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Critiques de Eric Reinhardt (807)
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Le système Victoria



Deuxième lecture de cet auteur, après L’amour et les forêts que j’ai bien aimé.



Mon avis est ici plus tempéré. Pourquoi ?



Dans la mesure où j’estime que le fait « d’aimer » ou « de ne pas aimer » les personnages ne sont pas des raisons pour apprécier ou pas un texte, je bondis lorsque je lis de telles considérations. Mais il se trouve que le fait de n’avoir « ressenti aucune empathie pour les personnages » m’a rendu cette lecture (un peu) fastidieuse. D’autant plus que (tout comme L’amour et les forêts) Le système Victoria est un roman assez dense.



Deux personnages « forts » et complexes. David, architecte contrarié, directeur de travaux idéaliste et méticuleux, infidèle engoncé dans ses principes et sa prudence. Et Victoria, sa proie qui devient son obsession, une femme de pouvoir libre et insatiable à la sexualité dévorante. Illustration que les extrêmes s’attirent…



Un roman assez difficile à classer… histoire d’amour ? roman social ? thriller psychologique ? qui questionne certains aspects de notre société : la mondialisation, la place des femmes dans l’entreprise, le couple, l’adultère, la sexualité, le plaisir. Un récit sans certitude qui oscille sans cesse entre l’intime et le social, l’imaginaire et le physique, la mesure et l’excès.



Dès le départ on sait que l’histoire se termine mal. Le récit remonte le temps pour nous livrer la chronique d’une disparition annoncée.



Un roman somme toute audacieux et envoûtant, à l’écriture soignée, captivant dans son épaisseur et sa complexité.
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L'Amour et les Forêts

Pioché dans ma PAL, j'ai commencé ma lecture sans rien savoir de l'intrigue, du temps s'étant écoulé depuis le choix qui avait motivé l'insertion de ce livre sur mes étagères . Bref je commence donc à lire l' Amour et les forêts. le premier chapitre me laisse un peu sceptique. Jamais entendu parlé de Villiers de L'Isle-Adam. Et puis petit à petit je rentre dans le quotidien, l'intimité, l'enfer de la vie conjugale de Bénédicte Ombredanne.

Eric Reinhardt rend compte avec beaucoup de justesse le calvaire subi et l'état de sidération dans lequel le harcèlement conjugal plonge sa victime. Bénédicte Ombredanne est pétrie d'idéalisme et de romantisme et c'est sans doute cela qui l'empêche de réagir et de se sortir des griffes de son abominable mari. Un mari enfermé dans une perversité qui tient de la maladie mentale. On a envie de dire à Bénédicte : « mais prends ta valise et quitte le…..avant qu'il ne soit trop tard. »

Dans une écriture travaillée, Eric Reinhardt nous livre ici des personnages complexes, pris au piège de leur part d'ombre, ombre qui peu à peu s'étend et finit par obscurcir la clarté originelle qui illuminait Bénédicte Ombredanne.

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La chambre des époux

Le roman s'ouvre sur la lutte de Margot contre son cancer. Son auteur de mari s'attaque lui à une création littéraire. Un double défi qui pourrait vaincre la peur et peut-être même la mort. Mais une mise en abyme inutile, un style très répétitif, un égotisme prégnant m'ont agacée, lassée. Pour moi, ce roman est une sorte de supercherie.
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La chambre des époux

La chambre des époux aura été une lecture plus que laborieuse et interminable pour ma part. J’ai plusieurs fois été tentée de cesser ma lecture tant elle me pesait.



Je ne suis pas parvenue à entrer dans l’univers d’Eric Reinhardt, un roman gigogne basé sur une auto fiction où j’ai eu l’impression de tourner en rond.



L’auteur débute par un récit autobiographique : sa femme, Margot, est atteinte d’un cancer. Après une phase d’attente, le diagnostic tombe, accompagné du protocole retenu pour le combattre. Sa femme, lui demande de terminer son roman pendant sa phase de traitement : chacun a un challenge à relever, et non des moindres. Ensuite, il éprouve une attirance incontrôlable pour Marie, qu’il rencontre lors de l’un de ses déplacements professionnels. Il s’avère que cette dernière est atteinte d’un cancer du pancréas. Jusqu’à ce qu’on bascule enfin dans l’univers de Mathilde, qui lutte elle aussi contre la maladie et Nicolas, compositeur.



Dans ce roman autofiction, Eric Reinhardt montre non seulement la force créatrice que permet la lutte contre la maladie mais aussi comment l’accumulation de sentiments intériorisés pendant cette période d’attente et de combat peut aboutir à une destruction, une implosion de soi. Et cela est poussé jusqu’à son paroxysme, puisque l’auteur devient attiré par les femmes malades d’un cancer également. Il se croit capable de les guérir, avec une connotation sexuelle qui m’a plus que dérangée.



Un univers particulier auquel je n’ai vraiment pas adhéré. Je note toutefois un style recherché de l’auteur.

Ce livre n’était pas pour moi, et la 4ème de couverture me semble plutôt trompeuse et ne correspond pas à l’histoire selon moi.

J’ai découvert Eric Reinhardt à l’occasion de l’opération spéciale Masse critique de Babelio que je remercie, ainsi que les éditions Gallimard.

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La chambre des époux

Je me suis torturé les neurones pendant des jours : qu'allais-je bien pouvoir dire de ce "roman" (?) que je n'ai pas aimé ? Comment dire ma déception ?



