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Critiques de Gustave Flaubert (1589)
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Bouvard et Pécuchet

Flaubert, c'est nous. Et moi c'est ma millième critique.

Hasard? Voies impénétrables de la littérature ? Densité de probabilité égale à un sur l’intervalle de ma présence sur Babelio ?

Quoi qu'il en soit, je ne vais bien sûr pas analyser le duo scientifiquement comique constitué de messieurs Bouvard et Pécuchet, de savants littérateurs l'ont fait avant moi, et bien mieux sans aucun doute.

Je vais juste faire part du plaisir qu'il peut y avoir à lire Gustave Flaubert, même lorsqu'il s'agit d'une œuvre inachevée (je me suis arrêté au dernier signe de l'auteur).

Et ajouter qu'au fil de ma lecture, j'ai éprouvé de l'empathie pour ces deux bougres touche-à-tout de la science. Alors que je me suis pris à les moquer en début d'ouvrage, ma perception de leurs mésaventures largement rocambolesques a lentement évolué. Leurs échecs successifs, les avanies auxquelles ils se prêtent malgré eux me les ont rendus presque sympathiques à mesure que l'univers, les croyances, les personnages autour d'eux m'apparaissaient plus médiocres, plus méprisables.

Dans leur quête brouillonne et empirique de connaissance, ils touchent quelque chose de profondément enfoui en nous, que la littérature est capable de faire vibrer comme un chant venu du fond des âges témoignant de notre apprentissage du monde.

Merci monsieur Flaubert.



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Salammbô

Et si le plus grand roman de fantasy était l'oeuvre de Gustave Flaubert ?! J'entends déjà les objections des uns et des autres, ceux qui tiennent absolument à enfermer les grands auteurs dans le giron de la littérature blanche parce qu'un roman de genre de saurait faire preuve de génie, ceux-là argueraient que « Salammbo » n'est pas de la fantasy mais un roman historique. De l'autre côté, les intégristes des littératures de l'imaginaire refuseraient de voir en « Salammbo » une oeuvre de fantasy, au motif qu'il n'y aurait pas véritablement d'élément surnaturel dans le roman. Les seconds ont sans doute des arguments plus valables que les premiers mais leur donner raison serait, selon moi, faire preuve d'un esprit obtus. Certains romans unanimement reconnus comme étant de la fantasy comportent finalement peu de surnaturel. Et puis, ne pourrait-on pas considérer que c'est par autre chose que le roman de Flaubert relèverait de l'imaginaire ? Franchement, « Salammbo » est-il vraiment seulement un roman historique ? Certes, cet aspect semble documenté, l'auteur a fait des recherches mais la tonalité du récit l'emmène bien plus loin. Il y a dans « Salammbo » une telle exagération, une telle outrance que le récit semble se dérouler en des lieux et des temps où tout est possible. Je suis persuadée que nombre d'auteurs qui oeuvrent dans la fantasy ont été marqués au fer rouge par leur lecture du roman de Flaubert. De toute façon, au diable les étiquettes, tout cela importe peu en comparaison de l'impression laissée sur les lecteurs. Et l'impression que m'a faite « Salammbo » est énorme, je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit là du plus grand roman français jamais écrit.



« Salammbo » est vraiment un roman de la démesure. Tout y est amplifié, décuplé, tout est grand, tout est spectaculaire, j'en ai pris plein la figure. Comment résumer « Salammbo » en quelques mots ? La guerre. L'amour. Voilà, ce qui me vient pour qualifier cette fresque extraordinaire relatant l'épisode de la Guerre des Mercenaires qui fait suite à la première guerre punique. Si les combats occupent plus de pages que les sentiments, leur importance est égale, la passion amoureuse de Matho envers Salammbo nourrissant son bellicisme. Dans le roman de Flaubert tout est d'une violence inouïe, l'amour y est aussi intense et destructeur que les combats les plus acharnés. Et acharnés, les combats le sont assurément. A-t-on jamais écrit roman plus épique que « Salammbo » ? Les batailles dépeintes par Flaubert sont dantesques ; des dizaines de milliers d'hommes assiégeant des cités merveilleusement monumentales, des éléphants caparaçonnés, des stratégies militaires, des retournements de situation, des pluies de sang… Comme je l'ai dit, l'amour a beau occuper moins de place en terme de quantité il est néanmoins central. Flaubert ne nous conte pas un amour tendre et épanouissant, la passion qui lie Matho et Salammbo est furieuse, violemment sensuelle, d'une férocité qui la fait ressembler parfois à de la haine. L'évocation de cet amour fiévreux atteint son paroxysme dans la scène de la tente que j'ai trouvé, en étant toujours dans le non-dit, d'un érotisme bouillant.



Tout dans « Salammbo » emmène ailleurs. A-t-on jamais écrit roman plus dépaysant ? Les villes, les paysages, les temples, les dieux, les vêtements, les coiffures… tout est magistralement dépeint sans que jamais ces descriptions soient ennuyeuses. Cet enchantement et cet émerveillement ne viennent pas seulement de l'ampleur des événements racontés. L'écriture de Flaubert y est pour beaucoup. A-t-on jamais écrit plus beau roman ? En tout cas, moi, je crois n'avoir jamais été autant éblouie par l'écriture d'un auteur. Dès la toute première et si célèbre phrase du roman, j'étais extatique. « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar ». Ça n'a l'air de rien comme ça, cette phrase si simple, qui ne cherche pas à en mettre plein la vue, et pourtant dans cette phrase très épurée il y a tout le génie de Flaubert. Lisez-la, lisez-la bien pour ressentir toute sa beauté. le mieux est sans doute de la lire à voix haute pour en respirer la poésie. Ecoutez ces sons qui se marient si bien, la rondeur des M que vient bousculer le rythme des C… L'harmonie est si parfaite, si musicale… Et tout le roman est de la même eau. C'est splendide, ce texte est d'une beauté chavirante.



Vous l'aurez compris, « Salammbo » est un énorme coup de coeur. Ce que j'ai ressenti va même au-delà du coup de coeur. J'ai été subjuguée, époustouflée, envoûtée par ce sublime roman qui entre immédiatement dans mon petit panthéon personnel.

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Madame Bovary

Que les temps ont changé depuis que Emma fit scandale et voeux de lubricité dans cette France bien pensante ou la femme se conjugue à la potiche, reine mère de son domicile, astiquant son ennui d'une société à la gloire des hommes bien portés sur leur nombril qu'il distingue à peine sur une épaisse couche d'imbus bedonnant qui se nombrilise dans une société ou les couilles dictent les conventions entre deux nichons maternels qui leur rappelle au combien ils sont forts, et indispensables à la survie de notre espèce…



Ça fait un moment que j'ai lu ce bouquin, trop jeune certainement pour y trouver un quelconque intérêt pornographique laissant cours à mon adolescence corrompue par cette main entreprenante qui n'y trouvait qu'un ennui profond entre deux pages de sopalin…



Ah l'adultère, l'infidélité, ou euphorie orgasmique d'un cinq à sept drapé dans un hôtel romantique enivré d'une routine pépère, le cul affalé dans le canapé à se bercer d'illusions machistes, éduqué depuis tout petit à considérer pour acquis cette douce femme délicieuse qui partage votre ennui dans la joie et la maternité….



