Citations de Gabriel Garcia Marquez (1316)
Certains soirs de pluie, on le vit rôder autour de la maison, muni d’un parapluie de soie, essayant de surprendre un peu de lumière dans la chambre d’Amaranta.
Alors il lui raconta tout , sentant qu'il se débarrassait du poids du monde, car il était convaincu qu'elle savait et qu'il ne lui manquait que les détails. C'était faux, bien sûr, de sorte qu'à mesure qu'il parlait elle se mit à pleurer, non de timides sanglots comme la première fois mais de grosses larmes qui avaient un goût de sel et glissaient une à une sur son visage, la brûlaient à travers sa chemise et mettait le feu à sa vie, car il n'avait pas fait ce qu'aux tréfonds de son âme elle attendait qu'il fît, à avoir qu'il nia tout jusqu'à la mort, qu'il s'indigna de cette calomnie, qu'il envoya se faire foutre cette société de merde qui n'avait pas le moindre scrupule à piétiner l'honneur d'autrui, et qu'imperturbable il tint bon même devant les preuves les plus irréfutables de son infidélité: comme un homme.
Alors, tous deux continuèrent de le poignarder contre la porte, facilement, en alternant les coups, avec la sensation de flotter sur ce méandre éblouissant qu'ils découvrirent de l'autre côté de la peur.
Ces craintes paraissaient naturelles car il n'existe pas d'affront public plus humiliant pour une femme que d'être abandonnée en robe de mariée. En revanche, le fait qu'Angela Vicario ait osé porter, sans être vierge, le voile blanc et les fleurs d'oranger devait être interprété ensuite comme une profanation de ces symboles de pureté.
Le premier de la lignée est lié à un arbre et les fourmis sont en train de se repaître du dernier.
Ce fatalisme encyclopédique fut à l'origine d'une grande amitié.
Mon héroïsme a consisté à ne pas me laisser mourir.
L'idée qu'au lieu de me rapprocher de la côte je m'étais éloigné en mer durant sept jours ruina ma volonté de poursuivre la lutte. Pourtant, l'homme qui se sent au bord de la mort voit se raffermir son instinct de conservation.
Je trouvais toujours une raison de survivre, un motif, même insignifiant, auquel me raccrocher pour continuer d'attendre et d'espérer.
Quand Fernanda prit conscience qu'elle était une veuve dont le mari n'était pas encore mort, il était déjà trop tard pour revenir à l'ancien état des choses.
Dès cette époque, le curé manifestait les premiers symptômes de ce délire sénile qui l'amena, des années plus tard, à dire que le diable était probablement sorti victorieux de sa rébellion contre Dieu, et que c'était lui qui se trouvait assis sur le trône céleste, mais sans révéler sa véritable identité pour attraper les innocents.
Il était allé chez les morts, en effet, mais s'en était retourné parce qu'il ne pouvait supporter la solitude. Banni de sa tribu, dépouillé de tout pouvoir surnaturel en châtiment de sa fidélité à la vie, il résolut de se réfugier dans ce coin perdu de la terre que la mort n'avait pas encore découvert, pour se consacrer à la mise en place et au fonctionnement d'un laboratoire de daguerréotypie.
Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace.
Cet être prodigieux, qui disait détenir les clefs de Nostradamus, était un personnage lugubre, tout enveloppé de tristesse, avec un regard asiatique qui paraissait deviner la face cachée de toute chose. Il portait un grand chapeau noir pareil aux ailes déployées d'un corbeau, et un gilet de velours tout patiné par le vert-de-gris des siècles. Mais malgré son immense savoir et le mystère qui l'entourait, il supportait le poids de l'humaine et terrestre condition qui le faisait s'empêtrer dans les minuscules problèmes de la vie quotidienne.
« Les hommes ne sont que les pauvres esclaves des préjugés, lui avait-il dit un jour. En revanche, lorsqu’une femme décide de coucher avec un homme, il n’est pas de barrière qu’elle ne franchisse, de forteresse qu’elle ne démolisse, de considération morale sur laquelle elle ne soit prête à s’asseoir : Dieu lui-même n’existe plus. »
Un jour, il lui avait dit une chose qu’elle ne pouvait concevoir : les amputés ressentent des crampes, des fourmillements à la jambe qu’ils n’ont plus et qui leur fait mal. Ainsi se sentait-elle sans lui et le sentait-elle là où il n’était plus
Elle se cramponna à son époux. Mais ce fut au moment où il avait le plus besoin d’elle parce que, seul et à tâtons, il la précédait de dix ans sur le chemin brumeux de la vieillesse, avec le désavantage d’être un homme et d’être faible. Ils finirent par tant se connaître qu’avant trente ans de mariage ils étaient comme un seul être divisé en deux, et se sentaient gênés de la fréquence avec laquelle, sans le vouloir, l’un devinait la pensée de l’autre, ou de leur situation ridicule lorsque l’un anticipait en public ce que l’autre allait dire. Ensemble ils avaient dépassé les incompréhensions quotidiennes, les haines instantanées, les mesquineries réciproques et les fabuleux éclairs de gloire de la complicité conjugale. Ce fut l’époque où ils s’aimèrent le mieux, sans hâte et sans excès, et tous deux furent plus conscients et plus reconnaissants que jamais de leurs invraisemblables victoires sur l’adversité. La vie devait leur réserver d’autres épreuves mortelles mais peu leur importait : ils étaient sur l’autre rive.
Fermina Daza ne put retenir un soupir de soulagement lorsque lui parvint la nouvelle de sa mort et ne porta pas deuil afin d’éviter les questions, mais pendant plusieurs is elle s’enferma dans la salle de bains pour pleurer d’une rage sourde dont elle ignorait la raison, alors qu’en réalité c’était lui qu’elle pleurait
« Le problème du mariage c’est qu’il meurt toutes les nuits après l’amour et qu’il faut le reconstruire tous les matins avant le petit déjeuner. »
Bien différente eût été leur vie s’ils avaient su à temps qu’il est plus facile de contourner les grandes catastrophes conjugales que les minuscules misères de tous les jours. Mais s’ils avaient ensemble appris une chose, c’était que la sagesse vient à nous lorsqu’elle ne sert plus à rien.