Voici un beau livre, qui, chose rare, est aussi une synthèse sérieuse. L'auteur traite des rapports croisés entre l'Empire ottoman et l'Europe sur cinq siècles, du XVe au début du XIXe. Il aborde les relations artistiques entre ces deux mondes à la fois éloignés et très proches, sans négliger les aspects historiques, essentiels dans l'élaboration de la « turquerie ». Surtout, il ne se limite pas à la peinture, mais il évoque aussi les récits de voyage, l'illustration gravée des guides, l'architecture, le mobilier et les arts décoratifs. Les parties sur la céramique et les objets en émail du XVIIIe siècle sont particulièrement bien renseignées et illustrées. Elles réunissent un corpus étonnant, où s'exprime toute la fantaisie des artisans, qui renchérissent sur les fantasmes européens en montant sur bronze doré toutes sortes d'animaux exotiques en porcelaine : chameaux, éléphants et perroquets, dont la bizarrerie n'a d'égal que le charme... Les figurines de sultanes en vermeil, les vases de Sèvres à décor de harem, les pendules en forme de palanquin sont des objets également spectaculaires. le livre se termine avec les batailles de Gros et les tableaux de Delacroix, mais aussi avec les boîtes à priser et les montres imaginées vers 1800-1810. Ces dernières étaient souvent ornées de motifs de trophées guerriers adaptés pour le marché ottoman, alors qu'ils avaient été imaginés pour célébrer les victoires européennes. La « turquerie » fut certainement pendant de nombreuses années un marché lucratif, qui explique pour partie toutes les circulations artistiques entre les deux rives du Bosphore.
Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 518, décembre 2015
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