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Citations de Jean-Michel Maulpoix (402)


La musique grimpe et redescend des escaliers de cristal.

Si elle est aussi lente,
c'est afin que chacun prenne le temps d'y compter
les grains de sa propre poussière.
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Beyrouth est discordante, comme un orchestre symphonique avant le concert, lorsque chaque musicien accorde son instrument pour lui seul. Pourtant, cela fait une musique.
Même discordance pour l'œil : ruines, façades trouées, mitraille et vérole de la guerre, peau grêlée des façades, et tous ces yeux trop grands et noirs par où plus personne ne regarde, ni visages d'enfants, ni rideaux, ni lumières bleues allumées le soir, des orbites ouvertes au mortier parmi les clochers et les minarets. L'horizon, au loin, se soulève, ou plutôt ferme sa paupière lourdement maquillée de brume et de bleu, afin que nul ne sache combien il a pleuré. A l'idée de qui viendrait il que la mer puisse compter ses larmes ? Ou qu'elle soit remplie de toutes celles que les dieux ont versées naguère, pressentant le malheur des hommes et leur stupidité.
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Son coeur n’est pas à lui. Qu’en ferait-il ? Il l’offre à qui le prend. Il le pose sur la page et invente quelque créature qui saura se l’approprier. Peu d’encre lui suffit. Il n’est pas dépensier. Un pauvre amour a plus de prix qu’un long discours. Il y met pourtant tout son soin. Ce qui n’existe pas a besoin d’attention. (..)
Son coeur qui s’aventure ne porte pas de nom.
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Là où quelqu’un essentiellement nous manque, là où notre vie s’évide d’un puits sans fond, là où est notre trou, notre défaut, nous fabriquons éperdument de l’amour : en bouquets, en gerbes, en projets, en averse de neige… Ainsi faisons-nous don à autrui de ce qui nous manque… Ainsi lui offrons-nous notre creux à combler. Et c’est en brusques afflux de sang que se résout par secousses et saccades cette grande histoire de cœur.

La femme de neige, p. 86
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Ouvrir un livre près de la mer.
Restriction de la page devant l’immensité….
Ce sont pourtant là deux largeurs, deux largesses,
non de la même étoffe, mais aux lointains presque identiques.
L’un de lignes de légers signes monotones,
l’autre de vagues et de vagues encore, sur la grande page bleue horizontale.

J’aime le silence que fait la langue devant la mer bavarde --- et les oiseaux qui vont et viennent, écrivant sans y prendre garde sur la table de sable dur les hiéroglyphes compliqués de leurs pas.
J’aime que tant de phrases décousues soient écrites alentours par l’algue, la vague, le bois flotté, les flaques, les ruisselets, les pas, les vers de sable, les coquilles et les plumes,
Là où je mène mon livre.

Tâche du poète : fixer les points de clarté.
Quelque chose ici bas qui se souvienne des astres.
La chute fine, noir sur blanc, d’une constellation de mots,
éclairant d’un peu d’encre la nuit humaine.


(p93/94)
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J’aime aller dans le ciel où se perdent les heures, où se défont les rythmes. Grimper très haut avec un livre : les mots n’y sont plus tout à fait les mêmes, comme si dans un oxygène plus rare ils respiraient mieux que sur terre, faisaient valoir la précision de leur découpe ou la beauté devenue plastique de leur sens.
J’aime à transporter les affaires des hommes en des espaces qui les exposent à leur insignifiance.
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Saigon : p55

Touristes, par définition ceux qui ne portent à leurs hôtes aucune espèce d’attention …
Touristes, ceux qui traversent la terre étrangère sans autre souci que celui de leurs cartes postales et leurs photographies, n’ayant là aucun compte à rendre, aucune fonction, aucun devoir, définitivement oisifs et délurés.

Les filles qu’ils convoitent ont le corps transparent. Elles ne montrent souvent qu’un sourire rehaussé d’un trait de rouge épais. Elles osent des jeux, font des mines, ont des impudeurs …
Ils entrainent ces filles menues dans leur chambre d’hôtel.
Puis ils promènent à travers les rues leurs tempes grises au coté de silhouettes qui pourraient être celle de leur fille.
Souvent, on les voit dans les halls ou au restaurant, face à face et muets, n’ayant aucune langue à partager, ou tout simplement rien à se dire, une fois achevée la transaction des caresses à bas prix.