Mais messieurs les temps ont changé, la femme s'émancipe dans des draps de soie, elle aspire à mouiller pour son indépendance, celle réservée aux hommes depuis trop longtemps, héros de conquêtes asservies à leurs désirs les plus virils, mais elles aussi aimeraient pouvoir profiter, agenouillées subissant la vindicte masculine qui impose ses règles de bonne conduite sous couvert d'une légitimité imposée, larguant leur semence sur les valeurs fondamentales inventées :



« Papa ce héros, maman cette salope… »



Drôle d'idée que de croire à l'unique et précieux ennui qui viendra un jour l'autre pompé votre quotidien, à cette compagne qui vous faisait tant bander avant que la fée routine ne transforme le prince et la princesse en deuxième roues du Carrosse… aujourd'hui les femmes veulent participer à l'orgie lubrique, croquer dans la pomme un soir de désir, de fantasme, cédant à la luxure, abandonnant homme et enfant pour les plaisirs de la chaire défendue, réservée honteusement à l'élite masculine qui se pavane de milles aventures levretantes…



Mon père était un macho, bien qu'il ne soit pas mort, il n'est plus que l'ombre de lui-même m'imposant à juste titre l'emploi de l'imparfait, pourtant j'ai toujours considéré la femme à sa juste valeur, à l'égal des hommes, je ne comprendrais jamais cet acharnement d'enculé de sa race dont elles ne sont que les victimes d'une force physique plus avantageuse…



L'infidélité et entrée dans les codes de bonne conduite, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, ne serait-ce que pour tromper l'ennui d'une vie monotone, pour se flatter l'égo, pour s'astiquer l'orgueil, ou même par amour, ce qui fit scandale à l'époque est rentré dans les moeurs de notre société, parfois douloureuse, elle s'enivre de toutes nos illusions perdues, élevé dans la croyance égoïste que vous êtes l'élu de toute une vie, alors que la bite du voisin vous fait de la mouille, inutile de résister à l'appel des désirs interdits qui nous enfermeraient dans les regrets, ridé par las années qui passent à se damner la liberté pour une croyance populaire qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant…



Il reste du chemin à faire pour considérer cette grâce féminine aux courbes délicieuses comme ce bonheur sucré dont nous sommes les bourreaux et non les enfants apeurés qui tétaient encore hier l'essence de la vie…



A plus les copains

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L'éducation sentimentale

"L'Education sentimentale " de Gustave Flaubert, ce grand classique contient quelques scènes cultes comme la rencontre entre Frédéric et Marie Arnoux :

" Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux (1). En même temps qu'il passait, elle leva la tête, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle était en train de broder quelque chose.

Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière(2). Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire (3). Quel était son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre (4), toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession (5) physique même disparaissait sous une envie plus profonde.

Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! (6) Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa(7). Elle lui dit :

- Je vous remercie, monsieur. " (8)

1 : Avez-vous déjà été aveuglé de cette façon par un regard ? Dites dans quelle circonstance.

2 : La manoeuvre de Frédéric vous semble-t-elle discrète ?

3 : Avez-vous déjà vu des paniers à ouvrage extraordinaires ? Donnez des exemples.

4 : Aimez-vous les meubles que l'on trouve dans les chambres ? Lesquels préférez-vous ?

5 : possession, ce terme vous semble-t-il approprié, qu'en est-il du consentement de la femme ?

6 : Pourquoi ce point d'exclamation ? Précisez la pensée de l'auteur.

7 : Appréciez la dangerosité du bond de Frédéric.

8 : Quels sous-entendus égrillards y a-t-il dans la réponse de Marie ?

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Madame Bovary

Tatatata tatatata...(ouverture de la Vème symphonie de Beethoven, pour ceux qui n'auraient pas reconnu) Oyez, amis Babéliotes, étant à une place du classement argent de la critique, j'ai décidé de frapper un grand coup pour fêter ça : le morceau de bravoure de tout babéliote, la critique de Madame Bovary ! (Il y a aussi Orgueil et Préjugé, on verra plus tard...)

Bon, que dire sur Emma, qui a usé à elle seule toute l'encre disponible depuis sa publication ?

Je vous passe l'histoire.

Je l'ai lu au moins cinq fois. C'est une oeuvre de génie : elle change de sens à chaque fois qu'on la relit, elle s'enrichit , car elle dévoile peu à peu des secrets de l'existence qui ne sont accessibles qu'en vieillissant. Elle devient insoutenable, en tout cas pour moi, et c'est une vraie douleur à lire, la mort d'Emma, plus jamais, plus jamais ! Tous les thrillers sanglants à côté, c'est de la bouillie pour chaton. La mort d'Emma, elle fait mal physiquement et elle broie le coeur. Rien que d'y penser, j'ai mal. Ca , c'est de l'écriture, messieurs-dames.

On la fait lire aux lycéens. C'est idiot, mais c'est le programme : le réalisme...Mieux vaut faire lire du Zola et du Maupassant, à mon avis. Parce que Flaubert ne parle pas à tout le monde, il parle aux adultes. Il parle de la désillusion et de la mort de tous les rêves de la jeunesse : à quoi bon le révéler à nos enfants ? De toutes façons, ils ne nous écoutent pas, et ils n'écoutent pas Flaubert non plus, ils ne peuvent pas comprendre.

Flaubert nous met en garde contre les dangers de la lecture des romans...C'est très ironique. Emma, ivre de livre et de romantisme échevelé, attend son prince charmant. Elle tombe sur Charles Bovary. Adieu Roméo et Juliette. Non, elle s'obstine : Rodolphe, un brun ténébreux musclé au cou de taureau. C'est Heathcliff, c'est Rochester ! Emma se fait des films...Mais non, c'est juste un mec de tous les jours qui l'aime bien mais sans plus. Alors Léon, c'est Julien Sorel et elle, madame de Rênal...Non, non, juste un garçon de son siècle, très moyen. Donc lire, amis Babéliotes, nuit gravement à la santé ! On s'imagine des choses qui n'existent pas, du genre passion éternelle, courage, loyauté, mort glorieuse dans le poison, remords et rédemption, gouvernante moche aimée par un beau brun trapu, vent sur la lande et fantômes à la fenêtre...Heureusement, Gustave est là pour nous calmer avec un très grand seau d'eau glacée !!