Je n'ai pas été sensible à la construction narrative (le roman dans le roman, façon poupées russes, qui évoque le récit qu'aurait pu écrire l'auteur en s'inspirant de sa propre vie).



Je n'ai pas été sensible au style non plus, fait de digressions intimes, de constantes répétitions de phrases :



"[...] Qui est juste, injuste (lis-je sur mon papier)?

Qui est bon, méchant (lis-je sur mon papier)?

Qui est de gauche, de droite (lis-je sur mon papier)?

Qui est toxique, inoffensif (lis-je sur mon papier)? [...]"



Par contre, j'ai été sensiblement agacée par ce nombrilisme, par l'impression de perdre du temps à lire le verbiage d'un auteur auto-satisfait qui, en plus, se paye le luxe de critiquer ses congénères écrivains sans la moindre retenue, voulant sans doute donner de l'ironie mordante à sa prose (Joseph O'Connor moqué pour ses choix vestimentaires -jogging acrylique noir et mocassins marrons- ou Geneviève Brisac pour sa tignasse à la Faye Dunaway germano-pratine et "loréalisée" sauront apprécier : même s'ils ne sont pas nommés, une rapide recherche sur internet suffit à les identifier...).

Je n'ai pas compris l'intérêt de démarrer ce roman par une parenthèse autobiographique (l'auteur écrit Cendrillon alors que sa femme est atteinte d'un cancer du sein ; le livre va les "sauver") au lieu d'entrer directement dans la fiction imaginée (et au final non écrite) que ce moment de leur vie lui a inspiré.



Quant à l'écriture et la lecture rédemptrices, je n'ai pas eu l'impression que le thème était suffisamment exploité (en tout cas, ça ne m'a pas paru évident !). Si l'auteur avait moins parlé de lui-même (gobant des Xanax et pleurant dans sa salade), j'aurais pu m'attacher à ce texte...



Bref, pour moi, un ratage complet ! Et la sensation que la quatrième de couverture est trompeuse...J'en suis désolée !



Merci toutefois à Babelio et Gallimard pour cette lecture en avant-première.
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L'Amour et les Forêts

Éric Reinhardt nous raconte, dans ce roman psychologique, la vie rêvée de Bénédicte Ombredanne, une lectrice assidue qu'il a rencontrée à deux reprises et avec laquelle il a échangé une correspondance pendant quelques années. Une vie conjugale à la dérive, une vie familiale cabossée, une vie professionnelle en pilotage automatique, Bénédicte va se composer un idéal de vie pleine et entière par ses lectures, par ses pensées et par des coups de tête assumés. Ce roman à l'écriture dense et concise se lit d'une traite et parfois, je me suis même sentie à bout de souffle. Une histoire triste mais édifiante.
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L'Amour et les Forêts

Comment peut-on aimer l'ennui ?

Peut-être si on est masochiste.

Voila un auteur qui se prend pour Proust, ou pour Beckett, dans Molloy, par ses phrases chantournées qui n'en finissent pas et qui, d'emblée m'ont fait mourir d'ennui. Et quand l'auteur veut "faire vrai", par exemple en restituant des conversations sur un chat libertin, ou encore le dialogue avec Lola, 11ans, il ne peut en produire qu'une écriture tocarde, qui se veut témoignage, et qui sent l'artifice.

Encore une fois, pourquoi la littérature s'encombre-t-elle des états d'âme de nos voisins de palier, ni plus ni moins intéressants que les nôtres ? Est-ce suffisant pour faire un roman ? Bon un mari harceleur, des enfants ingrats, un amant (?) à la langue agile et vraiment gentil qu'elle ne verra qu'une fois (apparemment, la bonne !) et finalement, tarte à la crème pour les journaux dits féministes, deux vilains cancers qui ne sont très certainement que le fruit de tant de malheurs ! Essuyons une larme, c’est vraiment trop injuste !

Tout cela est bien misérable et servi dans l'écrin d'une pseudo rencontre entre l'auteur, et sa lectrice (la pauvre dame !)

Bon on a cité Balzac, dans ces critiques, mais il peut dormir tranquille !

Michel Le Guen

P. S. : Un romancier ne s'expose pas impunément ! Voici que la dame-prétexte de ce roman l'attaque en justice ! Comment un si bel homme, dandy et propre sur lui, très "gendre idéal" peut-il être accusé de fouiller les poubelle d'autrui et d'être (partiellement) un vilain plagiaire ? à suivre ! (lol !!!)
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Le système Victoria

On vit rarement sa vie comme on l'avait rêvée quand on était jeune, on se retrouve bien souvent à s'enfoncer dans une routine bien éloignée de nos plans initiaux. Alors comment résister, le jour où la femme de nos rêves se matérialise devant nos yeux, répond à nos regards explicites, nous ouvre les portes d'un paradis auparavant inaccessible? C'est ce qui arrive à David dans ce roman: il se retrouve propulsé dans une histoire qu'il n'avait pas prévu, qu'il a plusieurs fois essayé d'enrayer et pourtant, il a été incapable de tourner le dos à sa belle et puissante maîtresse. Si leur jeu de séduction reste au début plutôt "innocent", qu'il se contente de rendez-vous secrets et d'étreintes enflammées, il s'envenime peu à peu, s'engluant dans la dépendance physique et intellectuelle, dans une passion refoulée, dans une volonté toujours plus impérieuse d'aller au bout de ses fantasmes.



