousiasmé.
Je ne pense pas avoir déjà lu un roman aussi court ni un roman contenant autant de chapitres.
Et pourtant, 192 chapitres en soixante pages.
Ca, c'est fait.
Et dans ce format, évoquer autant de personnages, c'est passer à côté de chacun d'entre eux. Hardy, Marthe et tous les autres : Josh, Ossip, Frog, Kéké, Gaby, Harm, Azzuto, Begraaf, Yu, Mad, Olmo, Moshé. Et la liste pourrait continuer. Alors évidemment, ils sont à peine esquissés, tout juste effleurés, et à l'exception de quelques phrases joliment tournées je n'ai jamais ressenti quoi que ce soit. Je suis resté à quai, totalement dépourvu d'émotions. Pas de colère, pas de joie, pas de souffrance, pas de peine. Leur sort m'indifférait totalement.
J'aurais du ressentir la cruauté de leur environnement, être choqué par la diminution progressive du groupe, être ému en différentes circonstances, sourire à leurs bêtises, m'étonner de leurs envies ou de leurs attitudes, me révolter face à ce monde impitoyable et m'émerveiller de la couleur bleue de la lune.
Mais rien.
Je n'ai pas compris l'intérêt de cette forme qui prive tous les protagonistes de passé et de développement, je veux bien comprendre que l'essentiel du propos n'était pas là mais si je ne suis pas parvenu à éprouver la moindre empathie c'est qu'à mes yeux le livre était un échec.
Je considère donc le roman d'
Antoine Wauters classique dans son propos post-apocalyptique désespéré. Pas de zombies ici, pas d'idée de la façon dont a eu lieu l'apocalypse, des humains qui forment différents groupes qui s'affrontent et dont la liste de répartition des pillages - inintéressante au possible - aurait mieux fait d'être consacrée à donner de la consistance à des personnages qui nous laissent de marbre.
Nous ne sommes pas dans une nouvelle et pourtant le mot roman me paraît tout aussi inadapté quand tout est survolé à ce point.
Je ne pensais pas sortir autant de ma zone de confort avec un tel récit, je dois bien l'avouer, et
Moi, Marthe et les autres n'avait finalement que peu de points communs avec les autres romans du genre. Avec les autres romans tout court.
Heureusement, il restera après ma lecture toute une réflexion sur la transmission du langage, des légendes, des chansons, de l'Histoire telle que nous ne l'avions jamais lue auparavant. Et l'image des mots qui s'effacent au même rythme que les enseignes, les marques ou les stations de métro pourrait laisser penser qu'ils sont encore pour quelque temps le dernier rempart de la civilisation telle que nous la connaissions.