L'auteur,
Ma Jian, est un dissident chinois, dont les livres sont interdits dans son pays. Exilé à Londres, il recourt à un mélange de farce cynique et d'informations quasi journalistiques sur son pays afin de dénoncer la situation politique établie par le président
Xi Jinping et ses partisans.
Le personnage central est Ma Daode, directeur municipal de la ville de Ziyang. Sa tâche actuelle ? Participer au Rêve chinois en détruisant la pensée ancienne, les rêves anciens, pour laisser le champ libre à la nouvelle idéologie. En fait, permettre à la Chine, lors du centenaire de la république (2049, donc) de réaliser l' « unité mondiale » souhaitée par Gengis Khan !
Vaste programme ! les Chinois devraient se voir implanter une puce de l'oubli, celle du Rêve chinois. Fini, les souvenirs de la Révolution culturelle, les millions de morts, les intellectuels envoyés aux champs se faire rééduquer par les paysans. Finies aussi les luttes entre factions de Gardes rouges, plus violentes et plus ambitieuses les unes que les autres. Finies aussi les petites faiblesses des chefs, corruptions en tous genres et profits illégaux.
Oui mais. Finis aussi les joies tendres de la jeunesse, les douceurs de la vie au foyer, les amis étudiants, la famille, les rires d'autrefois. Finis aussi les deuils, les chagrins d'avoir mis au tombeau ses parents dans un cercueil en carton, faute de moyens dignes d'eux. Fini aussi le souvenir de ses parents, droitiers, comme ils disent, humiliés publiquement, sa mère torturée par les Gardes rouges, et leur double suicide par pendaison, en cachette dans le grenier où on a relégué la famille. Oubliée aussi, la trahison de Ma Daode qui a proposé aux Gardes rouges de détruire leur maison. Et le voilà devenu un notable du Parti, mais à quel prix !
Le regard de
Ma Jian est acéré, éminemment critique, partisan bien sûr. Pourtant, je retrouve sous sa plume ce que j'ai moi-même observé en Chine, et c'était bien avant
Xi Jinping. Commissaires de quartier, chargées (c'étaient des femmes) de faire avorter celles qui prétendaient avoir plus d'un enfant, abandon des enfants nés hors la loi, impossibilité pour eux d'exister socialement : ni déclarés, ni scolarisés, ni soignés. Et ces étudiants de la Place Tian'anmem, brillants, auxquels il a été demandé de choisir entre droit à l'étude et internement. C'était en 1989. Mais la vie est-elle plus facile aujourd'hui en Chine pour ceux qui voudraient penser par eux-mêmes ? L'idée de l'auteur, celle du lavage de cerveau via un implant de puce, est peut-être farfelue et presque amusante. Jusqu'à quel point ?
Quant à cette volonté de s'imposer comme première puissance mondiale, on en a vu les effets sur les vieux quartiers de Pékin et de Shanghai, pour ne citer que ces deux villes : destructions des maisons anciennes, de quartiers entiers aux populations déplacées, pour construire immeubles de bureaux, parkings et zones industrielles à leur place. Nous ne reverrons à peu près rien des anciens hutong de Pékin, pas plus que le quartier des Légations, démolis pour faire place à des gratte-ciel.
Le progrès ? Je ne sais pas. En tous, cas, à quel prix... !
Ma Jian fait intervenir un « guérisseur qi gong », susceptible d'aider Ma Daode à faire le tri entre ses pensées anciennes à oublier (trop dangereuses) et celles qu'il veut garder. Moyennant finances, fortes finances. Là, je regrette de devoir dire à l'auteur : stop ! le qi gong ne permet rien d'aussi farfelu et, pratiqué par des gens de qualité, ne s'assortit pas de cette cupidité. Mais dans ce domaine, je ne suis pas impartiale, moi non plus !!
En conclusion, un livre à lire absolument, l'esprit critique ouvert et la volonté d'aller s'informer ailleurs également, pour ne pas tomber dans ce que reproche l'auteur à la Chine actuelle : la pensée monolithique.