Entre amour et haine, entre passion et déchirement, entre pouvoir et soumission, entre volatilité et fidélité, entre travail et séduction, Eric Reinhardt nous livre ici un roman d'une puissance inouïe, où le tourbillon de cette relation malsaine nous emporte irrémédiablement.
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L'Amour et les Forêts

Le succès foudroyant de ce livre vient, à n'en pas douter, de ce que bien nombreuses sont les Bénédicte Ombredanne parmi les lectrices – et pourquoi pas parmi les lecteurs.

Bénédicte Ombredanne est en chacun-chacune de nous. Bénédicte Ombredanne, c'est moi, c'est vous. Nous nous reconnaissons dans ses attentes et ses espoirs, ses renonciations et ses déceptions. Chaque phrase du roman pourrait s'appliquer à moi, à vous, quand on se trouve seule à ranger la cuisine alors que le conjoint s'installe devant un écran et que les enfants montent à leur chambre, quand on est seule à table à prendre l'initiative d'un échange devant le mutisme qu'oppose celui qui partage votre vie, quand une fois au lit on écarte les cuisses par habitude, pour avoir la paix, sans que plus aucun frisson ne monte. Bénédicte Ombredanne est en chacune de nous, chacune de celles qui acceptent les silences, l'indifférence, l'agacement, le mépris, le manque d'échange, l'égoïsme, l'absence de reconnaissance de ce qu'on est, de ce qu'on vaut – sans même parler de violence ni physique ni verbale, sans même parler de maltraitance et encore moins de coups. C'est si simple d'en arriver là, si facile de renoncer et de laisser faire.

Jusqu'au jour où on laisse la cuisine en l'état, et ce jour-là on refuse d'écarter les cuisses, on se dit qu'on vaut plus que çà ou mieux que çà, qu'on n'a qu'une vie et qu'oublier ses rêves c'est mourir déjà. Ce jour-là on est encore plus une Bénédicte Ombredanne. On fonce et on arrache tout sur son passage, on ne pense plus à rien. Si on a de la chance, l'envie devient réalité. A nous de savoir quoi faire après, poursuivre dans le virage qu'on a pris, trouver ce courage, ou renoncer, une fois de plus. Il y a un prix à payer, autant le savoir d'avance. Certain(e)s, s'ils-elles ont de la chance, ne paient pas trop cher, pour d'autres le prix est si élevé que mieux vaut encore recommencer à renoncer.

Et vous, que faites vous ?
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L'Amour et les Forêts

On ne ressort pas indemne d'un tel roman... Après avoir digéré le bouleversement, la révolte, que cette lecture a engendré en moi, je sais qu'il fera partie de ces romans que l'on n'oublie pas. Tout a été dit sur l'intrigue dans les précédentes et excellentes critiques, c'est pourquoi je voudrais insister sur l'effet procuré par cette tragique histoire de femme. La sensibilité, la précision, la fluidité d'Eric Reinhardt offrent au lecteur la "substantifique moelle" de l'écriture tout en l'entrainant dans une sorte de course pour la survie, dans le sillage de Bénédicte Ombredanne. L'urgence de la lecture, "que va-t-il lui arriver ? que va-t-elle décider ?", cède la place à l'écoulement du temps, à la lenteur, à travers la description de scènes apparemment anodines, et ce procédé permet d'apprécier d'autant plus l'écriture raffinée, de se recentrer sur l'héroïne, presque de se poser.

Ce livre est puissant, bouleversant. Et qu'un homme puisse écrire de la sorte sur une femme me laissera toujours perplexe et rêveuse...
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Le système Victoria

Pas de doute pour Eric Reinhardt : l'érotisme a changé d'opinion politique.



L'affirmation pourrait passer pour un artifice d'écrivain qui veut réinventer une histoire d'adultère assez classique au fond : une envie d'évasion libertine au détour d'une galerie commerciale entre une femme de pouvoir élégante et sensuelle, DRH monde d'une multinationale et un beau gosse, architecte contrarié, reconverti comme directeur de travaux sur le chantier de la plus grande tour de la Défense.

Qu'elle soit de droite et lui de gauche pourrait n'être qu'anecdotique.



Ne vous méprenez pas : le roman d'Eric Reinhardt est formidablement subversif et dénonce notre société libérale avec une vraie pertinence.



Le système Victoria, c'est celui des élites mondialisées qui se meuvent avec aisance dans cette société avec deux credos : "c'est la vitesse qui est la vérité de notre monde" et "être moderne, c'est n'avoir aucun pays".

David, lui, est d'un bloc; sa vie est régie par une unité de lieu (sa Tour) et de temps (des journées de travail interminables, au détriment de sa famille et de toute autre forme de vie) et il se heurte très vite aux remparts érigés par sa maîtresse, qui "frôle la réalité sans jamais s'y attarder, segmente sa vie, n'est jamais à la même place, ne se laisse jamais enfermer dans aucune vérité".



Il comprend "qu'on me ment pas, d'une certaine manière, quand on n'est jamais à la même place. [...] En bougeant, on peut biaiser, on est dans l'oubli, on efface dans son esprit le mal ou les promesses que l'on peut faire".



A mesure que leur incompréhension grandit, que leurs systèmes deviennent incompatibles jusqu'à conduire à la fin de l'aventure passionnelle qui semble inéluctable, Victoria et David cherchent à repousser les limites, à explorer de nouvelles frontières du désir et d'une sexualité débridée.



