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Critiques de Serge Joncour (1569)
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Chien-Loup

Serge Joncour, dans la lignée des écrivains américains « nature writers », voue un culte aux grands espaces sauvages, à ces hectares de verdure, peuplé de bestioles.

Il campe son décor dans son fief de prédilection, le Lot, et revisite l'Histoire du village d'Orcières, « au fin fond des collines escarpées du causse », « au coeur du triangle noir du Quercy », village ancré dans la légende et les superstitions.

On navigue par alternance entre deux époques ( 1914/2017)



Le chapitre d'ouverture traversé par un hourvari nocturne tonitruant, cet été 1914, interpelle : hommes mobilisés, animaux réquisitionnés, les femmes au labeur, la peur.

Le Mont d'Orcières devient le repaire d'un dompteur et de ses fauves, le théâtre d'une histoire d'amour fusionnelle et d'une tragédie que l'auteur ressuscite.



En 2017, un couple de Parisiens vient y passer son été. Gîte paumé, sans Wi-Fi, sans télé, confort spartiate, accès difficile. Mais « un pur émerveillement » saisit les vacanciers à l'arrivée. « Un parfait éblouissement ». Cette vue panoramique depuis la clairière les ravit. Idéal pour se déconnecter et rebooster sa créativité.

Le silence qui prévaut dans cette maison contraste avec la sarabande d‘un monde nocturne, peuplé de bestioles qui regorgent de vitalité, ce qui alarme d’autant plus Franck, l’insomniaque, surtout qu’un soir il avise une bête « deux lueurs jaunes, deux yeux effilés phosphorescents ». Auraient-ils des loups comme voisins ? La peur va atteindre son paroxysme.



Si Lise s'adapte, son mari Franck, producteur, à la merci d'associés prédateurs, est pris de panique à l'idée de ne pas pouvoir rester en contact avec eux. D'où ses échappées à la ville, ses haltes au café. Au marché, il croise un boucher fascinant dont l'étal regorge de « barbaque » et lui donne l'envie de renouer avec la viande.



L'irruption d'un Chien-Loup errant, sans collier, change la vie du couple. L'auteur met l'accent sur la dualité de ce molosse ( féroce ,buté/ docile, affectueux) et des animaux en général : «  Dans l'animal le plus tendre dort toute une forêt d'instincts ».



Serge Joncour, en connaisseur de la gent canine, décrypte avec acuité toutes les réactions de ce Chien-Loup vagabond, selon les lieux. Il questionne la cohabitation hommes/animaux dans la nature et les rapports dominant/dominé, maître/nourriture.

«  Être maître d'un animal, c'est devenir Dieu pour lui. Mais avant tout c'est lui assurer sa substance, sans quoi il redeviendrait sauvage... »

On est témoin de la façon dont Franck l'amadoue progressivement, lui parle, fraternise, gagne sa confiance et tisse une complicité, une amitié hors normes, très touchantes. Scènes cocasses entre Franck et Alpha quand il le nourrit, joue avec lui.



Lors d'une randonnée dans ce maquis insondable, jusqu' à une igue, ils font une découverte majeure, insolite, point de convergence de l'intrigue. Vestige et relent d'un passé maléfique sur lequel les villageois sont peu diserts, entretenant ainsi le mystère par leurs sous-entendus et leurs méfiances.



L'auteur nous dévoile les coulisses du métier, non pas d'écrivain, mais de producteur, devant résister à ses associés, « des jeunes loups » prêts à pactiser avec Netflix et Amazon. Serge Joncour, dont certains romans sont adaptés à l'écran, pointe en connaissance de cause les dangers de ces monstres, « à l'appétit sans limite », clame sa défiance contre ces «  géants du numérique » et déplore « qu'ils ne payent pas d'impôts ».

Une phrase retient l'attention et préfigure le plan machiavélique en germe de Franck contre ses « charognards », ses voraces prédateurs : «  Il se sentait prêt à réveiller en lui cette part de violence qu'il faut pour se défendre, mais surtout pour attaquer, et ce chien mieux que personne lui disait de le faire ».



Le récit s'accélère. Pourquoi ce deal avec les braconniers ? Franck va-t-il accepter les conditions de ses «  enfoirés » d'associés ? Pourquoi les fait-il venir ? Pourquoi s'est-il muni de cordes?

Le suspense grandit. La tension va crescendo et tient le lecteur en haleine. Les éléments se déchaînent, furie du ciel (orage, grêlons).



Le romancier révèle, une fois de plus, ses multiples talents tous aussi remarquables : portraitiste, peintre paysagiste, scénariste, entomologistes des coeurs et des corps( déclinés dans tous leurs états!), contempteur de son époque. Sans oublier le zeste d'humour. Du grand Joncour !



Il sait créer des atmosphères et nous offre  « un roman en relief »,« en trois dimensions »( expressions de l'auteur), à ciel ouvert, sensoriel et tactile. Il excelle à nous faire :saliver avec « un magma odorant », celui d'« un sauté d'agneau », ou l'odeur croustillante d'un poulet grillé, sentir le parfum des gardénias, l'odeur de jasmin émanant de Joséphine, entendre une litanie de bruits, des plus ténus aux plus stridents, et même ressentir tantôt la chaleur, tantôt la fraîcheur.



On assiste à une étonnante métamorphose de Franck, qui après avoir apprivoisé les lieux, se sent en totale osmose avec cette nature sauvage. Elle opère sur lui comme un baume. « Il y a des décors qui vous façonnent, vous changent ».

Les voilà, comme Bobin, contemplatifs devant les nuages, en pleine béatitude, scellant cette harmonie par le contact physique, dans une bulle de tendresse.



Serge Joncour nous offre une totale immersion «  into the wild » et signe un hymne à la nature sauvage et aux animaux.Il rend hommage aux femmes si laborieuses en 1914. Il met en exergue l'intelligence d'Alpha, « ce cerbère à la dévotion totale », devenu un «  allié », un geôlier.

CHIEN-LOUP, alias Bambi, aux « pupilles phosphorescentes », irradie !



A votre tour de dévorer cet ouvrage que je qualifierai de «  L'Alpha et Oméga » Joncourien, canin, félin, lupin… DIVIN ! Un merveilleux cocktail d'Histoire, de sauvagerie, de drôlerie, avec une once de folie et de poésie !

Ne craignez pas les ronces, les griffes, les feulements, les hululements.

Un roman touffu, sonore, foudroyant, vertigineux, détonant, démoniaque qui se hume, s'écoute, se déguste avec délectation, qui décalamine le cerveau et embrase le coeur ! Une écriture cinématographique virtuose. Le must de la rentrée.

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Nature humaine

Chant du coq pour cette rentrée littéraire dans les terres lotoises et chant du cygne pour une époque révolue dans nos champs.

En semant ses mots, Serge Joncour vient de soigner mon allergie à la campagne. Après cette lecture, je n’ai qu’une envie, sniffer du pollen, conduire un tracteur et freiner les temps qui courent… trop vite. Si j’ai les yeux rouges, c’est que son histoire vient de labourer ma mémoire en jachère, macarel. La larme à l’œil succède à la goutte au nez.

Pour construire son roman, je me suis imaginé Serge Joncour en train de ventiler de vieux éphémérides, détachant des pages jaunies qui correspondaient à des évènements climatiques, politiques, sociologiques et pleins d’autres trucs en "iques" survenus entre 1976 et 1999. Peut-être un mirage lié à la désertification des campagnes, fil rouge et vert du récit.

