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Isabelle Bijon (Traducteur)
EAN : 9782868692870
86 pages
Actes Sud (07/01/1993)
3.87/5   19 notes
Résumé :

Bien plus qu'une relation de voyage, les cinq récits ici rassemblés proposent une vision d'un monde que l'on croyait connaître. Le Tibet visité, interrogé et intimement découvert par le Chinois Ma Jian révèle en effet un peuple et un pays d'une inquiétante étrangeté dont la dureté et la violence sont extrêmes. Les descriptions - celles des funérailles célestes durant lesquelles les... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Liangchu nide Shitai
Traduction : Isabelle Bijon

Ce mince recueil paru chez Actes Sud comporte cinq nouvelles ayant toutes pour thème la civilisation tibétaine, que Ma Jian examine d'un oeil fasciné mais impartial.

La première nouvelle, "La Femme en Bleu", évoque le destin de Mima, jeune Tibétaine morte à dix-sept ans sans avoir pu donner naissance à l'enfant qu'elle attendait. Si bref qu'il ait été, son destin aura été marqué au sceau du tragique : troquée tout enfant contre neuf peaux de mouton, donnée en mariage à deux frères brutaux et alcooliques, elle n'aura connu que de très rares instants de bonheur aux côtés d'un soldat chinois en garnison à Langkatze. Instants volés et tenus secrets que le soldat anonyme, interrogé par le narrateur, considère comme autant de pierres précieuses. La nouvelle s'achève par la vision des vautours s'abattant sur le cadavre qui, selon l'usage, leur est offert, pièce par pièce, par les plus proches parents de la défunte, à savoir ses maris.

Moins intense et plus bref, "Le Sourire du Lac du Col de Dolm" relate le retour parmi les siens d'un jeune Tibétain parti faire des études à la ville. A la fois heureux et gêné de retrouver sa famille si semblable et pourtant si différente, il se remémore son enfance et prend peu à peu conscience que, en dépit de ses racines, beaucoup de choses se sont transformées en lui.

La troisième nouvelle, "Le Chörten d'Or", est une histoire d'adultère entre un apprenti et la femme de son maître. L'époux, maître Sangboutza, a été chargé par un monastère de construire un chörten, c'est-à-dire une sorte de pagode destinée à abriter les cendres d'un saint, et de le recouvrir d'or. Au sommet, une flèche tout en or qui scellera le destin de Koula Djouli, l'épouse adultère et avide.

La quatrième nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, est peut-être la plus horrifiante. La pauvreté morale et sociale engendrée par l'ignorance, l'alcool et la tradition y va jusqu'au bout de l'extrême et, une fois de plus, le lecteur constate que le statut de la femme tibétaine est loin d'être enviable même si l'on en parle peu.

"L'Ultime Aspersion" enfin, sur lequel se clôt l'ouvrage, tire à boulets rouges sur certains rites à connotation fortement sexuelle imposés par la religion. Ici aussi, c'est la femme qui en fait les frais, bien évidemment.

On s'étonnera peut-être de découvrir autant de puissance et de violence dans des textes si courts. On s'étonnera plus sûrement de découvrir un Tibet glauque, pétri de traditions sanglantes et arriérées, en totale contradiction avec l'éternel sourire du Dalaï-Lama. Certes, on peut toujours prétendre que Ma Jian est chinois. Mais, vu son parcours, on ne saurait guère le suspecter de propagande envers le régime de la République populaire de Chine. La vision du Tibet qu'il donne ici est bien une vision personnelle et acquise sur le vif, dans un mélange d'étonnement, de dégoût, d'horreur et, répétons-le, de fascination.

