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Critiques de Alexis de Tocqueville (88)
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Le despotisme démocratique

Ce petit ouvrage est en réalité un tronçon, la quatrième partie pour être précise, du chef-d'œuvre d'Alexis de Tocqueville, De La Démocratie En Amérique.

Le titre original de cette partie est " De l’influence qu’exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique " mais que l'éditeur a modifié pour être un peu plus accrocheur sous la version " Le despotisme démocratique ".

On peut considérer que cette modification n'est pas fondamentalement scandaleuse car elle reprend bien l'esprit général de cette partie.

Quand est-il ? D'abord, il n'est certainement pas inutile de resituer Alexis de Tocqueville d'un point de vue historique. Né en 1805, ses parents ont connu le tournant de la Révolution Française et lui assiste, sur les ruines de l'empire napoléonien à l'édification d'un mode nouveau de gouvernance.

Il s'est rendu en mission aux États-Unis, jeune nation démocratique d'une vingtaine d'États à l'époque, localisée dans l'est de l'Amérique du Nord.

Pour la première et certainement la seule fois dans l'histoire mondiale, un observateur et un théoricien comme il l'était a eu l'occasion d'utiliser conjointement les deux seules méthodes d'investigation scientifiques possibles et que je résume comme tel : l'expérience et la méthode comparative.

La France est le lieu de l'expérience (avant la révolution vs. après) et les États-Unis permettent d'établir une comparaison entre une démocratie avérée et les nombreuses monarchies en voie de démocratisation que comptaient l'Europe en ce temps-là.

Ce qui m'apparaît vraiment très intéressant aujourd'hui dans l'analyse de Tocqueville, ce n'est pas tant ces observations, ses déductions et ses prévisions justes concernant la démocratie, mais surtout sa connaissance profonde du type social disparu de nos jours qu'était la société aristocratique de l'Ancien Régime.

On nous a toujours présenté la démocratie, en temps démocratiques, comme le meilleur système qui soit, tout comme on nous aurait probablement présenté le système aristocratique, en temps d'aristocratie, comme le plus abouti et désirable de tous.

La connaissance et l'expérience des deux systèmes permet à l'auteur d'avoir un certain recul et de bien mesurer les avantages, les vices et les dérives possibles pour chacun des deux systèmes.

Selon lui, le système démocratique renforce l'égalité entre les différents citoyens mais rogne les libertés individuelles, et réciproquement bien sûr.

Ceci concourant, toujours selon lui et en système démocratique, à un nivellement moyen de faible qualité et à une hégémonie de l'État qui s'immisce jusque dans les plus intimes décisions et faits de la vie quotidienne de l'individu, l'infantilisant, en quelque sorte.

N'ayant plus de référant concret et humain à qui s'adresser en cas de problème (en système aristocratique, l'homme du peuple s'adressait au noble et le noble aux gens du peuple dont il avait la responsabilité), le citoyen se tourne alors vers deux pouvoirs hypertrophiés en systèmes démocratiques, à savoir les tribunaux et la presse.

Je ne vais pas passer en revue tous les éléments si bien et intelligemment développés par Alexis de Tocqueville mais je me cantonnerai à dire que ce petit ouvrage remet beaucoup de dépôts en suspension, il agite bien le crâne et nous fait nous replonger et repenser à des choses qu'on croyait naturelles et qui ne le sont peut-être pas tant que cela.

Un essai social, politique et historique de très grande qualité que je ne saurais que trop vous conseiller tellement il joue un rôle de ferments actif dans les chairs un peu molles et apathiques de nos cerveaux endormis.

En outre, ce n'est bien évidemment que mon avis, celui d'une citoyenne abominablement égale au flot de ses concitoyens et pas libre pour deux sous d'avoir une idée neuve, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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L'Ancien régime et la Révolution

L'ancien régime et la Révolution d'Alexis de Tocqueville est d'une modernité étonnante. En plongeant dans son analyse sociologique du temps précédent la Révolution, j 'ai eu par moment l'impression d'une description contemporaine. Modulo un français d'aujourd'hui et une contextualisation politique, son ouvrage pourrait s'appeler la 5e République et la nouvelle Révolution ( en gestation) . Les conditions semblent réunies à l'instar de celles du 18e siècle ; notamment le délitement du lien social, le fossé entre les élites et les classes populaires, entre les classes moyennes et populaires ,qui ressemblent fortement au cloisonnement entre la noblesse, la bourgeoisie et le peuple de l'ancien Régime ; l'injustice de l'impôt dont étaient exemptés les nobles et qui de nos jours s'apparente à l'optimisation fiscale qui leur permet d'y échapper ou de payer un montant dérisoire au regard de leurs revenus.
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L'Ancien régime et la Révolution

En ouverture de ce billet, l'honnêteté me pousse tout d'abord à adresser de chaleureux remerciements à Jean-Michel Blanquer : sans la réforme du lycée, qui a inscrit Tocqueville au programme de cette nouveauté qu'est la Spécialité Histoire-Sciences Po, il est en effet probable que je ne me serais pas intéressé d'aussi près à cet écrivain passionnant. Mes remerciements à M. Blanquer s'arrêtent là, j'en ai bien peur. On me dira que pour un ministre de l'Education Nationale, le bilan n'est déjà pas si négatif.



