Wells ou Verne ? Verne ou Wells ? Longtemps les deux auteurs ont été mis en concurrence. Tous deux, chacun à leur façon, ont été les initiateurs de ce nouveau genre qu'on appellera la science-fiction. Et pourtant, que de différences, que de dissemblances entre ces deux auteurs : trois, particulièrement me sautent aux yeux : ils n'écrivaient pas pour le même public.
Jules Verne écrivait dans le « Magazine d'éducation et de récréation » de son ami Hetzel, à destination d'un public essentiellement adolescent. La plupart des romans de Wells n'aurait pu y figurer, même si on les amputait de leurs passages les plus effrayants ou les plus ambigus. Ensuite, les deux écrivains n'ont pas le même rapport à la science :
Jules Verne utilise la science comme base de ses inventions littéraires.
H.G. Wells, lui, « invente » (c'est
Jules Verne qui le dit, et ce n'est qu'un constat, ce n'est pas de la jalousie). Enfin, sur un autre plan,
Jules Verne est un auteur plutôt « conformiste », alors que Wells est un trublion, volontiers blasphémateur et provoquant.
Sur le plan purement scientifique, la différence essentielle réside dans le fait que l'un (
Jules Verne) raisonne en trois dimensions (longueur/largeur/profondeur = espace), alors que l'autre (
H.G. Wells) rajoute la 4ème dimension (le temps) : longueur/largeur/profondeur/temps = espace + temps.
«
La Machine à explorer le temps » est née sur ce postulat. le héros du roman, qui n'est pas nommé autrement que « l'Explorateur du temps » raconte devant un auditoire subjugué ses aventures : propulsé en l'an 802701. A cette époque la Terre est un véritable paradis, un immense jardin où rien d'hostile ne peut déranger les habitants. Ceux-ci, les Eloïs, sont doux, passablement dégénérés, absolument inoffensifs. Mais l'Explorateur ne tarde pas à se rendre compte que des puits verticaux mènent au centre de la Terre où vit une autre race, les « Morlocks », plus industrieux, mais plus bornés et plus cruels. Comme sa machine a disparu, l'Explorateur doit descendre au pays des Morlocks non sans avoir fait la connaissance de Weena, une Eloïe… et, après maintes aventures revenir au XIXème siècle.
le récit et bien mené, alerte et prenant, le lecteur n'a pas le temps de s'ennuyer. Si au XIXème siècle on pouvait s'extasier sur des mondes nouveaux tels que les Eloïs et les Morlocks, nous autres, gens du XXIème (siècle, mais arrondissement aussi, pourquoi pas) il nous en faut un peu plus. Mais on se laisse gagner par ce charme subtil du mystère du futur, et on est obligé de se poser les questions qui fâchent : si les Eloïs et les Morlocks sont les descendants des humains, comment en est-on arrivé là ? Quel processus évolutionniste a conduit à cette scission en deux races distinctes et antagonistes ?
Wells ne fait que raconter un fait : ce que découvre un explorateur en l'an de grâce 802701.Celui-ci en déduit (sans pouvoir apporter la moindre preuve) que les Eloïs sont les lointains descendants de classes fortunées et dominantes, et que les Morloks sont ceux des classes laborieuses et exploitées.
Je ne suis pas certain que Wells ait voulu faire de ce récit une parabole : on le sait plutôt proche des idées socialistes, mais les Morlocks sont aussi cruels que travailleurs, et les Eloïs, descendants des capitalistes, ne sont pas mieux lotis. Quant à une allégorie sur le bonheur, celui que nous promet le futur n'est pas très engageant…
Un beau roman à lire essentiellement pour la curiosité : un des premiers voyages dans le temps (pas des plus optimistes) et un des premiers récits de science-fiction, au sens moderne du terme.
Je ne saurais trop vous conseiller le magnifique film de
Nicholas Meyer en 1979 «
C'était demain », avec Malcolm MacDowell, David Warner et Mary Steenburgen. On y voit
H.G. Wells présenter sa machine, se la faire voler par le docteur
Stevenson (Jack l'Eventreur) et tous deux propulsés au XXème siècle, dont il reviendra… avec une épouse ! Une merveille d'intelligence qui rend hommage à
H.G. Wells dans cette réjouissante adaptation du roman homonyme de
Karl Alexander, lui aussi inspiré par notre auteur.