En refermant le roman, on reste hanté par cette mécanique infernale qui conduit au drame, incapable de saisir ce qui aurait pu la faire dérailler et révéler ce qui était finalement une très belle histoire d'amour.

C'est notre destin, à en croire l'auteur : "Peut-être que le nombre de situations où il sera absurde de vouloir déterminer qui a raison ou qui a tort va aller en augmentant. C'est peut-être ça la définition de notre monde libéral".



Si "Le système Victoria" est un grand roman politique, c'est aussi une histoire épique, échevelée, portée par un souffle : celui du grand roman d'aventures des années BlackBerry selon Jérôme Garcin.



Le parallèle avec Dumas n'est pas usurpé !



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Sarah, Susanne et l'écrivain

Dans ce roman, tout est dédoublé : l’auteur lui-même a son double qui écrit un roman qu’il intitule « La mangeuse de tableau ». Ce romancier écrit à sa demande l’histoire de Sarah, une jeune femme qui vit en Bretagne et choisit de doubler cette histoire par celle de Suzanne, une autre jeune femme de son invention qui vit à Dijon. Or ces deux femmes ont quasiment la même vie. L’une est architecte, l’autre est généalogiste et toutes deux vivent dans une famille bourgeoise avec deux adolescents et un mari avocat fiscaliste.





Toutes deux en rémission d’un cancer du sein quittent leur emploi et décident de se réaliser, l’une par la création d’œuvres d’art architecturales dans son jardin, l’autre par l’écriture. Or la passion que toutes deux manifestent à créer s’accompagne d’un repli de leur conjoint qui déjà s’était montré très distant face à leur maladie. Puis ce mari ne se contente pas d’être distant, il se révèle aussi calculateur, froid, cruel et Sarah comme Suzanne finissent par aller vivre ailleurs, juste le temps qu’il réfléchisse.

Tout au long de cette descente aux enfers, on souffre avec les héroïnes, on compatit et on s’accroche pour aller jusqu’au bout de la dégringolade de plus en plus violente.

On retrouve ici bien des thèmes et des techniques d’écriture communs avec l’amour et les forêts, mais poussés à leur paroxysme. Le roman, très bien écrit, joue sans cesse avec les notions de personnes et de personnages, de similitudes et de différences, de mises en abyme et de parallèle, de beauté et d’art.
Lien : http://www.lirelire.net/2023..
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Sarah, Susanne et l'écrivain

Il est rare que je ressente réellement quelque chose pour une oeuvre de fiction, que ce soit de la joie, de la tristesse, de la colère - et généralement c'est synonyme d'une écriture ou d'une profondeur d'intrigue / des personnages qui me souffle, m'incroyabilise, me wowow. Là, j'ai souffert, j'ai eu mal, mais pas dans le sens "oh oui continue fais moi chialer grand fou", plutôt "oh non, c'est cringe, oh non c'est douloureux, argh je déteste ça".



Aucun personnage n'est sympathique, ils sont même quasiment tous haïssables (reste le pauvre Luigi qui a de temps en temps des côtés positifs), mais les dialogues, les situations, tout pousse au vice et me rendent dubitative face à cet enchainement d'invraisemblances (après j'imagine qu'en arriver là doit être tout à fait possible, et je plains ceux qui en souffrent, mais diantre que c'était dur). J'ai dû pousser fort pour arriver jusqu'au bout, et si la fin peut avoir quelque chose de satisfaisant (un peu dans le sens : ouf fini), elle ne permet même pas d'avoir une vision méliorative du reste.



Vraiment, je passe à côté de tout ce roman, genre même pas à un instant je suis rentrée dedans.
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L'Amour et les Forêts

Je ne suis pas la seule à chroniquer ce livre qui bénéficie d'un second succès suite à l'adaptation cinématographique.

Le livre a 10 ans, et (my bad), je n'en avais jamais entendu parler. Et pourtant !

Ce 2nd engouement national pour la plume de Reinhardt est bien mérité.

On ne se refait pas, je préfère toujours lire le livre avant de voir le film et dans ce cas, je n'ai pas perdu de temps car l'on m'a annoncé un film très différent du texte. On m'a dit texto : le livre finit très mal.

Les histoires qui finissent mal, j'adore ça (#psychopathe).



Eric Reinhardt va rencontrer à deux reprises Bénédicte Ombredanne, d'ailleurs il ne parlera d'elle qu'en citant à la suite son nom et prénom. Comme pour souligner le caractère unique du personnage. Bénédicte a adoré le dernier livre de notre auteur et lui adresse une longue lettre d'admiration. C'est suite à cette lettre, à laquelle notre auteur, très touché va répondre, que tout deux vont se rencontrer. Bien rapidement, Reinhardt comprend que Bénédicte a la vie difficile à la maison. Un mari peu tolérant, ultra possessif, des enfants ingrats, il comprend que la jeune femme est éteinte.

Ce texte, très dense, très précis, aux longues descriptions, c'est avant tout l'histoire d'une femme sous emprise. Petit à petit, nous allons plonger dans l'intime de Bénédicte. Par son récit à elle, par ses rencontres, par le point de vue de l'auteur et puis lorsque l'on pense tout savoir, tout connaître, lorsque l'on pense pouvoir sortir du récit avec un avis bien précis, nous basculons dans l'atroce avec le récit d'une proche de Bénédicte.