Alors que De la démocratie en Amérique est considéré comme un ouvrage fondateur de la science politique, Tocqueville fait ici œuvre d'historien. Il va cependant à rebours des méthodes historiques de son siècle, lesquelles s'orientent alors vers l'obsession méticuleuse de la chronologie et les récit insipides de batailles glorieuses ou de vies des hommes illustres. Sous la plume de Tocqueville, l'histoire est une discipline qui voit large : elle brasse les décennies avec une haute ambition intellectuelle et dédaigne le marécage événementiel, dans une approche pré-braudélienne absolument fascinante. L'auteur ne s'intéresse qu'aux tendances de fond, arpentant la société française tout au long du XVIIIème siècle afin d'y découvrir les éléments qui permettent d'éclairer et de comprendre l'explosion révolutionnaire de 1789. Sans tomber dans le piège du déterminisme, son propos est de souligner à quel point la Révolution se présente comme la conséquence logique et la continuation cohérente, sous d'autres formes, d'évolutions esquissées longtemps auparavant. Dispensée dans une langue qui constitue un enchantement littéraire, son analyse est bien connue mais n'en reste pas moins brillante, tout en étant largement fondatrice de l'historiographie moderne de la Révolution.



Pour résumer très schématiquement sa thèse, disons que le XVIIIème siècle voit la conjonction d'une triple évolution : la noblesse renonce définitivement à son utilité sociale tout en s'accrochant à des privilèges qui la transforment en une caste de rentiers ; dans le même temps, la monarchie profite de cette situation pour étendre un pouvoir centralisé, déjà moderne, souvent arbitraire et visant à l'absolu ; prises dans la tenaille de ces dynamiques contraires, les vieilles structures qui donnaient tant bien que mal une voix au Tiers-État s'étiolent, tombent peu à peu en déshérence et laissent finalement le peuple sans autre moyen que la violence pour exprimer son désir de liberté et son rejet croissant de l'inégalité.

Tocqueville ne cache rien de ses opinions dans le cours de son ouvrage : il est féroce avec la noblesse, dont il est pourtant issu, et se montre profondément admiratif de 1789 et de ses espérances, tout en gardant une sincère affection pour Louis XVI. Il ne dissimule pas non plus son effroi pour 1793, règne du chaos qui, selon lui, précipite la France vers un pouvoir absolu dont même Louis XIV n'aurait jamais osé rêver. Il ne faut pas s'y tromper, ni l'idéaliser : Tocqueville est un libéral, et il n'a rien d'un socialiste (si je me souviens bien, il approuva d'ailleurs en juin 1848 la répression contre les ouvriers parisiens qui s'opposaient à la fermeture des Ateliers Nationaux).

Sa démonstration vient ici enrichir certains éléments qu'il avait développés dans De la démocratie en Amérique, concernant la tyrannie de la majorité ou le risque du despotisme démocratique. C'est sur ce plan que son ouvrage s'échappe du strict cadre historique pour se transformer en un essai de sciences politiques. Sa réflexion sur la liberté politique reste en la matière une référence difficilement dépassable. Et par sa façon méthodique de prendre du recul et de dégager des invariants, il me semble que Tocqueville recherche ouvertement cette dimension prospective : pour lui, l'histoire de la Révolution doit servir à anticiper l'avenir.

De fait, tout au long du livre, le lecteur ne peut que s'interroger sur l'étonnante actualité de cet ouvrage vieux de près de deux siècles.

Cela n'aurait évidemment guère de sens de transposer ce texte tel quel à la France de 2020. Inutile d'affubler Macron d'une perruque à la Louis XVI, ou de ressortir l'histoire de Marie-Antoinette et de ses brioches quand Brigitte s'inquiète de ce que les grèves pourraient perturber la livraison du sapin de Noël de l'Elysée.

Néanmoins, lorsque Tocqueville écrit ceci (p292-293 de l'édition Folio) :

« Louis XVI, pendant tout le cours de son règne, ne fit que parler de réformes à faire. Il y a peu d'institutions dont il n'ait fait prévoir la ruine prochaine, avant que la Révolution ne vînt les ruiner toutes en effet. […]

Parmi les réformes qu'il avait faites lui-même, quelques-unes changèrent brusquement et sans préparations suffisantes des habitudes anciennes et respectées et violentèrent parfois des droits acquis. Elles préparèrent ainsi la Révolution bien moins encore en abattant ce qui lui faisait obstacle qu'en montrant au peuple comment on pouvait s'y prendre pour la faire. »

Est-ce vraiment forcer le trait et l'interprétation, lorsqu'on lit cela (ou les autres citations que j'ai pu ajouter), que de trouver entre cette époque et la nôtre une étrange concordance de temps ?

Tocqueville nous brosse le portrait d'une société fondée sur l'injustice : une société dans laquelle l'impôt, ayant pour objet « non d'atteindre les plus capables de le payer mais les plus incapables de s'en défendre », épargne le riche mais charge le pauvre ; une société en crise, incapable de se réformer dans l'équité, car dominée par une caste de privilégiés ou de parvenus ; une société dans laquelle ceux qui subissent l'inégalité ne la supportent plus et où les élites manquent à ce point de lucidité qu'elles en deviennent sourdes et aveugles à tout ce qui n'est pas leur intérêt immédiat. Voilà au final le sentiment que j'en retire, inquiet et attristé : plus que jamais, ce texte reste d'ici et de maintenant.
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De la Démocratie en Amérique, tome 1

Commençons par un aveu de faiblesse : je ne me sens ni le courage ni les compétences pour tenter ici une étude des thèses de Tocqueville sur les principes et le fonctionnement du régime démocratique. D'autres l'ont fait ou le feront, infiniment plus qualifiés que moi, à commencer par François Furet dont la longue préface ouvre ce tome premier (dans l'édition Garnier-Flammarion, celle que j'ai lue). En fait d'analyse, je me contenterai donc de ceci : que l'on puisse élaborer une pensée aussi complexe, érudite, argumentée et cohérente à même pas trente ans, voilà qui m'en bouche un coin, et pas qu'un peu.

Une fois que je me suis lâchement libéré de ce poids, je voudrais juste dire la profonde admiration que j'ai conçue pour Tocqueville au cours de ma lecture. J'en avais lu des extraits, ici ou là, et je le tenais pour quelqu'un d'éminemment estimable, certes, mais je ne m'attendais pas à une telle découverte.