Entre la sécheresse de 76 et la tempête de 99, il s’en est passé des choses dans le monde, en France, dans le Lot et dans la ferme des Fabrier.

Alexandre, la campagne comme compagne, a pris perpette dans la ferme familiale. Ses sœurs vont succomber aux sirènes de la ville. Comme l’amour n’est pas toujours dans le pré, le jeune homme s’éprend à distance de Constanze, étudiante est-allemande qui partage une colocation avec une des sœurs à Toulouse. Pour impressionner sa belle et ne pas trop passer pour un plouc, notre homme va fricoter dangereusement avec des activistes qui ne veulent pas de la centrale nucléaire de Golfech. Dans le genre rebelle et réfractaire au progrès, il y a aussi, Crayssac, un voisin qui participa à la lutte du Larzac et des parents hostiles à l’élevage intensif, pas encore folle la vache, et à un projet d’autoroute.

De l’élection de Tonton au nuage de Tchernobyl, des courses du samedi au Mammouth à l’arrivée du Minitel, Serge Joncour mêle petite et grande histoire. Dans ce roman rétrospectif d’une grande force narrative, la résistance au changement n’est pas une tare mais une vertu tant qu’elle ne vire pas à la violence. Alexandre est un homme des champs pragmatique, pas un utopiste, sauf quand il s’agit d’amour ou de la sauvegarde de ses terres. Le progrès l’inquiète mais l’attire. Ces tiraillements donnent vraiment chair aux personnages.

Le récit alterne avec une grande poésie le quotidien austère de la vie à la ferme et les escapades plus ou moins réussies d’Alexandre dans la mythologie urbaine.

Un grand moment de lecture qui permet aussi de comprendre pourquoi nous en sommes là, si las, hélas.

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Chien-Loup

une maison perchée seule au sommet des collines est l'écrin de ce précieux roman. A un siècle d'intervalle elle abrite les amours, les déchirements et les vies de ceux qui croisent sa route.

Joséphine, veuve de guerre, Wolfgang, dompteur de fauves allemand, retrouvent la beauté au coeur de la guerre.

Lise, actrice à la retraite, et Franck, businessman suractif, s'épanouissent au contact de cette nature sauvage et séductrice.



Prendre le temps de se reconquérir au contact de ce qu'il y a de plus primaire en nous grâce à la bestialité des fauves, à la sauvagerie d'un chien loup.

Roman farouche à l'écriture envoûtante, Serge Joncour nous transporte au plus profond de nous-même.
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Chien-Loup

Chien-loup! Comme deux métamorphoses,

une femme qui à la mort de son mari médecin défie la PEuR de l'étranger,

un homme qui grâce à Chien-loup défie la PEuR des empires du numérique,

La Nature nous invite à cette renaissance.

Fantastique Chien-Loup, "Chien-Loup" renoue avec les grands romans d'aventure, ceux de Jack London ou ceux de Jules Vernes, Serge Joncour nous offre avec ce récit une impressionnante fresque historique, où le présent paisible de Lise et de Franck, se heurte à une nature redevenue sauvage.



Serge Joncour à l'ombre de Jean Giono, et la trilogie de Pan, suggèrent une nouvelle approche féconde de son dernier livre et de l'univers de Serge Joncour.

je vous l'offre, publié sur

https://revue-traversees.com/2019/01/29/12279/









A l'heure du tout numérique, cette confrontation à une nature la plus déglinguée est un pied de nez à l'obscurantisme, une provocation toute Desprogienne à l'adresse de Google, ou autres Amazon, un tweet rageur sur la vie, la vraie, les deux pieds dans la glaise.





Dès les premières pages on frémit, "jamais on avait entendu beugler comme ça", ! On sent l'animal Serge Joncour s'exprimer, il n'y a que lui pour vociférer sa haine de la mauvaise foi, clamer le respect la nature, celle que l'on ne doit ni oublier, ni déguiser, ni dédaigner.

On ne pourra plus écrire sur la nature sans se référer à ce récit, comme à celui de Jean Hegland « dans la Forêt », l'homme reste ce qu'il a toujours été vulnérable.





En arrière plan, Serge Joncour déroule l'histoire de la grande guerre à Orcières, petit village de son Quercy près de Limogne, à un siècle de distance, ce sont les mêmes peurs, les mêmes défiances vis à vis de l'étranger.

Au mont d'Orcières séjourne à la déclaration de la guerre un dompteur de fauves, il est allemand. Des moutons disparaissent, tout le village est gagné par la peur, une peur qui enfle jusqu'aux dernières secousses, jusqu'au derniers dénouements les plus dramatiques.

Il est rare de passer au scalpel ce que l'on nomme la peur...

Elle est mauvaise conseillère, la PEUR. Une femme la brave c'est Joséphine, une femme, une des premières veuves de la grande guerre, qui à la mort de son mari médecin défie la PEUR de l'étranger. C'est l'une des qualités de ce roman, l'une de ses multiples entrées. Serge Joncour se mouille, rentre dans la cage des fauves, avec ses tripes, et à l'égard de ses associés "je voulais voir votre peur dans vos yeux , y voir la trouille de votre vie."

Çà, çà vous trempe dans le bonheur pour dix ans.





Renouer avec la vie sauvage n'est pas sans rappeler l'appel de la forêt. On lit page 9, : "Les anciens eux-mêmes ne déchiffrèrent pas tout de suite ce hourvari, à croire que les bois d'en haut étaient le siège d'un furieux Sabbat, une rixe barbare dont tous les acteurs seraient venus vers eux. Ou alors c'était le requiem des loups parce que les loups modulent entre les graves et les aigus, en meute ils vocalisent sur tous les tons pour faire croire qu'ils sont dix fois plus nombreux."



Il y a le Franck des premières pages qui s'accroche à son smart-phone comme une bernique à son rocher, même pas une barre, rugit-il page 75, « ça capte nulle part c'est de la folie ».

le grand producteur toujours reconnu par la profession, est prêt à défier Netflix, et tous les autres, « les géants du numérique, des monstres », car autour de lui les charognards s'agitaient, à commencer par ses associés Travis et Liem, ce dernier qui page 313, lui lança, "le cerveau c'est comme l'iphone, il faut faire les mises à jour."



Et il y a l'autre Franck le double de Serge Joncour, qui au contact du chien-loup se métamorphose, entreprend une mue, écoute les silences peuplés de bruits, se fait chasseur, peu à peu oublie sa peur dans cet espace à l'écart, livre bataille, engage la lutte contre Neflix à sa façon, sa lucidité s'est mise en marche.



Arrivé cloué par la peur dans ce Quercy déserté depuis la grande guerre, Franck privé de tous contacts, concède une pause de trois semaines à Lise qui elle a déjà renoncé aux fastes de l'éphémère et du virtuel. Franck devenu l'unique présence humaine à cent lieux de tout, va réapprendre à vivre, dominer ses peurs au contact du chien-loup, animal farouche, fidèle et un peu buté, mais plein de tendresse et de reconnaissance pour l'homme qui voudra bien l'adopter.



La phrase assassine de Travis, "t'aurais des gosses, tu pigerais", ronge chacun de ses instants, sa prise de conscience de la vraie nature du numérique, sa perception nouvelle de la violence du monde du cinéma, et de ses dangers mûrit sa vengeance.





Pour Serge Joncour le virtuel est devenu fou, son livre vient nous le dire, aucune violence même animale est capable d'engendrer de tels monstres!

Tendresse et humour viennent jouer avec notre plaisir de déguster ses bons mots et livrer son roman le plus abouti, mais aussi, le plus sauvage de ses romans, l'écriture la plus charnelle, l'expression de ses tripes la plus personnelle.