Quel travail colossal !

Nous pourrions nous dire que des ouvrages sur des femmes manipulées, utilisées, violentées, on en a lu et relu. Mais des comme ça, jamais ! Et c'est bien pour cela que ce livre, je suis persuadée de m'en souvenir toute ma vie. Bien loin de moi l'idée d'avoir envie de le relire mais la construction du récit, la tension qui monte crescendo, les très faibles instants de répit de cette femme qui donne tout sans jamais rien recevoir de quiconque, la boule au ventre à la lecture de chaque situation, jamais je n'oublierais cette sensation.



Malgré la dureté des situations expliquées, l'auteur nous permet quelquefois d'entrevoir un peu de douceur, par des moments, des rêves, des rencontres. Avec le recul, il n'y avait pas de meilleur titre pour ce grand livre.



Bref, un livre qu'il faut lire pour son histoire, pour sa construction, pour sa plume. Un livre marquant, inoubliable.

Eric Reinhardt, j'ai hâte de vous lire à nouveau.
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L'Amour et les Forêts

Ayant projeté d'aller voir le film : "L'amour et les forêts" j'ai voulu d'abord lire le lire.

Première découverte de cet auteur!

Bénédicte Ombredane , professeur de lettres écrit à l'écrivain pour lui donner son avis sur un roman qui l'a bouleversé. Ils se rencontrent, sympathisent et correspondent.Dès lors l'auteur va nous raconter l'histoire de cette femme ainsi que leurs rencontres.

Bénédicte est sous l'emprise de son mari, un homme toxique, spécialiste de la violence psychologique et de la torture mentale. Un jour dans un sursaut de révolte, elle s'inscrit sur un site de rencontre et passe la journée avec un homme, Christian. Cependant, cette rencontre qui aurait pu lui permettre de quitter son mari va au contraire cristalliser leurs relations toxiques et sa culpabilité renforcer son attachement...

J'ai lu d'autres livres sur l'emprise mais j'ai bien aimé l'angle d'approche de ce roman, l'auteur nous montre comment la vie de cette lectrice l'a touché et l'a interrogé sur les interactions possibles entres lecteurs et écrivains.

Bénédicte lui a confié les pages se son histoire qu'elle a écrites pendant un séjour en maison de repos. Son expérience avec cette homme a été terrible, identique à un lavage de cerveau. Toutefois elle ne le juge pas, nous voyons que la manipulation a bien fonctionné puisqu'elle se sent responsable du comportement de son mari.Seule la lecture et le souvenir de sa journée de rencontre lui permet de s'évader mentalement.

Ne voulant pas divulgâcher la fin, je rajouterai juste que le témoignage de la sœur de Bénédicte ajoute un éclairage très intéressant sur la vie de cette femme.

J'ai bien aimé également le style de l'auteur avec de belles métaphores et des passages oniriques.
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Le système Victoria

Eric REINHARDT. Le système Victoria.



David Kolski, architecte, achète une très grande peluche pour offrir à sa fille : elle fête son anniversaire ce soir. Mais David croise une jeune femme, Victoria de Vinter, dans la galerie marchande  : il oublie la soirée promise à son épouse et à leur s filles. Cette femme l’attire, par sa beauté, son allure, sa démarche. Son sang ne fait qu’un tour, il aborde cette personne et ensemble ils vont s’asseoir dans un bar. C'est le début d'une liaison destructrice. Ces deux êtres vont vivre une grande passion, non une passion amoureuse mais une frénésie sexuelle.



Victoria est une responsable DRH dans une société multinationale, internationale qui n’hésite pas à licencier des employés, à scier des branches de ses succursales, à fermer des fonderies qu’elle juge inutiles car peu productives. David va tromper son épouse, c’est assez fréquent mais cette relation va se poursuivre dans le temps. Jusqu’à présent c’était une relation d’un soir ou d’une nuit. Mais il est tombé sous le charme de Victoria. Pour parvenir à satisfaire ses fantasmes sexuels, cette dernière va lui mentir en lui proposant la réhabilitation du siège de sa société à Londres. Elle semble avoir trouver le partenaire idéal. Elle est une grande amoureuse, plaquant un amant afin d'en accueillir un autre le jour même. Pas de temps mort. Elle est l'épouse d'un violoniste et a deux filles de cette union. Qu'importe, son plaisir est sa priorité !



Nos deux amants vont aller d’escalade en escalade pour se satisfaire sexuellement. Ils fréquentent des cinémas offrant des films érotiques et n’hésitent pas à se dévêtir dans la salle et à faire l’amour. La présence de public les excitent fortement. Ils envisagent de pratiquer l’échangisme, de copuler avec d’autres partenaires. Exhibitionniste, triolisme, tout les attire : il n’y a plus de limites à leurs séances érotiques. Pris au piège, David, au dernier moment, refusera de suivre sa compagne et les deux partenaires sur lesquels la jeune femme a jeté son dévolu. C’est la catastrophe : le corps de Victoria sera découvert dans un forêt près de Paris. Arrêté, David ignore cette mort. C’est la douche froide, il pense être inculpé pour des pots de vin reçus pour son travail. Le commissaire Christophe Keller va lui révéler la cause de son arrestation à son domicile. David va tout perdre et va se réfugier dans un petit hôtel en Creuse !



