La photo en couverture est belle, sobre et intemporelle si ce n'était le noir et blanc qui la replace en ces temps plus lointains où la couleur était rare.
Je ne pouvais m'empêcher de revenir la contempler pendant ma lecture et de chercher dans le sourire et la courbe du dos, la femme évoquée par
Anne Wiazemsky, sa fille.
Avec beaucoup de pudeur,
Anne Wiazemsky nous transmet à partir de lettres, du journal intime
De Claire, sa mère, des témoignages des amies Olga et Plumette et de souvenirs personnels (les vides étant comblés par l'imaginé), un livre fort.
Dans le Berlin en ruines de 1945, des jeunes femmes, sous l'égide de la Croix-Rouge, s'occupent de diverses personnes déplacées (STO) et des "malgré-nous" (Alsaciens que les soviétiques veulent déporter en Sibérie). Parmi elles, Claire Mauriac (le nom dit tout sur sa provenance bourgeoise et catholique) ose une autre vie.
Sur fond de ce drame mondial,
Anne Wiazemsky conte le courage, les doutes, les aspirations, le regard porté par sa mère sur sa propre existence et sur ce qui l'entoure.
L'auteure relate la rencontre
De Claire avec le prince Wiazemsky dit Wia et l'inquiétude de la famille Mauriac qui "commande" une enquête sur les origines des Wiazemsky à cet ex-russe
Henri Troyat -Prix Goncourt- qui confirmera la noblesse de l'amoureux
De Claire.
Différences culturelles, monde d'apatrides, différences religieuses (l'attitude de l'église catholique au moment du mariage est éloquente et le mécontentement de
François Mauriac montre son esprit de tolérance), différences de goûts, différences de tempérament n'empêcheront pas Claire et Wia de s'aimer.
L'amour et l'enfant -"
Mon enfant de Berlin"- ,
Anne Wiazemsky naîtra de cette union dans un monde qui panse ses plaies.
Livre témoignage d'une vie et d'une époque, deux lectures s'y dessinent, émouvantes, vibrantes qui touchent et transmettent.
L'une est privée et livrée sans fioritures, avec une justesse de ton qui montre la ferveur de l'auteure.
L'autre est sociétale, qui nous apprend l'atmosphère d'une après-guerre sans concessions et sans mesures (je pense aux enfants de français morts enlevés aux mères allemandes fautives -à cette occasion le courage Claire est admirable d'humanité-, l'abjection des viols, la peur, etc...).
Il faut aussi relever cette immense soif de vivre que l'on ressent dans les actions des uns et des autres.
L'intérêt de ce livre va donc plus loin que le simple fait de raconter une histoire familiale privée, il acquiert un statut social par le contexte même. Superbe livre.