Si les États-Unis constituent bien l'objet de son livre, ce n'est qu'en tant que laboratoire d'expérience, à savoir le cas d'un tout jeune État s'essayant à un tout nouveau type de régime politique (rappelons que le livre est paru en 1835). Et ce qui intéresse Tocqueville, c'est bien sûr l'expérience de la démocratie plus que le laboratoire états-unien. Tout au long de sa démonstration, il ne cesse ainsi d'élargir le cadre de son propos afin de le confronter avec la longue histoire des nations européennes. La portée du discours est de fait bien plus vaste et ambitieuse que ce que laisserait supposer son titre, ce qui en fait sans doute l'un des premiers ouvrages de philosophie politique moderne, en même temps qu'un sommet difficilement surpassable, et tout cela dans une langue qui est une merveille d'équilibre et de clarté.

Issu d'une famille d'aristocrates ayant tout perdu ou presque avec la Révolution Française, Tocqueville aurait pu être animé d'une rancoeur assez compréhensible contre l'idée même de démocratie. Il l'envisage pourtant dans ses tenants et ses aboutissants sans une once de parti pris et en invitant le lecteur à abandonner tout préjugé. Son livre trahit une droiture et une honnêteté intellectuelle qui forcent le respect. Il expose sa pensée sans jamais rien imposer, avec de grands égards pour son lecteur, et on ne trouve sous sa plume aucune trace de ce terrorisme intellectuel qui veut asséner plutôt que convaincre. Rien ne sert de regretter les anciens temps, nous dit-il, car il est illusoire de se refuser au monde qui vient. Pour autant, et c'est le sens de toute sa réflexion, la compréhension de l'Histoire doit amener l'homme éclairé à agir avec discernement sur son présent, car ce monde qui vient, précisément, est chargé d'innombrables menaces. Je ne sais pas si on peut affirmer que Tocqueville a eu par exemple la prescience du totalitarisme, ainsi que je l'ai lu ici ou là (il faudra que je lise le 2e tome pour me faire une idée là-dessus), mais il est en revanche convaincu que le pouvoir donné à la majorité s'accompagne consubstantiellement d'un risque de dérive vers l'oppression et la tyrannie. Son argumentation, bien antérieure aux sentiers battus de la pensée actuelle, fournit une matière passionnante pour des interrogations d'aujourd'hui. De fait,Tocqueville esquisse en 1835 des évolutions qui marqueront la suite du XIXème siècle et le XXème. C'est cette incroyable modernité que j'ai espéré faire ressortir à travers les quelques citations relevées au fil de ma lecture.

Naturellement, on ne peut pas avoir raison sur tout, ni tout anticiper de l'histoire future. Il y a des aspects de son ouvrage pour lesquels Tocqueville a été démenti (ainsi lorsqu'il doute de la viabilité du principe fédéral aux Etats-Unis). En outre, pour prendre un autre exemple, s'il envisage avec une parfaite lucidité les facteurs qui mènent à la guerre de Sécession, à la fin de l'esclavage et néanmoins à la persistance de la ségrégation raciale, il ne peut encore s'affranchir de toutes les représentations mentales dans lesquelles il baigne. Ainsi, le chapitre « Quelques considérations sur l'état actuel et l'avenir probable des trois races qui habitent le territoire des Etats-Unis » doit quand même être lu avec les précautions d'usage pour un texte aussi ancien. Mais au-delà des formules ou des idées qui trahissent leur âge, je crois qu'il vaut mieux en retenir l'effort acharné d'un homme pour dépasser les opinions toutes faites de son temps. Qui pouvait en dire autant à l'époque, et qui le pourrait aujourd'hui ?
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Quinze jours dans le désert

Imagine-t-on Tocqueville en personnage de western, parcourant l'Ouest américain avec un fusil dans les fontes de sa selle ? Pour ma part, je n'y avais jamais songé avant d'avoir eu vent de ce livre. Du grand voyage que fit Tocqueville aux États-Unis, on retient en effet l'oeuvre monumentale que constitue de la démocratie en Amérique, et on oublie plus facilement ce bref récit de vacances aventureuses, au-delà d'une petite bourgade qui n'est alors vue que comme un avant-poste fragile au seuil d'une terre inexplorée : Detroit.



L'ambition de Tocqueville, ici, n'est pas encore d'étudier la jeune société américaine, mais plutôt de la fuir. Tournant le dos à ces villes qui semblent surgir de terre, il ambitionne d'atteindre le dernier point de la « civilisation », et de pouvoir enfin s'avancer à la rencontre du monde « sauvage ».

Si ce texte n'a pas la même dimension que les oeuvres majeures de l'écrivain, il n'en est pas moins passionnant et témoigne de l'originalité irréductible de sa pensée. Tocqueville a déjà compris que la conquête du territoire par les immigrants Européens est un mouvement de fond qu'aucune vicissitude historique ne saura plus remettre en question. Son projet est justement de découvrir, avant qu'il ne soit trop tard, ce qui semble inéluctablement promis à la disparition.



Vouée à disparaître, tout d'abord, la civilisation amérindienne, que Tocqueville ne qualifie d'ailleurs jamais ainsi. Les Indiens demeurent à ses yeux des sauvages, et en cela l'auteur reste de son temps : si l'Indien se trouve si à l'aise dans une Nature dont la compréhension échappe à l'Européen, ce n'est pas parce qu'il a appris à bien la connaître mais tout simplement parce qu'il en fait partie intégrante. L'Indien étant rejeté dans la Nature par ce sophisme, on se sent alors fondé à le qualifier de sauvage. Éternelle incompréhension du sédentaire face au chasseur-cueilleur.

