En recherche de romans aux accents autobiographiques dans le cadre des lectures personnelles, non travaillées en classe, que je vais proposer à mes troisièmes à la rentrée, il était temps que je prenne enfin un moment pour découvrir Vipère au poing, un des classiques du genre du XXème siècle. J’en connaissais bien sûr les grandes lignes narratives, centrées sur la relation entre Brasse-Bouillon, ses frères, et leur mère, Folcoche, relation qui aura des conséquences dramatiques sur l’existence de la fratrie.
Existence bienheureuse en effet pour les frères Rezeau, les deux plus grands, restés en France chez leur grand-mère, jusqu’à la mort de celle-ci, et le retour de Chine du père, de la mère, et du petit dernier, pour prendre le relais de leur éducation, qui changera du tout au tout. Folcoche instaure, sans aucun préavis, dès sa descente du train et les gifles données en guise de retrouvailles, un climat autoritariste fait de privations, de violences physiques et morales, donnant lieu à une antipathie réciproque entre mère et fils au fil des années de règne de celle qui veut tout mener d’une main de maître implacable dans son logis.
Cette relation, qui ira crescendo au fil du récit transmis par Brasse-Bouillon, est décrite par l’intermédiaire d’une langue riche, d’une grande puissance émotionnelle, qui fait sentir au plus près la haine ressentie par le jeune adolescent, devenant jeune adulte, pour sa génitrice, haine d’abord sourde et insidieuse, partagée discrètement sous forme de complicité et de solidarité entre les frères face aux assauts maternels, surtout les aînés, ensuite de plus en plus virulente et combattive, devenant finalement duel terrible entre Folcoche et son cadet, particulièrement bien dépeint par la présence de plus en plus implacable d’un vocabulaire guerrier, le plus à même de détailler les stratégies que chacun met en place pour avoir le dernier mot sur l’autre. Parce qu’à avoir brimé ses enfants avec une telle violence, Folcoche a fait de son cadet, Brasse-Bouillon, son égal, qui va progressivement détrôner son maître dans l’art de la malveillance et de l’inhumanité pour survivre à ses forfaits.
A cette description relationnelle intense et perturbante, entre mère et fils, s’ajoute une peinture tout aussi violente, et virulente, de la décadence des grands familles bourgeoises catholiques dans l’entre-deux-guerres, dont les Rezeau font partie, et dont l’éducation de la mère donnée à ses fils n’en est qu’une si juste illustration. Et finalement, le crépuscule de l’ascendance de Folcoche sur ses fils, surtout sur Brasse-Bouillon, qui se profile dans les dernières pages, n’est qu’un symbole du crépuscule de l’ascendance même de toute la famille, et de toutes les familles de ce type, sur la société qui les entoure, à l’entrée d’un nouveau siècle, celui de tous les bouleversements. Où comment le récit d’une enfance maltraitée, racontée sans fard, ayant choqué à sa publication pour cela, renvoie dans le même temps à décrire le monde qui a permis et laissé faire ces maltraitances, notamment par souci des convenances et passivité du reste de l’entourage adulte – père, précepteurs…
Découverte d’une grande force en somme que celle de Vipère au poing, que je n’oublierai pas de sitôt, et que je proposerai volontiers à mes troisièmes, du moins aux lecteurs les plus chevronnés – car la langue y est parfois complexe pour eux, et le contexte historique pas toujours clair.
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