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sur 2403 notes
Je poursuis ma découverte dans l'ordre des Rougon-Macquart avec ce troisième tome, et après avoir quitté les beaux hôtels particuliers de l'ouest Parisien, nous voilà transporté en plein centre de la capitale au milieu des célèbre Halles.
Troisième tome et troisième ambiance différente où Zola nous plonge avec une acuité et un talent intarissable.

Cette fois-ci on va faire la connaissance de Florent, un jeune homme qui a traversé l'océan pour revenir à Paris, après avoir été arrêté par erreur lors du coup d'Etat de 51 et incarcéré en Guyane pendant plusieurs années. Mais Florent, on le remarque vite, n'est ni un Rougon, ni un Macquart, ni un Mouret. En fait c'est le premier où roman le personnage principal n'est pas directement un membre de la famille, mais il y est lié : le frère de Florent, Quenu est l'époux de Lisa Macquart ; fille de Fine et Antoine, soeur de Gervaise et de Jean.
Le couple tient une boucherie juste en face des Halles, et Florent habitera chez eux le temps de trouver de quoi vivre. Mais plus le jeune homme passera de temps à leurs côtés plus le décalage entre eux se fera de plus en plus grand. Lui est maigre, pensif, rêveur, idéaliste, eux sont gras, pragmatiques, débordés, travailleurs. Des tempérament opposés, exacerbés par l'abondance alentour, qui semblent ne pouvoir se mélanger.
La plongée dans les Halles, ce gigantesque ventre de Paris est pour le moins hypnotisante, Zola nous balade de pavillon en pavillon, on plonge tantôt dans les étals de légumes, tantôt dans ceux des fromages, des viandes, poissons, bref on fera le tour complet de ce gigantesque marché sans que cela ne cause, en tout cas pour ma part, aucun écoeurement. Bien au contraire, cet amas de vie et de nourriture était presque envoutant. Mais il est surtout passionnant comme un reportage maintenant que ces Halles n'existent plus, c'est donc grâce à Zola un héritage précieux.

Florent m'a ému par son innocence et sa naïveté. Il aime beaucoup son frère et tente de renouer un lien fraternel avec lui, mais il aura beaucoup de mal à trouver sa place dans cet univers singulier baigné d'hypocrisie. Mais il va subir tout un tas d'erreurs de jugement de la part de personnes pour qui seuls comptent les rumeurs et la réputation... Et son frère Quenu, par sa faiblesse d'esprit et sa soumission à sa femme Lisa, n'aidera pas, ou peu, son grand frère comme il l'aurait mérité. C'est d'ailleurs pour cette raison que le personnage de Lisa m'a dès le départ agacé. Son caractère, sous couvert de convenance et de discrétion, recèle des aspects sournois et vicieux qui nous rappelle qu'elle est une Macquart.
On fait aussi la connaissance de Claude, fils de Gervaise donc neveu de Lisa, que j'ai bien apprécié, un des seuls amis de Florent. Il est peu présent mais se trouve avoir compris et percé à jour les esprits avides aux multiples facettes que composent Les Halles, ce gros ventre nourrissant autant les estomacs que toutes les vilénies.