Le récit de Eric REINHARDT, nous plonge dans la psychologie d’un couple déviationniste, en quête de fruits défendus. Oui, il s’agit de personnes consentantes. Mais il y a une frontière qui fait que David hésite et, sans doute par lâcheté ne franchit pas. Le décor est bien planté et les personnages bien décrits avec toutes leurs turpitudes. Les psychologies de l'une, volontaire et de l'autre, plus timoré, sont bien exprimées C’est la triste fin d’une liaison, de vies de famille détruites. Comment une personne ou plus exactement deux personnes peuvent-elles sombrer dans un tel vertige. Pris au piège de leurs amour, de leurs pratiques sexuelles débridées, ils foncent et n’ouvrent que les yeux trop tardivement. Pourquoi David n’a-t-il pas suivi Victoria ? Nous avons deux victimes de leur passions destructrices au premier plan. Mais au second plan, combien de vies brisées derrière cette tragédie ? Deux familles, pourront-elles faire leur deuil?

( 10/09/2022).
Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Comédies françaises

Attention : ce roman contribue à une regrettable désinformation !



À l'occasion d'aventures de Dimitri, jeune reporter à l'AFP, l'auteur reprend à son compte toute une légende : (1) Louis Pouzin aurait été "l'inventeur du datagramme" ; (2) cela aurait fait de lui "l'inventeur ... d'Internet" ; (3) il aurait été "brusquement interrompu dans ses recherches ... en 1974", par Giscard d'Estaing influencé par le puissant lobbyiste Ambroise Roux ; (5) le réseau Transpac, support notamment du Minitel, et le standard X.25 auraient été conçus par des non-informaticiens.



Ayant été personnellement un acteur des réseaux du début des années 1970 jusqu'à 2010, et ayant eu à cette occasion des échanges variés avec Louis Pouzin, et avec les principaux acteurs américains d'Internet, je peux affirmer que tout ceci est historiquement faux.



(1) Louis Pouzin n'a pas été "l'inventeur du datagramme". Il n'a inventé ni le nom ni la chose car il a simplement été le premier à tester, sur son réseau Cyclades, un modèle de réseau qu'avait imaginé et décrit le britannique Donal Davies plusieurs années auparavant. (Ce modèle est d'ailleurs gravement caricaturé dans le roman d'Éric Reinhardt qui en présente l'objectif comme "améliorer le comportement des systèmes téléphoniques", ce qui est rigoureusement faux !)



(2) Louis Pouzin a encore moins été "l'inventeur d'Internet". Inventer Internet a certes nécessité de mettre en place un réseau de transmission, mais cela a surtout été d'inventer les applications qui ont justifié son utilisation. Son succès a d'abord résulté de celui de sa messagerie électronique (protocole SMTP standardisé à partir de 1982), puis il a été celui de la navigation Web qui permet par simples clics de passer d'une page multimédia à une autre, situées n'importe où dans le monde (protocole HTTP standardisé à partir de 1997). Ces applications communiquent à travers le réseau au moyen de "circuits virtuels". Elles ont utilisé les circuits virtuels de TCP/IP, à base de datagrammes, mais, techniquement parlant, elles auraient pu tout aussi bien utiliser les circuits de l'X.25 du CCITT où les ordinateurs n'avaient pas à gérer eux-mêmes des datagrammes. C'est pour des raisons historiques complexes, qu'il serait déplacé de commenter ici, que la messagerie puis le Web ont entrainé le succès TCP/IP.



(3) Les recherches de Louis Pouzin n'ont pas été "brusquement interrompues par les pouvoirs publics en 1974". En tant que "projet pilote" de l'lRIA, le projet expérimental Cyclades avait au départ une durée de 3 ans. Commencé en 1972, il n'a été terminé qu'en 1978. En 1974, son financement a été seulement transféré de la Délégation générale à l'Informatique à la Direction des Industries électroniques et à l'Informatique nouvellement créée (la DIELI). de même, la mise à disposition gratuite par les PTT des lignes de transmission du réseau (une part significative des dépenses du projet) a été maintenue jusqu'en 1978. Quant à Giscard d'Estaing et Ambroise Roux, autant ils ont bien, comme l'indique le roman, mis fin au grand projet Unidata d'informatique européenne en 1974-1975, autant ils n'avaient aucune raison de s'en prendre au passage à un projet pilote en cours à l'IRIA. En en tout cas ils ne l'ont pas fait. Ce n'est qu'en octobre 1977, plus d'un an avant la fermeture de Cyclades, que Louis Pouzin a reçu la lettre du président de l'IRIA citée dans le roman. Celle-ci, loin de lui donner "l'ordre de ne plus s'occuper de réseau" comme l'affirme le roman, se limitait à lui demander de "respecter la règle du jeu" que lui avaient fixée l'IRIA et la DIELI.