Pour vous faire votre avis, lisez ce petit livre mais attention : avec ses passages "bruts de décoffrage", il risque de choquer les âmes sensibles. Quoi qu'il en soit, il ne laissera personne indifférent.
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Un enchantement que la découverte de ce livre! comme si l'esprit de la dakini, "celle qui marche sur les airs" ou celui du Chomo-langma, l'Everest, m'avaient envoutée. Et ça, pour un lecteur, c'est toujours un bonheur quand on ne s'y attend pas.
J'ai particulièrement été séduite par la forme de ce texte, pourtant décrié en Chine (comme anti-chinois) comme en Occident (comme illégitime car précisément venant d'un Chinois), un texte inspiré, une oeuvre de littérature qui offre une véritable singularité entre récit de voyage, légende rapportée et rêverie hallucinée où Ma Jian, Han perdu au milieu des Tibétains, prend soin de se poser à une place respectueuse et en même temps investie de son sujet.
Son sujet, c'est un Tibet éternel, minéral, violent et spirituel, à cent lieues de la minorité intégrée que Pekin veut imposer. Les esprits sont partout autant que la souffrance dans ces décors somptueux et irréels où le froid mord et élève, où les lacs brillent d'une lumière divine et les montagnes dominent des hommes suspendus entre vie terrestre et fusion dans le Un. Avec l'auteur médusé, on assiste aux funérailles d'une jeune femme dont le corps est offert aux vautours, on croise une mendiante au "sourire dénudé comme la steppe", on souffre aux côtés d'une jeune fille qui perd le souffle primal en se découvrant femme.
Ces quelques nouvelles m'ont apporté un dépaysement violent et salutaire.
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Un livre très court (90 pages en format de poche), 5 récits qui le sont tout autant. Des récits de voyages ou des récits de récits oraux, des histoires cruelles de mort, d'inceste de viol vécues dans les hauts plateaux tibétains.

En présentation de l'ouvrage on nous demande « mais pourquoi être déçu ? » de voir qu'aux Tibet comme ailleurs l'Homme peut être répugnant, égoïste et bêtes. Je réponds que pour les histoires « la mendiante de Shigatze et « l'ultime aspersion » c'est tés énervant de lire des histoire vrai aussi cruelles et surtout injuste envers la femme. Je lis pour m'évader et lire des drames sordides ne me gêne pas lorsqu'ils sont « dilués » dans une fiction même réaliste. Ici je ne peux m'empêcher de penser que ses personnes ont existé (qu'il existe d'autres personnes maintenant dans une situation équivalente), que leur malheur s'est réellement déroulé et le sentiment d'injustice que je ressens est dur à digérer.

Préférez « chemin de poussière rouge » du même auteur, grandiose exode à travers la Chine.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... La famille du défunt garde le cadavre sous son toit trois jours durant ; puis le mort est acheminé à dos d'homme jusqu'au cimetière céleste. Pendant le trajet, le porteur ne doit, à aucun moment, regarder en arrière ; à la sortie du village et à chaque carrefour, on brise une jarre d'argile rouge pour empêcher l'âme du mort de revenir tourmenter les vivants. Un maître de cérémonie allume des feux d'encens ; les plus fortunés font venir des lamas qui récitent des mantras pour élever les mérites du défunt jusqu'au royaume de Bouddha. Ils espèrent ainsi obtenir sa réincarnation dans la Roue de la Vie ou la vie éternelle dans le royaume de Bouddha. Le maître de cérémonie procède au dépeçage du cadavre. Ensuite il broie les os avec un marteau de fer pour les réduire en pâte. Quand il s'agit d'os tendres (des os d'enfants, par exemple), il ajoute de la tsampa (= farine d'orge, ordinairement consommée mêlée au thé salé et au beurre de yack) à cette pâte afin de l'épaissir avant de la donner en pâture aux vautours. On reconnaît les morts bouddhistes au signe propitiatoire incisé sur leur poitrine. La remise de la peau du crâne à la famille du mort clôt les funérailles. Les relations avec le défunt se poursuivent ensuite par des dons d'encens et des prières aux bouddhas. ... [...]

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[...] ... Le crâne de Sangsang Dzassi [l'héroïne de la nouvelle] est aujourd'hui entre mes mains. Je l'ai acheté à un homme dont le grand-père, disait-il, avait étudié en son jeune âge la magie au collège de médecine du monastère de Danba. Le crâne de Dzassi était exposé dans la salle des dieux, comme un objet de culte divin. On l'utilisait lors des cérémonies de l'Ultime Aspersion. Cette calotte crânienne transformée en bol a la couleur du cuivre. L'os est fêlé du côté gauche depuis qu'il est tombé par terre, il y a bien longtemps si l'on en juge par la crasse grasse qui s'y est déposée. La scissure de la voûte du crâne a le zigzag d'un électrocardiogramme, ce qui, selon un médecin de mes amis, est caractéristique du crâne d'une femme avant la puberté. Le bord de ce bol fait d'un crâne humain est serti d'un anneau de cuivre et l'intérieur est recouvert d'une feuille de métal.

