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Citations de Jean-Michel Maulpoix (402)


Il pourrait être ce passant qui se hâte sous l'averse vers quelque rendez vous dont lui même ignore l'importance.

Vous ayant heurté de l'épaule, il s'excuse et presse le pas. A peine avez vous perçu le son de sa voix et les traits de son visage. Il n'est, il ne sera jamais personne. La foule, la pluie, la ville l'ont repris, sans que vous sachiez de lui davantage que cette hâte, ce contact furtif et brusque d'un corps étranger. Pourtant, à quelques pas, son aventure se poursuit: certains la connaisse qui pourraient la raconter. Diffère-t-elle vraiment de la votre? N'est ce pas plutôt votre propre histoire, identique à celles que le monde récite depuis toujours? Simple, dérisoire, connue de tous...

Chacun voudrait se croire unique, pour se consoler du peu de poids que pèse sa vie quand elle se cogne par hasard contre une autre vie, et ne pas entendre le peu de silence qui se fera sur terre le jour où son cœur cessera de battre.
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Neigeait-il sur le bois de Boulogne, lorsque Claude Debussy composa le prélude Des pas sur la neige, le 27 décembre 1909 ? …
     
Sur les lignes de ses portées, vers quoi d’autres marche-t-il que l’inaccessible et l’oubli ? Soucieux de rendre audible la pesante solitude d’un paysage couleur de cendre, il s’achemine dans la musique vers le silence. Une mélodie tenue presque secrète, quelques accords assourdis, parcimonieusement distribués, ces pas sont pareils à des taches sonores : ils n’ont pas de corps, ce sont des notes de musique blanche « où le cœur s’entend battre et presque s’arrêter ». …
     
Virtuosité de la neige. Est-il un autre instrument qui puisse modifier à lui seul l’acoustique d’un paysage ? Le réduire à quelques lignes pures ? Le délivrer de ses gammes de couleur et de ses habituelles perspectives pour le conduire jusqu’à son point d’exacte nudité. …
     
Il voudrait tant boire la musique. Que ce qui enchante son oreille lui entre par la bouche dans le corps. Boire la musique au lieu de la chanter, espérant s’alléger ainsi d’un seul coup de son poids de parole et de chair tourmentée. Mâcher les sons, les parfums, les couleurs. Laisser fondre un regard sur la langue. Et l’ombre d’un corps nu.
     
(L’ombre bleue, pp. 43-45)
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Convalescence du bleu après l'averse...

Le ciel se recolore. Les arbres s'égouttent et le pavé boit. La ville aussi essaie des phrases. Rires mouillés et pluie de pieds nus. On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.

On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.

On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière, dépourvu de gestes et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas pour rien, puisque l'amour précisément est notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau d'après l'averse tombant dans l'herbe du jardin.

(extrait de "Le regard bleu") - p. 35
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En été, le soir, sous les parasols rouges de la terrasse, comme sur le pont d'un grand navire, loin dans les tiédeurs de la mer.

Le soleil dans les yeux se couche, au pied du clocher flambant neuf. Les verres tintent et pétillent. Les voix racontent. Le temps s'attarde. Rien à craindre. Le malheur est loin. On oublie de mourir. On songe à des épaules. Chemisiers et rubans de couleur. Lunettes noires et cigarettes blondes. Contre-jour : la chair est tendre sous le tissu. Le cœur fait des bonds dans l'alcool et les rires. Ce bonheur pourtant est étrange. Trop douce est la musique, trop sucrée. Une poudre d'os sur les cheveux. Tant de bleu. Tant de bière. Tant de couronnes et de corolles. Pour ceux-là qui parlent d'amour, en été, les beaux soirs, sous les parasols rouges, au pied du clocher neuf, un peu avant huit heures, jusqu'à la nuit tombée.
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( Bleu )
Ce n'est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l'air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l'homme que dans les cieux.
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Théories, cohortes de dieux. Arrosés d’or sur un socle de pierreries.
Dorures, dorures partout. Pas un pouce de vide sur les murs où poser la tête et prier.
La même saturation dans les ruelles, sur les marchés. Pas un gramme de silence. Un millimètre de fraîcheur. Des marchandises toujours, en pile, en vrac, en tas.
[…]
Le baht et le Bouddha règlent tout. Au géant d’or couché du Wat Po, on porte de la nourriture dans des seaux en plastique jaune.
Aux rois, aux dieux, au temps, aux riches, on se soumet. Et l’on s’incline très respectueusement pour saluer en joignant les mains.