Ceci étant dit, il faut quand même convenir que le point de vue de l'écrivain se démarque radicalement de celui des pionniers qu'il côtoie : dans ce récit, c'est bien la civilisation des Blancs qui cause la perte des Indiens, lesquels ne sont jamais présentés comme une menace mais bien davantage comme des victimes. Même s'il ne réussit pas à se défaire des mots et des schémas de pensée de son époque, Tocqueville s'efforce de cerner l'énigme que ces hommes représentent pour lui. Qu'il n'y parvienne pas est assez secondaire : on sent du moins la sincérité de son désarroi devant ce que les Blancs conquérants infligent à ces peuples.



L'autre sujet du récit est précisément cette Nature sauvage qui s'étend au-delà du front pionnier. Elle fascine tellement l'auteur qu'il en a fait la motivation principale de son voyage, et qu'il est prêt pour cela à payer de sa personne et prendre quelques risques. Tout en faisant avancer son livre au rythme de son cheval, Tocqueville ébauche ici une réflexion passionnante sur le rapport de l'homme à la nature. Il cherche à saisir la mentalité des pionniers, à comprendre leur obsession pour la domination du milieu naturel, et il déplore en même temps qu'un monde de splendeur soit voué à disparaître par l'avancée inexorable de la Frontière. Dans ces pages comme toujours admirablement écrites, on peut ainsi distinguer une sorte de trait d'union entre la mélancolie romantique devant la Nature et un discours plus réflexif où pointe déjà la question de la préservation du monde sauvage face au développement humain. Et ce discours, Tocqueville l'esquisse alors que Henry David Thoreau n'est encore qu'un gamin, et que John Muir n'est même pas né. On ne retire en somme de ce texte qu'un seul regret : celui de sa brièveté.
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Tocqueville : Vers un nouveau monde

Chargés par le gouvernement français d'aller étudier le système pénitentiaire américain, les politiciens Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont se rendent aux Etats-Unis en 1831. Ils y restent dix mois et achèvent leur séjour par un voyage dans la région des Grands Lacs, en quête des limites de la civilisation occidentale. Ils sont curieux d'y rencontrer des Indiens dans une nature préservée, derniers vestiges du continent américain original - croient-ils...



Kevin Bazot s'est inspiré des carnets de voyage de Tocqueville pour réaliser ce superbe album.

Les observations de ce philosophe du XIXe siècle sur l'homme blanc colonisateur est lucide. Mûs par une logique expansionniste, jamais satisfaits, les pionniers prennent, pillent, détournent à leur profit, détruisent sans vergogne l'environnement, et partant les populations locales (animales et humaines). Ils déforestent, cultivent, construisent pour se loger et industrialiser. Ceci au mépris de l'existant, de la tradition, des autres humains (assurément moins humains qu'eux), quels que soient les principes moraux dictés par leur religion :

« Et demain ces honnêtes citadins se rendront à l'église, où un ministre de l'évangile leur répétera que les hommes sont frères, que l'Etre éternel les a tous faits sur le même modèle, et qu'il leur a donné à tous le devoir de se secourir. »

On a pu l'observer sur d'autres continents, en Océanie, Afrique, Asie, et c'est pas fini !



Excellent album qui exprime les réflexions de Tocqueville, tout en rendant hommage aux grands espaces inviolés et aux Indiens du nord des Etats-Unis des années 1830.

Les splendeurs de la nature sont admirablement rendues par un trait fin, précis, réaliste, et de jolies couleurs. Quant aux zones habitées et aux personnages, ils sont tout aussi réussis, on se croirait dans 'La petite maison dans la prairie' au côté du beau Charles 😏 et on visualise le travail de défrichage et de construction des pionniers suédois décrit par Vilhelm Moberg dans 'La saga des émigrants' (1949-1959).
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Discours de réception à l’Académie française

Ce qui est intéressant, à mon sens, dans le Discours de réception à l'Académie française, de Tocqueville, c'est que c'est l'occasion, pour ce grand penseur, de développer ses idées historiques et sociales-qui font le sel de "De la démocratie en Amérique".

Bien entendu, dans ce discours, plutôt bref, c'est bien moins ambitieux, que dans d'autres textes, du même auteur ; toutefois, on y retrouve, toute l'acuité du regard de Tocqueville, sur cette grande période de mutations, que fut l'époque, où il évolua.

Le XIXème siècle, est une époque fascinante, à bien des égards, en grande partie, parce que c'est là qu'on a vu émerger beaucoup de tendances, qui ont abouti plus tard-notamment la naissance du capitalisme moderne...

Tocqueville, est vraiment un fin analyste de cette époque, il a très bien compris ce qui s'est passé durant la Révolution, le Premier Empire et puis encore après, et il le démontre encore une fois, dans ce discours.

C'était un visionnaire, et ce discours, est l'une de ses nombreuses visions.
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L'Ancien régime et la Révolution

Comprendre l’histoire de notre pays, comme d’ailleurs l’histoire mondiale est, sans doute, une des approches nécessaires pour appréhender notre France et notre monde actuels.

Il ne faut pas, certes, tomber dans la facilité de « faire parler » une situation que nous connaissons de nos jours à l’aune d’une situation passée, dans une sorte de copié-collé, c’est ce que font volontiers les politiciens. Ou encore de se contenter de dire que l’histoire est un éternel recommencement.

Mais les comportements humains qui animent les événements restent, au fond, les mêmes, quelle que soit l’époque, et justifient cette comparaison passé-present.

Cependant, l’interprétation des grands bouleversements sociétaux et politiques que sont les périodes révolutionnaires est plus difficile à faire que celle des changements progressifs.



C’est tout l’intérêt de cet ouvrage de Tocqueville (surtout connu pour son analyse de référence « De la Démocratie en Amérique », analyse magistrale de l’organisation politique des États -Unis au 19ème siècle).