Avec Emma, Flaubert réussit à construire un personnage en trois dimensions : ce qu'elle est ne correspond pas à ce qu'elle croit être. Elle tente de se conformer à ce que l'on attend d'elle : épouse, mère, mais elle n'y arrive pas. Flaubert annonce Foucauld : l'esprit humain est la construction d'un discours social, d'un dictat social. Mais elle ose dévier, écouter autre chose, et en cela elle est forte, il me semble, même si ce discours n'est toujours pas le sien, mais celui des romans. Elle ne se trouve pas, elle n'existe pas...Parce qu'on ne lui permet pas d'exister, on ne lui en n'a pas donné les moyens. La société patriarcale nie les femmes.

Alors elle se transforme en porte-manteaux, en pure apparence de femme, et entraîne dans sa chute autant de monde qu'elle peut. C'est son côté Erinye, Furie vengeresse.

On pourrait aussi beaucoup parler de Charles, de Homais etc...Mais ça deviendrait long...

Alors je vais finir par le cri de son père à sa mort :

" – Ma fille ! Emma ! mon enfant ! expliquez-moi... ?"

Ma fille, Emma, mon enfant...Non, c'est impossible, c'est trop dur, je ne le relirai plus.
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Madame Bovary

C'est un "vrai" chef d'oeuvre pour moi ! Un livre bouleversant, mais pas que.

C'est-à-dire que j'utilise " l'expression "grand oeuvre", employée pour désigner l'oeuvre de toute une vie, souvent la plus renommée, la plus marquante, d'un penseur, écrivain, artiste, ou compositeur."

Flaubert est là, à mon avis, au niveau De Balzac, Hugo ou Zola !

C'est une peinture réaliste d'une société villageoise du milieu du XIXè siècle.

Ce livre, non seulement analyse chirurgicalement nombre de personnages d'un village, Yonville, dans le pays de Bray, mais en outre, il nous engage à nous poser beaucoup de questions. Enfin, Gustave Flaubert parachève son oeuvre jusqu'au bout, jusqu'aux conséquences des actes des personnages.

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Emma Rouault est la fille d'un brave fermier normand. Celui-ci se blesse ; le docteur Charles Bovary vient le soigner. Il tombe sous le charme d'Emma ; les parents respectifs consentent au mariage.

Mais Emma veut plus que cette petite vie paisible de femme de médecin de campagne. le couple est invité au bal du marquis. Un vicomte l'invite à danser ; elle sent que c'est dans ce monde faste qu'elle veut vivre, et non cette vie de village plate, avec un mari trop falot...

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Psychologiquement, je ne dirai rien sur le caractère passionné, emporté d'Emma, ainsi que sur ses actes instinctifs : tout cela est admirablement et très finement analysé par l'auteur, qui, je pense, arrive à se mettre dans la peau et le coeur d'une femme.

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Sociologiquement, que peut-on dire, en 1857, de cette femme qui est obligée de se cacher pour aller voir ses amants, alors que Louis XIV se promenait avec ses maîtresses à la vue de tous dans les jardins de Versailles ?

Il y a d'abord cette inégalité des sexes qui fait qu'un coureur est un Dom Juan alors qu'une femme qui a le même comportement est une putain. D'où le procès de Flaubert, car la "bonne société" juge son livre immoral.

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La deuxième question que je me pose rejoint la première.

Quelle est la vie des demoiselles à l'époque ?

La vie des jeunes filles, depuis des siècles, est sans cesse régie par la tutelle, contrairement à celle des jeunes gens. Elles ne peuvent pas faire "leur vie de patachon" comme eux avant le mariage, et surtout avant de faire des enfants ... Sinon, je pense qu'Emma aurait peut être, au final, choisi un parti correspondant à son ambition, le vicomte ou Rodolphe, par exemple, ce qui ne l'aurait peut être pas empêchée de le tromper, mais au moins de ne pas entrer dans les problèmes financiers insolubles qu'elle a, avec les moyens modestes de Charles.

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Ensuite, je me pose la question éthico-philosophique du comportement du marchand Lheureux, qui porte bien son nom.

Peut-on, éthiquement, profiter de l'ignorance financière d'une cliente pour l'enfoncer dans des dettes insurmontables ?

Ethiquement non, mais plein de gens, de tous temps, ont fait, et font encore ce que j'appelle du "vol légal". Qui peut changer ça ? Personne. Car l'homme est humain, trop humain.

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Une autre observation est le parallèle entre Charles et Homais, le pharmacien du village. Au début, Homais se met "dans les petits papiers" de Charles qui est médecin, soit pour un pharmacien, un statut prestigieux dans un village ; d'autant plus qu'il a des secrets inavouables à cacher. Je ne vous dis pas la "bascule" progressive qui s'opère au profit du pharmacien ambitieux.

Cette bascule est-elle éthiquement juste ?

Non, pas pour moi.

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Sociologiquement, on peut, là encore, comparer, à l'époque, l'échec de l'ambition féminine d'Emma, et la réussite de celle d'Homais.

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Pour nous distraire, nous avons les accrochages permanents entre le pharmacien athée ou déiste et le curé : cela me rappelle Don Camillo aux prises avec le maire communiste du village.

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Personnellement, le personnage que je préfère dans ce roman est le pauvre Charles, car c'est un homme de coeur, ce qui est pour moi, la plus belle qualité : si Emma, baissant son orgueil, s'était aperçue de cela (elle l'a senti à la fin de l'histoire ), elle eut pu être heureuse, et non dans une perpétuelle quête :)

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Emma Bovary me fait penser à la Lady d'une chanson :



There's a lady who's sure all that glitters is gold,

And she's buying a stairway to heaven.

When she gets there she knows, if the stores are all closed ;

With a word she can get what she came for...

Ooh ooh and she's buying a stairway to heaven.

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Ce morceau, avec la force de John Bonham, la puissance de Robert Plant, la finesse de Jimmy Page, me donne les poils !
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Madame Bovary

Avant de lire ce roman, et même encore, en début de lecture, pendant des dizaines de pages, impossible pour moi de déterminer si je l’avais déjà lu. Et pour cause, j’en avais lu quantité d’extraits : l’enfance de Charles, celle d’Emma, quelques descriptions de paysages, l’épisode du pied bot, celui du comice agricole, un passage avec Homais, un autre avec Lheureux, … sans compter que j’avais vu l’adaptation cinématographique avec Isabelle Huppert dans le rôle d’Emma. Mais c’était bel et bien une première lecture ! Avec le regret de ne pas pouvoir avoir le plaisir d’une vraie découverte ! A défaut d’avoir un regard neuf sur l’histoire, j’ai découvert l’écriture, à la fois simple, fluide et incroyablement précise. Chaque détail sert le propos de l’auteur : les personnages secondaires sont inoubliables et leur psychologie a été traitée par Flaubert avec autant de soin que s’ils étaient au premier plan. A eux tous ils entourent Emma d’une médiocrité pleine de suffisance, ils paraissent aussi petits et mesquins qu’elle est ridicule avec ses rêves de romantisme échevelé. Tous, autour d’elle, à leur manière, rêvent de notoriété, d’une gloire de pacotille, sauf peut-être le père d’Emma. Ils cherchent tous à faire illusion alors qu’elle, elle ose se voir autre que ce à quoi on la destine à être, se sentir supérieure à tous ceux qui l’entourent. Je déteste le personnage d’Emma mais en même temps elle est à plaindre pour la solitude effroyable dans laquelle elle se retrouve.

