Cry me a
green river
Oubliez d'abord les images bucoliques du titre de Creedence Clearwater Revival…La
Green River de ce livre est un cloaque dans lequel vont barboter les protagonistes du roman.
Je dois dire que c'est l'appréciation flatteuse de
James Ellroy ("Le plus grand roman jamais écrit sur la prison") qui m'a incité à la lecture, même si j'étais un peu méfiant quand même (ce slogan a déjà servi pour "
La Bête contre les murs" d'
Edward Bunker).
J'ai adoré.
On retrouve pourtant les ingrédients traditionnels attendus d'une vision du monde carcéral : la violence animale, le racisme, les moments d'amitié, les rapports de force…
L'histoire se déroule au pénitencier de
Green River, au Texas. Son directeur John Hobbes, ayant échoué dans son rêve de prison modèle, perd la raison et choisit d'entraîner les détenus avec lui dans le chaos en créant les conditions d'une émeute.
Dans le déferlement de violence qui submerge la prison, quelques âmes survivent qui vont être prises dans le maelström destructeur : Ray Klein, médecin condamné pour viol, Earl Coley son adjoint à l'infirmerie, Ruben Wilson, un ex-boxeur éminence morale de la communauté noire, Juliette Devlin, une psychiatre de passage qui réalise une étude sur le monde carcéral...Ils vont courir, se battre, nouer des alliances, baiser et fermer les oreilles et les yeux pour survivre et rester humains.
Roman irritant et formidable. L'écriture relativement conventionnelle du début cède la place à un style cru (très), sec, à l'emporte pièce au fur et à mesure que l'émeute transforme ce champ clos en enfer. Certains passages qui feraient décrocher ailleurs car peu vraisemblables ou répétitifs, donnent au contraire toute sa force à ce roman en le transformant en un ouvrage quasi hypnotique et surréaliste.
Ce n'est pas la 1ère fois qu'une oeuvre traite de la violence dans les prisons, mais c'est sans doute une des rares fois où le manque de repères, la juxtaposition de moments de pure folie meurtrière et d'éclairs d'humanité crée une ambiance aussi cauchemardesque, comme détachée du réel.
L'analyse des motivations des différents personnages est assez poussée et sans jamais tomber dans la victimisation, l'auteur n'oublie pas ce que ces comportements doivent à l'environnement. Car cette prison tentaculaire est à la fois le décor d'un huis clos dramatique, mais aussi un des acteurs de la déshumanisation, du système pervers qui exacerbe la violence envers celui qui est différent, qui est plus faible….
Certaines scènes sont remarquables : quand un jeune caïd pleure face à la maladie qui l'humilie avec un corps qui l'abandonne, quand des innocents acceptent leur sort avec une terrible dignité, quand, même les "héros" laissent parler leur face sombre, quand un travesti perdu dans ses identités découvre la trahison ultime…
Un livre coup de poing, si on accepte de se laisser embarquer.