"Est-ce que vous connaissez la bataille des Gras et des Maigres ?"
Le Ventre de
Paris : ce sont les Halles, nouvellement construites (1853 à 1874) que découvre Florent après 8 ans d'absence
Dans ce ventre de
Paris convergent toutes les nourritures : légumes et fruits, marée et viandes, volailles, charcuterie, fromages et même fleurs. le roman commence avec l'arrivée du tombereau de Madame François, maraîchère de Nanterre !
Le tombereau heurte Florent, presque mort de faim, d'une maigreur à faire peur, évadé du bagne de Cayenne, déporté après les journées de décembre 1851 arrêté près de la barricade rue Montorgueil. Florent est recueilli par son frère Quenu, prospère charcutier, gras et bien nourri comme sa femme Lisa, la belle charcutière.
Les descriptions des dentelles et des soieries des toilettes de Renée Saccard dans La Curée, des décors de l'Hôtel de la Plaine Montceau, m'avaient plutôt lassée. J'avais trouvé que
Zola se complaisait dans des longueurs. En revanche, j'ai eu un véritable coup de coeur pour cette exubérance des légumes et des fruits, surabondance de la nourriture, énumération des victuailles, les descriptions des étalages de la charcuterie . le Ventre de
Paris plonge le lecteur dans le monde odorant de l'étal de la marée avec ses poissons, ses moules, ses huitres, dans les paniers remplis de plumes des volaillers, ruisselant des grandes lessives, dégoûtant de sang, d'humeurs et d'excréments.
Et c'est un peintre, Claude Lantier, qui décrit le mieux ces tableaux naturalistes, opposant l'art moderne, le naturalisme. Son art est croquis ou tableau, mais son oeuvre suprême, c'est avec des boudins, des langues de boeuf, des jambons jaunes qu'il l'a construite. Il cherche ses sujets dans le peuple des Halles
"Cadine et Marjolin s'aimant au milieu des Halles centrales, dans les légumes, dans la marée, dans la viande. Il les aurait assis sur leur lit de nourriture, les bras à la taille, échangeant le baiser idyllique. Et il voyait là un manifeste artistique, le positivisme de l'art, l'art moderne tout expérimental et tout matérialiste ; il y voyait encore une satire"
Le naturalisme revendiqué en peinture par Claude, est aussi le style littéraire de
Zola. Claude, plus loin, l'étend à l'architecture
"Je m'imagine que le besoin de l'alignement n'a pas seul mis de cette façon une rosace de Saint-Eustache au beau milieu des Halles centrales. Voyez-vous, il y a là tout un manifeste : c'est l'art moderne, le réalisme, le
naturalisme, comme vous voudrez l'appeler, qui a grandi en face de l'art ancien..."
Dans la bataille des Gras et des Maigres l'auteur met en scène, dans le rôle des Gras : les commerçants des Halles, poissonnières et charcutières, volaillers et cafetiers, toute une société prospère qui se concurrence, se jalouse, s'observe, s'enrichit...
"C'était le ventre boutiquier, le ventre de l'honnêteté moyenne, se ballonnant, heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux, que jamais les gens de moeurs paisibles n'avaient engraissé si bellement."
Bonne conscience de la Belle Lisa et de sa concurrent la Belle Normande, travailleuses, honnêtes, bien nourries....Certains personnages sont plus nuancés comme les jeunes Marjolin et Cadine, les enfants Muche et Pauline qui jouent dans la boue. Deviendront-ils des Gras quand il seront adultes? Et la vieille Saget la fouineuse avec son cabas, qui surveille les autres de sa fenêtres, s'attarde pour écouter les rumeurs et qui colportera les ragots : une Maigre?
"mademoiselle Saget avait certainement laissé dans sa vie passer une occasion d'engraisser car elle détestait les gras tout en gardant dédain pour les Maigres"
déclare Claude Lantier.
C'est cette dernière qui déclenchera la guerre en convoquant les commères pour dévoiler le secret de Florent. Et cette mauvaise action se déroule dans les odeurs de fromage. Les odeurs contribuent à l'ambiance :
Comme les tomes précédents de la série des Rougon-Macquart, le Ventre de
Paris est un roman politique, qui raconte l'histoire du Second Empire : son avènement avec les barricades et les déportations de 1851 et les oppositions clandestines : les conspirations des révolutionnaires dans les arrières salles du café ainsi que la surveillance des espions et des mouchards, les dénonciations des honnêtes gens qui voient dans l'Empire une stabilité et une prospérité qui garantie leur commerce.
"C'est la politique des honnêtes gens... Je suis reconnaissante au gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil... C'était du propre, n'est-ce pas, en 48 ? L'oncle Gradelle, un digne homme, nous a montré ses livres de ce temps-là. Il a perdu plus de six mille francs... Maintenant que nous avons l'empire, tout marche, tout se vend. Tu ne peux pas dire le contraire... Alors,"
C'est encore Claude qui aura le dernier mot :
Alors, Claude leur montra le poing. Il était exaspéré par cette fête du pavé et du ciel. Il injuriait les Gras, il disait
que les Gras avaient vaincu. Autour de lui, il ne voyait plus que des Gras, s'arrondissant, crevant de santé,
Magistral!
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