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Citations de Alejo Carpentier (117)


Je ne cherche absolument pas à insinuer que nos romanciers manquent d'une culture suffisamment large pour rendre compte de certains faits ou pour mettre au jour de nouvelles vérités; mais en revanche, je tiens à affirmer que la méthode naturaliste (tenant compte des particularités typiques et locales) appliquée, pendant plus de trente ans, au roman latino-américain, a produit un style romanesque régional et pittoresque qui n'a pratiquement jamais acquis la moindre profondeur - une véritable transcendance. Ce n'est pas en décrivant un habitant des llanos vénézuéliens, ou un Indien mexicain (dont il n'a, par-dessus le marché, jamais partagé la vie quotidienne) que le romancier de chez nous doit faire son travail, mais plutôt en montrant - par affinité ou par contraste - ce qu'il peut y avoir d'universel - et pour cela il faut le mettre en rapport avec le reste du monde - chez les individus qui peuplent nos terres.
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Et le museau, hurlant sur les chairs palpitantes, annonciateur du rut, lançait de tels appels que les chiens d'en bas levaient la tête et gémissaient, sans oser sortir de la limite des arrière-cours. Alors, exaspérées par l'attente elles descendaient aux alentours des villages et la brise se chargeait de l'odeur qui allume le désir des mâles, pour qu'ils viennent les briser, les pénétrer - traînées, mordues, poursuivies à coups de pierre - jusqu'à la fuite de l'aube, dans les hautes cavernes où elles mettaient bas.
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Office des ténèbres
                         VI
  
  
  
  
   Le 20 août, alors que l'on entonnait à peine l'Agnus Dei de la messe de dix heures, les deux tours de la cathédrale se joignirent en formant un angle droit, précipitant les cloches sur la croix de l'abside. En une seconde toutes les perspectives de la ville furent rouillées. Les avant-toits se heurtaient au milieu des rues. S'écroulant dans des directions opposées, les murs des maisons restaient un instant suspendus, avant de s'écraser dans un terrible tourbillon de poutres brisées. Les mules roulaient dans les rues pentues enveloppées dans des nuages de charbon, un sabot pris sous la sangle et le trousse-queue leur fouettant les crins. Les roses du parc s'envolèrent et tombèrent dans des fossés et des ruisseaux qui avaient perdu leur lit. Et puis, cette instabilité de la terre, ce frémissement de croupe exaspérée par une guêpe, cette dislocation des trottoirs ; ce qui était ouvert se bouchait et ce qui était bouché s'ouvrait. Même en courant, en poussant des cris, en implorant la Virgen del Cobre, on constatait qu'une rue n'avait désormais d'autre issue qu'une chambre à coucher de jeune fille ou les archives, les meubles à leur tour entrèrent dans la danse. Passant par-dessus les barres d'appui, les armoires prirent la poudre d'escampette, laissant échapper par leurs ventres ouverts leurs entrailles de draps de lit et de nappes. Toutes les pièces de vaisselle se brisèrent en mille morceaux en même temps. Les vitres s'encastrèrent dans les persiennes. de larges crevasses, remplies de peignes, de camées, d'almanachs et de daguerréotypes, divisaient la ville en îles, car l'eau des citernes, margelles brisées, coulait vers le port.
   Lorsque le sang commença à faire de larges taches sur les tissus, les satins et les feutres, tout était terminé. Une montre à gousset, encore suspendue à sa chaîne, marqua une avance d'une petite minute sur les montres arrêtées. Ce fut alors que les hommes, en se voyant encore debout, comprirent qu'ils avaient vécu un tremblement de terre. Les mouches, sorties d'on ne savait où, volèrent au ras du sol, plus nombreuses.



/ Traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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Les mondes nouveaux doivent être vécus, avant d'être expliqués. Ceux qui vivent ici ne le font pas par conviction intellectuelle; ils croient tout simplement que la vie supportable est celle-ci et non une autre. Ils préfèrent ce présent à celui des faiseurs d'Apocalypse. L'homme qui s'efforce de trop comprendre, souffre les angoisses d'une conversion, peut nourrir une idée de renoncement en embrassant les moeurs de ceux qui forgent leur destinée sur ce limon primitif, dans une lutte engagée contre les montagnes et les arbres, est un homme vulnérable, car certaines puissances du monde qu'il a laissé derrière lui continuent d'agir sur son être.
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La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux-semblant ; tout y était travesti, stratagème, jeu d’apparences, métamorphose. Lorsqu’on passait près des berges, la pénombre qui tombait de certaines voûtes végétales envoyait vers les pirogues des bouffées de fraîcheur. Mais il suffisait de s’arrêter quelques secondes pour que le soulagement que l’on ressentait se transformât en une insupportable démangeaison causée, eût-on dit, par des insectes.
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Les ors baroques, les chevelures humaines du Christ, le mystère des confessionnaux surchargés de sculptures, le chien des dominicains, les dragons écrasés par de saints pieds, le porc de saint Antoine, la couleur foncée de saint Benoît, les vierges noires, les saint Georges à cothurnes et pourpoints d'acteurs de tragédie française, les instruments pastoraux joués les nuits de Noël, avaient une force enveloppante, un pouvoir de séduction - présences, symboles, attributs et signes - semblables à ceux qui se dégageaient des autels des houmforts consacrés à Damballah, le dieu Serpent.
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Je l'appelais ma promise, bien que personne ne soit encore au courant de nos amours.Lorsque je vis son père près des bateaux, j'ai, pensé qu'elle serait seule, et j'ai suivi ce triste pont, battu par le vent, tâché d'eau verte, orné de chaînes verdies par le soufre, qui menait à la dernière maison aux fenêtres vertes, toujours fermées.
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Il fait déjà nuit lorsque l'indien va dans la chambre, la langue épaisse par tant de vin bu, et le noir monte, avec le singe et le perroquet vers la paille de la grange.
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Retour aux sources
extrait 1 /B