Une évocation aussi surprenante que réelle de la grande guerre, en fait le livre événement de cette rentrée littéraire. Tout Serge Joncour est là, sa voix noie ses pages de ses intonations qui nous font sourire tant elles sont si justes.



-Putain, mais où est ce que tu nous amènes, dans un trou ou quoi?

-Ben non, tu vois bien qu'on monte... C'est tout le contraire d'un trou. Page 408.

Merci à masse critique à Serge Joncour et à son éditeur Flammarion pour ce "Chien-Loup".



https://revue-traversees.com/a-propos/

Analyse de Chien-Loup à l'ombre de Jean Giono

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Chien-Loup

Depuis que nous vivons dans ce monde hyper connecté, notre nouveau reflexe d'homme civilisé est de vérifier le nombre de barre de notre portable.

Gare aux zones blanches. Franck est producteur de cinéma, ce qui veut dire être joignable à tout moment. Lise sa femme, ancienne actrice a programmé trois semaines de vacance dans le Lot. C'est beau le Lot, c'est sauvage, quand on veut se ressourcer, se déconnecter il n'y a pas mieux que le Lot.

Cent trois ans plutôt au même endroit dans le village d'Orcières le tocsin n'annonça pas l'entrée en guerre de la France contre l'Allemagne.

Cette première guerre mondiale si meurtrière. La mobilisation des hommes et la réquisition du bétail étaient la conversation du jour à Orcières et bien sur la présence de ce dompteur allemand venu s'installer en haut du village avec ses tigres et lions.

Dans ce nouveau roman de Serge Joncour " Chien- loup" notre écrivain national nous fait voyager dans deux époques, 1914- 2017.

2017 on l'a connait c'est la notre, une société ultra rapide, où la vie communautaire a été remplacé par l'individualisme. le niveau avancé de la technologie n'a pas fait avancé le progrès social ou si peu.

1914 reste un cas particulier dans l'histoire de notre pays. Pendant quatre ans les femmes de France vont remplacer leurs maris, leurs frères, leurs fils partis à la guerre. Elles vont tenir à bout de bras l'économie de notre pays tout en continuant à s'occuper des enfants et des vieillards.

Dans un pays où l'agriculture n'est pas encore mécanisée on peut deviner la difficulté qu'ont eu ces femmes avec l'outillage conçu pour les hommes.

" Chien- loup " est un roman attachant, un roman à messages. D'abord le peu de reconnaissance qu'a eu notre pays envers ces femmes. Quand on pense qu'en 2017 on parle encore des droits des femmes ça me fait sourire.

deuxième message, la technologie numérique nous fragilise un peu plus chaque jour. Une technologie qui ne sert à rien sinon de nous éloigner les uns des autres. Il n'y a qu'à regarder autour de nous, on a tous le portable à la main.

Merci monsieur Joncour pour ce beau roman, merci à babelio et sa masse critique et merci aux éditions Flammarion pour ce beau cadeau.
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L'amour sans le faire

L’Amour sans le faire c’est quand on aime sans le dire. C’est quand on s’étonne de se lire dans un autre différent qui n’a pas son pareil pour penser de concert avec nous. C’est l’amour dans un souffle, un frôlement, un tintement. C’est fuir les non-dits, de ceux qu’un jour on a dits pourtant, en déversant le trop-plein d’un cœur en tempête. C’est partir loin pour retrouver ici ce qu’on connaît si bien et qu’on n’a pas trouvé ailleurs. C’est un langage trop riche pour des silences béants. C’est simple comme dans la vie de tous les jours, entre nostalgie et espérance, c'est pour hier où pour demain.
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Nature humaine

Version longue suivie d'une version courte



Un nouveau joncour annoncé, en librairie on accourt, tant l'auteur nous a rendus addictifs à ses intrigues. NATURE HUMAINE,(1) ce titre gigogne, qui peut englober bien des sens/des possibilités, d'emblée interroge. C'est avec bonheur que l'on retrouve l'ADN de « l'écrivain national » !



Serge Joncour appartient à cette famille d'écrivains, dite « des transfuges », ces enfants de la campagne qui s'en sont éloignés mais en font leur terreau littéraire.

Citons le roman solaire L'amour sans le faire, devenu le film « Revenir » sous la caméra de Jessica Palud qui met en scène le retour de Franck à la ferme familiale.

Rappelons également que l'auteur a signé la préface de Petit paysan de Catherine Ecole-Boivin, qui rend hommage à cet homme, à rebours de la mondialisation, cultivant sa terre comme ses ancêtres, refusant de la tuer avec engrais, pesticides. Rien ne vaut la binette ou le fumier.



Cette fois-ci, avec Nature Humaine l'auteur creuse plus profondément son sillon agraire en mettant en scène les Fabrier dans leur ferme du Lot, paumée au milieu des coteaux aux Bertranges ( lieu familier pour les lecteurs de L'Amour sans le faire). « Une mine d'or végétal » .

Mais « La nature est un équilibre qui ne se décide pas, qui s'offre ou se refuse, en fonction des années. », et qui est soumise au dérèglement climatique.



Avec son prologue in media res (daté du 23 décembre 1999), Serge Joncour sait ferrer son lecteur.

On s'interroge : Que s'est-il passé pour qu'Alexandre se retrouve seul dans ces murs qui ont abrité toute sa famille ? Comment en est-il arrivé là ?

Que fomente-t-il avec « les mortiers et le fuel » ? « Tout était prêt », nous indique le narrateur, ce qui accroît le mystère. Par sa construction originale, il maintient le suspense avec brio.



L'auteur remonte le temps de 1976 à 1981 d'abord, enjambant les décennies et retrace le quotidien d'éleveurs, d'agriculteurs, maraîchers sur plusieurs générations.

C'est d'abord la chaleur qui saute au visage du lecteur. 76, été caniculaire, « la nature tape du poing ». Les terres sont craquelées, « les prairies s'asphyxient »., les bêtes crèvent de soif.



C'est sur les épaules d'Alexandre, le pilier du roman, 15 ans au début du récit, que repose la transmission du domaine des parents. Il apprend le métier dans un lycée agricole. Un travail sans relâche, qui « embrasse le vivant comme l'inerte », souligne Serge Joncour et qui exige d'avoir de multiples compétences. Un métier auquel le romancier rend ses lettres de noblesse.



C'est tout un mode de vie que Serge Joncour autopsie et détaille. Des journées rythmées par la télé. le rituel du JT de 20h (violence des luttes au Larzac, attentats...). Midi Première, Apostrophes. Bel hommage rendu à Mitterrand : « un intellectuel champêtre, un stratège ami des fleurs ».



Autre rituel :l'incontournable expédition du samedi au Mammouth en GS ! « l'extase, une fois les portes franchies » de « cette cathédrale de tôle et de béton », l'immanquable goûter à la cafétéria.

Mais pour le père, c'est une affaire de business, l'agriculture sacrifiée sur l'autel de la finance ! S'assurer un revenu, c'est être entraîné dans le système productiviste.



Un vent de nostalgie souffle chez les grands-parents lors de leur dernière plantation de safran. Cette culture n'est plus rentable.

Un crève-coeur pour ces « paysans dépositaires de gestes millénaires qui, demain, ne se feraient plus. ». La concurrence étrangère les a anéantis.



Entre le père et Alexandre, les divergences de vue génèrent des tensions.

Le père, génération charnière, veut agrandir, se moderniser, investir pour respecter les normes.

Cette course à l'agrandissement en vaut-elle la peine ?

