Alors je compris : une femme est comme un caillou poli et arrondi par l'eau et le temps. Son apparence extérieure a été modifiée par le destin que la vie lui a infligé, mais aucune eau ne peut altérer le cœur d'une femme ni son instinct maternel.
Son absence me cause une telle douleur qu'elle me déchire , au point que j'ai parfois l'impression d'avoir réellement une crise cardiaque.
– «Arranger» un bébé fille n'a rien d’extraordinaire par ici, dit la plus âgée des deux femmes d'un ton réconfortant. Vous autres, gens de la ville, ça vous choque quand vous voyez ça pour la première fois, pas vrai ? ajouta-t-elle en remarquant mon expression consternée.
– C'est un enfant vivant ! répondis-je d'une voix tremblante en pointant le doigt vers le seau.
J'étais encore si choquée que je n'osais pas faire un geste.
– Ce n'est pas un enfant, me corrigea-t-elle.
– Comment ça, ce n'est pas un enfant ? Je l'ai vu de mes propres yeux.
J'avais peine à croire qu'elle puisse proférer un mensonge aussi flagrant.
– Ce n'est pas un enfant, m'interrompit-elle. Sinon, nous serions en train de nous en occuper, vous ne pensez pas ? C'est un bébé fille et on ne peut pas la garder.
Une femme qui n'a pas de fils n'a aucune raison de vivre.
Avoir plus d'un enfant signifiait perdre son travail, son logement, (alloué par l'employeur), ses droits aux rations alimentaires et vestimentaires, les droits de son enfant à l'instruction et aux soins médicaux, et même ses chances de trouver un autre travail, attendu que personne n'aurait osé vous embaucher. Pour la seule raison que vous aviez cet enfant "supplémentaire", vous et votre famille perdiez absolument tout.
Elle pleure presque chaque nuit, elle dit qu'elle rêve de nos filles. Je ne le crois pas vraiment. Nous travaillons si dur toute la journée, nous n'avons pas le temps de rêver!
Avec tous ces changements spectaculaires que la Chine a connus, les femmes contraintes par la tradition d'abandonner leurs petites filles pourront-elles jamais les serrer à nouveau dans leurs bras?
P.86 : quand le ventre pointe en avant, c'est en général un garçon. Si la femme porte l'enfant plutôt en arrière, c'est le plus souvent une fille. Un nombril saillant indique un garçon, un nombril rentré indique un fille.
Il y a des trafiquants d'êtres humains par ici ?demandais-je.
_ Ils enlèvent souvent des enfants pour les vendre, je le sais, dit-elle. (Les petites filles étaient vendues à des paysans ou à des pêcheurs en aval du fleuve pour leur servir de main d'oeuvre et plus tard d'épouses)
[…] de tout temps, les Chinoises n’ont jamais eu le droit de raconter leur propre histoire. Elles vivaient au dernier échelon de la société, on exigeait d’elles une obéissance absolue, et elles n’avaient aucun moyen de se construire une vie à elles. C’était devenu tellement « normal » que la plupart des femmes ne souhaitaient que deux choses – ne pas enfanter de fille dans cette vie-ci et ne pas renaître femme dans la prochaine.
(p. 69)