Ce roman est facile à lire, mais en même temps sa lecture est complexe parce qu’il dénonce la toxicité des rêves de passions, de luxe et de bonheur parfait, et qu’en même temps il affiche la nécessité de vivre ses rêves. C’est ce qui est remarquable, il y a critique de l’éducation d’Emma, totalement inadaptée, mais, en même temps, toute la société en prend pour son grade. Les belles manières de l’aristocratie ne sont qu’un vernis ; la religion n’est qu’un cache-misère (c’est encore plus visible à la lecture du Procès : les pages plus marquantes qui ridiculisent la religion ne sont pas citées, c’est dire si ce qu’écrivait Flaubert devait correspondre au réel !) ; le mythe du progrès ne vaut rien (scène du comice agricole, état des connaissances médicales) ; et bien sûr quelle remise en cause de l’institution du mariage (le divorce était alors interdit), mais aussi de la vie conjugale et de la maternité. Bref, une sacrée critique d’une société étriquée, corsetée et qui plus est hypocrite et aveugle !
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Le dictionnaire des idées reçues - Catalogue de..

Flaubert recueille dans ce petit livre inachevé écrit à partir de 1850 et publié seulement à titre posthume en 1913 un certain nombre de poncifs. C’est souvent drôle. Le plus stupéfiant, c’est que cela n’a presque pas vieilli ! Un régal. Quelques exemples :

- ACADEMIE FRANCAISE : La dénigrer, mais tâcher d’en faire partie si on peut.

- ACHILLE : Ajouter « aux pieds légers » ; cela donne à croire qu’on a lu Homère.

- CONCESSIONS : N’en faire jamais. Elles ont perdu Louis XVI.

- CONCUPISCENCE : Mot de curé pour exprimer les désirs charnels.

- ECHAFAUD : S’arranger quand on y monte pour prononcer quelques mots éloquents avant de mourir.

- BIEN ECRIT : Mots de portier, pour désigner les romans-feuilletons qui les amusent. [Aujourd’hui sur Babelio, on dit « écriture fluide »…]

- ERECTION : Ne se dit qu’en parlant des monuments.

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Le Gueuloir - Perles de correspondance

Un petit trésor déniché en 2016...offrant les extraits les plus savoureux de la correspondance colossale de Gustave Flaubert, publié par un petit éditeur de qualité, le Castrol astral... avec le plaisir supplémentaire des dessins très caustiques de Daniel Maja...



Un florilège qui balaye avec brio tous les sujets : la bourgeoisie qu'il pourfend, l'hypocrisie et la superficialité du monde des Lettres, l'Art , la politique, les classes sociales, la bêtise, ....les nationalismes,l'Amour, les conventions sociales, les minorités, etc.



Jubilatoire et excessif... de quoi avoir envie de se plonger dans cette célébrissime correspondance réputée pour son intelligence et sa causticité !



...et sujets éminemment redondants et récurrents, qui reviennent en boucle : le difficile travail de l'écrivain, les souffrances de l'Ecriture !!



Observateur sans concessions de la "Comédie Humaine", polémiste virulent, rebelle, ainsi que boulimique d'art et de travail [d'écriture ]...mais aussi un "ours bourru " bienveillant, combattant tous les racismes, et intolérances :



"Je ne suis pas plus moderne, qu'ancien, pas plus français que Chinois, et l'idée de la patrie, c'est-à-dire l'obligation où l'on est de vivre sur un coin

de terre marqué en rouge ou en bleu sur la carte, et de détester les autres coins, en vert ou en noir, m'a paru toujours étroite, bornée, et d'une stupidité féroce. Je suis le frère en Dieu de tout ce qui vit, de la girafe et du

crocodile comme de l'homme, et le concitoyen de tout ce qui habite le grand hôtel garni de l'Univers. " (p. 27)



Tous les tons: de la truculence la plus vive au lyrisme, à la poésie mélancolique, en passant par le verbe haut et misanthropique [ le titre donné à ce petit ouvrage est fort bien choisi !!...]





Un florilège à emporter , et "à picorer" au fil des humeurs ! A savourer , partager et à offrir , sans réserve !



"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la -haine- des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. (...)

C'est la haine que l'on porte au bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète, et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. - A George Sand, vers le 15 juin 1867 "(p. 130)







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Madame Bovary

Madame Bovary, c'est ma petite madeleine à moi !

Là, je suis sûre que vous vous dites que j'ai bu et/ou fumé, que je mélange tout... je vous rassure tout de suite : oui, je sais que Madame Bovary n'est pas de Proust, mais bien de Flaubert.

Alors, pourquoi ce terme de "madeleine" ?

Parce que pour moi, Madame Bovary, c'est bien plus qu'un roman, c'est une année de ma vie.

Je l'ai étudié en classe de première avec un professeur passionnant. Des années plus tard, j'en garde encore un souvenir très fort et très précis.

J'en connais quelques phrases, qui m'avaient frappée à l'époque, par coeur.

La simple évocation du titre ou d'un personnage fait remonter en moi une kyrielle de souvenirs.

Tout récemment, j'ai voulu le relire. J'ai longtemps hésité, parce que je savais que l'exercice était périlleux et que je risquais une immense déception si ma relecture me décevais.

Mais l'envie a été plus forte et je me suis lancée.

Comme j'ai eu raison ! Ce fut un pur plaisir de bout en bout.

Ce qui m'a frappée dès le début, c'est le style : quelle écriture ! Chaque phrase est belle. Chaque passage se lit merveilleusement bien, c'est du grand art. Quel talent, et quel travail ! Chapeau bas, monsieur Flaubert !

Car une prose de cette qualité ne s'écrit pas toute seule. Et je pense, vu la fluidité de la lecture, à cette magnifique phrase de Chopin, qui s'applique merveilleusement bien ici : "Dans un dernier effort, j'efface jusqu'à la trace de l'effort." Du grand art !

Flaubert nous offre donc un roman écrit dans une langue somptueuse, qui se lit avec une grande facilité... et un immense plaisir.

Les phrases, les paragraphes, les chapitres s'enchaînent avec bonheur, et c'est bercé par cette si belle langue que le lecteur peut avancer dans l'intrigue.