Difficile en plus d'accepter les remontrances quand on est devenu adulte. Quand ils sont en froid, Alexandre trouve son refuge dans « ces grands espaces offerts au soleil », sa pampa, son Montana en sorte. Serge Joncour dégaine alors sa plume de nature writer et de poète, pose son regard d'artiste sur les paysages et déploie le même talent que Rosa Bonheur pour peindre les animaux.



L'écrivain des champs (2) montre à plusieurs reprises la fracture entre Paris et la province.

Les trois soeurs (dont on suit les parcours), une fois adultes, seront happées par la vie citadine.

Enfin arrive dans ces campagnes reculées le téléphone qui va jouer un rôle important pour les protagonistes du roman. le progrès, c'est comme « une machine qui vous broie » pense Crayssac, le paysan chevrier intemporel, quelque peu visionnaire qui peste contre « les poteaux traités à l'arsenic », « les fils en caoutchouc ». Un voisin perçu comme « un prophète de malheur ».



Et l'amour ? Puisque « joncour a toujours rimé avec amour », selon les journalistes !

On devine l'inquiétude des parents : « quelle fille accepterait de vivre ici ? »

Le narrateur semble avoir un penchant pour des héroïnes à l'accent étranger. Souvenez-vous de Dora, la flamboyante et magnétique Hongroise. (3) Des scènes empreintes de sensualité aussi dans Nature Humaine : c'est la blonde Constanze, la lumineuse étrangère de Leipzig/Berlin-Est, en colocation avec sa soeur aînée, qui ne laisse pas Alexandre indifférent. Une étudiante qui ne rêve que de voyager .

Ce qui donne l'occasion à Serge Joncour, lui, l'usager du train, de se livrer à un « bashing » en règle contre tous ceux toujours en partance ! le père d'Alexandre lui aussi « conchie l'avion » quand il évoque ces « tonnes de steaks congelés qui font 20 mille kilomètres avant d'arriver dans votre assiette ». Il privilégie le circuit-court. « Les animaux c'est comme les hommes, faut pas que ça voyage, sinon ça ramène plein de saletés. » ! Et voilà la vache folle qui décime des troupeaux entiers et laisse exsangue financièrement les éleveurs. Un acarien asiatique qui menace les abeilles.

C'est dans un style de la démesure, de l'outrance que le romancier s'insurge contre toutes ces mesures allant contre le bon sens : « la mondialisation heureuse jetait des millions de gens dans les avions », « tout voyage :les céréales, les vaches, les micro-ondes qui viennent de Hongkong ; on vend notre lait aux Chinois, tout ça se croise dans les airs ou sur les bateaux, c'est n'importe quoi. »



Mais cette « déesse teutonne », d'une autre planète, ne serait-elle pas une relation toxique ?

Sa bande d'activistes antinucléaires n'a-t-elle pas fait prendre d'énormes risques à Alexandre ?

Des indices jalonnent le récit : « Cette fille, il vaudrait mieux qu'il s'en détache. Qu'il la plante là. »



Nature Humaine, c'est aussi le goût dans l'assiette : « le poulet rôti dont les arômes hantaient tout le coteau », « les pommes dauphines et la côte de boeuf », « la tarte aux pommes ou aux courgettes ».De quoi saliver ! Notre santé ne se joue-t-elle pas dans notre alimentation ?

C'est l'odeur « de terre exaltée par la fraîcheur du sol », celle émanant d'une boulangerie...



L'écrivain- peintre déplie un riche éventail de couleurs : les boucles blondes de Constanze, l'océan des fleurs bleues de la menthe sauvage, le « vert émouvant des feuilles en pousse », le rouge de la vieille micheline,« le coteau peint du violet éphémère du safran », les grappes blanches du tabac en fleur, le jaune du colza avec des coquelicots au milieu...

de quoi « pimper » votre lecture.



L'écrivain publicitaire nous gratifie d'une séance de photos de jambon (sous blister) au coeur des prairies. Si le père est flatté de voir son décor servir « à vendre du rêve », il s'offusque du rose, synonyme d'un gavage de « nitrates, de colorants... ». Scène cocasse (présence d'un taureau) !



Serge Joncour a fait remarquer dans un tweet que « l'homogénéisation et l'intensification des systèmes de culture et d'élevage se font au détriment des milieux naturels ». Ici, le narrateur soulève la dérive de l'agriculture avec le maïs transgénique, l'abus des produits phytosanitaires, le scandale des veaux aux hormones, « gavés d'anabolisants ». Crayssac était contre toutes ces chimies.

Dans cette peinture de l'agonie du monde paysan, du deuil de la disparition des traditions, il y a du Bergounioux, du Marie-Hélène Lafon.



Serge Joncour confirme sa connaissance de la ruralité, des superstitions, ausculte Gaïa, et immortalise avec réalisme cette France profonde, « le monde des oubliés » à la manière de Raymond Depardon ( gares à l'abandon, « l'ambiance désuète » d'une salle d'auberge….)

L'auteur réussit ce tour de force de nous tenir dans ses rets, une fois de plus, jusqu'à la fin ! Il n'a pas son pareil pour distiller une phrase énigmatique qui retient notre attention : quelle est donc « cette arme absolue » que Crayssac se targue de détenir pour empêcher la construction de l'autoroute ? Et si « le Rouge », n'était pas un fou mais plutôt un vieux sage ?

Un mystère nimbe le bois de Vielmanay que détient ce réfractaire ermite.

Un jour Alexandre saura. Un jour, cet illuminé, ce précurseur qui dénonce la société de consommation, lui confiera son secret bien enfoui ! On ne peut pas rester insensible au destin bouleversant et tragique de Joseph… Les rivalités entre voisins sont évoquées, ainsi que la ferme communautaire de la bande d'Anton, « vivant en autarcie heureuse », hors du temps.



Au fil des pages, Serge Joncour explore les relations de la famille, montre une fratrie délitée au grand dam des parents (jalousie, rapacité). Il décrypte également le couple, les relations amoureuses d'Alexandre dont celle fusionnelle, cependant en pointillé avec Constanze, « celle qui ne s'efface pas ». le souvenir, comme présence invisible ! le romancier rend hommage à ce fils sacrificiel qui a tout perdu, sauf « cette nature grande ouverte », son éden où souffle un « parfum de patchouli ».



En même temps, l'écrivain brosse le portrait de la France entre 1976 et 1999 avec la succession des présidents, des premiers ministres : « Les grands moments de l'Histoire sont la consigne de nos souvenirs personnels ». Les événements surgissent ( Tchernobyl, la marée noire de l'Erika, chute du Mur), passent, cèdent la place à d'autres catastrophes. Des années tumultueuses, secouées par les manifestations, les luttes acharnées des antinucléaires, des paysans, les détonations. Une litanie de lois, de contrôles, de normes contraignantes : « De jour en jour, chaque geste était encadré par une loi, même dans les coins les plus reculés ». On construit des rond-points, le réseau routier s'est transformé en manèges, « les zones périphériques deviennent une succession d'hypermarchés ».



Le suspense court jusqu'à l'épilogue, le lecteur étant au courant des récents projets d'Alexandre.On est tenu en haleine ! Ne vient-il pas de tout vérifier ?! Psychose qui grandit à l'approche du bug de l'an 2000, annoncé comme apocalyptique. Suspense décuplé par le bulletin météo alarmant.

Le romancier traduit avec maestria la panique, l'angoisse paralysante, les peurs au point de les communiquer au lecteur tout comme la sidération qui habite ensuite les Français, pétrifiés.