Le roi nouveau-né, son coffre à jouets, son hochet, ses rubans. Le roi à un an, le roi à trois ans, le roi en short, en tutu, en frac. Les défenses de son éléphant, son éventail, ses chaussons, son miroir, sa brosse à dents, sa femme, ses épaulettes et ses médailles, son fer à moustaches, son chula et ses longues cornes. Le roi avec ou sans écharpe, manteau, couronne, chaussettes, sourire, à cheval ou à pied, avec ou sans lunettes, ombrelle, etc.

Escale à Bangkok, p. 56
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Laisser d’abord tomber la neige, lentement, sur la page. Faire en sorte que ces mots n’oublient pas la blancheur sur laquelle ils se posent. Qu’ils s’efforcent plutôt de la faire apparaître, ou qu’ils consentent enfin à ce qu’elle les recouvre. Puisque tel serait mon désir : écrire à l’encre blanche, sans bruit, presque sans voix, d’un geste calme et régulier, pour conserver une chance, si minuscule soit-elle, d’atteindre un pays d’herbe verte aux vergers pleins de fruits, de coups d’ailes et de chants d’oiseaux, comme il ne peut en exister qu’au bout des longs chemins de neige…

Prélude, pp. 13-20
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J'éprouve une espèce de honte à m'asseoir dans le train de banlieue un écouteur sur les oreilles. C'est comme déserter mes semblables, leur signifier mon indifférence... Mais en ce moment, j'ai besoin de musique. Mozart ou Schubert surtout. Pour que les larmes coulent autrement. Dans l'oreille plutôt que dans l'oeil.
Ne pouvant plus rien entendre aux affaires humaines, je me souviens du monde dans la musique, là où ne vont plus les mots. Là où continue de prendre sa source le poème.
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Un livre s'est ouvert sur les genoux d'une femme, dans la chambre ou dans le jardin...
Cette voix tout près de son oreille, cette musique de langue qu'elle veut croire faite exprès pour elle, ce bruit de pas qui se rapprochent. Elle tient entre ses mains quelques raisons de vivre.
L'heure lui paraÏt plus lente. Le monde ne rend plus le même son. Vers les lointains, des portes s'ouvrent. Qui a touché son visage ? Que fait là cette église ? Qui sont ces dieux ? Et pourquoi ces questions que nul en vérité ne pose ? Quelqu'un s'est glissé dans sa tête. On tient sa main, on la conduit. Les bruits de la rue ont cessé. Plus d'horloge. Le temps s'est retiré.
Elle se souvient d'un bocal de fruits rouges, d'une partie de marelle, d'un jeu de balles contre le mur de la maison, de voyage, de sommeils.
Un rayon de soleil sur la joue, elle se souvient du mot "myosotis" ou du mot "chandelle". Lorsque revient la surprendre ce qu'elle croyait perdu, à cause de quelques phrases dont l'encre se faufile entre les pages de sa vie.
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Nous connaissons par oui-dire l'existence de l'amour.

Assis sur un rocher ou sous un parasol rouge, allongés dans le pré bourdonnant d'insectes, les deux mains sous la nuque, agenouillés dans la fraîcheur et l'obscurité d'une église, ou tassés sur une chaise de paille entre les quatre murs de la chambre, tête basse, les yeux fixés sur un rectangle de papier blanc, nous rêvons à des estuaires, des tumultes, des resssacs, des embellies et des marées. Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains.
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Elle aime surtout la pluie d'été.

La pluie tiède et grise qui tombe en longues raies obliques sur la mer. Celle qui mouille à peine et dont on n'entend pas la voix. Elle ne cherche pas d'abri pour la fuir, mais lui tend son visage. A cause de sa douceur, elle sait, elle sent qu'elle existe. La pluie, dit-elle, lui fait don d'elle-même, ou lui rappelle ce côté tendre et méconnu de soi, ce libre mouvement de chute monotone, et cette sorte d'ondée légère qu'elle n'est plus depuis que le chagrin a fait main basse sur ses eaux.