A l’inverse des autres, tels celui remarquable d’Albert Mathiez que j’ai commenté il y a quelque temps, le livre d’Alexis de Tocqueville ne donne aucun déroulé des événements ; et d’ailleurs, aucune analyse de la révolution de 1789 et de son évolution jusqu’à sa chute n’est donnée. Qu’est-ce qui l’en a empêché? Sans doute la difficulté d’appréhender cette période révolutionnaire, lui qui était de la noblesse, et partisan de l’ordre en politique. En effet, si l’on a trouvé des notes de lui sur le Consulat, une période plus stable, aucune note sur la Période révolutionnaire n’a été retrouvée.



Tocqueville se limite donc en réalité, mais c’est stimulant pour la réflexion, à nous produire un essai d’analyse socio-politique de cette période qu’il appellera l’Ancien Régime, pour en discerner les raisons qui ont conduit au grand basculement dans la période révolutionnaire. Un essai étayé par de très nombreuses et volumineuses notes qui montrent que l’auteur a systématiquement analysé un nombre considérable de documents, notamment de caractère administratif, pour comprendre comment fonctionnait l’Ancien Régime.



L’ouvrage se décompose en 3 « livres », disons trois grands chapitres.



Dans le premier, Tocqueville essaie de devenir l’essence même de la Révolution française, d’abord en disant ce qu’elle n’est pas. Elle n’est ni anti-religieuse, ni politique, ni sociale, mais plutôt un changement de ce qu’il qualifie d’institutions qui vont devenir égalitaires en substituant à une survivance d’institutions féodales. C’est-à-dire un changement à la fois politique et social très en avance sur ce qui s’est passé dans les autres pays européens.



Dans le second, le plus étoffé, Tocqueville analyse comment a évolué la France Royale au cours des siècles qui ont précédé celui de la Révolution.



D’abord une analyse de l’Etat, montrant que la centralisation du pouvoir, avec comme conséquence une centralisation administrative, a été une sorte d’obsession des souverains depuis le Moyen Age, dans le but notamment de briser ou contourner le pouvoir des féodalités. Cela culmine avec Louis XIV qui va décider, avec son célèbre « L’Etat c’est moi », que l’Etat royal est propriétaire de toutes les terres du royaume, et que les « vrais » propriétaires, noblesse, clergé, bourgeois, paysans, etc… ne sont que dépositaires d’un bien appartenant à l’Etat, c’est-à-dire au Roi. En quelque sorte, un collectivisme royal!

Or cette centralisation va vider progressivement de leur contenu les privilèges de la noblesse et du clergé, qui pouvaient se comprendre dans un régime féodal, dans lequel noblesse et clergé étaient les garants de la sécurité des biens matériels et spirituels de la population sous leur tutelle.



En ce qui concerne la société civile, Tocqueville fait remarquer que, comparativement à d’autres pays européens, le servage disparaît rapidement en France pour laisser place en bonne partie à une population de petits paysans propriétaires de leurs terres; et donc une paysannerie avec une relative autonomie, mais qui paie l’impôt ou plutôt les divers impôts et nombreuses taxes.

Il y a aussi le développement important d’une bourgeoisie des villes consécutive notamment au développement du commerce et de l’industrie. Une bourgeoisie parfois très riche mais qui paie l’impôt, alors que ni la noblesse, ni le clergé n’y contribuent. Une bourgeoisie qui est aussi celle des fonctionnaires qui sont chargés de la gestion administrative (dont la collecte de l’impôt), fonctionnaires dépendants du pouvoir royal.



Dans le livre III, Tocqueville analyse les changements qui se sont produits dans la deuxième partie du 18ème siècle, changements qui vont servir d’accélérateurs et conduire inéluctablement à la Révolution française de 1789.

Il y distingue l’influence des « Philosophes des Lumières » dans le développement du concept de l’égalité des droits indépendamment du statut social, de l’anticléricalisme, du rôle de certains économistes dans l’idée d’abolition de la propriété; et enfin, le rôle néfaste de plusieurs réformes: suppression des Parlements par Louis XV, qui, malgré leurs défauts, la corruption notamment, constituaient une sorte d’instance décentralisée; remplacement des intendants par des assemblées électives qui bouleversent le tissu social, gênent les décisions, mettent en conflit ceux qui paient ou ne pas l’impôt, etc…



Bref, l’organisation socio-politique, héritée d’une société féodale qui n’existe plus, apparaît déphasée, à bout de souffle; et « il suffira d’une étincelle, pour allumer le feu ».



Cette analyse qui montre que la Révolution était inéluctable pour beaucoup de raisons, est convaincante.

Mais certaines conclusions qu’en tire Tocqueville m’ont moins convaincu. En particulier, le fait que la centralisation administrative imposée par la royauté a perduré lors de la Révolution ne rend pas compte du fait qu’avant l’épisode de la Terreur, puis celle du Consulat, un fort courant de volonté de donner plus de liberté aux provinces s’est manifesté. Aussi, les commentaires de l’auteur sur le caractère néfaste pour notre pays de la disparition de la Religion comme ciment de l’unité de la Nation, n’est pas exact, car le Culte de l’Etre suprême a remplacé le culte religieux catholique et le courant hébertiste qui voulait abolir la religion ne l’a jamais emporté. Dans son propos, il fait référence à la démocratie des USA, et à la monarchie constitutionnelle britannique. Nous savons maintenant,depuis les lois de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que la laïcité peut aussi cimenter une Nation.



Malgré ces critiques, voilà un ouvrage passionnant qui incite à la réflexion sur quelques « maladies » françaises toujours d’actualité: l’hyper-centralisation administrative; l’hyper-présidentialisation susceptible de cristalliser les mécontentements; et aussi l’obsession égalitaire, ou plutôt, comme le dit Tocqueville, la haine de l’inégalité, et celle « des privilégiés », tels que sont considérés les hyper-riches par le « peuple français ». A la différence près, que beaucoup de ces milliardaires français, qui,certes, font tout pour bénéficier d’avantages fiscaux, n’ont pas reçu ce privilège en héritage, créent des emplois, etc..Et que l’économie s’étant mondialisée, ceux qu’il faut craindre, car en passe de devenir les vrais maîtres du monde, n’appartiennent à aucune nation.