(4) le réseau Transpac, support du Minitel, et le standard X.25, n'ont nullement été conçus par des non-informaticiens. le roman fait dire au Délégué général à l'Informatique que, "les télécoms ne voient pas l'intérêt de Cyclades pour la seule et unique raison que c'est une invention d'informaticiens". Louis Pouzin a en effet réussi, à cette époque et plus tard, à faire croire que les concepteurs de Transpac, et du standard X.25, n'étaient pas informaticiens. Grâce à cela, il a pu, sans argumenter sur le fond, répandre l'idée que les ingénieurs du CNET n'avaient pas compris les besoins réels de l'informatique. Or c'est à moi que les télécom ont confié la responsabilité de spécifier les protocoles de Transpac. Avec une équipe d'informaticiens chevronnés du CNET, n'avons jamais reçu aucune pression venant de non-informaticiens pour orienter nos choix. Si Louis Pouzin pouvait à juste titre se dire informaticien (il avait notamment travaillé au MIT en 1963-1964 où il avait obtenu un master), je l'étais tout autant (j'avais notamment travaillé à Berkeley en 1967-1969 où j'avais obtenu moi aussi un master, et même un doctorat). Nous faire passer pour non-informaticiens est tout simplement une insidieuse contre-vérité.



En conclusion, indépendamment des aventures personnelles de Dimitri et de ses autres enquêtes, que chacun peut librement apprécier ou non, attention aux fake news distillées dans cet ouvrage.



Rémi Després

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Comédies françaises

Franchement chapeau ! Après avoir découvert L'amour et les forêts, je n'ai pu que tout lire d'Eric Reinhardt, et ce dernier roman original et complexe est une grande réussite. Les dérives sexuels du personnage principal et les diverses explications sociologique évoquent un peu les romans de Michel Houellebecq. La richesse des thèmes, l'ésotérisme, le surréalisme, l'économie giscardienne m'ont conduit à faire des recherches et après avoir terminé Comédies françaises… J'en ai repris les premières pages.
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Comédies françaises

Les éditions Gallimard et Masse critique m’ayant gracieusement fait parvenir ce livre, je ne pouvais faire moins, par correction, que de le lire intégralement même si vingt fois j’ai eu la très forte tentation d’arrêter.

Le futur lecteur doit savoir que le sujet annoncé en quatrième de couverture ne concerne que quelques dizaines de pages dans la dernière moitié de l’ouvrage. Et encore ces pages sont en permanence entrecoupées d’incidentes n’ayant rien à voir avec "l’inventeur français de l’internet" (par exemple plusieurs pages sur l’acquisition d’un produit anti-cafards au beau milieu de l’explication ardue du "datagramme") à tel point qu’elles en deviennent presque incompréhensibles, même pour l’ingénieur que je suis. "L’enquête" se résume vite à une attaque en règle d’Ambroise Roux le grand patron et lobbyiste français des années 1970-80. A travers lui, le narrateur crache sa haine boboïste de la droite, des grands bourgeois, des patrons, de la noblesse, des éditorialistes à particule, des provinciaux, des catholiques, etc… ("… comme l’on est en province quand on appartient à la bourgeoisie catholique conservatrice voire réactionnaire.") les rendant responsables de tous les malheurs, passés, présents et futurs, de la France et prouvant sa méconnaissance de la France de province.

En dehors de ces quelques dizaines de pages, l’auteur par l’intermédiaire du narrateur Dimitri (bobo parisien, bisexuel forcément bisexuel, surdiplômé, surpayé par rapport au travail qu’il dit effectuer, prosélyte des doxas écolos, d’extrême-gauche voire d’ultra-gauche, vivant avec dans une totale inadéquation et incompatibilité entre ses idées et son mode de vie) juxtapose des "comédies" n’ayant aucun lien entre elles, fait des références plus ou moins discrètes à ses précédents ouvrages, nous entraîne dans d‘interminables digressions : sur le début carrière des néo-diplômés Bac +10 ; sur les surréalistes européens, dont Max Ernst, exilés à New-York en 1942 et à leurs influences sur la création de l’école américaine, ressemblant à un trop long (46 pages !) cours magistral - ladite école américaine étant utilisée par la CIA dans le cadre de la guerre idéologique avec l’URSS ; etc...

Dimitri, dont rien ne nous est épargné de la vie sexuelle vécue ou virtuelle, s’emploie à démontrer que la globalisation consumériste, dont il jouit sans vergogne, et les réseaux sociaux, dont il use et abuse, sont responsables de tous les maux du monde, depuis l’épilation pubienne des femmes jusqu’aux délocalisations en passant par le saccage des centres villes historiques transformés en vitrines consuméristes indifférenciées, et j’en passe.

Si le contenu est totalement raté (selon ma grille de lecture ou alors l’auteur s’est volontairement livré à une caricature de son œuvre), le travail de recherche sur "l’inventeur français de l’internet" est perceptible même si le résultat en est présenté de façon tendancieuse. L’écriture est par moments très belle bien que souvent inutilement verbeuse et abusant des figures de styles surannées (anaphores, accumulations, répétitions…) qui alourdissent le propos.

Éric Reinhardt dont j’avais beaucoup aimé "L’amour et les forêts", beaucoup moins "La chambre des époux" n’en finit pas de me décevoir.



Je pense néanmoins qu’au vu des thèmes à la mode développés dans ce roman, il sera sélectionné dans de nombreuses listes de prix littéraires de cet automne.
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Comédies françaises

L’art brillant du « loupé »

ou

Les errances de Dimitri





En France, ne serait-on pas spécialement doués pour « passer à côté » des choses les plus importantes ? Comédies françaises, le nouveau roman magistral d’Eric Reinhardt, porte sur ce moment crucial où tout semble basculer du mauvais côté, parce qu’à un moment, on fait un mauvais choix, aussi bien sur le plan politique, esthétique, que sur le plan sentimental.