Quel bonheur de retrouver cette histoire et ces personnages qui m'avaient tant plu. La maturité aidant, je les ai encore mieux cernés. Je me suis davantage rendu compte de leur justesse, de la précision avec laquelle leurs qualités et leurs défauts étaient mis en valeur.

Rodolphe, le séducteur, le beau parleur, qui se joue de la naïveté d'Emma.

Lheureux, au patronyme si bien trouvé, qui vous soulève le coeur de dégoût à chaque apparition.

Homais, prétentieux et pédant, exaspérant dans tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit.

Charles, bien sûr, ce pauvre Charles, refusant obstinément jusqu'au bout d'ouvrir les yeux et d'accepter la vérité.

Sans oublier Emma Bovary et ses rêves de grandeur qui finiront par la perdre, quel magnifique portrait !

Et tous ceux que je n'ai pas cités, plus justes les uns que les autres. Flaubert a peint une superbe galerie de personnages !

En ce qui concerne l'histoire, ne comptez pas sur moi pour vous raconter quoi que ce soit : ce n'est pas l'objet d'une critique, et je laisse le plaisir de la découverte à ceux qui n'ont pas encore lu Madame Bovary.

Je voudrais simplement dire que si j'ai tout aimé dans ce roman, la dernière partie m'a profondément émue. La déchéance d'Emma, ses mensonges et ses dettes qui finissent par avoir raison d'elle, ses tentatives désespérées pour obtenir de l'aide, sa fin tragique : Flaubert a écrit là des pages bouleversantes.

Quel livre !

Pour ceux qui croient que les "classiques" sont de vieux ouvrages poussiéreux et rébarbatifs, plongez-vous dans ce roman, je fais le pari que vous changerez d'avis.

Les "classiques" sont justement classiques parce que leur qualité leur permet de traverser le temps et de nous toucher, nous, lecteurs d'aujourd'hui.

Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de recopier le début du roman.

Pourquoi ?

Pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, pour le plaisir. J'adore cette entrée en matière. J'adore cette écriture. Quand je lis ces phrases, je suis accrochée, ferrée comme un pauvre poisson accroché à l'hameçon. Sauf que je ne suis pas à plaindre, bien au contraire, et c'est avec plaisir que je me laisse emporter.

Pour le souvenir (ça y est, je vais reparler de madeleine...) : le début de ce texte m'a été donné en dictée par mon professeur de français de sixième. Oui, vous avez bien lu : sixième ! J'avais adoré. Quand je pense à ce qu'on fait faire maintenant en cours de français à nos pauvres collégiens (je le vois à travers mes enfants), c'est à pleurer. Et, en ne leur ouvrant pas les portes, on les prive de l'accès à tout un pan de notre culture, on les prive de la découverte du plaisir de la lecture de grands textes... Bon, je m'égare, revenons à nos moutons...

Pour faire plaisir à ceux qui le connaissent déjà, et qui seront, j'en suis certaine, ravis de le relire.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, et à qui ces quelques lignes donneront peut-être envie d'en lire plus.

Un dernier mot avant de céder définitivement la parole à Gustave Flaubert : Madame Bovary est, comme toutes les oeuvres d'auteurs décédés il y a plus de cent ans, dans le domaine public. Une petite recherche simple et rapide sur internet vous permet d'accéder gratuitement au texte, dans le format de lecture que vous voulez. Sans oublier le livre papier, bien sûr, qui se trouve dans toute bonne bibliothèque, ou que vous pouvez acheter pour bien moins cher qu'un paquet de cigarettes.

Vous voyez, il n'y a aucune excuse pour ne pas lire Madame Bovary, et avec lui, bien d'autres classiques à relire ou à découvrir.

Bonne lecture !

Et maintenant, place à Flaubert :

"Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études : - Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge. Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre. Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. - Levez-vous, dit le professeur. Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois. - Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux."
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Madame Bovary

Emma fois trois.



D'abord, il y eut la lecture lycéenne. Comme tout le monde. Enfin lecture… Plutôt escroquerie en bande « profil d'une oeuvre » organisée, seule réponse acceptable à ce repoussoir pour jeune bachoteur boutonneux.



Puis plus tard - bien plus tard - la lecture retrouvailles, portée par le retour en terres normandes et ces racines partagées avec le maître, ces lieux aux résonnances particulières qui touchent direct le coeur de tout Rouennais, même 150 ans plus tard.



Et puis débarquent le bicentenaire de la mort de Flaubert, cette édition souvenir de Gallimard augmentée des dessins de jeunesse d'Yves Saint-Laurent et cet appel du pied du café du classique : trois bonnes raisons de retrouver Emma. Une troisième fois : la plus jolie fois.



J'ai donc relu Madame Bovary et retrouvé Emma, une troisième fois. Loin de moi l'intention de chroniquer ce monument. Mais juste livrer trois impressions.



D'abord dire qu'il faut bien trois lectures pour tirer toute la richesse et la diversité de ce livre. Si Emma est prête à s'offrir, ça ne sera pas dès la première rencontre. Mais à la troisième, elle se dévoile davantage. Détaché de l'histoire désormais connue, le lecteur peut ainsi pleinement goûter le style, s'attacher aux détails, tenter de comprendre ce qui se joue dans la tête d'Emma. Ou de Charles, c'est selon.



Ensuite dire combien Madame Bovary m'est apparu incroyablement moderne dans son approche féministe et émancipatrice. D'aucuns trouveront Emma nunuche, agaçante, dépensière, indécise ou sottement idéaliste. D'autres la verront libre, volontaire, fière, et superbement insatisfaite. Belle d'avoir simplement voulu être Emma plutôt que Madame Bovary, femme de Charles.



Enfin, ressortir de cette lecture frappé par la capacité d'un homme - Flaubert en l'occurrence - à écrire aussi finement sur les femmes et à aborder à 360 degré la complexité d'Emma. À l'heure où la littérature contemporaine permet enfin une expression féministe abondante, libérée et diversifiée, force est de constater qu'elle reste encore majoritairement féminine. Flaubert fut-il un précurseur d’une certaine idée du féminisme, lui dont la misogynie s’exprimait souvent par ailleurs ?



J'aime la langue de Flaubert, un des rares auteurs à pouvoir étirer ses phrases descriptives à n'en plus finir sans me faire sauter une seule ligne, envoûté par la musicalité du rythme et la puissance du style. Et après cette relecture de Bovary et celle de salammbô cet été, l'année Flaubert ne se finira pas sans une troisième lecture.



Flaubert trois fois.
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Madame Bovary

« Madame Bovary » dont le titre est suivi de « Moeurs de province » lors de sa première parution en 1857 est immédiatement attaqué en justice par les procureurs du second empire pour « immoralité et obscénité ». Gustave Flaubert sera bien évidemment acquitté et son ouvrage bénéficiera, de facto, d'une grande publicité qui propulsera son roman parmi les best-seller de ce XIXe siècle.