Et si ce cauchemar exceptionnel et tragique servait de catalyseur pour ressouder la famille Fabrier ?

Nature Humaine offre une traversée vertigineuse qui fait office de mémoire collective, avec une play-list éclectique dont le tube « Ne m'appelez plus jamais France.». Important name-dropping !



Serge Joncour signe un livre requiem, foisonnant, d'une ampleur exceptionnelle qui mêle saga familiale, rurale/agricole et amoureuse, fresque historique et sociologique, catastrophes climatiques (l'apocalyptique tempête de 1999), le tout réfléchissant les enjeux politiques, économiques et la mondialisation. Des thèmes qui revêtent une troublante résonance avec l'actualité du moment et qui font réfléchir. Un roman monde qui nous émeut, nous ballotte, nous essore, nous percute, baigné toutefois par la vague verte des paysages apaisés, par le velouté des prairies grasses… On y trouve un plaisir triple : tactile, gustatif, olfactif ! Une fiction coup de poing qui s'empare de la détresse du monde paysan avec empathie. Un roman monument grandiose et explosif, qui grouille de vie, pimenté par l'amour, ourlé de poésie ,toujours autant cinématographique, servi par une écriture d'une parfaite maîtrise.

Du grand art ! « Wunderbar», dirait Constanze !





(1) : Parution de Nature Humaine le 19 août 2020, Flammarion.

(2) : Expression utilisée par Stéphanie Hochet (3) Héroïne de L'écrivain national

(4) : Daishizen : l'art de ressentir la nature, de tisser un lien spirituel avec la terre.



Version courte:

« Chaque vie se tient à l'écart de ce qu'elle aurait pu être. À peu de chose près, tout aurait pu se jouer autrement. »

Serge Joncour creuse plus profondément son sillon agraire. Ici il dépeint un monde rural à l'agonie et retrace la vie à la ferme des Fabrier, une famille d'agriculteurs éleveurs, sur plus de deux décennies. En 76, canicule, gaïa souffre, les bêtes crèvent de soif. « La nature s'offre ou se refuse ».

Pour seul repreneur du domaine, le fils, qui devient ainsi « l'otage autant que le bénéficiaire ».

En filigrane, l'auteur souligne le système moribond, productiviste qui pousse les paysans à s'agrandir, s'endetter pour remettre aux normes. Engrenage fatal. Grande solitude pour les sinistrés.

Moment de nostalgie le jour des dernières plantations de safran pour les grands-parents ( concurrence étrangère). Les 3 filles, une fois adultes se détournent de leur décor d'enfance. le clan soudé s'est délité. L'auteur sait nous ferrer : une phrase énigmatique : « Tout était prêt ». Pour quelle action ? L'intrigue tient en haleine, tout comme la relation toxique d'Alexandre avec Constanze liée à des militants antinucléaires, hippies paysans. Une dalle mystérieuse, le secret bien enfoui d'un voisin chevrier. Suspense accru par la psychose liée au nouveau millénaire.

Serge Joncour signe un livre requiem, foisonnant, d'une ampleur exceptionnelle mêlant saga familiale, fresque historique et sociologique de la France, le tout réfléchissant les enjeux politiques, économiques et la mondialisation.Troublante résonance avec l'actualité.Atmosphère apocalyptique.

Un roman monde qui émeut, ballotte, essore, percute, baigné toutefois par la vague verte de paysages apaisés, du velouté des prairies. Cette nature que les paysans ne veulent pas voir défigurée par une autoroute. Une fiction coup de poing qui s'empare du malaise paysan avec empathie.

Un roman monument grandiose et explosif, qui grouille de vie, pimenté par l'amour, servi par une écriture cinématographique d'une parfaite maîtrise. Plaisir visuel, gustatif, olfactif. du grand art !

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Repose-toi sur moi

Ludovic : quarante-six ans, veuf depuis trois ans, sans enfant, agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes, mal à l'aise dans ce boulot et à Paris.

Aurore : styliste, citadine friquée, la quarantaine, mariée depuis huit ans à un homme d'affaires américain, mère de jumeaux de six ans.

Lui : un doux géant effrayant, mi-nounours mi-grizzly, un roc, une puissance minérale.

Elle : élégante, gracieuse, désemparée, fatiguée par sa vie de famille, angoissée par l'avenir de sa petite entreprise.



Le livre pourrait s'appeler 'Les oiseaux' ou 'Fenêtre sur cour', comme ces deux films d'Hitchcock : c'est grâce à sa phobie des corbeaux qu'Aurore fait connaissance avec Ludovic, et c'est parce que leurs fenêtres sont en vis-à-vis qu'ils vont maintenir le lien. Ça serait plus sobre, plus mystérieux et surtout moins cucul que 'Repose-toi sur moi'. Mais ce titre s'explique joliment, à la fin.



Dans 'L'écrivain national', je voyais l'auteur dans le personnage principal. Ici aussi, bien que ces deux histoires soient très différentes. Le ton est plus grave dans ce dernier roman, moins mordant. Ludovic et Aurore vivent chacun une période difficile. Ils sont arrivés à un point de rupture, ils s'entraident... ou s'entraînent mutuellement vers le fond ?



Bien qu'il reprenne des thématiques déja évoquées dans ses autres textes (ville/campagne, solitude, crise existentielle), Serge Joncour a une capacité à se renouveler qui me laisse admirative. Il nous offre ici une belle histoire qui prend des allures de thriller. Ce roman m'a fait penser à Maupassant, Zola (un titre en particulier), Zweig, et Boileau-Narcejac, mais aussi à Delphine de Vigan pour la sensibilité 'féminine' de certains propos et certaines descriptions (cf. la soupe).



L'intrigue est peut-être un peu trop diluée, mais l'intérêt grandit à mesure que la tension monte. Le dénouement m'a agréablement surprise, grâce à la façon dont les choses sont exprimées, par les gestes et les mots... Comme 'son' Ludovic, Serge Joncour fait preuve d'une grande subtilité sous ses airs d'ours maladroit - et ça aussi, j'admire et j'aime, au point de me jeter sur chacune de ses nouvelles parutions.



• Un grand merci à J. ! 😊
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Chien-Loup

Orcières un village du lot, dans le causse vert, c’est ici que débarquent, au printemps 2017, Lise une actrice, fatiguée de tourner, rêvant de renouer avec sa passion première, la peinture, et Franck son mari, intoxiqué par son boulot de producteur. Une maison à l’écart, au sommet d’une colline, la nature, le soleil, sans internet, sans téléphone, ne rien faire d’autre que méditer, marcher, respirer. Trois semaines en étant coupé de tout, Lise sait déjà qu’ici ils y seront heureux ou alors ce sera l’enfer. Et un chien-loup qui les observe, un chien sans collier qui n’appartient à personne.

Juillet 1914, l’Europe est un brasier, les hommes et les femmes goûtent l’instant comme si chaque soir devait être le dernier. À Orcières, personne n’en veut de cette guerre et pourtant le monde va basculer dans la folie, le feu et la peur et surtout le sang. Le tocsin de la mobilisation qui résonne au moment où les hommes lancent les moissons. Au lendemain du départ de leurs maris, les femmes prennent les choses en main.

Wolfgang, un dompteur allemand se réfugie avec son immense chien berger sur ces terres maudites d’anciennes vignes dévastées par le phylloxéra, pour sauver ses huit fauves, lions et tigres de la sauvagerie des hommes. Un déserteur étranger devenu un ennemi. Mais pourquoi se méfier d’un homme qui a choisi de s’éloigner du monde pour s’occuper de ses bêtes, mais à tout malheur il faut un coupable. Ce n’est pas ce que pense Joséphine veuve de guerre à 30 ans et qui est devenue aux yeux de tous une vieille fille et qui ressent au plus profond de son corps l’éveil du désir.

