Etoiles Notabénistes : ******
Sredni Vasthar
Traduction : Gérard Joulié pour l'Edition "Nouvelles - Edition Intégrale" - Editions de l'Age d'Homme dont cette nouvelle est extraite
ISBN : Inconnu. Pour l'édition L'Age d'Homme : 9782825117453
Beaucoup d'entre nous - ce fut mon cas - lurent pour la première fois cette nouvelle dans une anthologie de récits fantastiques présentés, en ce qui concerne mon exemplaire, dans "Le Livre de Poche", sous le label "Alfred Hitchcock présente" - "Le Livre Poche" a édité, sous cette présentation, trois recueils de nouvelles d'épouvante ou encore insolites (dont "Histoire Epouvantables" et "Histoires A Ne Pas Lire La Nuit") que je vous recommande car ils sont, et de loin, bien supérieurs à ce que devait faire Pocket bien plus tard. Rassurez-vous, vous trouverez par-ci, par-là, dans cette rubrique, nombre de fiches relatives aux textes les plus marquants (à mon sens) desdites anthologies auxquelles je conserve toute ma tendresse. (Et en plus, je SAIS où je les ai rangées, c'est-y-pas beau, ça ? )
Pourtant, quand on cherche à l'analyser, "Sredni Vasthar" apparaît, un peu à l'image du "Qu'Etait-Ce ?" de Fitz-James O'Brien, dominé par cette ambiguïté qui laisse au final la porte ouverte aussi bien au réalisme qu'à l'épouvante pure. Alors que, au contraire, l'autre nouvelle de Saki que je connaisse et qui appartient au genre fantastique, "La Musique sur la Colline", est, sans aucun doute possible, un récit d'horreur. (Nous en parlerons plus tard.)
Au centre de l'intrigue de "Sredni Vasthar", un trio inégal : Mrs de Ropp, une femme d'un certain âge, aigrie et sadique, qui aime à torturer moralement un pupille dont elle n'a accepté la garde que parce que tout le monde pense, la Faculté en tête, qu'il ne dépassera pas ses dix/douze ans ; Conradin, le pupille en question, un jeune garçon d'autant plus délicat et fragile que son entourage et ses médecins passent leur temps à le lui enfoncer dans le crâne, petit personnage introverti qui, profondément malheureux au sein d'un monde sur lequel règne Mrs de Ropp, n'a pour autre solution que de trouver refuge dans l'imaginaire et le rêve ; et enfin un furet de belle taille que, pour faire plaisir à l'enfant (en prenant soin que leur maîtresse ne s'en aperçoive, les membres du personnel de Mrs de Ropp se montrent bien souvent compatissants envers l'enfant livré au sadisme moral et mental de sa tante), lui a apporté le jardinier.
Installé dans la resserre qui sert plus ou moins d'atelier de jeux extérieur à Conradin (ce que Mrs de Ropp tolère en général, probablement heureuse de ne pas avoir alors l'enfant dans les pattes), dans une cage certes mais pourvue d'une paillasse moelleuse, et ponctuellement nourri, voire caressé par Conradin, auquel il s'est habitué, le furet, que l'enfant finit par baptiser "Sredni Vasthar", nom exotique et digne du dieu qu'il imagine voir incarné sous la fourrure de l'animal, a pour co-locataire, mais dans l'autre coin de la resserre et soigneusement hors de portée de ses redoutables mâchoires, une poule de Houdan un peu vieille, c'est vrai, mais fort aimable, à laquelle Conradin porte également une certaine affection même si, bien sûr, cette poule n'est pas aussi intéressante que Sredni Vasthar.
Se réfugiant dans ses rêves à chaque coup de griffe ou de dents de sa tutrice - vous n'avez qu'à imaginer combien il a pu et continue à en recevoir - Conradin qui, on le comprendra sans peine, nourrit une haine croissante pour Mrs de Ropp, ne se sent vraiment à l'abri que dans la resserre. Là, il rêve, lèche ses plaies - et imagine, entre autres, un hymne à la grandeur du dieu Sredni Vasthar. Mais tout commence en fait par une rage de dents qui fait souffrir Mrs de Ropp pendant trois jours - bien fait ! - et que Conradin se persuade lui avoir infligée par la prière journalière d'action de grâces qu'il adresse chaque soir à son dieu.
Evidemment, arrive le moment où Mrs de Ropp, remise de ses maux de dents, remarque l'intérêt manifesté par Conradin envers la resserre. Elle en conclut, en bonne sadique, qu'il trouve à s'y rendre une source de bonheur et, du coup, elle en fait l'inspection. La malheureuse poule de Houdan tombant immédiatement sous ses yeux, elle ne voit pas Sredni Vasthar, lequel se tient, rappelons-le, dans un coin plus écarté et plus sombre. Dans un état proche de la jouissance pure, elle fait enlever le pauvre gallinacé et le vendre illico, profitant du goûter pour annoncer, en fanfare et sans préparation aucune, la nouvelle à Conradin.
Lequel blêmit peut-être un peu - ce qui inquiète vaguement sa tutrice, laquelle ne voudrait pas se voir accusée de mauvais traitements à enfants - et serre les lèvres mais ne dit pas un mot. Simplement, sa supplication journalière à son dieu bien-aimé croît en intensité : "Sredni Vasthar, exauce ma prière ..." L'enfant ne précise jamais ce qu'est ce vœu qu'il tient tant à voir exaucer par son idole mais on devine facilement sa nature ...
Les visites de Conradin se poursuivant à la resserre, Mrs Van Ropp en conclut qu'elle a raté quelque chose. Et hop ! nouvelle inspection en perspective. Après avoir fouillé de fond en comble la chambre de son pupille et déniché une clef en laquelle elle voit celle de l'énigme, elle se rend, toute seule car elle ignore tout du danger qui l'y attend, à la resserre, bien décidée, cette fois-ci, à faire place nette. Il pleut, il vente, il fait froid et Conradin, posté à la seule fenêtre du rez-de-chaussée qui lui permet de conserver un œil sur la remise, attend, attend ... Il sait, bien sûr, que Sredni Vasthar n'est qu'un furet et que Mrs Van Ropp va encore triompher mais, durant ces minutes qui s'éternisent de manière anormale, devant cette porte laissée ouverte qui ne cesse de battre et de battre, avec un petit air moqueur, dans le vent, l'Espoir renaît en lui ...
La fin, d'une fluidité parfaite et d'une ironie grinçante, vous laisse le choix, lecteurs : ou Sredni Vasthar était bel et bien un dieu, de Vengeance et de Colère, ou bien ce n'était qu'un furet, un peu plus grand, plus long et plus malin que les autres, c'est tout.
Pour moi, inutile de vous préciser, je l'espère, que ce bon Sredni Vasthar est toujours comme je le voyais alors que j'avais quatorez / quinze ans : un dieu. Un dieu, aux dents longues et meurtrières, aux griffes bien affûtées et sans pitié, qui protège les enfants maltraités des sadiques.
Bonne lecture et que Sredni Vasthar, dans Sa Grande & Redoutable Puissance, vous accompagne durant toute votre lecture - et veille à tout jamais sur vos rêves, surtout si, il y a de cela plus ou moins longtemps, vous avez connu, sous une forme ou sous une autre, ce qui fut longtemps le lot de Conradin ... ;o)
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