J'ai encore passé un excellent moment de lecture, Zola m'a plongé dans un univers pour le moins singulier, décrit de main de maître, une formidable peinture d'un monde disparu.
Maintenant direction Plassans !
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Durant les longues années qu'il a passé en prison pour activisme politique, Florent n'a jamais eu qu'un seul désir : retourner à Paris, sa ville natale. Evadé miraculeusement du bagne de Guyane, il parvient enfin à réaliser son rêve, mais c'est pour découvrir un Paris bien changé, un Paris gras, huileux, joyeux, débordant de nourriture et de richesse, où le pauvre homme qu'il est a bien du mal à retrouver sa place. Malgré quelques répugnances à accepter dans leur paradis de gras ce maigre souffreteux, son frère Quenu et sa belle-soeur Lisa, tous deux charcutiers aux Halles de Paris, finissent par accueillir Florent chez eux, à condition que celui-ci trouve rapidement un travail pour subvenir à ses besoins. Grâce à l'appui de sa famille, l'ancien bagnard décroche un emploi d'inspecteur aux Halles, mais sa conscience sociale ne tarde pas à se réveiller face à l'avalanche d'injustices et de petites mesquineries auxquelles il est confronté chaque jour. Florent s'agite, il se met à parler de politique, de solidarité, de partage des biens et de révolution populaire. Mais gare à qui oserait remettre en cause l'ordre des choses dans l'univers clos et si bien rodé des Halles ! Car les gras n'aiment pas entendre les maigres se plaindre de leur misère et, tôt ou tard, ils les dévoreront…

La moindre des choses est de reconnaître qu'Emile Zola et moi n'avons jamais entretenu une longue histoire d'amour. Ayant découvert ses romans au collège, je les avais jugés soporifiques et n'avais pas accroché à son style trop sec, presque journalistique, bien loin des envolées lyriques d'un Victor Hugo. N'aimant pas resté brouillée trop longtemps avec un auteur, j'ai décidé de tenter avec le « Ventre de Paris » de me réconcilier avec Zola – si tout le monde dit que c'est génial, c'est qu'il doit bien y avoir une raison à cela, non ? A défaut d'être complétement séduite par l'expérience, j'en ressors globalement satisfaite : vivante et colorée, sa description des Halles est un vrai plaisir de lecture. A chaque ligne, on sent la fascination du romancier pour cette grande machine pleine de bruit, de rouages et de fureur, véritable monde en miniature et temple rutilant à la gloire de la nouvelle religion du consumérisme.

De toute évidence, Zola admire la modernité que personnifient les Halles parisiennes, mais cette attirance n'oblitère pas pour autant chez lui toute critique sociale, bien au contraire. Sans avoir la finesse d'analyse psychologique d'un Hugo ou d'un Balzac, le romancier jouit en revanche d'un excellent sens de la caricature. Son personnage principal, Florent, est trop stéréotypé pour être réellement marquant, mais il remplit à merveille son rôle, à savoir renforcer par contraste la mesquinerie, l'égoïsme et la malveillance bienpensante des autres protagonistes. C'est dans la caractérisation de cette réjouissante galerie de grotesques que Zola s'épanouit le plus : commerçants débordants d'imbécilité réjouie, vieilles vipères affamées de rumeurs, harpies à la moralité petite-bourgeoise, révolutionnaires de comptoir… Pas un qui ne passe à la casserole ! Tout cela est bien vil, bien abject, bien puant, mais si habilement tourné et conté que l'on se surprend à en éprouver une coupable délectation. Et l'on referme son roman avec une grimace et un ricanement aux lèvres, en grondant comme Claude Lantier, le double narratif de l'auteur : « Quels gredins que les honnêtes gens ! »
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Ici, c'est Lisa Macquart que nous suivons. Mariée à Quenu, ils tiennent une charcuterie prospère, aux Halles de Paris. L'histoire commence lorsque son beau frère Florent, revient du bagne où il a été envoyé pour avoir brièvement participé à la résistance lors du coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1851.

Le contraste entre la surabondance de nourriture stockée ici et largement décrite au fil du roman, et l'exil de Florent est à son apogée dans cette scène où sa nièce, assise sur ses genoux, lui réclame l'histoire du "monsieur qui se fait manger par les bêtes". Florent décrit alors son douloureux retour, ses privations famines et violences subies, au milieu de la préparation du boudin, des applaudissements de sa nièce, des rires de la servante et de la désapprobation de Lisa.

