Citations sur Le voyage dans le passé (115)
Dès leur première rencontre, il l'avait aimée, mais ce sentiment qui le submergeait jusque dans ses rêves, avait beau être une passion absolue, il lui manquait néanmoins l'évènement décisif viendrait l'ébranler, c'est à dire la pleine prise de conscience que ce qu'il recouvrait, se dupant lui-même, du nom d'admiration, de respect et d'attachement, était déjà pleinement de l'amour, un amour fanatique, une passion effrénée, absolue.
« Je n’avais pas le droit de le faire ici, pas dans ma maison, dans la sienne. Mais, lorsque tu reviendras, quand tu le voudras. «
Ils ne croisaient personne, seules leurs ombres glissaient en silence devant eux. Et chaque fois qu'un réverbère éclairait leurs silhouettes à l'oblique, leurs ombres se mêlaient, comme si elles s'embrassaient ; elles s'allongeaient, comme aspirées l'une vers l'autre, deux corps formant une même silhouette, se détachaient encore, pour s'étreindre à nouveau, tandis qu'eux-mêmes marchaient, las et distants.
Être loin, être seul avec elle, l'unique, enveloppés par l'obscurité, sous un toit, sentir sa respiration, se noyer dans son regard pour la première fois depuis dix ans sans être épié, sans être dérangé, jouir pleinement de cet isolement, qu'il avait imaginé dans d'innombrables rêves et qui étaient déjà presque charriés au loin par cette vague humaine, tourbillonnement, faite de cris et de pas, qui ne cessait de se renouveler.
Et du passé, de cet incendie de sa jeunesse, dans lequel ses nuits, ses journées s'étaient douloureusement consumées, ne parvenait plus qu'une lueur, une silencieuse et bonne lumière d'amitié, sans exigence ni péril.
Et dans un frisson, il perçut soudain, effrayé,le sens de cette révélation ; ces paroles étaient prémonitoires ; n'étaient-ils pas eux-mêmes ces ombres qui cherchaient leur passé et adressaient de sourdes questions à un autrefois qui n'existait plus, des ombres, des ombres qui voulaient devenir vivantes et n'y parvenaient plus, car ni elle ni lui n'étaient plus les mêmes et ils se cherchaient pourtant, en vain, se fuyant et s'immobilisant ?
Ce n'est pas lui qui l'avait attirée à lui, ni elle à elle, ils étaient tombés dans les bras l'un de l'autre, comme emportés ensemble par une tempête, l'un avec l'autre, l'un dans l'autre plongeant dans un inconnu sans fond, dans lequel sombrer était un évanouissement à la fois suave et brûlant - un sentiment trop longtemps endigué se déchargea, enflammé par le magnétisme du hasard, en une seule seconde. Et ce n'est que peu à peu, lorsque leurs lèvres collées se détachèrent, qu'encore pris de vertige devant le caractère invraisemblable de l'événement il la regardé dans les yeux, des yeux d'un éclat inconnu derrière leur tendre obscurité. Et c'est là que s'imposa à lui l'idée que cette femme, la bien-aimée, avait dû l'aimer depuis longtemps, depuis des semaines, des mois, des années, tendrement silencieuse, ardemment maternelle, avant qu'une telle heure ne lui ébranlât l'âme. Et c'était cela, le caractère incroyable de l'événement, qui l'enivrait à présent : lui, lui aimé et aimé d'elle, l'Inaccessible - un ciel se déployait, baigné de lumière et infini, l'irradiant midi de sa vie, mais déjà il s'effondrait dans les secondes qui suivirent, en mille morceaux blessant. Car cette prise de conscience était aussi un adieu.
Cependant l’amour ne devient vraiment lui-même qu’à partir du moment où il cesse de flotter, douloureux et sombre, comme un embryon, à l’intérieur du corps, et qu’il ose se nommer, s’avouer du souffle des lèvres. Un tel sentiment a tant de mal à sortir de sa chrysalide, qu’une heure défait toujours d’un coup le cocon emmêlé et qu’ensuite, tombant de tout son haut dans les plus profondes abîmes, il s’abat, avec une force décuplée, sur un cœur terrorisé.
Leur première rencontre remontait à plus de neuf ans ; ensuite, ils avaient été séparés par une distance infranchissable, et ressentaient alors d'autant plus intensément la proximité silencieuse qu'ils venaient de retrouver. Mon dieu, que c'était long, que c'était vaste, neuf ans, quatre-milles jours, quatre-milles nuits jusqu'à ce jour, jusqu'à cette nuit ! Combien de temps, combien de temps perdu, et, pourtant, une seule pensée en cette seconde les ramenait au début des débuts.
Elle irradiait depuis une autre sphere ou le désir n'était pas de mise, pure et immaculée, et meme le plus passionné des ses rêves n'avait pas la hardiesse de la dévêtir. Troublé comme un enfant, il s'attachait au parfum de sa présence, jouissant de chacun des ses mouvements comme d'une musique, heureux de la confiance qu'elle lui témoignait et constamment effrayé à l'idée de trahir si peu que ce fut quelque chose du sentiment excessif qui l'agitait : sentiment qui n'avait pas encore de nom, mais qui s'était constitué depuis longtemps et s'attisait a demeurer tapi.