Il raconte l'histoire d'Emma Rouault, fille d'un riche agriculteur qui épouse Charles Bovary, officier de santé, qu'elle a rencontré alors que celui-ci a guéri son père d'une mauvaise fracture de la jambe. Bien vite la routine de la vie de province gagne le couple. Elle qui a gardé ses rêves de jeunes filles dont elle puise tout le romantisme et les aventures dans ses nombreuses lectures, n'aspire qu'à une vie mondaine faite de soirées prestigieuses et de bals. L'invitation au bal du marquis d'Andervilliers lui laisse entrevoir ce monde auquel elle n'appartiendra jamais et la jette dans un état dépressif. Charles ne sachant plus que faire pour qu'elle alla mieux, accepte de quitter sa clientèle et le bourg où ils habitent pour la petite ville d'Yonville. Emma y fait la connaissance d'un notoire libertin, Rodolphe Boulanger, propriétaire du château de la Huchette, duquel elle s'amourache. Mais quand il comprend qu'elle attend de leur relation beaucoup plus qu'il ne lui donnera jamais, il l'éconduit et disparaît. Elle accouche d'une fille, Berthe, qu'elle place immédiatement en nourrice et qu'elle n'aimera jamais. Elle mène grand train et ruine les maigres économies du foyer. Elle fait la connaissance du clerc de notaire Léon Dupuis. Lorsqu'elle est ruinée, couverte de dettes et que son créancier, monsieur Lheureux lui réclame l'argent et que ses amants refusent de lui prêter les sommes dues, de désespoir, elle s'empoisonne à l'arsenic.

Flaubert multiplie les clichés en décrivant l'histoire de cette femme légère, insouciante, inconséquente, immature. Il moque les aspirations de grandeur d'une femme de la petite bourgeoisie de province et par une accumulation de faits communs de la vie courantes, ridiculise les ambitions idéalistes qui plongeront la Bovary vers une fin tragique. Sans cette fin, on pourrait penser que le roman de Flaubert est une comédie de boulevard car tous les éléments y sont réunis, une épouse légère, son amant et le mari cocu, à la différence qu'ici le caractère grotesque de Madame Bovary fait grincer des dents et son suicide offre une morale à cet effroyable fait divers.

Editions Gallimard, Folio, 446 pages.

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Trois contes : Un coeur simple - La légende d..

Trois contes est le dernier ouvrage publié du vivant de son auteur, Gustave Flaubert. J'ai beaucoup aimé ce texte, Gustave Flaubert est un auteur qui m'est cher pour différentes raisons, parfois je viens picorer dans sa riche Correspondance. Un jour je vous en parlerai.

Trois contes, ce sont trois histoires totalement distinctes, qui n'ont a priori rien à voir l'une avec l'autre.

Bien sûr, la première histoire prend de l'espace, du volume dans les quelques pages de ce très court livre. Ce premier conte s'appelle Un coeur simple. Des trois contes, c'est celui qui m'a le plus touché, c'est aussi celui qui ressemble davantage à une nouvelle. Comment en effet ne pas être touché par le cheminement de cette femme modeste, Félicité, dévouée auprès des siens, auprès de ceux qu'elle sert. C'est l'histoire d'un renoncement à l'amour, après une déception amoureuse lors de sa jeunesse, mais le coeur de cette femme ne s'est jamais refermé, il s'est simplement ouvert à d'autres horizons, les enfants de Madame Aubain auprès de laquelle elle confie ses services durant une très large part de sa vie. C'est un coeur épris d'humanité. Un coeur ébranlé aussi par les vicissitudes douloureuses de la vie... Comment ne pas être touché par l'affection presque ridicule qu'elle finit par porter à ce perroquet Loulou, comme un compagnon de fortune qui l'accompagne presque jusqu'à ses derniers jours ? Moquerie ou compassion de l'auteur à cet égard ? Sans doute un peu des deux... Cette nouvelle nous plonge avec jubilation dans la Normandie rurale du XIXème siècle qu'affectionnait Flaubert.

J'aime l'écriture de Gustave Flaubert, précise, ciselée. Parfois on lui reproche de ne pas laisser l'espace suffisant pour faire entrer l'émotion. Pourtant j'ai ressenti cette émotion à la rencontre de Félicité, que nous pouvons parfois côtoyer dans notre quotidien. Félicité est intemporelle. Son coeur simple appelle la compassion...

Étrangement les deux autres nouvelles n'ont rien à voir, semblent totalement décalées avec le premier récit. La légende de Saint Julien l'Hospitalier, plus proche du conte ancien que de la nouvelle, est une sorte d'allégorie sur la rédemption après la violence et la sauvagerie d'une vie. J'ai découvert par hasard que la ville close de Concarneau avait inspiré Flaubert, qui aimait la Bretagne, pour décrire le château des premières pages de ce récit.

Hérodias, de facture plus complexe, évoque le récit antique et nous plonge dans les débuts de notre ère en Orient, c'est un épisode de la vie du tétrarque Hérode Antipas. C'est un récit cruel, violent, charnel, chargé de déchirements, abordant en quelques pages d'une tension extrême plusieurs thèmes : la haine des juifs, l'inceste, la peur de Dieu, l'avidité et le désir. Dans une résonnance théâtrale, il invite les protagonistes à vivre un dilemme insoutenable, dont le paroxysme se dénouera lors d'un festin ultime où Hérodias exige auprès de son époux Antipas la tête de saint Jean-Baptiste...

Séduit par ces trois contes, je me suis demandé ce qui les reliait. A priori rien. Et pourtant, si. J'ai découvert qu'un vitrail de la cathédrale de Rouen avait inspiré le second conte. Il semble qu'un autre endroit de cette même cathédrale ait inspiré le troisième conte, le tympan du portail Saint-Jean, qui lui inspire la danse de Salomé marchant sur ses mains...

Il y a aussi une dimension mystique qui relie ces trois histoires, la bonté, la charité, sans doute aussi des abîmes intérieurs où les profondeurs de l'âme humaine sont abyssales.

Gustave Flaubert est un orfèvre de l'âme humaine. Il y a sans doute un dernier point commun qui scelle à jamais l'unité de ces trois textes : leur beauté somptueuse.
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L'éducation sentimentale

Frédéric Moreau c'est le double inverse d'Emma Bovary.



Emma meurt d'avoir trop vécu ses rêves, Frédéric vit en se laissant flotter au gré des rencontres comme un bouchon- sans choisir, sans risquer, sans extrapoler, sans anticiper.



Autant le monde d'Emma obéit à une cosmogonie précise, avec ses codes, ses lois, ses figures tutélaires et référentes, autant celui de Frédéric est mouvant, indistinct, peu caractérisé.



Homme d'affaires peu scrupuleux mais pas franc escroc, comme Arnoux, Femme légère et peu farouche mais pas vraie cocotte, comme Rosannette. Homme politique opportuniste, naviguant à vue , mais pas Machiavel, comme Dambreuse...