Enfin le parallèle avec "La désobéissance civile" de Thoreau (que je viens de terminer, encore un incroyable hasard) est saisissant!
La phrase que Lisa prononce pour convaincre son mari de renoncer à ses envies révolutionnaires résume pour moi complètement l'esprit du livre:
"Alors pourquoi parles-tu de renverser le gouvernement, qui te protège et te permet de faire des économies? Tu as une femme, tu as une fille, tu te dois à elles avant tout. Tu serais coupable, si tu risquais leur bonheur. Il n'y a que les gens sans feu ni lieu, n'ayant rien à perdre, qui veulent des coups de fusil. Tu n'entends pas être le dindon de la farce, peut être! Reste donc chez toi, grande bête, dors bien, mange bien, gagne de l'argent, ai la conscience tranquille, dis toi que la France se débrouillera toute seule, si l'Empire la tracasse. Elle n'a pas besoin de toi, la France!"

C'est là la force du ventre de Paris, contre laquelle Florent s'est échoué.
C'est ce que dénonce Thoreau dans son manifeste: bénéficier du système c'est l'approuver et en faire intégralement partie!
Ce qui torture d'ailleurs Florent lorsqu'il accepte son emploi à la marée..

Brillant!!





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Troisième roman de la série des Rougon-Macquart, c'est aussi le premier où Zola développe autant l'intrigue centrale, à savoir : le retour de Florent à Paris après avoir passé plusieurs années exilé à Cayenne. Autour de lui se tresse un ensemble de relations qui permettent la construction du récit. C'est à travers ces relations que l'on appréhende l'état d'esprit de l'époque. La politique passe également par les liens et par les agissements des personnages. le roman ne s'intéresse en effet qu'au "petit peuple" de Paris.

On est immédiatement plongé dans le Paris de la fin du XIXe siècle, où les Halles occupaient un lieu central de la capitale et qui possédaient ses habitués, ses commérages, ses histoires. J'ai trouvé toute la description des Halles très appréciable et réaliste. On peut d'ailleurs associer le Ventre de Paris au Bonheur des Dames que Zola écrira plus tard, mais qui reprendra comme thème de décor la société de consommation et s'attardera à décrire l'abondance de denrées.

Comme toujours, les descriptions chez Zola permettent de se faire une image très fidèle du décor dans lequel Zola a implanté l'intrigue. Même les plus insignifiants détails font sens dans notre imaginaire : les jeux de lumière avec les réverbères dans la nuit par exemple (lorsque Florent arrive à Paris). Cette richesse des détails permet la création d'une atmosphère très spéciale qui reste gravée en mémoire, même des années après.

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Quel plaisir de redécouvrir ce fascinant 19ème siècle, de se retrouver plongé dans le quartier des halles de Paris, "ventre" digérant tout, brassant le peuple et aspergeant de sa bile les honnêtes gens! Zola était décidément un auteur formidable et j'ai pris beaucoup de plaisir à suivre la vie de ces personnages, à prendre parti, à suivre leur déambulations et leurs aventures. Excellente lecture.
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Je poursuis ma lecture de l'intégrale des Rougon-Macquart d'Emile Zola, avec le troisième roman de la saga : le Ventre de Paris.

Après les conséquences du coup d'Etat dans la ville provençale imaginaire de Plassans et le milieu parisien des affaires, Emile Zola nous plonge cette fois dans les Halles de Paris, récemment inaugurées à l'ouverture du roman, et véritable centre et ventre de la capitale du Second Empire.

Contrairement aux deux premiers romans qui étaient clairement centrés sur des personnages issus d'une ou l'autre branche de la grande famille des Rougon-Macquart, celui-ci ne les fait apparaître qu'à travers des personnages secondaires.

Le principal “héros” du récit, c'est Florent, un républicain revenu à Parois après s'être évadé du bagne de Cayenne où il avait été déporté injustement pour le meurtre de plusieurs gendarmes, un crime qu'il n'avait en réalité par commis. L'arrivée de Florent à Paris va dérégler la petite vie des Halles de Paris et des commerçants qui y ont leurs habitudes.