Laissez-vous happer par l’épaisseur romanesque de ce roman, vous plongerez dedans, il y a bien UNE histoire, celle du héros, Dimitri, 27 ans, mais tellement d’autres aussi, liées entre elles. Dimitri, c’est une sorte d’obsédé du coup de foudre et de la rencontre amoureuse, et cette quête est un moteur qui fait avaler les pages au lecteur ; on lit aussi pour suivre ce fil, de façon naturelle, et en même temps on a peur des clichés : on se dit « oh non, il ne va pas nous faire le coup de la rencontre fatale, à la André Breton, dès le premier chapitre à Madrid avec ce personnage dans lequel même Beigbeder se reconnaît, qui va dans un restau branché… »: et pan, non, sur le bec ! Les choses ne se passent pas comme il le veut : une sorte de mécanique déceptive se met en route, qui tient le lecteur en haleine et qui n’entame pas pourtant pas l’espoir dans la quête amoureuse du héros - comme nous tous, Dimitri a ses attentes magiques par rapport à la réalité, on a besoin de rêver sa vie, de la rendre romanesque, quand bien même elle nous déçoit. Nous avons beau nous dire que nous faisons des choix conscients, que le hasard existe, mais si nous croyons rencontrer plusieurs fois la même personne, voilà que malgré toute notre rationalité, nous y voyons un signe ! Ce livre porte aussi sur ce besoin de magie et d’irrationnel, essentiel, qui peut aller jusqu’à des formes de ridicule, mais est-ce si ridicule ? – ( et on retrouve d’une certaine manière ce besoin d’irrationnel dans la vie d’Ambroise Roux, ce patron des télécommunications sur lequel enquête Dimitri aussi.)



Car Dimitri est un jeune journaliste qui veut écrire un livre, et c’est ainsi qu’il enquête sur Louis Pouzin, un inventeur d’Internet français bien réel, encore vivant, et complètement ignoré de l’histoire française, parce que Giscard, influencé par le très influent PDG Ambroise Roux, a préféré miser sur le Minitel. On espère que ce livre réparera cette grande injustice ! J’ai aimé la générosité de ce livre, et ce qui me plaît, c’est son aspect hétéroclite (le roman, en général, c’est sa nature, pour moi), sa grande liberté affirmée (et oui, avec le mot « bite » plein de fois, pourquoi pas), qui intègre l’onirisme, l’ambition de raconter aussi le monde actuel, l’histoire d’internet, avec son aspect documentaire intégré (et tellement moins rasoir que Bellanger), les références aux surréalistes et donc le côté manifeste esthétique aussi (whaouh la litanie des créateurs de spectacles). Et j’ai tellement ri avec la sexualité de Peggy Guggenheim, ou l’anti-cafards chez Maurice ou les lettres à Giscard… Le portrait d'Ambroise Roux, la satire de sa biographie officielle sont d'une férocité brillante ! C’est un livre à surprises, ce qui permet de ne jamais s’ennuyer. On aimerait que d’autres hommes se mettent à faire l’éloge de la pilosité des femmes, par exemple ! Quant au dénouement, il pourrait inscrire le roman dans la littérature fantastique.



Pour autant ce roman disparate est en profondeur très cohérent, parce que tout semble lié. J’ai d’ailleurs trouvé des correspondances subtiles entre cette histoire de communication par paquets de données dans Internet, qui choisissent leur direction pour arriver à leur but, et l’errance du personnage, par exemple dans Bordeaux : il s’agit en quelque sorte de la même histoire de choix libres de chemins, qui semble errante et arrive à sa destination. Il y a beaucoup de choses qui s’emboitent ainsi savamment, comme aussi l’histoire des tables tournantes, et de l’espèce de charlatan à la fin.

Encore une fois le livre fait système avec les autres romans d’Eric Reinhardt, on y retrouve par exemple le motif de la cantatrice, l’épisode onirique de l’appartement avec les femmes me fait beaucoup penser à une mini-histoire intégrée (dans quel roman déjà ? Cendrillon ?) avec une inconnue nocturne, une nuit passée chez elle, dans un grand appartement sombre, où il y avait un piano. Le personnage du père -je l’ai vraiment beaucoup aimé- avec son avion qui est comme un rêve d’envol pour se venger des humiliations de sa vie professionnelle, fait écho au père du Moral des ménages et en même temps il fait un peu penser au brocanteur de L’Amour et les forêts. On va retrouver également des principes fondamentaux pour le romancier autour de la rencontre amoureuse comme dans Cendrillon, l’importance des sensations, l’éloge de l’émerveillement.



Dimitri critique Ambroise Roux, sa misogynie, son art de la manipulation, mais en même temps, il éprouve une fascination très ambiguë pour lui, alors que dans ce roman, le vrai génie Louis Pouzin n’apparaît presque qu’en creux, comme s’il intéressait moins Dimitri -qui rate même sa première rencontre avec lui. Finalement, Dimitri lui-même ne se départit pas complètement de ce modèle de l’homme français séducteur intelligent et machiavélique qu’il critique si pertinemment, et je trouve aussi cette ambiguïté intéressante, il a d’ailleurs lui-même été lobbyiste, il est un peu superstitieux aussi finalement, et séducteur même s'il est féministe. Alors comment fait-on pour nous-mêmes nous arracher vraiment de ces modèles culturels nationaux qui nous imprègnent, alors même qu’on en est conscients ? Voilà ce que sont nos « comédies françaises ».

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