Serge Joncour nous raconte une légende sauf qu’elle est vraie, une histoire qui est toujours là à roder. Le récit va donc alterner entre deux époques, à un siècle de distance. Ce roman est avant tout une atmosphère, le causse et ses collines désertées par les hommes où seuls subsistent les cris des animaux sauvages. La sauvagerie et la cruauté de la guerre, les frayeurs, les peurs irrationnelles, l’angoisse quand on n’a pas de nouvelles du père, du fils ou du mari, les émotions, les désirs, l’amour, l’attente du retour, la violence. Il nous parle aussi du courage des femmes qui pendant la guerre ont accompli toutes les tâches de leurs maris que ce soit sur les terres ou dans les usines. Serge Joncour établit un parallèle habile entre les firmes américaines, géants du web, qui s’attaquent au monde du cinéma, prédateurs qui comme des loups éliminent d’abord les proies les plus faibles.



Des personnages auxquels l’on s’attache véritablement, une plume qui nous immerge à la fois dans les tranchées où les maris, les fils, les pères meurent et dans les campagnes où les femmes se tuent à la tache. Serge Joncour nous emmène dans une histoire où la nature, les animaux et les hommes sont sauvages.









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Nature humaine

Je ne prendrai aucun risque en affirmant que ce roman sera très certainement mon " coup de coeur " de l'année 2020 , rien moins que ça.

Bon , d'abord , c'est un " Joncour " et Joncour j'adore donc , à chaque fois , j'adhère. Pourtant , ce " Joncour "- là, il me semble dépasser ses autres romans tant il semble maîtrisé à tous points de vue .

1976 - 1999 , c'est la période " couverte " , une période de tous les dangers pour l'évolution de la vie humaine sur terre , les ultimes " avertissements " d'une mère- Nature excédée par le comportement incorrigible d'êtres qui la piétinent, qui , après avoir vécu avec elle , ont décidé de s'émanciper et de lui " en demander encore plus , toujours plus " lui tournant même le dos pour.....

1976 , mon premier poste d'enseignant dans un bourg creusois . Plus de 850 habitants à l'époque, un peu plus de 360 aujourd'hui . Mon village natal? 1250 habitants en 1976 , un peu moins de 650 aujourd'hui . le constat est simple , brutalement mathématique, les campagnes se vident .

Vous comprendrez aisément que tous ceux qui , comme moi , ont traversé cette époque vont peu ou prou se retrouver dans la famille d'Alexandre .Alexandre , il vit aux Bertranges , propriété agricole dans la famille depuis 4 générations. Trois générations y vivent encore , Alexandre sera le dépositaire de l'héritage, ses trois soeurs , elles , ne revent que d'un nouvel Eldorado , la ville ...." Ils seront flics ou fonctionnaires " comme le chantait le poète Jean Ferrat , à moins que " On dirait qu'ca t'géne de marcher dans la boue " comme aurait dit le regretté Michel Delpech....La route est tracée et Serge Joncour nous entraîne à la suite d'Alexandre dans les "évolutions sociales " censées améliorer la vie ....Le téléphone, la télévision qui , au lieu de fédérer les gens , va les séparer, la 4L , la GS à suspension hydraulique , celle dans laquelle on s'entasse le samedi pour aller au " Mammouth " , l'hypermarché qui écrase les prix avant d'écraser les proies qu'il attire comme la glu attire les mouches. Strass et paillettes , les lumières de la ville ....Serge Joncour prend , de ci , de là, des éléments qui réveillent en nous les souvenirs , il " nous endort béatement " dans ce qui pourrait être la nostalgie .....Je vous invite à lire l'épisode où Alexandre et son amie Constanze , dans la 4L .....Bon , il est des choses qui méritent un peu de discrétion, quoi que ....dans une 4L , c'est savoureux...Je le sais , ce fut ma première voiture ...d'occasion .Serge Joncour connaît toutes les ficelles pour " titiller " sans cesse notre curiosité, notre intérêt.....Et puis , cela lui permet de distiller le venin à dose homéopathique d'abord , à gros bouillons ensuite , la cupidité des hommes , les " ripostes implacables "d'une nature de plus en plus bafouée, souillée, piétinée . Les alertes sont nombreuses : sécheresses, naufrages de pétroliers, pollution , vache folle , Tchernobyl....Tous ces événements s'emboitent dans ce roman comme ils l'ont fait dans la " vraie vie " , insidieusement ....Entre la sécheresse de 1976 et la tempête de 1999 , que d'événements naturels tragiques ...Et pourtant , " non , non , rien n'a changé, tout tout à continué " comme dit la chanson .

Les personnages principaux sont très bien " dans leur rôle " avec une mention particulière pour le père Crayssac que je vous laisse découvrir tout comme je vous laisse avec Alexandre et Constanze pour une histoire d'amour ...mais chut !!!

C'est un roman didactique peut être, sûrement, même si le sujet a été abordé , analysé , trituré , sans que les comportements ne changent , hélas..Peut - etre aujourd'hui , avec la COVID , qui sait ? Les dernières lignes du roman ne laissent guère de choix ....A nous tous de voir .

En toute sincérité, ce livre remarquable ( je pèse mes mots ) mériterait vraiment d'être primé , ce serait la moindre des choses , mais , plus encore , on devrait le faire lire dans le secondaire tant la richesse des thèmes abordés ne peut qu'émouvoir et responsabiliser les jeunes générations.

Comme d'habitude , j'ai exprimé mon ressenti , rien que mon ressenti , voilà comment j'ai perçu ce livre que je me permets de vous recommander chaudement , en toute modestie ....Quand vous l'aurez lu , vous me direz , s'il vous plaît.

Une rencontre comme celle- ci ne peut pas " rester sans lendemain " , cependant je ne souhaiterais pas apprendre que ce roman aurait une suite ( rumeur ...) . Restons en là et ...à nous de jouer .

Ma libraire ayant adoré aussi .....1976 - 1999 : nous avons ouvert la boite de Pandore...Vite , vite , le couvercle !!
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Chaleur humaine

°°° Rentrée littéraire 2023 # 8 °°°



C'est l'histoire d'une famille qui se réunit, qui se retrouve. Cette famille, on la connait, c'est celle de Nature humaine. le Lot, la vallée de la Rauze. Des agriculteurs à la retraite. Quatre grands enfants, quadra, quinqua. Alexandre, le fils « loyal » qui a repris l'exploitation familiale, la ferme des Bertranges. Trois filles qui sont parties à la ville, Toulouse, Rodez, Paris, et sont en froid avec leur frère pour une histoire de terres cédées pour y installer des éoliennes et un centre de maintenance pour une société d'autoroutes. 



Il fallait trouver le catalyseur pour lancer la mécanique des retrouvailles. Très pertinemment, Serge Joncour choisit la crise COVID et son confinement qui pousse les soeurs à venir se réfugier aux Bertranges, exposant ainsi les rancunes familiales pour les placer à l'heure des règlements de compte. Ceci étant, ce n'est pas un roman sur le COVID même si le livre permet de regarder dans le rétroviseur cette période, et qu'il est impossible de ne pas se reconnaître dans les comportements décrits.