Le vendeur m'en demandait cinq cents yuans mais je l'ai obtenu pour cent yuans. Si l'un de vous a des dollars dont il ne sait que faire, nous pouvons peut-être nous entendre, si votre offre me permet de couvrir les frais de ma prochaine expédition dans le Nord-Est ...
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[...] ... A l'aube, on enfonça la porte de ma chambre pour m'annoncer que Koula Djouli était coincée en haut du chörten. Tous les occupants du monastère affluèrent vers le sommet de la montagne. Il avait fallu qu'elle mette son plan à exécution ! Elle avait démonté la flèche d'or [qui surmontait le chörten]. Mais le piton de cuivre s'était fiché profondément entre ses cuisses. Cette tige de métal suivait toutes les contorsions qu'elle faisait pour se dégager et enflait sans cesse, elle se cala en elle, lui interdisant tout mouvement.

La flèche d'or avait atterri sur la terrasse du quatrième étage. Les lamas étaient terrifiés. J'allais chercher une échelle pour me porter au secours de Koula Djouli. Mais, dès que je l'appuyai contre le chörten, elle prit feu. Je dus reculer précipitamment pour ne pas griller. Le chörten grillait comme du métal en fusion. L'abbé arriva à son tour. Il envoya des hommes récupérer la flèche d'or avec des perches. Puis il fit dire un rituel d'exorcisme. Un orage s'abattit aussitôt sur le chörten, qui disparut derrière un écran de fumée. Mais la chaleur redoubla, les gouttes de pluie éclataient comme le tonnerre en touchant le métal. C'était terrifiant. La fumée ne se dissipa qu'au bout de plusieurs jours. Koula Djouli était toujours là-haut. Morte. On sentait encore l'odeur qui émanait de son corps. ... [...]
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[...] ... J'ai tété ma mère jusqu'à l'âge de quatorze ans. Son lait ne s'était pas tari. Mon père avait été tué pendant le soulèvement contre les Chinois. Dans nos steppes, il n'y a pas grand monde, tu verras quand tu y arriveras. A seize ans, j'ai couché avec ma mère. J'avais pourtant l'occasion de fréquenter d'autres femmes quand j'allais au chef-lieu du canton, chaque année pour la Fête du Yaourt ou bien pour faire tondre mes moutons. Mais mes sentiments n'étaient pas clairs. Et puis, je ne pouvais pas me passer de ma mère. Ca la faisait pleurer des fois mais je n'y pouvais rien, elle non plus. J'étais son homme, elle m'avait élevé. Après la mort de mon père, elle ne s'est plus occupée que de moi. Elle n'a jamais eu d'autre homme, pas même un berger de passage.

Un jour où je me trouvais à Djiwa, j'appris que la lamasserie de Sera allait faire restaurer ses bouddhas en bronze. C'était l'occasion de quitter ma mère et de me rendre à Lhassa.

A l'époque, ma fille avait déjà neuf ans. Qu'aurait-elle fait si elle avait su que sa mère était également la mienne ? ... [...]
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[...] ... [Sa soeur] s'approcha de lui et lui versa à nouveau du thé chaud dans son bol. Il la regarda.

- "Déboutonne donc ta chemise. Tu ruisselles de sueur. Il y a beaucoup de femmes [en Chine] ?"

Il regarda les yeux, puis les lèvres de sa soeur.

- "Elles ne portent pas la robe tibétaine. Elles se mettent des blue-jeans moulants. Pour dormir, elles enlèvent tout, pas comme nous qui gardons notre tchouba (= manteau en peau de mouton chez les bergers, en feutre garni de parements de fourrure chez les plus riches)."

Il détourna les yeux. Elle détourna les yeux.

Autrefois, ils dormaient ensemble. Autrefois, il avait glissé la main à travers la manche de sa soeur jusqu'à toucher les pointes de ses seins. Il avait fourré sa main entre ses cuisses. Elle s'était réveillée, ses cuisses avaient tressailli. Elle avait repoussé sa main et s'était écartée de lui.

Depuis, il ne pouvait plus regarder une femme sans penser à la steppe. A ce souffle moite et oppressant qui colle à la steppe. ... [...]
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Video de Jian Ma (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jian Ma
Payot - Marque Page - Ma Jian - China Dream
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