Que reste t-il de ces amours ? Quelques traces de rouge à lèvres sur le col de la chemise ?

Entre la pute et l’amoureuse, rien.
Pas de place pour les complications.

Saigon est un bordel à l’eau de rose.
Sur les ondes, beaucoup de sirop.
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Il est des visages dont la courbure donne à espérer l'impossible, des reins où s'incurve la nuit, des pas que tard l'on voudrait suivre jusqu'au ciel de lit d'une chambre odorante dont les volets de bois ouvrent sur la mer. Il faut aller : c'est vivre. Et cela ressemble à se perdre.
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« La substance du ciel est d’une tendresse étrange. »
     
L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. Le paysage est une icône. Il semble qu’au soleil couchant le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu. Un jour inespéré se lève tandis que sur la mer la nuit prend ses appuis.
     
Le mystère se déplace d’un coin de l’horizon à l’autre.
     
On ne saurait décrire la matière de ce moment ni sa couleur ; ce serait comme une conversation murmurée de la lumière avec l’obscurité, un geste, une bonne intention : l’inconnu prendrait soin de tout, et chacun saurait que sur cette terre il est à sa place, qu’elle est faite pour lui, que le malheur même n’y est qu’une erreur, un oubli bientôt réparé, ou l’état mal dégrossi du bonheur qui se dessine et dont le ciel du soir ne déliera pas la promesse.
     
p. 17
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Touristes, par définition ceux qui ne portent à leurs hôtes aucune espèce d’attention. Ceux qui tirent parti de la méconnaissance des autres ("on" ne se comprend pas) pour s’afficher en débraillé, comme jouissant "là-bas" d’une impunité parfaite – la même que chez eux en pantoufles devant la télévision.
Touristes, ceux qui traversent la terre étrangère sans autre souci que celui de leurs cartes postales et leurs photographies, n’ayant là aucun compte à rendre, aucune fonction, aucun devoir, définitivement oisifs et délurés.
Touristes : ceux qui applaudissent les éléphants enchaînés jouant de l’harmonica. Ceux qui n’ont rien à craindre.
Équivalent contemporain de ce que l’on entendait par « bourgeois » au XIXème siècle : la créature conforme, matérialiste, locataire d’un temps vide gagné grâce aux machines.

Les filles qu’ils convoitent ont le corps transparent. Elles ne montrent souvent qu’un sourire rehaussé d’un trait de rouge épais. Elles osent des yeux, font des mines, ont des impudeurs…
Ils entraînent ces filles menues dans leur chambre d’hôtel. Puis ils promènent à travers les rues leurs tempes grises au côté de silhouettes qui pourraient être celle de leur fille. Souvent, on les voit dans les halls ou au restaurant, face à face et muets, n’ayant aucune langue à partager, ou tout simplement rien à se dire, une fois achevée la transaction à bas prix.

Saïgon, p. 54

("on" et "là-bas" sont en italiques dans le texte)
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... Est-il un plus pur et plus juste linceul, capable de garder dans ses plis l’être perdu avant de le rendre à la terre et à ses vermines? Est-il autour du disparu des cierges plus brillants que ces chandelles de glace dont la flamme n’est qu’une goutte d’eau saisie sur le vif ? Est-il un cortège plus exact que ces pas d’oiseaux ou de petits rongeurs en quête de pitance à travers la blancheur ? Est-il plus puissante musique que le vent, et un feu qui brûle davantage que la neige ?
     
*
     
— La neige résiste au malheur. Prenez le temps de l’observer quand elle fait mine de tomber. Elle est la seule qui accepte aussi légèrement, avec autant de docilité et de grâce, l’idée même de la chute, la seule qui s’y résigne ainsi, sans aucune espèce de souffrance, et comme avec bonheur ! Elle consent, elle appelle sans bruit à la rejoindre.
— Les mots du poème, parfois, ont cette manière paisible de courir à leur perte...
— Écrire, c’est encore marcher lentement dans la neige...
— N’oubliez pas de regarder vers l’intérieur, la nuit, quand vos yeux ont commencé de se fermer, aux abords du sommeil : vous verrez tomber derrière vos paupières de belles neiges blanches, semblables à de petits papiers où seraient écrites vos histoires d’amour.
     