UNE HISTOIRE DE BLEU - Dernières nouvelles de l'amour
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Le poème est affaire d'attention au proche comme au lointain, au semblable comme à l'altérité. La poésie parle à l'écoute. Impossible d'écrire sans écouter la langue. Pour écrire, il faut tendre l'oreille, comme on tend la main....

Que fait le poème ? Il transforme le propre en matière impersonnelle et fait ainsi don à quiconque de ce qu'un être a de plus intérieur, de plus singulier et de plus subjectif. Celui qui recueille sur la plage du cœur cette bouteille jetée à la mer s'y reconnaît, s'y découvre et ressent alors intensément sa propre subjectivité qui est comme réveillée par ce don. Il s'accomplit un partage de solitude.

p. 34
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Il écoute respirer la mer.

Il ne se lasse pas de la regarder, comme on fixe un être endormi, ou le sourire d’un visage peint, comme on regarde obstinément quelque chose que l’on ne voit pas, qui est là cependant. La mer, derrière la mer, dont il ne saurait jamais que les commencements, les plages et les rumeurs, même lorsqu’il quitterait le rivage et partirait se perdre au large, enfin seul avec soi, avec elle, plus que jamais séparé pourtant, ne pouvant espérer la rejoindre autrement qu’en se perdant en elle, dans la défaillance d’un naufrage qui ressemble à l’amour, les poumons pleins de sel, son corps stupide tout gonflé d’eau, flottant comme un paquet avant le repas silencieux des poissons et des crabes.
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Ils se déplacent. Ils songent à se placer.

Les cieux dont ils transportent l'espérance règlent leurs conduites : demain vaut bien ces gestes de brute, ces sueurs, ces attentes blêmes. La vie qui vient sera plus belle que celle qui a passé. D'un souci, d'un amour, d'une giclée de désir à une autre, ils se bousculent et larmoient, croyant atteindre bientôt le ciel, aller s'asseoir très haut parmi les muses, causer enfin avec les anges et tenir dans leurs bras celle de toujours toute dont le rire est aussi clair que le regard. Promptement, ils s'habillent, se dévêtent, et se rhabillent encore devant leurs miroirs. Cela, semble-t-il, les occupe. Et les mots qu'ils prononcent n'ont d'autre objet qu'une phrase lointaine qui restera collée sur leurs lèvres à l'heure désormais proche de leur disparition. Combien de fois déjà ont-ils cru toucher au port ? Il est des visages dont la courbure donne à espérer l'impossible, des reins où s'incurve la nuit, des pas que tard l'on voudrait suivre jusqu'au ciel de lit d'une chambre odorante dont les volets de bois ouvrent sur la mer. Il faut aller : c'est vivre. Et cela ressemble à se perdre. Les dieux que nous avons en tête ne meurent pas : nous ne serons jamais délivrés de l'amour.
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Tout ce que j'ai aimé, tout ce que j'ai perdu, avait le goût de mon enfance. Quelque chose aurait eu lieu, naguère, dont je me souviendrais mal, et dont ma vie entière ne serait que la mauvaise mémoire. Dans l'amour et dans la langue, je m'efforcerais pas à pas de le déchiffrer, essayant des mots ou des gestes n'ayant en vérité d'autre raison d'être que de rejoindre cette espèce de couleur ou de clarté dont le monde même m'aurait privé, par erreur ou par mégarde...Le temps innocent que convoite chacune de ces phrases est celui où je n'avait encore presque pas de figure. Faute de jamais le retrouver, je ne puis plus que pressentir, sous l'inutile amoncellement des pages, l'heure proche où de mon visage mangé par les vers s'écoulera une épaisse bouillie noire, bientôt mêlée avec la terre.
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Il reste tout là-haut de vieilles neiges perchées que l'on dit "éternelles". Elles font briller les sommets de la montagne comme des pâtisseries couvertes de sucre glace. Tard, elles restent allumées le soir, quand la vallée est déjà plongée depuis longtemps dans la pénombre. Il se pourrait qu'y veille un dieu chagrin et insomniaque dont cette lueur blanche éclaire le grimoire en qui il va chercher l'oubli des laideurs d'en bas.
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En chemin vers Ouro Preto, un homme marche tout seul en discutant avec la route. Le sol, tout autour, est couleur de brique. Les vaches ont la peau grise et la tête plate. Des ouvriers encordés, en combinaison orange, réparent la montagne qui tombe. Les termites creusent l’argile rouge à la recherche de diamants invisibles. Ils dressent des stèles fragiles aux dieux innombrables du sous-sol et de la fécondité. La terre est pleine de songes. Elle pousse en troncs, en palmes, et s’épanouit en fleurs vermillon. Ce pays enchevêtré est un buisson de bambous.
Le Brésil est friable, comme les pensées, les amours, les palabres, le sol raviné par les pluies et les précaires abris de briques des favelas. Sur ce territoire trop vaste, l’œil flotte, sans savoir comment s’y poser. Peu d’indices l’orientent. Partout on ouvre au bulldozer de gigantesques tranchées qui ne s’en vont nulle part. Quels sont les projets de ce peuple approximatif ? L’immensité des territoires, comme le métissage des visages, additionne des enclos impossibles à fédérer. La nature tropicale s’ouvre et se ferme à qui l’approche. Elle abonde, distribue, enveloppe et éconduit. Sa générosité engendre une tristesse infinie. L’homme serait-il plus que partout ailleurs de trop sur cette terre prodigue dont il semble qu’il lui suffise de ramasser les fruits tombés ? On n’affronte pas le Brésil, on le fuit ou l’on y consent, comme à la défaite de l’esprit face à la matière et à l’énergie primitive de la vie.

