Gros coup de coeur pour ce roman d'
Alice Zeniter que j'ai trouvé carrément brillant. Dès les premières lignes, j'ai été conquise par le ton et le propos : « Franck avait la malchance de porter son prénom. Il le savait. Certains prénoms vous tuent à l'instant qu'ils vous nomment. Franck était persuadé, jusque dans ses moments de bonheur les plus intenses, qu'il aurait pu avoir une vie meilleure sous une autre identité. ». Je pense que, rarement, j'ai été autant accrochée – je suis incapable de dire pourquoi – par une telle entame.
Franck est un infirmier qui aime son métier et qui est réellement engagé auprès de ses patients. Il vit avec Emilie, une enseignante qui – lassée par sa profession – décide de débuter une thèse sur l'oeuvre de Galwin Donnel, un célèbre auteur de polar, disparu dans des circonstances inexpliquées. Franck, lui, aurait préféré faire un bébé…
Chargée d'organiser un séminaire sur Donnel, elle part quelques semaines sur l'île de Mirhalay où l'auteur vivait avant de disparaître. le roman débute alors que Franck la rejoint. Très amoureux, il espère faire évoluer leurs relations et la recentrer sur leur vie de couple.
Dès son arrivée, Franck a bien du mal à retrouver la complicité qu'il avait avec Emilie, leur intimité a pâti de l'éloignement et la jeune femme semble comme envoutée par l'oeuvre de Donnel. Il ne trouve sa place ni dans le groupe d'intellectuels, tous fans de l'auteur, ni auprès de sa compagne.
Mirhalay est un lieu retiré, où règne une étrange atmosphère à laquelle le gardien de l'île n'est pas étranger. Jock a toujours vécu là, mi ermite, mi philosophe, il porte un regard désabusé sur ses contemporains et ne comprend pas l'engouement de ceux-ci pour le romancier. C'est auprès de lui que Franck trouve refuge, partage ses sombres pensées et s'enivre pour oublier que son couple traverse des turbulences.
C'est magistralement écrit, l'ambiance est suffocante alors même que le climat est venteux et pluvieux, on éprouve une réelle empathie pour Franck et ses amours perdues. Mais la grande réussite d'
Alice Zeniter c'est d'arriver à nous persuader que Galwin Donnel a vraiment existé – au point que je suis allée voir sur le net qui était cet auteur que je ne connaissais pas … Citations, notes de bas de pages, références à des articles de presse ou à des critiques,
Zeniter crée une oeuvre fictive, construit la biographie d'un auteur plus vraie que nature et mêle la fiction à la fiction. Avec une atmosphère proche d'
Agatha Christie dans
Dix petits nègres mais aussi de
David Lodge quand il dépeint le milieu universitaire, le roman s'approche par différentes entrées : le couple, la conquête de soi, la littérature et les processus créatifs, le rapport des critiques ou autres essayistes avec leur sujet d'études, etc. C'est juste passionnant et très réussi.
J'avais beaucoup aimé (c'est un euphémisme)
L'art de perdre en septembre dernier. Je me dis avec cette seconde lecture qu'
Alice Zeniter est un vraiment un auteur de grand talent.