Les Halles sont presque le personnage principal du roman. Emile Zola nous décrit les commerçants et leurs produits. C'est le livre de la description des corps : le gras des bien nourris est glorifié, les maigres sont mal vus, ils inspirent la méfiance, leur maigreur cache forcément de sombres secrets.

L'auteur nous raconte également les rivalités, les jalousies, les querelles, les mesquineries entre les commerçants des Halles. Comme il l'avait fait pour le microcosme mondain dans La Curée, Émile Zola dresse le portrait des petits commerçants parisiens, les habitués des Halles nouvellement ouvertes.

Les Halles, c'est aussi le royaume de la rumeur, des ragots qu'on s'échange sur les étals, souvent sans preuve, lâchés pour ternir la réputation de tel ou telle marchande ou marchande avec qui on a eu querelle la veille à propos du prix ou de la qualité d'un produit.

La politique n'est pas absente, avec les discussions entre aspirants révolutionnaires le soir autour d'un verre, et surtout la passionnante et éclairante conversation entre les époux Quenu, où est exposée la position, éminemment conservatrice, des petits commerçants qui ne souhaitent que la stabilité du régime, quel qu'il soit, tant qu'il garantit la prospérité du commerce.

Le Ventre de Paris est un roman difficile à lire : certains passages sont passionnants, d'autres sont moins accessibles. Si je peux me permettre l'expression, je dois dire que j'ai fait une indigestion à la cinquième ou sixième description d'une boutique et des produits que l'on peut y trouver.

Malgré ce style parfois lourd, on retrouve l'ironie et la causticité d'Emile Zola pour dresser un portrait sans concession d'une partie de la société du Second Empire. Ce n'est donc pas mon roman préféré de la saga, mais il s'agit tout de même d'une brique essentielle dans un ouvrage qui s'annonce monumental.

Je vais poursuivre ma découverte des Rougon-Macquart, même si pour éviter une nouvelle indigestion je vais sans doute lire un autre roman qui n'aura rien à voir, avant de replonger dans le Second Empire vu par Emile Zola.
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Le Ventre de Paris, ce sont les Halles, autour desquelles se déroule le roman.

Le Ventre de Paris, c'est aussi et surtout le combat des gras et des maigres (la seule à ne pouvoir être classée dans l'une de ces catégories étant Madame François).

Ce n'est pas mon roman de Zola préféré, autant je me suis délectée des longues descriptions impressionnistes des étalages dans Au bonheur des dames, autant j'avoue avoir trouvé beaucoup moins de plaisir à celles des légumes et des poissons...
Par contre, l'aspect politique et sociologique du roman est très intéressant, la façon dont le quartier finit par se liguer contre Florent fait froid dans le dos, et la fin est formidable, avec une conclusion magistrale énoncée par Claude Lantier: "Quels gredins que les honnêtes gens!".

A noter que le Ventre de Paris présente une particularité dans le cycle des Rougon-Macquart, dans la mesure où Florent, le personnage principal, n'appartient pas à cette famille, qui est représentée dans le roman par Lisa et Claude Lantier (qui ne présentent d'ailleurs pas de marqueurs héréditaires forts de la famille).

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C'est la vie des halles de Paris, le grand marché couvert qui dessert toute cette grande ville ; un roman plein de bruits, de couleurs, d'odeurs, c'est le roman de la vie... et de la mort. C'est la vie qui ruisselle des fruits, des légumes, des volailles, des fleurs ; c'est la mort qui suinte des cancans, des rancoeurs, des cruautés d'enfants, des jalousies.

L'empire nourrit ses gens et exige en retour la reconnaissance du ventre... Apologie des gros et gare aux maigres qui se posent des questions !
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Après les richesses acquises dans l'immobilier (pas vraiment légalement), entrons dans les Halles de Paris où se déversent à flot nourriture, jalousie et combat entre les Gros et les Maigres...

