L'art de
Takato Yamamoto a la beauté et la délicatesse ténébreuses d'un ikebana dans lequel les fleurs auraient été remplacées par des morceaux de cadavres.
Cette critique vaut pour les livres d'art
Rib of a Hermaphrodite et
Divertimento for a Martyr.
L'illustrateur
Takato Yamamoto est, à l'instar de
Suehiro Maruo, l'un des plus célèbres représentants actuels de l'ero-guro, ou érotique grotesque, mouvement né au Japon dans les années 20 et mêlant l'érotisme à l'horreur. Dans ces deux ouvrages édités au Japon, point de texte explicatif, simplement les oeuvres en regard de leur titre en anglais et japonais.
Dans ses illustrations fourmillant de détails et au trait d'une finesse extrême, Yamamoto utilise ou fait référence à des éléments traditionnels japonais (shunga, peintures sur éventail, kimonos, kinbaku, uniformes scolaires, ball-jointed dolls), emprunte à l'iconographie religieuse chrétienne (« Saint Sébastien », « salomé »), à la littérature et à l'art européens du XIXe siècle (« J'ai baisé ta bouche Jokanaan », référence transparente à
Oscar Wilde, « Alice's door »), ou encore aux illustrations horrifiques de l'Irlandais
Harry Clarke. Parmi ses motifs de prédilection : monstres, chimères, vampires, bondage, homosexualité, malformations, poupées et corps démembrés, brisés, adolescents androgynes aux visages impassibles ou mélancoliques. Si sa palette est dominée par le noir, s'y combinent la pourpre des chairs à vif et toute une gamme de tons affadis, presque poudrés, déclinaisons d'ocres, de gris, rosé incroyablement pâle des visages.
On distingue dans ses créations deux tendances principales, bien que celles-ci tendent à se confondre.
La première et la plus marquante consiste en des fantaisies de chair qui tendent vers le surréalisme, compositions dans lesquelles les organes s'émancipent de leur fonction première pour n'obéir plus qu'à une logique décorative. Les chairs se déploient comme d'immenses pétales autour de l'ivoire du squelette. Les personnages, dont il ne subsiste que le visage et les mains, se retrouvent liés inextricablement à des amoncellements chimériques dans lesquels muscles, cages thoraciques et crânes se mêlent à des éléments animaux (têtes et pattes de coq, écailles, queues de poisson, insectes, ailes d'oiseau) et végétaux (roses et ronces, feuillages).
A sa seconde manière, plus classique, on doit des séries de scènes figuratives, uchroniques et utopiques au sens étymologique (de nul temps et de nulle part). Dans ces images de personnages alanguis sous la morsures d'un vampire, de jeunes filles savamment ligotées et en proie aux monstres, le récit est suspendu ; on attend le viol, on devine la mort.
Ce n'est pourtant pas tant la mort que Yamamoto met en scène, qu'un idéal de beauté sombre et macabre. Les chairs sont à vif sans que les corps ne deviennent charognes. Still lives – vies suspendues – plus que natures mortes. La violence, l'horreur, s'estompent derrière la douceur et la mélancolie.
Mon seul regret est que ces ouvrages ne soient pas édités dans un plus grand format.
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