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De la démocratie en Amérique, tome II partie IV..

Je voue une admiration illimitée à ceux qui sont capables de marquer contre leur camp. Le fasciste Bernanos, dont le fils s'est engagé dans les Phalanges, capable d'écrire "Les Grands Cimetières sous la lune". Ou Tocqueville, Alexis DE Tocqueville, convaincu, contre le milieu conservateur qu'il fréquente assidûment, que la démocratie est un fait providentiel.

S'ajoute, pour Tocqueville, cette incroyable disponibilité qui lui permet d'analyser un monde en train de changer, d'analyser avec rigueur le monde qui vient, ni exalté, ni nostalgique. Il semble inventer les sciences humaines, choisissant l'Amérique comme terrain d'expérimentation parce qu'elle n'a pas connu l'ancien régime et que l'homme démocratique y existe en lui-même, sans esprit de revanche.

La grande idée du siècle, c'est que les hommes sont égaux, c'est-à-dire de dignité égale. La démocratie est donc l'âge de la médiocrité, ce qui ne la rend pas moins respectable: "On ne rencontre guère d’hommes très savants ni de populations très ignorantes. Le génie devient plus rare et les lumières plus communes. L’esprit humain se développe par les petits efforts combinés de tous les hommes, et non par l’impulsion puissante de quelques-uns d’entre eux. Il y a moins de perfection, mais plus de fécondité dans les œuvres." Le vrai danger de l'égalité est ailleurs: l'homme démocratique tend à rechercher un pouvoir fort car la centralisation élimine les potentats locaux. Dieu s'efface au profit de l'État-providence que je laisse maître de ma destinée tant qu'il veille sur mon confort.

Mais Tocqueville n'est jamais sentencieux: il réfléchit, il doute, et surtout il n'envisage un avenir sombre que comme un nécessaire effort de pédagogie pour éviter qu'il n'advienne.

La validité de ces analyses est proprement sidérante et "De la démocratie en Amérique" vaut toujours qu'on s'y attelle.

Mais comme je suis une grosse feignasse, je me suis contentée d'une édition démocratiquement scolaire et raccourcie.
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Intégrales de Philo - Tocqueville : De la démoc..

"De la démocratie en Amérique" est une brillante analyse, mêlant la sociologie à la philosophie politique, du système démocratique tel qu'il existe en Amérique et des conséquences de l'existence du système sur l'Amérique et les américains.

Même si Tocqueville a parfois des idées hasardeuses, même s'il explique parfois certains phénomènes par l'existence d'un système démocratique alors que cela n'a pas lieu d'être, cette œuvre est une grande œuvre.

Moins que l'explication de ce que fut la démocratie en Amérique à l'époque de Tocqueville, le plus intéressant est d'ailleurs les théories de Tocqueville concernant la démocratie en général, qui sont passionnantes et pertinentes et n'ont rien perdu de leur actualité, au contraire !

"De la démocratie en Amérique" est un classique, d'une étonnante modernité, à lire et à relire passionnément. Nous ne pouvons qu'être fasciné par la pertinence des réflexions de Tocqueville, qui décode parfaitement ce qu'est la démocratie.

Excellent !
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Tocqueville : Vers un nouveau monde

En 1830, une révolution oblige Charles X à abdiquer au profit de son petit-fils, alors âgé de neuf ans seulement. C'est ainsi que Louis-Philippe Ier, cousin du roi déchu, arrive au pouvoir.

En 1831, à la demande du gouvernement français, Alexis de Tocqueville (1805-1859) et Gustave de Beaumont partent aux Etats Unis pour y étudier le système carcéral américain.



Cette BD nous raconte une partie du parcours des deux magistrats français vers la région des Grands Lacs. Là-bas les transformations de la société sont rapides, et le passé vite balayé. Les nouveaux venus de l'ancien monde et leurs descendants prennent possession des lieux, au détriment des autochtones que la plupart d'entre eux méprisent. Tocqueville observe la création d'une nouvelle nation. Outre le compte rendu rédigé avec Gustave de Beaumont (« Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application », 1832), Tocqueville écrit ensuite son célèbre « De la démocratie en Amérique » dans lequel il expose sa pensée politique.



Bien que cet album ne retrace pas intégralement ce contexte, il rend bien compte du choc culturel éprouvé par Alexis de Tocqueville et son compagnon dans ce pays, et de la violence qui accompagne la création de cette nation nouvelle. La beauté des paysages est quant à elle parfaitement restituée par un graphisme très agréable.



Un agréable moment de lecture qui donne envie d'en savoir plus sur le personnage et son oeuvre.
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De la démocratie en Amérique, tome 2

Si la première partie de "De la démocratie en Amérique" pouvait décevoir, il n'en est pas de même pour la seconde partie, bien plus intéressante.

Il y a toujours comme dans la première partie, des idées un peu tirées par les cheveux ; mais il y en a beaucoup moins et il s'agit d'une excellente analyse du fonctionnement des systèmes démocratiques.

Il faut dire que cette partie est beaucoup plus ambitieuse et donc, beaucoup plus intéressante ; elle est aussi beaucoup plus intemporelle, puisque Tocqueville s'y intéresse moins ici au cas spécial de la démocratie en Amérique qu'à la démocratie en général.

