On trouve de tout dans les boites à livres, et cet essai écrit en 1994 coincé entre un Sulitzer et un Konsalik, me permet de découvrir un aspect de l'oeuvre de Juan Goytisolo dont j'ignorais tout. Je connaissais l'auteur engagé de la Génération de 50, l'exilé, l'amoureux de la littérature française. Je ne savais rien de l'arabisant, de sa connaissance des cultures musulmanes et de la littérature arabe.
En 1962, Goytisolo se rend pour la première fois en Algérie aux côtés de Jean Daniel et Gisèle Halimi, et assiste à l'explosion de joie populaire qui suit l'Indépendance. Après le coup d'état militaire de Boumédiene, l'auteur constate la dégradation de la situation, qui ne présage rien de bon pour la grande majorité de la population. Quand Goytisolo revient en Algérie dans les années 90, le pays dans la tourmente comme le mentionne le titre de l'essai, est en proie à une sanglante guerre civile qui oppose le gouvernement algérien aux différents groupes islamistes. A ses risques et périls le romancier parcourt le pays et publie en 1994 un essai percutant sur ces années de plomb, très pédagogique pour le lecteur béotien (c'est mon cas). L'Algérie dans la tourmente est un constat amer, qui passe en revue les erreurs commises par les dirigeants successifs et les responsables politiques qui ont abouti à une situation explosive.
La lecture de L'Algérie dans la tourmente a surtout ouvert pour moi une nouvelle fenêtre sur l'oeuvre de Goytisolo, et je vais m'empresser de lire ses ouvrages qui s'intéressent aux sources juives et musulmanes de la culture espagnole et à son travail sur les mythes de l'histoire de la Péninsule.
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L'ignorance ou le rejet de la grande culture arabe dans son double aspect mystique et rationaliste - aussi évident dans le wahhabisme saoudite que dans l'islam algérien- est compensée par la réduction du champ religieux à la pratique extérieure et à la stricte application des préceptes coraniques (interdiction de la consommation d'alcool, normes vestimentaires, etc.). Chaque fois que j'ai mentionné cet appauvrissement - l'avantage accordé au message social et politique au détriment de la riche et complexe dimension poétique, théologique et contemplative - à un sympathisant du FIS, sa réponse a été évasive: "Notre peuple veut du pain et de la justice, et non pas lire Ibn Khaldoun ou Ibn Arabi."
La masse de jeunes chômeurs non scolarisés et sans avenir, sont, en 1988, une poudrière prête à exploser. Les effets dévastateurs d'un quart de siècle de corruption, de gaspillage et de parti unique sautent aux yeux: désert culturel et moral, détresse, perte du sens de l'identité, énorme capital d'énergies inemployées, aversion pour la nomenklatura. Quelques mois après l'écrasement de la rébellion des rues à Oran et à Alger, des milliers de jeunes crient dans les stades: "Raya dayaain, duuna Fillistine! nous sommes perdus, envoyez-nous en Palestine!" La guerre ou jihad dont ils rêvent, ils vont très vite la commencer dans leur propre pays. Leur marginalisation et leur haine irréductible du système feront d'eux fatalement la base aguerrie et vengeresse du FIS."
(Publié en 1994
Juan Goytisolo à propos de "Pour vivre ici"
Face à
Pierre Dumayet ,
Juan GOYTISOLO présente son livre "Pour vivre ici",
récit de la découverte de son pays par un jeune étudiant
espagnolbourgeois.