… / …
X

      Les jours de pluie, ses bottes étaient mises à sécher près du fourneau de la cuisine. Martial aurait voulu avoir des pieds capables de les chausser. La droite s'appelait Calambin. La gauche Calamban. Cet homme qui pour maîtriser les chevaux sauvages se contentait de leur fourrer deux doigts dans les naseaux ; ce maître d'élégance, cet aigle de l'étrier, qui exhibait de grands chapeaux hauts de forme, savait aussi apprécier la fraîcheur d'un dallage de marbre en été et cachait sous les meubles un fruit ou un gâteau raflé sur les plateaux destinés au Grand Salon. Martial et Melchor avaient en commun une secrète provision de dragées et d'amandes, qu'ils appelaient le uri, uri, ura, avec des éclats de rire entendus. Tous deux avaient exploré la maison de haut en bas et étaient les seuls à savoir qu'il existait sous les écuries un petit sous-sol plein de flacons hollandais et que, dans un grenier inutilisé, au-dessus des chambres de bonnes, douze papillons poussiéreux achevaient de perdre leurs aile dans un coffret de verre brisé.


/traduit de l'espagnol par René L. F. Durand
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Aux moments de loisir que lui laisse le soin de ses bêtes, il pince une médiocre guitare, ou, quand il est en verve, chante des couplets irrévérencieux qui parlent de moines couchailleurs, et de gourgandines, en s'accompagnant d'un tambour ou en marquant parfois le rythme des refrains avec une paire de tolets qui en s'entrechoquant produisent le même son que celui du marteau sur le métal dans l'atelier des orfèvres mexicains.
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Et comme si le Seigneur avait voulu châtier cette ville cancanière, vaniteuse et insouciante, voici que tombaient sur elle soudain, au moment où on s'y attendait le moins, les souffles maudits des fièvres qui selon des opinions fondées provenaient de la pourriture qui empestait les marécages voisins.
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Parler de révolution, imaginer des révolutions, se situer mentalement au sein d'une révolution, c'est se rendre un peu maître du monde. Ceux qui parlent d'une révolution se voient poussés à la faire.
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Es cierto que Menegildo no sabia leer, ignorando hasta el arte de firmar con una cruz. Pero en cambio era ya doctor en gestos y cadencias. El sentido del ritmo latia con su sangre. Caundo golpeaba una caja carcomida o un tronco horodado por los comejenes reinventaba las musicas de los hombres.
p. 36 , éd. Alianza editorial, 1989
Traduction libre du contributeur: Il est vrai que menegildo ne savait pas lire, ignorant même l'art de signer d'une croix. Mais par contre il était maître en gestes et cadences. Le sens du rythme battait dans son sang. Quand il tapait sur une boîte de conserve vermoulue ou sur un morceau de bois pourri par les termites, il réinventait les musiques des hommes.
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En cherchant la brûlante vérité à travers des mots que mon compagnon écoute sans comprendre, je me dis que la marche à travers des chemins exceptionnels s'entreprend inconsciemment, sans que l'on éprouve la sensation du merveilleux au moment où on le vit : on parvient si loin , au-delà des sentiers battus, au-delà du monde connu, que l'homme, tirant vanité du privilège de sa découverte, se sent capable de répéter l'exploit à volonté, maître désormais de la route interdite aux autres. Il commet un jour l'erreur irréparable de redéfaire la route, croyant que l'exceptionnel peut l'être deux fois ; il revient, mais il trouve les paysages changés, les points de référence effacés, tandis que ceux qui peuvent l'informer n'ont plus même visage...
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Je pensais que l'homme devait garder dans l'amour le simple élan, l'esprit léger, propre au rut des bêtes ; accomplir avec joie l'acte de volupté, sachant bien que l'isolement derrière des verrous, l'absence de témoins, la complicité dans la recherche du plaisir, excluaient tout ce qui aurait pu provoquer badinage ou ironie à cause des physiques désassortis, de l'animalité de certains accouplements dont les partenaires ne pouvaient se contempler eux-mêmes avec les yeux d'autrui. Aussi la pornographie m'était-elle insupportable, de même que certaines histoires grasses, certaines désinences sales, certains verbes appliqués par métaphore à l'activité sexuelle ; et je ne pouvais considérer sans répulsion un genre de littérature très prisée à notre époque qui semblait s'obstiner à dégrader, à enlaidir, ce grâce à quoi l'homme, à certains moments difficiles ou découragés, trouvait une compensation à son échec dans une affirmation plus vigoureuse de sa virilité, sentie pleinement dans sa chair partagée.
