Jian Ma

Des décennies d'endoctrinement, de propagande, de violence et de tromperie ont rendu le peuple si apathique et confus qu'il ne sait plus différencier les faits de la fiction. Les gens ont fini par gober que le miracle économique national était dû aux chefs du Parti, et non aux légions de travailleurs sous-payés. Le consumérisme frénétique encouragé durant les trente dernières années, tout comme le nationalisme exacerbé, fait partie intégrante du rêve chinois, transforme les citoyens en enfants attardés -- nourris, vêtus et divertis mais sans aucun droit de se remémorer le passé ni de poser des questions.

Pendant un instant, l'écrivain professionnel a l'impression d'être un sac en plastique soulevé par le vent. Il lui vient à l'esprit que bien que le sac en plastique soit sans valeur, il est capable de s'élever au-dessus de la réalité matérielle et de changer de direction. Quand le vent souffle contre lui, il s'emplit d'air et plane dans l'espace-choses que ceux qui sont retenus au sol ne pourront jamais faire.

Quand les cimes enneigées et lumineuses plongèrent à la renverse dans les eaux couleur de ciel, j'eus brusquement envie de serrer quelqu'un dans mes bras.

En Chine, où la politique est l'unique religion, les gens ne peuvent trouver ce qu'il est convenu d'appeler un style de vie que le long de chemins étroits et imposés. L'art me permet de fuir cela, il me soulage de l'ennui et rend ma vie plus légère, plus supportable, enfin en apparence. Traîner mes toiles à travers la ville en espérant une quelconque reconnaissance, quelle blague ! L'inspiration m'a quitté cette semaine, chacun de mes coups de pinceau me paraît raide. Mes amis peintres pensent que je suis ultraconservateur, mes amis écrivains que je suis un homme aux mœurs relâchées. Au temple de Jushilin je suis un discipline tranquille, au Département de la propagande je suis un jeune homme décadent. Les femmes me prennent pour un artiste cynique, et la police pour un voyou. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent. Je n'ai plus que vingt mille jours à vivre. Pourquoi m'ennuyer avec eux ? Je me sens pris au piège dès qu'ils me parlent, entraîné sur un terrain où mes réflexions se vident de leur sens. Pour répondre à leurs questions ennuyeuses, je m’efforce d'entrer dans leurs têtes, de m'y installer, de boire poliment leur thé à petites gorgées. Quelle perte de temps.

La ville est tranquille maintenant. Des boîtes rouge vif ont été placées à chaque coin de rue pour que les citoyens puissent y déposer les dénonciations de conduites inciviques. le comité municipal du parti a interdit aux piétons de crier, de rire ou de courir dans la rue, et exige que les groupes n'excèdent pas quatre personnes. Dans le cas contraire, il leur faut se séparer en deux. Le comité a également invité des troupes culturelles à venir dans les unités de travail locales apprendre aux employés les vertus de la politesse et évaluer leurs connaissances en matière de civisme. Notre unité de travail a été recalée parce que deux vieux camarades du département financier marchaient en faisant des enjambées qui ont été jugées soit trop grandes soit trop petites.

« Les directeurs des usines dépendent de nous pour remplir leurs quotas de dons. Si leurs employés donnaient leur sang, il leur faudrait sortir des milliers de yuans par an en primes et en congés maladies. Nous ne prenons que du liquide, et nous n'avons jamais demandé de congé maladie. Beaucoup d'usines ont reçu le statut d'"entreprises de pointe" à cause du sang que nous avons donné pour elles. Eh bien, je suis un "donneur de sang de pointe", un Lei Feng altruiste voué à la cause du peuple. Tu dis que les étrangers donnent leur sang gratuitement. Eh bien, si le gouvernement prenait la peine de me trouver un vrai boulot, je donnerais mon sang gratuitement moi aussi. »

Kongzi lève les yeux au plafond et pousse un soupir.
— Le vieux philosophe Laozi disait : « Le bien le plus précieux est pareil à l'eau : il donne vie aux dix mille créatures mais il le fait sans violence. Se répandant dans des lieux que les hommes redoutent, il ressemble au Tao... » Mais cette rivière Xi ne donne pas la vie, ce n'est qu'un cimetière flottant chargé de cadavres, d'ordures et de déchets pollués...
— Les philosophes taoïstes cherchaient à définir des principes susceptibles de gouverner la nature humaine, répond Weiwei. Mais qui s'intéresse aux principes, de nos jours ? A la mort de sa mère, le sage taoïste Zhuangzi s'est mis à battre son tambour et a éclaté de rire. Sa mère s'était éteinte de mort naturelle, aussi pouvait-il prendre la chose avec une certaine sérénité. Mais ma propre mère s'est donné la mort à cause d'un gouvernement qui se désintéresse du sort des malades et des plus démunis. Aussi m'est-il difficile de ne pas céder au désespoir. Depuis le massacre de Tienanmen, ce pays a perdu son âme. L'argent est devenu sa seule religion.

Puis elle consulta les œuvres de Heidegger, espérant utiliser sa philosophie pour mettre de l'ordre dans son esprit, mais après avoir laborieusement parcouru deux ou trois volumes , elle découvrit que Heidegger était encore plus perdu qu'elle ne l'était elle-même.