Un monde interchangeable aussi : Deslauriers, Sénécal, Hussonnet et Moreau sont les trois mousquetaires - et comme eux ils sont quatre- assez peu différenciés de ce roman de formation ...où la formation est justement si paresseuse, si aléatoire, si floue elle aussi.



Encore une fois, Flaubert pourfend la bourgeoisie de province, incarnée par ces jeunes gens prometteurs mais décevants, qui sont les rois de l'occasion manquée, les fils d'une révolution rangée des voitures, les enfants gâtés d'une classe sociale pour qui s'ouvrent toutes les portes, sans qu'ils aient besoin d'y donner des coups de pied. Tout cela ne leur a pas forgé le caractère, et Frédéric Moreau encore moins que les autres.



Il y a du Bel-Ami dans cet amateur du beau sexe mais sans le cynisme et sans le désir: Frédéric s'élève -socialement s'entend- grâce aux femmes mais sans vraiment le chercher ni le vouloir: il" couche" mollement, si vous me passez l'expression.



Il y a aussi du Félix de Vandenesse dans l'amour platonique de Frédéric pour la belle Marie Arnoux, - "madame Arnoux", femme fidèle, directe et aimante de l'affairiste déjà nommé,- mais sans le romantisme flamboyant et mélo de Balzac dans Le Lys - sans cancer du pylore pour elle, sans brûlure d'un désir épanché avec une autre pour lui, sans mari bon à enfermer à sainte Anne comme le comte de Mortsauf : Monsieur Arnoux est un bon pépère qui aime le cigare et sa petite famille.



Frédéric ne brûle pas: il cristallise: "Ce fut comme une apparition"... Madame Arnoux ne souffre pas: elle consent à se laisser adorer de loin pourvu que ce petit jeune homme n'aille pas troubler la paix de son ménage. Monsieur Arnoux n'est pas un fou jaloux et paranoïaque, il tape sur le ventre de Frédéric et le trouve d'agréable compagnie.



Pas de désir, pas d'obstacle, pas de difficulté particulière, pas de caractère fantasque ou torturé : l'Education sentimentale est un redoutable robinet d'eau tiède, une machine à distiller du bourgeois conformiste, un alambic à vaporiser sans douleur les illusions. Comme on accepte la chute des feuilles en automne.



Alors parfois on s'ennuie un peu. Pas plus ou pas moins que les personnages eux-mêmes. Mais le style lui est toujours là, parfait, ciselé, capable de rendre brillamment cet univers de grisaille, de dire avec une belle férocité la veulerie petite-bourgeoise des personnages.



Moins percutant, moins profondément ambigu que Madame Bovary, L'Education sentimentale est un miroir sans pitié que Flaubert se tend à lui-même et à toute sa génération.



Frédéric est vraiment le portrait d'un "homme sans qualité" et à ce titre le livre est d'une incroyable modernité.



Désenchanté, amer, sans concession.
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Madame Bovary

Comme a dit Ode dans sa chronique du 22/10/2012 :

" Un sacré pavé lancé dans la mare bien-pensante de l'Epoque".



Emma en se mariant avec Charles , croyait vivre la passion dont elle rêvait ; mais, Charles, brave bougre au demeurant était d'une franche inconsistance.

* La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue ... (p. 106)



Insatisfaite, elle se perd dans des illusions romantiques et des liaisons, espérant y trouver le bonheur.

Mais, chacun sait bien, que le bonheur est une bête sauvage qui ne se laisse pas attraper facilement ...



Flaubert fait miroiter l'adultère, mais ce n'est qu'un miroir aux alouettes !



Emma s'y brûlera les ailes et s'intoxiquera de trop de rêves qui la mineront, la ruineront, la détruiront.



Dans ce livre, l'auteur décrit un univers ordinaire avec la puissance de la vie et toute ses complexités.



Flaubert, dit d'ailleurs ceci :

Toute la valeur de mon livre, s'il en a une, sera d'avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire ... (p.17)
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Madame Bovary

Un ressenti sur Madame Bovary que j’ai lu il y a des éons.

C’est avant tout l’histoire d’une jeune femme romanesque du dix-neuvième siècle.

Après avoir quitté le pensionat , elle va se marier et croit échapper à la monotonie de sa vie, elle rêve d’amour, de passion comme dans ses romans.

Elle va épouser un médecin qui l’aime. Cette union va lui apporter un certain rang dans la société mais ce dernier n’a pas d’ambition. Où sont les preux chevaliers de ses romans ? C’est un homme bien médiocre à ses yeux.

Et l’amour, le grand frisson ? La vie est bien ennuyeuse et monotone dans la campagne normande. Alors elle prendra un amant pour se donner l’impression d’exister. Son histoire finira mal.

Avec le portrait d’Emma, Gustave Flaubert nous offre de très belles pages. J’ai toujours éprouvé beaucoup de compassion pour cette héroïne qui voulait bien plus qu’être une simple femme de médecin et connaîtra moult désillusions.

Deux citations qui résument bien Emma :

Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord et l’ennui, araignée silencieuse filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur.

Tout ce qui l’entourait immédiatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbéciles, médiocrité de l’existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier où elle se trouvait prise, tandis qu’au-delà s’étendait à perte de vue l’immense pays des félicités et des passions. Elle confondait dans son désir, les sensualités du luxe avec les joies du cœur, l’élégance des habitudes et les délicatesses du sentiment.

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Salammbô

Ancien étudiant en Histoire et plus précisément de la deuxième guerre punique, je n'avais que jeté un œil lointain sur le roman de Flaubert. Je me suis pourtant décidé, lors de mes vacances, à finalement le lire. Et l'on peut dire, que je n'ai pas été déçu.

Très bien documenté, agréable à lire, vivant, on s'imprègne assez bien de l'ambiance africaine.

La prose de Flaubert, en dépit de quelques longueurs - on a perdu l'habitude de ces descriptions très dixneuviemistes - nous emmène de pages en pages vers une fin que l'on sait inéluctable. La violence, la rage des protagonistes défient l'immobilisme des politiques et le mysticisme des prêtres. Cette épopée est riche et magistralement organisée. Le rythme varie en intensité sans jamais nous lassé.

Le personnage central n'est au final que peu présent mais les apparitions de Salammbô sonnent comme un rêve et c'est peut-être ce qu'est ce roman, une rêverie orientale.

