La collection 33 1/3 propose des monographies sur des albums culte.
Carl Wilson, critique musical reconnu, détourne l'exercice en choisissant parmi les disques de
Céline Dion celui qui cartonnait à l'époque où sa détestation pour la chanteuse était à son comble. Finalement, se demande-t-il, est-ce si cool de détester cette chanteuse populaire ? Une citation de « The Independent » , d'un mépris social décomplexé (« Coincée entre le vomi et l'indifférence, une fan-base doit bien exister »), permet de répondre que non. Alors, même si ce n'est pas cool, y a-t-il une raison objective à considérer la B.O. de Titanic comme une daube?
Avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle, Wilson va analyser le phénomène Dion et résumer avec pédagogie les grands débats sur l'esthétique. Grosso modo, on est passé de la conception kantienne (il existe bien un goût objectif dont témoigne le consensus sur les oeuvres du passé) à la révolte romantique (l'artiste incompris par son époque) aujourd'hui confirmée par l'alliance objective du capitalisme et de la démocratie : non plus un goût objectif et unique, mais une multitude d'univers (l'élite n'a plus le monopole de la sensibilité esthétique et puis tout le monde doit trouver son bonheur si on veut vendre un maximum de produits). D'ailleurs,
Kant n'échappe pas à la critique bourdivine (j'adore cet adjectif): le goût dépend du statut social et il s'agit moins d'aimer des oeuvres que de détester celles qui feraient de nous des déclassés. Autrement dit, il ne suffit pas d'aimer Mozart, il faut encore que Mozart emmerde les gens de peu, sinon ce n'est pas drôle.
Mais 50 ans après, les thèses de Bourdieu sont-elles encore d'actualité ? Oui, si ce n'est que, mondialisation et multi-culturalisme obligent, le capital culturel n'est plus fondé sur le snobisme mais sur l'ouverture : je me distingue du tout-venant en étant capable de disserter sur les thématiques philosophiques à l'oeuvre dans Harry Potter comme sur le cinéma d'auteur.
Tout ça n'explique pas pour autant le mépris qui accable cette pauvre
Céline Dion. Pourquoi vouloir à tout prix afficher sa différence avec ceux qui l'aiment ? Wilson reprend les analyses de
Kundera sur le kitch et en en profite pour se payer (un peu) sa tronche: le kitch serait une faute moins esthétique que morale, une volonté de tordre la réalité pour en gommer tous les aspects désagréables. Oui mais la déformation opposée condamne tout autant à la passivité et le sentimentalisme a au moins l'avantage de nous renvoyer à notre humanité. Et mépriser ce qui nous rattache aux autres n'est pas très joli-joli...
Mais bon (et là, ce n'est que mon avis) respecter les goûts des autres, en se souvenant notamment que le gros avantage de l'esthétique sur les sciences dures c'est qu'au moins on peut causer et discuter sans craindre les fake news et que d'ailleurs il n'est rien de plus agréable que de changer d'avis, respecter les goûts des autres, disais-je, ne signifie nullement renoncer à la mauvaise foi car si les sentiments rassemblent, l'humour n'est pas en reste. Ah, combien de commentaires moqueurs lus sur Babelio m'auront fait commencé ma journée sur un éclat de rire?