On a du mal à croire que ce que raconte ce superbe livre puisse être vrai tellement les faits, l'histoire du récit semblent incroyables, tellement les personnages paraissent irréels, tellement les destins arrivent malgré tout à se croiser sur ces étendues gigantesques et désertes, tellement la durée de cette épopée est tout bonnement inimaginable pour tout un chacun et surtout pour nous occidentaux toujours à la bourre. Mais, l'impression d'invraisemblance n'est peut-être en grande partie due qu'à l'ignorance et l'incompréhension qu'on a d'un pays si fermé, inaccessible, sans Club Med qu'est le Tibet, et d'une culture si éloignée des autres, celle des Tibétains. En tout cas, l'histoire nous est présentée comme vraie. Et on a tellement envie qu'elle le soit car elle nous apparaît dès lors encore plus belle, plus émouvante et plus intéressante ! Dont acte !
De fait, on comprend alors mieux que l'auteure ait passé du temps dans la région pour mieux appréhender et rendre cette histoire, qu'elle ait, comme le lecteur, encore énormément de questions à propos de celle-ci, et qu'elle en soit donc à rechercher désespéramment l'héroïne.
Mais, le caractère presqu'existentielle de cette quête montre également que
Xinran, fortement marquée par cette rencontre, est, d'une certaine manière, prisonnière de celle-ci. En effet, elle n'a probablement pas osé laisser jouer sa créativité d'écrivain pour combler certains manques de l'histoire ; et ceci sûrement par souci de ne pas trahir un tant soit peu son interlocutrice. Ainsi, parmi les faiblesses du récit, on peut penser à l'évocation de l'évolution spirituelle de l'héroïne, passant du matérialisme marxiste au bouddhisme tibétain, qui est présentée comme une des résultantes fortes des 30 ans de pérégrination de l'héroïne, mais que le livre ne nous fait pas réellement vivre. de même, sans pour autant en faire un document de géographie ou d'anthropologie, l'ouvrage est relativement pauvre dans la description des paysages et des us et coutumes tibétains. Ce point fait d'ailleurs partie des remarques de la postface ; qui, soit dit en passant, est surprenante dans ce contexte, car plutôt critique vis-à-vis de certains éléments du livre, ce qui n'est donc pas très marketing (pour une fois). Enfin, on ne se rend pas bien compte du temps qui passe, alors qu'il est un des ressorts même du récit pour nous lecteurs occidentaux ou citadins ; même si on se doute qu'à l'instar des Tibétains, cette notion du temps qui passe n'a pas forcément la même valeur pour l'héroïne (on le leur souhaite même de tout coeur).
Mais au-delà des critiques critiques, retenons ce merveilleux hommage à l'amour et surtout à la fidélité inconditionnelle à cette passion. C'est d'ailleurs la formidable force de ces sentiments au service d'un absolu qui font de l'héroïne un véritable personnage de tragédie. Toutefois, bien qu'elle en ait tous les ingrédients, il est difficile de dire si l'histoire elle-même en est une, car, l'auteur semble vouloir en positiver l'issue. Elle présente le résultat de cette quête comme une découverte intérieure et celle d'une spiritualité, de nouvelles racines. Ainsi, elle considère qu'après avoir mobilisé toute son énergie physique et mentale pendant des dizaines d'années, sur des territoires immenses, le trésor trouvé était en elle (remember
Saint Augustin : "Au lieu d'aller au dehors, rentre en toi-même : c'est au coeur de l'homme qu'habite la vérité."). Pour ma part, il n'est pas dit que la tragédie ne soit malgré tout pas là, car ce que l'on peut apercevoir de l'héroïne à la fin du livre, montre une femme plus déboussolée (brisée ?) que sereine et épanouie. Déboussolée par le temps passé, par l'évolution du monde, par l'échec de sa quête, par la perte de ses racines, de son amour absolu... Il faudrait donc pouvoir voir ce qu'elle est devenue avec quelques temps de recul pour savoir. Et, pour toutes ces raisons, je partage le désir de
Xinran de retrouver son personnage extraordinaire et ainsi éviter une certaine part de frustration.
SHU WEN REVIENS !