Si on peut penser tourner en rond entre « La Curée » et « le Ventre de Paris », les thématiques de la nouvelle richesse est traitée de manière totalement différente !
Aristide et Lisa sont des spécimens (on est chez Zola, on est scientifiques xD) de Rougon-Macquart totalement différents ! L'un est proche de la richesse de manière illégale, l'autre de manière légale. Pourtant on garde toujours ce trait d'avarice propre à la famille étendue.

Ce tome est peut-être le plus « mou » pour l'instant, mais j'ai trouvé ce rythme tellement logique ! Lisa, la Rougon-Macquart du tome, est une femme calme, proche de sa fortune, et ne vivant que de querelles de village avec les poissonnières et vendeuses de fruits des Halles. Halles qui sont vraiment un village à la hauteur de Plassans ! On n'est pas à Paris mais aux Halles.

Si bien, que la fin se devine dès le départ et qu'elle n'est pas une surprise : la politique nationale de Florent n'a pas sa place dans ce tome et on lui fait bien comprendre...

J'ai honnêtement beaucoup aimé ce tome ! Après le théâtre de « La Curée », on verse dans la peinture avec l'arrivée d'un Claude Lantier qu'on retrouvera plus tard... Les descriptions de LÉGUMES sont vraiment géniales et toutes en tableaux xD

En bref, j'étais très surprise de revoir des thématiques déjà abordées, traitées de manière différente, ce tome appuie bien la volonté de Zola de montrer les suivis génétiques et les différenciations selon les individus d'une même famille.

Autant dire que j'ai hâte de retourner à Plassans pour « La Conquête de Plassans » !
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(Reproduction d'une critique de Barbey d'Aurevilly, simplement pour rire, j'aime bien Zola)
Est-ce là un roman personnel ?… L'auteur de ce livre de haute graisse, car il est de haute graisse, aurait-il été, il faut bien le dire, charcutier ?… Aurait-il aimé une charcutière ?… Ou, non moins sérieux mais plus impersonnel, croirait-il que la Charcuterie est l'idéal des temps modernes, et l'aurait-il seulement peinte avec l'amour d'un grand artiste pour une grande chose ? Ma foi ! Je le croirais plutôt.

Toujours est-il (voici la nouveauté !) Que nulle part et dans aucun livre la charcuterie n'a été traitée avec cette importance, et décrite avec autant de science technique et de connaissance du métier. Assurément, il y autre chose que de la charcuterie et des charcutiers dans le livre de M. Zola, dans ce Ventre de Paris qui est la Halle, sans métaphore. Tous les genres de comestibles, toutes les choses du ventre, légumes, poissons, volailles, viandes de boucherie, fruits et fromages, y sont traités à fond et peints avec un détail infini et une passion qu'on dirait famélique, tant elle est intense ! Mais, il faut bien le reconnaître, c'est la charcuterie, cette spécialité de la charcuterie, qui trône sur toutes les autres mangeailles étalées ici avec un luxe de couleurs qui fait venir vraiment par trop d'eau à la bouche… Oui ! C'est la charcuterie, c'est la cochonnaille, qui, entre toutes les victuailles de la terre, est la chose sacrée pour M. Zola.
Rabelais, ce grand rieur qui se permettait tout, cet Homère-Priape sans feuille de vigne ; Rabelais, l'auteur de Gargantua, a un jour raconté la bataille des Cervelas et des Andouilles, mais il riait au-dessus de sa plantureuse et folle Epopée. M. Emile Zola ne rit point, lui. « Il ne rigoile pas », comme disait précisément Rabelais. Non pas ! Il est grave et convaincu dans sa charcuterie. Pour Rabelais, en ses bacchanales de bouffon, les andouilles, les cervelas, les triples, le piot, ne sont que de la ripaille et de la goinfrerie. Mais pour M. Zola, toute cette cochonnaille, qu'il nous étale et dont il nous repait, et dont il finit par nous donner le mal de coeur, c'est de l'art.
Il croit dire le dernier mot de l'art en faisant du boudin, M. Zola !
(…)