Très intéressant et très pertinent !
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Tocqueville : Vers un nouveau monde

C’est le 1er album de ce jeune dessinateur et c’est une vraie réussite, tant au plan du dessin et du travail de coloriste, que du point de vue du scénario. L’histoire est inspirée d’un récit d’Alexis de Tocqueville (auteur du fameux De la démocratie en Amérique) intitulé « Quinze jours dans le désert » (il faut entendre, ici, le mot désert au sens de Nature vierge et sauvage), où de Tocqueville raconte son expédition vers ce qu’on appelait alors la Frontière, c’est-à-dire la limite de l’expansion coloniale américaine, située dans la région des Grands Lacs. On suit donc la progression des deux hommes - de Tocqueville est, en effet, accompagné de Gustave de Beaumont qui sera l’éditeur du récit quelques années plus tard (1861) - de New York vers l’Ouest, jusque Saginaw dans l’actuel Michigan, s’éloignant lentement de la « civilisation ». On entend ainsi ses réflexions de jeune philosophe (il n’a, alors, que 25 ans). On voit ses rencontres avec les derniers « civilisés », puis les premiers indiens « sauvages », les métisses, les exilés volontaires ... Et enfin, la nature primitive. C’est particulièrement dans cette deuxième partie que Kévin Bazot nous montre ses talents de coloriste, je suis généralement assez peu sensible à la couleur, mon absolu étant les albums en noir et blanc d’Hugo Pratt, mais là les couleurs sont vraiment magnifiques, surtout la forêt, la nuit ... les rivières. Je regrette presque que les cases ne soient pas plus grandes. Une belle lecture ****, accessible à tous, fluide et enrichissante.

P.S. : Kévin Bazot était au BD Boum de Blois et sera au festival de BD d’Angers le mois prochain si vous en avez l’occasion n’hésitez pas à le rencontrer, c’est un type épatant, loquace et curieux.

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Regards sur le Bas-Canada

Regards sur le Bas-Canada contient un choix de textes et d'extraits de la correspondance familiale d'Alexis de Tocqueville, homme politique français (1805-1859), qui s'est intéressé, entre autres, à l'implantation de nouvelles sociétés en Amérique du Nord.

En avril 1831, il quitte la France, accompagné de son ami et collègue Gustave de Beaumont, pour une mission d'étude sur le système pénitentiaire américain commandée par le gouvernement français. Au cours de son séjour de plusieurs mois, il en profite pour visiter l'arrière-pays, espérant rencontrer sur sa route quelques Amérindiens (« Le moyen de revenir en France sans rapporter dans sa tête son sauvage et sa forêt vierge! »).

Profitant d'un transport par bateau vapeur qui fait la tournée des Grands Lacs, il s'embarque pour un périple vers le Bas-Canada (Montréal et Québec) qu'il connaît peu. Ô surprise, il y découvre une population nombreuse parlant encore le français et portant les traditions du pays natal.

L'ouvrage présent souffre de redondances mais reste fort intéressant quant au contenu. Alexis de Tocqueville porte un regard neutre sur ce qu'il voit et entend et restitue pour nous, quelques centaines d'années plus tard, l'aspect et les mentalités de ces sociétés issues du colonialisme français et britannique.
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Souvenirs

L'Histoire racontée par ceux qui en ont été les témoins est toujours intéressante à lire, mais le récit n'en est pas toujours éclairant : tout dépendra de l'intelligence et du style du témoin. Quand Alexis de Tocqueville, parent De Chateaubriand, connu pour ses brillants essais sur la démocratie en Amérique, nous raconte la révolution de 1848, on peut être sûr que le "reportage" sera excellent, que l'on comprendra bien des choses et que l'on sortira éclairé de cette lecture. C'est en effet un penseur, un politicien d'occasion et surtout un politologue (comme on dirait aujourd'hui) qui jette sur les événements un regard décisif. On est bien loin des "Choses Vues" de Victor Hugo.

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Quinze jours dans le désert

[INCIPIT]

« Une des choses qui piquaient le plus vivement notre curiosité en venant en Amérique, c’était de parcourir les extrêmes limites de la civilisation européenne et même, si le temps nous le permettait, de visiter quelques-unes de ces tribus indiennes qui ont mieux aimé fuir dans les solitudes les plus sauvages que de se plier à ce que les Blancs appellent les délices de la vie sociale. »



Diplômé en droit, Alexis de Tocqueville a vingt-six ans quand il part en mission officielle en Amérique avec son ami Gustave de Beaumont pour étudier le système pénitentiaire américain. De retour en France il publiera « Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France », et surtout quelques années plus tard « De la démocratie en Amérique ».



« Quinze jours dans le désert » est un court texte, moins d’une centaine de pages, dans lequel il relate le voyage qu’il entreprit entre le 19 et le 31 juillet 1831 afin de rejoindre Saginaw dans le Michigan, alors la limite atteinte par les européens dans leur soif de colonisation. Il sera publié en 1861 par Gustave de Beaumont après la mort d’Alexis de Tocqueville.



On est bien dans un récit de voyage et non dans un essai. Alexis de Tocqueville décrit les lieux, les personnes qu’il rencontre et partage ses impressions non sans une certaine pointe d’humour et de dérision. Son récit y gagne en sincérité, sentiment renforcé par la candeur et l’émerveillement de cet homme qui va à la découverte du Nouveau Monde.



« Traverser des forêts presque impénétrables, passer des rivières profondes, braver les marais pestilentiels, dormir exposé à l’humidité des bois, voilà des efforts que l’Américain conçoit sans peine s’il s’agit de gagner un écu : car c’est là le point. Mais qu’on fasse de pareilles choses par curiosité, c’est ce qui n’arrive pas jusqu’à son intelligence. »



Le texte ayant été écrit en 1831 il reste donc empreint de quelques formulations datées quant à la considération des peuples.

Il n’en reste pas moins qu’à la différence de la majorité de ses contemporains et en particulier des colons, Alexis de Tocqueville porte un regard bien plus bienveillant et compassionnel sur les amérindiens qu’il rencontre. Même s’il a parfois une certaine méfiance à leur égard, il n’hésite pas à revoir son jugement et à revenir sur son impression initiale.

Il n’est en revanche pas tendre avec les colons américains, principale cible de ses piques, qu’il trouve cupides, rustres et sans morale.



