Le titre expose le sujet : ici, on va parler de pognon, d'oseille, de pèze, de flouze, de grisbi… pas tellement des picaillons, des piécettes ou de la mitraille qui traînent (quand il y en a) au fond du porte-monnaie de Gervaise, mais de la richesse, des actions, des placements et des opérations financières qui font la raison de vivre de certains « hommes d'affaires ». On va parler d'argent au sens général du terme : celui qui combiné au sexe et au pouvoir, tient les rênes du monde.
Zola a déjà abordé ce thème dans plusieurs romans : dans « La Curée », le dénommé Saccard (déjà lui) nous démontrait comment on bâtit une fortune. Dans « Au bonheur des dames », Octave Mouret nous expliquait une des façons de la faire fructifier. Et la plupart des autres romans, inversement, nous égrenaient les mille et une façons de s'en passer.
« L'Argent » nous place au coeur du sujet : la Bourse est le temple de ce nouveau dieu, et Saccard est son grand-prêtre. Saccard, vous vous en souvenez, c'est Aristide Rougon, le frère d'Eugène, le ministre ; comme beaucoup de personnages de la série (surtout dans ce milieu), il n'est pas d'une moralité exemplaire, il a autant de scrupules que moi j'ai de billets de 200 euros (et même 100, d'ailleurs), il multiplie les bonnes conquêtes et les mauvais coups, bref, un seigneur.
Son nouveau truc, c'est de créer une nouvelle banque, la Banque Universelle (rien que ça, mais ça situe l'ampleur du projet), destinée à financer des investissements au Proche-Orient. (Oui, en 1864, le Proche-Orient était déjà attractif). Notre ami Saccard, déjà rompu dans toutes les manigances financières, nage là-dedans comme un poisson dans l'eau. Il a pourtant fort à faire avec des concurrents aussi requins que lui, comme le banquier Gutterman, l'affairiste Busch, ou des aventurières du tapis vert comme la baronne Sandorff, Les femmes, ce n'est pas un problème, tôt ou tard elles finissent dans son lit, au grand dam de sa maîtresse du moment, Caroline. Tous les coups sont permis, y compris ceux qui touchent à la vie privée (quelle époque ! ce n'est pas aujourd'hui qu'on verrait des choses comme ça !) Saccard triomphe, mais plus dure sera la chute…
Saccard tient le premier rôle dans cette pièce plutôt noire que rose. Mais en fait le héros du roman, c'est l'argent : c'est lui qui est à l'origine de tout, et qui commande à la manoeuvre.
Zola, a accumulé pour ce livre plus de documentation que pour ses autres romans (et ce n'est pas peu dire). Il s'est inspiré de tous les scandales financiers de son époque, et particulièrement du krach du Comptoir National d'Escompte de
Paris, en 1889, et plus encore celui de l'Union Générale dix ans plus tôt (1881-1882). Tous les mécanismes boursiers sont décryptés, même et surtout les plus illégaux (comme aujourd'hui, le délai d'initié faisait alors florès). L'argent est donc au centre du roman : la Bourse devient comme le Voreux de « Germinal » une espèce de Moloch qui réclame des victimes. du reste tout n'est pas négatif,
Zola montre aussi le bon côté des investissements, pour un bien-être de la population, et un accroissement général des fortunes (même s'il est réservé à des particuliers), il place même un discours socialisant dans la bouche de militants marxistes (utopie, quand tu nous tiens…)
Un roman très technique donc, mais dont les personnages, particulièrement bien dessinés, font un drame bourgeois où, comme souvent chez
Zola, la vie privée se mêle à la vie publique, suivant une courbe montante puis descendante, culminant en apogée à la corbeille et finissant en catastrophe. Pas pour tout le monde d'ailleurs : les mauvaises herbes repoussent toujours (nous en avons des exemples tous les jours dans nos soi-disant procès politiques) …