Son Ventre de Paris est l'oeuvre à présent la plus avancée (et vous pouvez l'entendre comme il vous plaira !) dans le sens de vulgarité et de matière qui nous emporte de plus en plus… Mais ce ne sera pas la dernière ! Il y a plus bas que le ventre. Il y a ce qu'on y met et il y a a ce qui en sort. Aujourd'hui on nous donne de la charcuterie. Demain, ce sera de la vidange. Et ce sera peut-être M. Zola qui nous décrira cette nouvelle chose, avec cette plume qui n'oublie rien.
Délicieuse perspective ! Si le charmant mouvement intellectuel continue, la Littérature française aura la chance de mourir asphyxiée derrière la porte infecte du cabinet d'Héliogabale.

Eh bien, M. Zola me semble bâti pour aller aussi loin que possible dans cette voie descendante qui nous conduit… j'ai déjà dit où… Il est jeune, je crois, et il a malheureusement de l'avenir. Il a débuté par des bégaiements dont je me suis un peu moqué (La Confession de Claude), mais la voix qui manquait de justesse et de force, lui est venue. Il a fini par bien poser, et d'aplomb, son archet sur les cordes de son violon, et il nous a joué cet air horrible de Thérèse Raquin qui fait saigner le coeur et l'oreille, et que nous allons entendre au théâtre pour qu'il les y fasse saigner mieux.
(…)
Il était encore, en ce temps de Thérèse Raquin, M. Zola, dans le milieu bas où il se vautrait, un reste d'âme, un lambeau de vie spirituelle ; mais il a fini par tuer tout cela avec les couteaux de cuisine — avec les couteaux à boudin — de sa littérature. du temps de Thérèse Raquin, il voyait rouge comme le chourineur et il charcutait dans le crime et la chair humaine.
Mais, à présent, il est plus calme et moins terrible, parce qu'il est plus mort encore aux choses de l'âme, et il ne charcute plus que un comme un simple charcutier.
Là est tombé son talent, — dans un saloir qui ne le salera pas ! Cet homme, à qui on put croire du tempérament littéraire, qui peignit dans sa Thérèse Raquin — un livre qu'il ne recommncera pas ! — les épouvantables remords des natures physiques, plus forts que leur abrutissement, n'est plus capable que de faire l'étalage, comme un garçon, chez les charcutiers qu'il adore. Il n'est plus capable que de décrire, de décrire sans cesse et toujours, les viandes et leurs couleurs, et leurs nuances, et leurs oppositions.
Que dis-je ? Tout charcutier qu'il soit de préférence (Dans son Ventre de Paris, la seule femme un peu intéressante qu'il y ait est une charcutière), il ne peint cependant pas que de la charcuterie. Il peint tout, dans cette Halle qu'il a choisie comme sujet de peinture intéressante, dans cette Halle qui est bien plus le sujet de son livre que les personnages qui s'y agitent, et il peint avec une telle absorption de lui-même dans l'objet, qu'il n'est plus une main conduite par une pensée, mais une espèce de palette mécanique, un pinceau qui va par l'effet d'un ressort, un procédé.

(…)

L'auteur du Ventre de Paris, dont la chair, pour parler comme lui, est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert, malgré son amour monstrueux des choses basses, des couleurs criantes jusqu'à vociférer, et son cynique mépris des inspirations morales et des beautés intellectuelles dans les oeuvres, a du talent encore. Mais cela ne sera pas long, s'il ne se retourne pas !… Il est à la limite extrême. Et, puisque la charcuterie, et le porc, qui en est la base, tienne tant de place dans son livre et les contemplations de sa pensée, il n'aura pas peur de mon image : il est sur le rebord de l'auge à cochon du réalisme, dans laquelle il peut se noyer tout entier. Malheureusement, je le sais, il est attiré magnifiquement vers cette auge. le cochon l'excite. (…)