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Nous nous disputions parfois terriblement pour nous étreindre ensuite avec colère, tandis que nos visages, si proches qu'ils ne pouvaient se voir, se disaient des injures que la réconciliation des corps transformaient en éloges crus du plaisir reçu.
p.38
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Et ce que vous appelez mourir est finir de mourir, et ce que vous appelez naître est commencer à mourir, et ce que vous appelez vivre est mourir en vivant
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Comme un long et terrifiant coup de tonnerre d’été, annonciateur des cyclones qui assombrissent le ciel et abattent des villes, la nouvelle brutale retentit dans toute l’enceinte de la Caraïbe, soulevant des clameurs et allumant les torches de l’incendie : la loi du 30 floréal, an X, était promulguée, d’après laquelle on rétablissait l’esclavage dans les colonies françaises d’Amérique ; elle annulait les effets du décret du 16 pluviôse, an II. Une immense allégresse éclata chez les possédants, planteurs et propriétaires terriens, promptement informés de ce qui les intéressait, si promptement que les messages avaient volé par-dessus les bateaux, car on avait appris en outre qu’on reviendrait au système colonial antérieur à 1789, ce qui permettait d’en finir une bonne fois avec les élucubrations humanitaires de cette sale révolution.
(...)
On fit savoir ensuite aux présents que ceux qui refuseraient de se soumettre à leur ancien esclavage seraient punis avec la plus extrême sévérité. Le lendemain leurs propriétaires viendraient se saisir à nouveau de leurs personnes, et les conduiraient à leurs propriétés, plantations et habitations respectives. Ceux qui ne seraient pas réclamés seraient mis publiquement en vente. Un vaste concert de pleurs, convulsifs, exaspérés, pleurs collectifs pareils à un ululement de bêtes traquées, s’éleva de la négraille, tandis que les autorités se retiraient, escortées par une batterie assourdissante de tambours… Mais déjà, de tous côtés, des ombres s’enfonçaient dans la nuit, recherchant la protection des fourrés et de la forêt vierge. Ceux qui n’étaient pas tombés dans le premier coup de filet gagnaient le maquis, volaient pirogues et barques pour remonter les rivières, presque nus, sans armes, résolus à retourner à la vie de leurs ancêtres, en un endroit où les Blancs ne pussent les rattraper.
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[...] ... Le gouverneur entrouvrit le hamac pour contempler le visage de Sa Majesté. D'un coup d'épée, il coupa un petit doigt et le donna à la reine qui le mit dans son sein, d'où il glissa vers son ventre, tel un ver aux froides contractions. Puis, obéissant à un ordre, les pages placèrent le cadavre sur un tas de mortier : il s'y enfonça lentement, par le dos, comme s'il eût été tiré par des mains visqueuses. Le cadavre s'était arqué un peu pendant l'ascension, ayant été ramassé tiède encore par les serviteurs. Aussi son ventre et ses cuisses disparurent-ils les premiers. Les bras et les bottes continuèrent à flotter, indécis, dans la grisaille du mélange. Puis il ne resta plus que le visage, supporté par le fond du bicorne qui couvrait la tête d'une oreille à l'autre. Craignant que le mortier ne se durcît sans avoir complètement absorbé la tête, le gouverneur appuya sa main sur le front du roi pour l'enfoncer plus vite, comme quelqu'un qui aurait pris la température à un malade. Enfin, la masse se referma sur les yeux d'Henri Christophe, qui poursuivait à présent sa descente au coeur même d'une humidité qui se faisait moins enveloppante.

A la fin, le cadavre s'arrêta, ne faisant qu'un avec la pierre qui l'emprisonnait. Après avoir choisi sa propre mort, Henri Christophe ignorerait la pourriture de sa chair confondue avec la matière même de la forteresse, inscrite dans son architecture, intégrée dans la large structure de ses contreforts. La montagne du-Bonnet-de-l'Evêque s'était transformée tout entière en mausolée du premier roi d'Haïti." ... [...]
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La femme au renard dit aussi "stupide" à l'homme qui est plus loin; tout le monde répète : "stupide, stupide, stupide", tout le monde parle de moi; tout le monde me montre du doigt; je sens ces doigts enfoncés dans ma nuque, dans mon dos; je ne savais pas qu'il était interdit ici d'applaudir; on appellera l'ouvreur : "Emmenez-le; il est malade, il sent mauvais. Voyez comme il sue..."
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