Comme à chaque fois, Serge Joncour puise la force de sa narration en ses personnages, tous magnifiquement caractérisés, tous humains, terriblement humains. D'abord, Alexandre qui semble insubmersible ; alors que le monde entier plonge dans la dépression, lui va étonnamment bien sur ses terres, la pandémie a validé ses choix, prouvant qu'il avait eu raison de miser sur une pratique agraire respectueuse de la nature. Puis Constanze, sa compagne, militante écologiste apaisée qui vit dans une réserve biologique protégée en Corrèze.



Et puis les soeurs, les urbaines, qui voient leurs certitudes bousculées par la crise. Serge Joncour a l'art de scruter les consciences, dévoilant subtilement les changements qui s'opèrent en elles alors que c'est si difficile de se comprendre après plus des années de silence lorsqu'on a rien en commun ni aucune expérience à partager :



« En le regardant faire, elle se demandait comment elle avait pu lui en vouloir autant. A l'époque, elle lui reprochait de ne pas avoir d'autre rêve que de vivre ici, de s'en tenir à ça. Elle estimait peu glorieux ce manque d'imagination pour un adolescent. Alors qu'elle aurait dû le bénir, en tout cas le remercier d'assurer la pérennité de ces terres, sans quoi les parents n'auraient pas pu garder la ferme, et ici il n'y aurait plus rien eu, sinon des ruines. Il y avait trente ans, elle le tenait pour un homme du passé, mais en fin de compte c'était bien lui le mur porteur, le socle renouvelé de la famille, à tel point qu'en ce moment même, pour trouver refuge, c'est vers lui qu'elle s'était tournée. »



Le titre l'indique bien, il est question d'hommes mais la faune et la flore sont au coeur du mouvement qui anime les personnages et leur évolution, dès les premières phrases, magnifiques, qui décrivent la joie des vaches à retrouver les pâtures lors de la mise à l'herbe hivernale. On sent l'engagement de l'auteur lorsqu'il célèbre la beauté de la nature qui respire lorsque les activités humaines se mettent en pause, lorsqu'il introduit dans l'intrigue trois chiots bichons comme symbole de cette nature à protéger, ou lorsqu'il dénonce les dérives de l'agriculture productiviste à l'ère du dérèglement climatique.



Engagé, oui, mais jamais donneur de leçons. C'est cette humilité, alliée à une véritable hauteur de vue dénuée de cynisme, que j'ai particulièrement appréciée dans cette fable tendre et humaniste. Finalement, la chronique familiale, radiographie juste d'une époque, se transforme en chant louant le lien retrouvé entre les corps et la nature, sans naïveté mais avec un optimisme qui fait du bien à l'âme.



« La vie va d'une peur à l'autre, d'un péril à l'autre, en conséquence il convient de s'abreuver du moindre répit, de la moindre paix, parce que le monde promet de donner soif. »
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Repose-toi sur moi

Ludovic, solide gaillard de la campagne quitte sa ferme et ses parents pour laisser la famille de sa sœur vivre du revenu des terres insuffisant pour tous.

Il vient de perdre son épouse Mathilde. Il va travailler à Paris dans une société de recouvrement de dettes. Il revient régulièrement dans son village pour voir ses parents et surtout sa mère atteinte d'une maladie sénile.

A Paris, il est très mal à l'aise car la nature n'est pas présente sauf près du fleuve où il retrouve une ouverture.

Il habite dans un immeuble avec une cour intérieure.

D'un côté, les logements luxueux et de l'autre les petits logements non rénovés où il habite.

Un jour, il fait la connaissance d'Aurore, habitante d'un grand appartement luxueux dans le même immeuble que Ludovic. Elle est très angoissée par la présence de corbeaux dans la cour.

Aurore est mariée, mère de famille, styliste à la tête d'une boîte en difficulté.

Pour moi, c'est une première rencontre avec Serge Joncour et on peut parler de révélation.

Souvent, j'ai pensé à ce thème de milieux différents abordé avec humour par Katarina Mazetti dans "Le mec de la tombe d'à côté" mais la comparaison s'arrête là.

L'écriture de Serge Joncour est magnifique et les sentiments de Ludovic magnifiquement exprimés.

Je peux dire que je suis allée à la rencontre du personnage. Au début, le titre s'explique par la force de Ludovic et la fin est surprenante au niveau du titre et du contenu.

Pas décevante du tout la fin du roman...mais je ne peux pas en dire plus. Ce serait malhonnête!
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Chien-Loup

Pour ma centième lecture de l'année, j'espérais bien trouver un bon roman.Et voilà que "Chien-loup"se présente sur "la ligne de départ "Bon, il faut dire que Joncour, je connais un peu et j'apprécie . Ajoutons l'avis très positif de ma libraire et je me dis que, normalement, cette centième ne devrait pas trop mal se passer.

Là , au moment où je vous parle, je viens de tourner la 475e et dernière page et je suis tout simplement sous le charme, ravi de mon choix. Je crois avoir découvert là le meilleur des Joncour, un livre qui restera dans ma mémoire et, en tout cas, l'un des tous meilleurs lus cette année.

Bon, comme je le disais, je lis Joncour alors son style, sa maîtrise de la langue, son vocabulaire recherché sans être prétentieux ou élitiste, je les ai retrouvés avec plaisir.

Ensuite, il y a ce merveilleux décor lotois, ce décor paradisiaque, édenique, propice à la paix, à l'amour , aux légendes . Décor merveilleux aussi pour sa difficulté à y accéder, y pénétrer, ce lieu plein de non-dits et de mystères. Ce lieu, seuls des initiés ,des élus en quelque sorte, peuvent espérer s'y sentir bien, accéder au bonheur. On se plaît à imaginer sous la plume de Joncour, la petite maison entourée d'une nature âpre mais généreuse et luxuriante bien que souvent hostile, regorgeant de trésors du passé.

Et dans un tel lieu, bien sûr, une faune d'une incroyable diversité, bénéficiant de l'absence de vie humaine et profitant de ce cadre idyllique pour proliférer .

C'est là que Lise , extraordinaire personnage ayant compris la fragilité des relations humaines et l'hypocrisie de ses contemporains a décidé de passer trois semaines de vacances, au grand dam de Franck, son mari, surbooké par son travail et bien peu enthousiaste à l'idée de quitter la vie citadine pour un séjour dans un lieu où "le portable ne passe pas". Du reste, c'est surtout ce personnage qui va occuper l'espace, Lise ayant, elle, trouvé ses marques dès ses premières heures passées" là haut"dans cet endroit où , en 1914....

Je n'en dirai pas plus mais, vraiment, si vous aimez la nature, si la vie moderne vous pèse , si vous aimeriez revenir à des valeurs plus reposantes, si vous aimez les histoires mystérieuses, les belles histoires d'amour pleines de pudeur, si vous pensez que, dans la vie, il y a toutes sortes de gens, des sincères et des pleutres ou encore des jaloux, alors, ce livre est fait pour vous. Encore plus si vous pensez que ces petits lieux merveilleux existent bel et bien et qu'on peut s'y reposer quand le "trop" nous submerge .

L'art de Joncour est de nous tenir sans arrêt en haleine dans deux belles histoires parallèles distantes d'un siècle et il serait absurde de vouloir détailler les nombreux thèmes abordés.