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L'éducation sentimentale

Gustave Flaubert entame l’écriture de « L’éducation sentimentale » en 1864. En 1869 le roman est édité. Grand admirateur de l’œuvre de Balzac, Flaubert s’imprègne du style, se l’accapare mais le transforme. Il annote : « S’éloigner du Lys dans la vallée, se méfier du Lys dans la vallée ». L’élève projette de dépasser le maitre, de transcender son style, réinventer l’exercice, s’extraire de toute étiquette en renouvelant le modèle et il y réussit à merveille. Il hésite sur le titre de son ouvrage qu’il a failli appelé « Les fruits secs ». Il s’inspire d’éléments de sa propre vie, Mme Arnoux est Mme Schlésinger, la femme qu’il aimera toute sa vie…

« L’éducation sentimentale » est un non-roman. L’œuvre est entre autres un inventaire de la société parisienne de 1848. Il n’y a pas une histoire, il y a une succession d’anecdotes. Elle comporte un fil rouge.

Frédéric Moreau, jeune homme de dix-huit ans quitte Paris à bord d’un bateau à vapeur pour rejoindre sa mère qui vit à Nogent-sur-Seine. Alors qu’il visite le quartier des premières classes, il l’apperçoit…

« Ce fût comme une apparition : Elle était assise, au milieu d’un banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fût mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent, derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu. »

Il s’agit de Mme Arnoux, mariée à un marchand d’art et mère d’une petite fille, Marthe. Frédéric tombe amoureux et n’aura de cesse de la retrouver, de la poursuivre de ses assiduités.

Mais Flaubert élargit le champ d’action de son roman à une pléiade de personnages qui vont traverser l’existence du jeune homme, et faire se mêler les intrigues sentimentales au grès des rencontres de hasard. Il rompt avec la forme classique du roman qui se limite à une histoire menée de bout en bout, en la fractionnant en plusieurs chroniques. De même, il rompt avec la dramaturgie de l’exercice romanesque en grossissant le trait, en exacerbant le grotesque de certaines situations et le caractère de certains de ses personnages et surtout en faisant circonvoluer ses anti-héros vers des dénouements qu’ils n’atteignent jamais. Il moque leurs intentions vaines et leurs actes voués à l’échec. Il caricature les représentants des institutions aussi bien religieuses que politiques.

Flaubert place ses personnages face à un idéal qu’ils entretiennent sans jamais l’atteindre car sa réalisation, selon lui, est source de déception. La tragédie « flaubertienne » se joue lorsque la fiction rejoint la réalité. Il argumente ainsi en faveur de la recherche d’un ascétisme de vie où les errances de l’esprit apportent toutes les satisfactions que la réalité n’offrira jamais.

« L’éducation sentimentale » est le roman de la coïncidence, du hasard, des rencontres de trottoir mais c’est aussi celui de l’apprentissage des « bons » et « grands » sentiments de la société bourgeoise avec toute l’hypocrisie que les qualificatifs sous-entendent.

L’écriture de Gustave Flaubert est magnifique. Elle est ciselée, précise. Ses descriptions ne sont jamais ennuyeuses, justement proportionnées et les mots employés sont choisis, magiques, ensorcelants. Le charme de sa plume agit et émerveille du début à la fin.

2021 fête les deux cents ans de la naissance de Gustave Flaubert, né à Rouen le 12 décembre 1821.

éditions Gallimard, Folio, 557 pages.

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Salammbô

Flaubert a voulu « fixer un mirage ». Il a ainsi bien résumé l'oeuvre floue, flottante et capiteuse qu'est salammbô. Ses tableaux de Carthage sont d'une magnificence digne des Mille Et Une Nuits. La cruauté et la bestialité y côtoient le raffinement. Ce roman est un songe emmené par un style teinté de nacre, de pourpre et du bleu étoilé du Zaïmph. Certes, les tableaux sont beaux, mais l'histoire passe au second plan et le livre est tout en style ; Flaubert s'est lancé un défi documentaire qui l'a éloigné de ce que doit être une histoire : il s'est perdu et complu dans des galaxies de fantasmes contemplatifs. Au milieu de toutes ces descriptions, les personnages n'ont pas la place de se mouvoir et de se développer : ils sont écrasés par le style. D'où le contraste entre le flamboyant des tableaux et la platitude des dialogues qui dans Madame Bovary servaient l'histoire et ici la desservent.

Le même défaut dont souffrait le personnage d'Emma Bovary reparaît ici chez celui de salammbô : elle est fantomatique, on dirait une ombre, une coquille vide peinte pour donner l'apparence d'un être vivant. C'est un être de langueur, de dévotion, de superstition, manipulé par le grand prêtre Schahabarim. On s'attache plus facilement à Mathô, Spendius et Hamilcar qui, guerriers de leur état, constituent le moteur de l'histoire. Les scènes de batailles sont héroïques à souhait : les détails abondent et on se trouve projeté au coeur des évènements.

Le livre contient cependant des longueurs presque aussi arides que les déserts traversés. Et enfin l'amour mêlé de haine et de dégoût entre Mathô et salammbô reste pour moi une énigme insane et nauséabonde. Dans ce livre, on finit par étouffer du déséquilibre entre trop d'un côté et pas assez de l'autre : trop d'images oniriques et pas assez de clarté dans ce qui doit être des points de repère. C'était peut-être l'ambition de Flaubert que de nous faire perdre tous nos repères et de nous entraîner dans un tourbillon kaléidoscopique. De ce point de vue il n'a que trop bien réussi.

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Bouvard et Pécuchet

Ayant suivi (il y a bien longtemps) le cours ex-cathedra de Mme Claudine Gothot-Mersch, éditrice scientifique de ce roman chez Gallimard, je ne peux que proclamer : ceci est le chef d'œuvre, inachevé certes, mais le chef d'œuvre de Flaubert. Inachevé, il ne pouvait que l'être : l'acquisition des connaissances, la bêtise de ceux qui prétendent les maîtriser, la déconstruction de ce bel échafaudage ne sont-ils pas labeurs infinis ?



Bouvard et Pécuchet, c'est toujours ce style chirurgical propre à l'auteur qui porte un regard critique sinon amusé sur son époque. C'est aussi probablement un miroir sur son propre cheminement. Œuvre testament certes, Flaubert y mettra tout ce qu'il aurait oublié d'écrire ou pas osé publier ou voulu oublier. Bouvard et Pécuchet, c'est aussi le roman du renoncement, renoncer à la prétention, à la connaissance, à la réussite... atteindre ce moment, ce long moment de mettre cela sur papier: le pas grand chose que la vieillesse nous fait entrevoir, le plus rien du tout qui restera de nous. On croirait entendre l'écho répéter sans fin : "cultivons notre jardin". Si ce n'est pas infini cela, que nous faut-il encore espérer de l'infini ?

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L'Éducation Sentimentale

Fumichon, concernant la propriété, évoque les arguments d'un homme politique dont Flaubert parle en ces terme dans une lettre à George Sand: "Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois! Non! Rien ne peut donner l'idée du vomissement que m'inspire ce vieux melon diplomatique, arrondissant sa bêtise sur le fumier de la Bourgeoisie!". De qui s'agit-il?

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