Du reste, il n'y a pas que l'art du porc salé qui ait ses hommages. Les fromages, qu'il comprend et peint aussi bien que les côtelettes froides en pyramide et les gelées, tremblantes et immobiles, dans leurs transparences de topazes, sur le marbre blanc des comptoirs. Je voudrais vous faire voir et flairer ces fromages pour vous donner une idée de la manière violente, inouïe, emphatique, musicale, et, ma foi ! Sublime, dont M. Zola les aborde à leur tour, avec ce pinceau qui se met dans tout, pour peindre tout :

« Autour d'elles, les fromages puaient… (Quelle solennité de début !) A coté des pains de beurre à la livre, dans des feuille de poirée, s'élargissait un cantal géant, comme fendu à coups hache ; puis venaient un chester, couleur d'or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare (c'est beau et glorieux pour un fromage !), des hollande, ronds comme des têtes coupées (détail qui doit les faire aimer !), barbouillées de sang séché, avec cette dureté de crânes vides qui les fait nommer têtes de mort (c'est complet !). Un parmesan, au milieu de cette lourdeur de pâte cuite, ajoutait sa pointe d'odeur aromatique (bon, pour celui-là !) Trois brie, sur des planches rondes, avaient (touchant !) Des mélancolies de lunes éteintes : deux, très secs, étaient dans leur plein ; le troisième, dans son 2ème quartier, coulait, se vidait d'une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l'aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir… »

« Les roquefort, eux aussi, sous des cloches de cristal, prenaient des mines princières, des faces marbrées et grasses, veinées de bleu et de jaune, comme attaqués d'une maladie honteuse de gens riches qui ont trop mangé de truffes (encore un détail friand et affriolant !) ; tandis que, dans un plat, à côté des fromages de chèvre, gros comme un poing d'enfant, durs et grisâtres, rappelaient les cailloux que les boucs, menant leur troupeau, font rouler aux coudes des sentiers pierreux. (Rêverie par les fromages !) »

« Alors, commençaient les puanteurs (quel déroulement superbe !) : les monts-d'or, jaune clair, puant une odeur douceâtre ; les Troyes très épais, meurtris sur les bords, d'âpreté plus forte, ajoutant une fétidité de cave humide ; les camembert, d'un fumet de gibier trop faisandé ; les neufchâtel, les Limbourg, les marolles, les pont-l'évèque, carrés, mettant chacun leur note aiguë (la musique annoncée !)… »

Seulement, il faut bien pourtant que vous le sachiez ! C'est dans cette atmosphère de fromages épiques que se trame le complot contre l'Icarien de Cayenne, entre des commères qui veulent le livrer à la police. Toute la scène y est ; mais, moi, je ne veux vous exposer que ces fromages, qui deviennent terribles à leur tour autant que ces commères endiablées…

« Elles restaient debout… - Dit M. Zola dans le bouquet final des fromages… - C'était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu'aux pointes alcalines de l'olivet. Il y avait des ronflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, pareils à un large chant de basse (ô nez de Beethoven, pourquoi donc ne respire-tu plus ?…)
Cela s'étendait, se soutenait, au milieu du virement général, n'ayant plus de parfums distincts (il appelle cela des parfums !), d'un vertige continu de nausées et d'une force terrible d'asphyxie.
Et cependant, — ajoute-t-il, ce prodigieux peintre de fromages ! — il semblait que c'étaient les paroles mauvaises de Mme Lecoeur et de Mlle Saget qui puaient si fort ! »

C'est ainsi qu'il mêle le drame aux fromages. Mais la frénésie puante de ces fromages, qui se mettent à puer avec cette furie d'infection, l'emporte sur la scène où ces coquines puent à leur tour, de leurs becs infects, sur l'innocence de l'Icarien.
(…)

(Barbey d'Aurevilly, des oeuvres et des hommes, le roman contemporain)
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