     
Jardin sous la neige - pp. 111 & 113
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C'est une très petite rue
Qui va de la chambre à la ville
En traversant de longs couloirs
Où s'empilent cahiers et livres
Elle a pour nom la rue des fleurs
C'est par là qu'ont plié bagage
Les mots échappés de mes pages
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La mer en nous essaie des phrases.

Depuis des lustres, la même voix épelle le même alphabet dans le même cerveau d'enfant. Elle balbutie des mots vite envolés, accrochés aux herbes des plages, à la peau brunie des baigneurs, à la proue des barques, aux mâtures. Des mots quelconques, pour rien et pour quiconque. Il n'y est question que de l'amour. C'est pourquoi nous ne savons trop que dire et souffrons que le regard d'autrui s'attarde sur notre visage quand nous voudrions qu'il se pose à même notre coeur. Nos lèvres sont si maladroites, notre corps invisible dans la nuit opaque, et nos mains malhabiles, des éclairs ou des ailes pourtant au bout des doigts.
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Tout à coup se précise à mon esprit la condition du spermatozoïde heureux :
celui à qui l’errance serait épargnée car il se trouverait précisément déposé là où il doit aller, tout au fond du corps aimé où seul accède le profond amour.

(p111)
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C’est toujours le commencement, la même aventure incertaine. Le silence guette, la page grisonne. Le jour tarde sous un entassement de feuilles et de fleurs de tilleul. Édredon de blancheur légère. On s’est allongé dans l’herbe, on prend le temps de disparaître. Écrire est une affaire de cicatrices et de sanglots.

I, Incipit
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Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s’éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l’amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains.
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Il y a dans son cœur des sortes de lézardes. Elles ne saignent pas.
Elles abritent des végétations singulières : de maigres agrégats de mots, des images ou des phrases, souvenirs demeurés vivaces de leçons autrefois récitées, de paroles entendues, ou de poèmes griffonnés à la hâte sur des pages arrachées.
Ses yeux prennent la couleur du ciel, de l’eau, de la terre ou de la nuit, comme deux billes de verre transparentes où se reflètent les paysages et les passants. Ses deux pieds ne tiennent pas au sol ; son corps demeure suspendu à des phrases. Les mots décident de ce qu’il voit, de ce qu’il aime.
Il tire à lui les draps de la mer, des paquets de feuilles, et les couvertures de tous les livres, puis s’en va dormir, d’un blanc sommeil de chrysalide, enveloppé de poussière et de papier, le monde entier sur les épaules.
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La neige dit adieu
[...]
Personne ne saurait comme elle
se jeter dans le vide.
Personne ne peut mourir avec autant de joie.
Autant de gaieté.
Incomparable est sa qualité d'espérance.
Son dédain de l'éternité.

Il fallait qu'elle aimât passionnément la terre
pour y descendre ainsi,
avec mille précautions,
au lieu de demeurer au ciel.
Brûlant de se donner aux branches nues et aux cailloux,
d'encapuchonner les toits et les cheminées.

La neige meurt du bonheur
d'être allée dans le bleu
comme aucun oiseau et aucun insecte.
Aucun dieu sans doute, aucun ange.

Elle tombe, puis elle se couche.
Il lui plaît de mourir très vite après avoir dansé.
De s'être tenue si près de l'Azur,
elle ne se remet pas.
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Tout a déjà eu lieu. On corrige sans cesse les mêmes phrases. Pareil au coquillage, on se laisse bercer par le bruit ancien de la mer. On tient cela pour un miracle. On croit toucher enfin au port… Chacun transporte dans sa tête le corps d’un ange, et ne rêve que de s’alléger à sa ressemblance.

La nuit fait dans l’encre d’indéfinis détours. Nous parlons de travers : nous avons tant de manières de nous divertir et disposons d’un si grand nombre de mots pour nous consoler de l’inexprimable. Ainsi va cette vie que tout y chemine vers la mort, mais s’égare, bienheureux de se perdre en route.