« Il faut que tu viennes voir les répétitions de notre nouveau ballet, "La Boutique de raviolis Qing-Feng". C'est une reconstitution de la visite du président Xi dans le restaurant de raviolis à Pékin. Tu te souviens ? Tous les journaux en ont parlé. Il a fait la queue lui-même, a commandé six raviolis vapeur et les a mangés à la table commune. Un authentique homme du peuple ! La boutique ne désemplit plus depuis : les gens se pressent tous les jours pour goûter les "raviolis de Xi" ».

Mais les utopies mènent toujours aux dystopies et les dictateurs finissent invariablement par se changer en dieux exigeant une adoration quotidienne.

Extraits de l'avant-propos :
En novembre 2012, deux semaines après avoir été nommé secrétaire général du Parti communiste chinois, XI Jinping s'est rendu au Musée national de Chine, vaste bâtiment stalinien somptueusement rénové sur le coté gauche de la place Tian'anmen, juste en face du mausolée de Mao.
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A la fin de sa visite, XI Jinping a fait part de son "rêve chinois de renouveau national"
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Depuis lors, ce slogan vague et nébuleux, a servi de fondationà son gouvernement. Comme les despotes qui l'ont précédé, il a accru son emprise sur le pouvoir en censurant toutes les informations concernant le chaoscausé par le communisme et en promettant un paradis pour l'avenir.

Les vendeurs à l'étal venus des banlieues allument leurs woks et vendent des galettes de pain. De grosses mouches vertes filent à travers la fumée odorante qui s'élève des braises. L'après-midi, les mouches se déplacent vers les caisses de yoghourts entassées au coin de la rue.

Les matins argentés sont toujours pleins de nouvelles résolutions.

Vous pouvez me jeter par terre, mais je me relèverai ; et la roue de Loi continuerai de tourner en moi. Arrêtez-moi, si vous voulez ! Je m’en moque. Quelle différence cela fera-t-il ? La Chine est une immense prison. Que nous soyons dans une cellule ou chez nous, nous sommes tous prisonniers !

Tu crois que tu serais plus en sécurité dans ton dortoir, mais la police peut parfaitement venir t’y chercher si elle le veut. I n’y a aucun endroit où s cacher dans ce pays. Chaque maison est aussi exposée qu’une place publique, surveillée par la police jour et nuit. Si nous voulons créer un pays dans lequel tout le monde puisse se sentir en sécurité, il faudra faire beaucoup plus que filer la trouille au gouvernement…

…je sens qu’il existe une possibilité que ce mouvement pour la démocratie prenne enfin son essor et se répande dans le reste du pays. Le Parti communiste a tué ton père et il a tué mon père aussi. Notre génération a aujourd’hui l’occasion de se lever pour protester. Nous devrions en profiter. Peut-être qu’elle ne se représentera jamais. 

Mais les villageois voulaient absolument faire preuve d’esprit révolutionnaire et ils ont pris les choses en main et se sont mis à exécuter eux-mêmes les ennemis de classe. Regarde ce passage. C’est un discours qui a été prononcé par le directeur du comité révolutionnaire du Wuxuan à l’époque : « ... les masses aux racines de la société ont le droit d’exécuter, mais il ne faut pas qu’elles gâchent des balles. Il faut les encourager à tuer leurs ennemis à mains nues, ou à l’aide de pierre ou de bâtons. De cette façon, elles seront capables de tirer un plus grand bénéfice éducatif de leur expérience

Il écrivait qu’il sentait que l’esprit de Dieu le regardait d’en haut. Il croyait que les souffrances qu’il avait endurées dans les camps avaient été destinées à éprouver sa foi. Sur la dernière page du journal, il écrivait : « Père tout puissant, j’ai passé assez longtemps en Enfer. Sauvez-moi et emmenez-moi au Ciel 

Durant sa dernière année au village de Yaobang, la police est entrée en trombe dans sa salle de classe pour arrêter une de ses élèves âgée de douze ans dénommée Fang. Plus tard, il a appris que le seul crime de celle-ci avait été de gratter un peu de plâtre d'une statue de Mao pour faire durcir son tofu.

[...]

"(...) Quand elle est revenue de détention, elle n'a pas quitté sa maison pendant trois jours. Le quatrième, j'ai vu son corps flotter à la surface de l'étang du village, sa longue crinière de cheveux étendue autour de sa tête. (...)"

" [...] Le rêve de Xi Jinping, c'est que d'ici le centenaire du Parti Communiste Chinois en 2021, notre société soit modérément prospère, et pour le centenaire de notre République en 2049, que notre économie ait surpassé celle des États-Unis et que la Chine ait retrouvé une place centrale à l'échelle internationale. Durant cette période de transition cruciale, le parti dirigeant chinois doit devenir le parti dirigeant de l'humanité. Ensuite seulement le rêve de résurgence nationale du président Xi Jinping sera réalisé. Ensuite seulement le Rêve Chinois deviendra global. Ensuite seulement le peuple chinois pourra parcourir le monde entier, prendre le contrôle et concrétiser la grande unification de l'humanité..."