Citations de Erri De Luca (2946)
Solo andata
Quand nous serons deux nous serons veille et sommeil,
nous plongerons dans la même pulpe
comme la dent de lait et la deuxième après,
nous serons deux comme sont les eaux, les douces et les salées,
comme les cieux, du jour et de la nuit,
deux comme sont les pieds, les yeux, les reins,
comme les temps de la pulsation
les coups de la respiration.
Quand nous serons deux nous n'aurons pas de moitié
nous serons un deux que rien ne peut diviser.
Certaines personnes savent, le jour d’avant, qu’elles ont rendez-vous avec lui. Et, malgré cette intuition, elles ne seront pas prêtes. Le bonheur est toujours une embuscade. On est pris par surprise. Le jour d’avant est donc le meilleur…
Ce n’est pas le jour qui vient, c’est la nuit qui se retire.
Celui qui ne rit pas ne peut imaginer le monde.
Je ne suis pas familier de l'âme,
mais de sa doublure, l'ombre, si.
Elle tourne autour de moi,
me tient compagnie,
me confirme que j' existe.
Il y a des erreurs qui contiennent une autre vérité.
Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n’arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l’absence. Elle sont sages.
"J'écris pour donner la parole à ceux qui ne l'ont pas"
Lire Mai 2015
Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre, et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches. Le moteur qui pousse la lymphe vers le haut dans les arbres, c'est la beauté, car seule la beauté dans la nature s'oppose à la gravité. Sans beauté l'arbre ne veut pas. C'est pourquoi je m'arrête à un endroit du champ et je lui demande : « ici tu veux ? » Je n'attends pas de réponse, de signe dans la main qui tient son tronc, mais j'aime dire un mot à l'arbre. Lui sent les bords, les horizons et cherche l'endroit exact pour pousser. Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur les soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
Il y a des humilités qui grandissent un homme.
PRIÈRE LAÏQUE
Notre mer qui n’es pas aux cieux
et qui de ton sel embrasses
les limites de ton île et du monde,
que ton sel soit béni
que ton fond soit béni
accueille les embarcations bondées
sans route sur tes vagues,
les pêcheurs sortis de la nuit,
et leurs filets parmi les créatures,
qui retournent au matin avec leur pêche
de naufragés sauvés.
Notre mer qui n’es pas aux cieux,
à l’aube tu es couleur de blé
au crépuscule du raisin des vendanges
nous t’avons semée de noyés plus que
n’importe quel âge des tempêtes.
Notre mer qui n’es pas aux cieux,
tu es plus juste que la terre ferme
même à soulever des murs de vagues
que tu abats en tapis.
Garde les vies, les visites tombées
comme des feuilles sur une allée,
sois leur un automne,
une caresse, des bras, un baiser sur le front,
de père et mère avant de partir.
Traduit de l’italien par Olivier Favier. Poème récité par Erri de Luca, sur une chaîne de télévision italienne, au lendemain du naufrage du le 19 avril 2015, qui a fait entre 800 et 900 morts.
Je lis seulement des livres d'occasion.
Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d'un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis.
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat. Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.
Ainsi, à midi, au bistrot, je m'assieds sur la même chaise, je demande de la soupe et du vin et je lis.
(incipit)
Je prends le livre ouvert à la pliure, je me remets à son rythme, à la respiration d'un autre qui raconte. Si moi aussi je suis un autre, c'est parce que les livres, plus que les années et les voyages, changent les hommes.
p. 118
Maria m'embrasse, sa tête s'appuie contre ma gorge, nous parlons en soufflant les mots, elle dit : " tu grandis tous les jours et moi je m'accroche à toi pour grandir aussi vite que toi"...
(...) il existe des livres qui font ressentir un amour plus intense que celui qu'on a connu, un courage plus grand que celui dont on a fait preuve. C'est l'effet que doit produire l'art: il dépasse l'expérience personnelle, il fait atteindre des limites inconnues aux corps, aux nerfs, au sang. (p. 43-44)
L’écriture est un acte de résurrection de lieux et de personnes du passé
pour les arracher de cette absence.
(aux Littératures Européennes Cognac, 22/11/14)
C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait craquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieur donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête.
Je suis un rédacteur des histoires que la vie m’a offert.
(aux Littératures Européennes Cognac, 22/11/14)
Mes phrases ne sont pas plus longues que le souffle qu'il faut pour les dire.
(aux Littératures Européennes Cognac, 22/11/14)
Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu’elles restent à plat.
Les livres d’occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.