Il n’existe nulle part de plus hautes terres que celles dont nous fûmes exilés au sortir de l’enfance. Malades de ces montagnes, nous dormons dans la plaine sur un lit de cailloux. Nos rêves rassemblent les décombres d’une vie de fièvre et de déraison où ce qui nous appartient en propre ne dépend pas de nous.

VI, p. 45
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Jean-Michel Maulpoix
Poétique du carnet de route, extrait.
     
Je me souviens du curieux sentiment d’insularité éprouvé à Beyrouth ou à Pékin, lorsque dans un lieu public je prenais des notes, immergé dans un brouhaha de conversations en arabe ou en chinois auxquelles je ne comprenais rien. Tenir un carnet, c’est ainsi s’assurer d’une espèce de continuité dans la discontinuité du voyage. C’est demeurer lié par un précieux cordon de signes à cette langue maternelle que l’on a momentanément cessé de parler et qui nous redevient d’autant plus chère qu’elle s’efforce d’appréhender des réalités étrangères, de dire un autre monde. (…)
     
Il ne me semble toutefois pas exagéré de dire que le carnet de route est le contraire d’un journal intime, celui-ci supposant une espèce de rituel privé, des retrouvailles régulières avec le cadre familier d’un bureau ou d’une chambre, et la conservation d’une intimité, si curieuse puisse-t-elle être du monde extérieur. Il n’est pas non plus assimilable au « journal de voyage » tel que Michaux l’a illustré dans Ecuador puisque, tout autrement élaboré, celui-ci obéit à une chronologie et se constitue en texte à part entière. Somme toute, le carnet demeure en deçà. Plus près de la main et du pouls, il enregistre aussi bien le battement du cœur des grandes villes que celui des saisons. (...)
     
Érotique est le carnet de route qui fait bâiller le temps et se plaît à ce qu’on l’entrouvre. Affaire de jointure, de contact, lieu préféré de ce qui mûrit dans l’entre-deux, à l’intersection de l’œil et de la pensée, du corps et du dehors, pas à pas, page à page.
Échappant au souci du livre, voire à ses angoisses, un plaisir du texte lui est propre. Plaisir des commencements, des promesses. Plaisir de la note frappée ou tenue, de la variété des éclats, des bouts de description, de récits, de dialogues, de poèmes parfois. Plaisir de l’interjection et de sa résonance. Plaisir de vérifier que le langage répond lorsqu’on le sollicite. Plaisir de sa plasticité et sa ductilité. Plaisir qui ignore l’impuissance, puisque dans le meilleur des cas il semble que les mots affluent en même temps que le monde. Celui-ci vient par bribes, (rushs, eût dit Roland Barthes), parfois directement en phrases, voire en paragraphes ou en scènes. Et ce sont des rideaux qui se déchirent, comme si le réel cessait de nous être fermé sans perdre son étrangeté. (…)
     
Je dois avouer une préférence très marquée pour les carnets japonais : la qualité de glisse de leur papier d’un très léger blanc cassé, couleur de coquille d’œuf (c’est une teinte favorable à la germination), est accueillante à ces heureux mouvements de plume sans lesquels il n’est pas pour moi de voyage accompli. Étant de ceux qui circulent avec des phrases, mon bonheur tout anachronique dépend d’un toucher de plume que volontiers je dirai lyrique. Il me plaît de penser que ce toucher conserve, en dépit des siècles qui ont passé et de l’éloignement des mythes, quelque parenté avec l’antique toucher des doigts de l’aède sur la lyre : il a lieu la plupart du temps au-dehors, il est inspiré et improvisé, il fait vibrer et laisse affluer vers la page les êtres et les objets du monde. Le carnet est lieu d’affluence. Il s’entrouvre aux heures d’affluence...
     
Le carnet invite à cela : sortir (un peu, beaucoup, passionnément) de soi : se voir en autre parmi les autres. S’extraire du ventre maternel. Franchir les « anciens parapets ». Congédier classements et doctrines. Modifier ses appuis. Réapprendre à s’orienter. Restaurer un usage du monde. Une conscience du terrestre. Découvrir d’autres températures...
     
     
Revue Les Écrits, n°144 – août 2015, pp. 57-62.
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