L’AMÉRIQUE N’EXISTE PAS, p. 103
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Je voudrais pouvoir dire, à l’heure de mourir- et si possible d’une voix bien audible- que j’ai passionnément aimé ce monde, cette vie et mes semblables et que je ne regrette pas de n’avoir pu emprunter d’autres chemins ! N’est-ce pas ce que pourrait faire de mieux le poème : affirmer l’unité et la beauté de notre vie terrestre, plutôt que remâcher dans l’encre un goût de cendre ?

***
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Je ne me souviens guère de mon enfance. C'est une flaque d'eau qui a séché, ou somnole en moi quelque part. Cela n'a guère d'importance; ce temps là était voué à se perdre.Il me semble parfois reconnaître le son d'une voix, un silence, et des mots inespérés que je n'invente pas, mais que je retrouve. Voila ce qu'il me reste.
L'enfance est ce cœur silencieux qui continue de battre malgré toute détresse. Je m'applique à le reconnaître chez les autres, attentif à leur façon de regarder ce qui se passe, de se taire, de croiser les jambes et de poser les mains sur les genoux. Un autre fait en eux ces gestes sans importance.
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De la mer, il aime le ressac, sa manière obstinée de déferler contre la roche ou sur le sable, lorsque toute parole lui demeure interdite, toute conversation à l’oreille des hommes, toute possibilité d’amour. Il aime le ressassement douloureux de la vague, ses mouvements d’épaules, ses vociférations, sa hargne les jours de tempête, ou sa douceur quand elle défaille au retrait de la marée. Il aime qu’elle ne puisse rien faire d’autre que rouler la silice, et polir et creuser lentement la pierre, pour rencontrer encore la pierre, le sable et les galets, jusqu’à la fin des temps.

Elle, tellement plus vaste, plus forte que lui, mais en fin de compte aussi vaine, résignée à reproduire sans faiblesse le même geste, semblable à celui qui l’occupe dans la chambre quand il frotte la plume d’or contre le papier. Tel encore celui du peintre ou du musicien, couvrant la toile et les portées, en espérant la défaillance de l’invisible ou du silence.

Il souffre de la même soif que la mer, de la même faim que le soleil quand il adore la pierre ou la peau d’un enfant : une sorte de désir inconsolable dont les mots qu’il écrit ne cicatrisent pas la brûlure. Il frappe aux portes de la mer, comme d’autres à la porte du ciel, avec des clameurs, des prières et des chants, sans espoir qu’on lui ouvre, sachant bien que seul existe ce en quoi l’on se met à croire.
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