« Au milieu de cette société si policée, si prude, si pédante de moralité et de vertu, on rencontre une insensibilité complète, une sorte d’égoïsme, froid et implacable lorsqu’il s’agit des indigènes de l’Amérique. »



Déjà conscient du désastre qui s’annonce pour les peuples autochtones avec l’accaparement de leurs terres par les européens, la perte de leur mode de vie et les ravages de l’alcool, Alexis de Tocqueville ne peut que présager la fin prochaine d’un monde.

Ce terrible constat, il le fait aussi pour cette nature sauvage, démesurée, « où règnent encore une paix profonde et un silence non interrompu », vouée elle aussi à disparaitre sous l’avancée inexorable de la « civilisation ».



Saisissant de pertinence et d’anticipation.



« Ce sont des faits aussi certains que s’ils étaient accomplis. Dans peu d’années ces forêts impénétrables seront tombées. Le bruit de la civilisation et de l’industrie rompra le silence de la Saginaw. Son écho se taira… »
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Quinze jours dans le désert

En 1831, Alexis de Tocqueville, alors jeune magistrat au tribunal de Versailles, est envoyé aux Etats-Unis avec son collègue et ami Gustave de Beaumont pour étudier le système pénitentiaire américain. Il en reviendra avec la matière de ses célèbres écrits politiques, mais aussi avec ce petit texte rédigé entre deux escales, au retour d'une escapade sauvage dans la région des Grands Lacs, qui ne sera publié qu'après sa mort.

En quête de désert, de nature encore inviolée, les deux hommes quittent New York pour Buffalo, d'où un vapeur les conduit jusqu'à Detroit - une petite ville de deux à trois mille âmes que les jésuites ont fondée au milieu des bois en 1710 et qui contient encore un très grand nombre de familles françaises. Et là, les choses se compliquent, car l'esprit pionnier est assez radicalement étranger à l'esprit voyageur : affronter la nature sauvage pour la conquérir, s'y enrichir, tant qu'on voudra, mais l'explorer pour elle-même, par pure curiosité, voilà qui défie l'entendement ! Tocqueville et Beaumont vont devoir s'inventer des prétextes pour qu'on leur indique enfin où aller. La suite du périple se fait à cheval, à travers bois, de plus en plus loin de la civilisation, jusqu'à Saginaw Bay qui, quelques 150 km au nord de Detroit, représente alors l'extrême limite du peuplement européen.



Le voyageur ici est aussi sociologue, philosophe. La description fascinée des grands espaces encore vierges se double d'une réflexion sur l'ambiguïté de la civilisation en marche, se complète d'une étude rapide mais précise des peuples rencontrés, de leur habitat, de leur mode de vie, de leur caractère. On entre ici dans les typologies chères à l'époque, qui peuvent sembler un brin réductrices au lecteur moderne, mais cela reste très intéressant de voir comment ces hommes isolés de tout, voués à se partager une même terre, restent étroitement contraints par leurs origines. Le colon français n'est pas le même que le colon américain, les préjugés d'éducation et de naîssance ont la même puissance ici que dans le reste du monde et six religions déjà divisent cette société naissante... sous le regard silencieux des Indiens, grands perdants de l'affaire, admirables encore au fin fond des forêts mais déjà gangrenés par la civilisation et l'alcool, dont Tocqueville ne peut que déplorer la lente disparition.



Une lecture courte mais riche, et de lecture très agréable. Un bon moyen, qui plus est, de découvrir Tocqueville par la petite porte, à défaut de s'attaquer à ses écrits politiques.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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De la démocratie en Amérique

Une œuvre visionnaire ! Malgré quelques conjectures un peu douteuses-conjectures secondaires, sans incidence sur le reste, heureusement-cet ouvrage reste un magnifique traité sur la démocratie, ou la démocratie, dans " ses penchants", comme dit Tocqueville, est magnifiquement décodée. Grand et bel ouvrage ! A lire de toute urgence !
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De la démocratie en Amérique

A l’heure de Trump, il semble tout indiqué de se plonger dans quelques réflexions classiques sur la démocratie américaine.



Tocqueville découvre aux Etats-Unis non seulement un système politique original mais aussi et surtout une société nouvelle, basée sur l’égalité : aucun homme – les femmes, ça viendra, mais Tocqueville est un peu frileux à leur sujet – n’est intrinsèquement supérieur à un autre. Certes, il existe des différences de fortune mais celles-ci ne sont pas ancrées dans un ordre immuable. Le pauvre peut s’enrichir et le riche dégringoler au bas de l’échelle sociale.



Ce principe d’égalité est à la base de toute démocratie. Si on l’oublie, on retombe dans l’aristocratie, c’est-à-dire le pouvoir de quelques-uns, par exemple les requins de la finance. Si les démocraties d’aujourd’hui sont malades, c’est qu’elles ont tendance à oublier l’égalité, certaines castes se croyant au-dessus des autres.



Face à ces démocraties dévoyées, les appels au peuple sont souvent grossiers, démagogues et populistes, pour employer des mots à la mode. Ils n’en sont pas moins nécessaires, afin que ne meurent pas les fondements d’une société qui permet à tout individu d’espérer y vivre dignement.



La démocratie en Amérique n'est pas morte. Elle a juste besoin de retrouver l'égalité qui la fonde.


Lien : http://www.lie-tes-ratures.c..
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De la Démocratie en Amérique, tome 1

Cette première partie de De la Démocratie en Amérique n'est pas la plus intéressante. Au lieu de s'intéresser aux lois qui régissent un fonctionnement démocratique, de façon générale, il s'intéresse plutôt au cas spécial de la démocratie en Amérique, multipliant les hypothèses douteuses, et attribuant tout ce qui l'a vu dans son voyage en Amérique au fait démocratique. Une lecture pas inintéressante, mais la seconde partie, théorie générale du fonctionnement de la démocratie est bien plus intéressante.
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