C'est un livre de grande et belle facture, à mon avis, un livre à ne pas laisser passer, ce serait dommage. Enfin, un dernier conseil: n'ayez pas peur d'Alpha, alias Bambi mais...ne vous sentez pas en pays conquis avec lui non plus.... Je vous le répète, dans ce bouquin, il faut mériter "sa pitance". Allez, bonne lecture, je sais que vous allez aimer!!!
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Chien-Loup

Quelle écriture ! Dense, sensuelle, charnelle...un vrai bonheur ! J'ai été bercée tout au long de ma lecture par cette nature omniprésente, sauvage, Intense : un veritable personnage à part entière. Les autres héros ne sont pas en reste et nous entraînent dans un récit passionnant au suspense savamment maîtrisé (l'angoisse monte au fil des pages) et à la conclusion habile. Serge Joncour est vraiment une valeur sûre de la littérature française.
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Repose-toi sur moi

Repose-toi sur moi Serge Joncour Flammarion ( 427 pages 21€)

Rentrée littéraire Septembre 2016

Le douzième roman de Serge Joncour s'inscrit dans la lignée de L'Amour sans le faire.



Pour Aurore Dessage, femme hyperactive, qui jongle avec les aléas du quotidien et son triple rôle de mère, épouse et businesswoman, faire une pause, le soir, dans la cour arborée de son immeuble parisien, est vital.Cet îlot de verdure qu'elle se plaît à cultiver reste son havre de paix, sa « bouffée d'air », « un vrai sas », son refuge jusqu'au jour où des « croassements glaçants » ont supplanté les «  gazouillis épars, les sifflotements des merles » . Traverser la cour de nuit devient sa hantise. Mauvais présage que ces oiseaux de malheur qui semblent la défier, « se jouer d'elle ».



L'auteur focalise notre attention sur Aurore et Ludovic depuis leur rencontre fortuite dans cette cour, cette «  petite campagne ». Scène incroyablement hallucinante, digne d'un film d'Hitckock : croassements, hystérie des « bêtes affolées ». Suspense.



Avec beaucoup de finesse, Serge Joncour décrit l'évolution des sentiments d'Aurore et de Ludovic, ce voisin qui exacerba sa peur. Aucun attrait immédiat entre eux.

Ils se croisent, se jaugent, s'épient. Il la toise. Échanges secs. Son « ton faussement jovial », son humour l'insupportent. Elle le trouve « plouc ». Pourtant elle a envie de le revoir ce « colosse » aux « mains de matamore » qui a compris sa phobie. Comment interpréter ce «  petit cadeau » du « plumeau », trouvé dans sa boîte ? Une façon d ' apprivoiser l'autre ? La fascination opère insidieusement.



Après avoir été source de frayeur, la cour retrouve sa quiétude et revêt un rôle majeur. L'« infime forêt » devient leur jardin secret, leur cocon, le théâtre des balbutiements de leur idylle ( un instant d'abandon) , le berceau de leurs ébats ( étreinte totale) et le témoin d' instants volés entre les deux amants. Leurs fêlures les rassemblent mais ralentissent leur fusion amoureuse. Ces deux-là s'accrochent l'un à l'autre comme à une bouée de sauvetage. Les liens se nouent, les mains se frôlent, se caressent, les corps se fondent. Aurore trouve en Ludovic une écoute , «  un rempart » et vit chaque rencontre comme «  une pure parenthèse, un dépaysement ».



Voici Aurore, en plein maelström, écartelée entre la raison et le coeur, taraudée par la culpabilité, cédant à la panique, plongée dans ses atermoiements : revoir Ludovic ou l'éviter ?



L'ironie du destin : Aurore, revenue en catastrophe, découvre que celui qu'elle a pris pour « un prédateur, un nuisible » n' est autre que Ludovic, l'homme providentiel, le voisin bricoleur, envers qui elle ne peut être que doublement reconnaissante ! Comment le remercier d'avoir limité les dégâts ? Pour les mômes, admiratifs, le « doux géant », qui «  se sent d'ailleurs », devient le « superplumber », leur héros.

Mais qui est ce parfait inconnu, qui sait si bien la deviner ?

Un oxymore vivant, déraciné, qui a dû s'approprier les codes du monde urbain.



Ludovic, avec son « mètre quatre-vingt quinze pour cent deux kilos » en impose.

C'est préférable pour son métier de recouvreur de dettes. Souvent confronté aux difficultés des ménages qu'il visite, il restitue le pouls de la France des banlieues.

Métier dangereux.Une lame est vite sortie quand le ton monte, la colère gronde.



Si Aurore s'épanche lors de leurs rencontres, de leurs virées en forêt de Boulogne ou de Barbizon, Ludovic, «  le fauve malchanceux » se confie difficilement, ne laisse rien paraître, «  se verrouille, au point de paraître insensible, indifférent ». Hormis l'adrénaline de méfaits et le sexe ( vertige, ivresse), il se moque de tout. Pourtant : « Tout d'elle l'attirait » alors qu'elle « représentait tout ce qu'il aurait dû fuir ».



Serge Joncour se révèle un subtil entomologiste des coeurs, traquant les méandres du désir charnel, violent, pour ces deux amants au désert affectif. Il offre des pages «  ardentes », sulfureuses, du 37°2 et habille son écriture de tendresse , de douceur et mieux encore de sensualité. Il met en exergue l'emprise que peut avoir un être sur un autre. Ludovic reconnaît que « jamais personne ne l'avait ensorcelé à ce point ». Il est prisonnier de cette dépendance amoureuse, « dangereusement attaché », possédé.



En fin de compte, Aurore est-elle pour Ludovic une bénédiction ou sa plus grande malédiction ?

Au lecteur d'en juger à travers leurs portraits très fouillés que Serge Joncour brosse, avec maestria, les suivant en parallèle dans leur vie professionnelle.



Pour Aurore Dessage, styliste, Paris reste le symbole de la mode, « l'emblème de la création », une ville qui la «  rassure ». Elle conjugue l'innovation et le «  made in France ». A l'opposé, Fabien, son associé mise lui sur le profit, «  faire du chiffre » et privilégie le commerce avec la Turquie, la Chine. Leurs objectifs divergent.Leur différend gangrène leur relation et menace l'avenir de leur petite entreprise en pleine tempête, alors que la société de son mari florissante rayonne jusqu'aux USA. Comment tout assumer seule quand on se retrouve en butte aux problèmes économiques  ? Sans compter un déplacement urgent pour régler une livraison défectueuse.

Elle sent son couple se déliter par manque de disponibilité de chacun.Un mari de plus en plus distant, souvent à l'étranger, hyper connecté ou avachi devant la télé.

N'est-elle pas au bord du découragement et du burn out, rendue à sa déréliction, quand elle croise Ludo, du genre altruiste, prêt à l'aider, à l'accompagner à un rendez-vous d'affaire ?

Nouveau dilemme cornélien : sauvegarder son couple, ses enfants ou refaire sa vie.



Quant à Ludovic, le regard des autres lui renvoie l'image d'un « costaud » inébranlable, « rayonnant d'une densité minérale brute », d'un « gars solide que rien n'atteint » «  ne gêne », alors «  qu'en réalité il se sent écrasé par la capitale», qu'il peut être «  cloué par la douleur ». Pour sa mère , n'est-il pas « le plus grand, le plus fort » ? Odette Mercier considère ce « voisin facile » comme «  le faux fils providentiel », serviable. Pourtant, lui est miné par ce sentiment d'être « bas de gamme », «  un tocard » et de ne pas mériter Aurore. « Il y a des êtres pires que des pièges, des êtres toxiques, s'y frotter,c'est s'y rayer. Les rencontrer, c'est courir à sa perte. », assène l'auteur. Ludovic se retrouve impliqué dans un sac de noeuds invraisemblable, propice à alimenter le suspense. Que fait le fusil dans le coffre de sa twingo?Que fomente -t-il pour se venger de l'humiliation subie ? N'a -t-il pas «  tout envenimé », causé du désordre ? Comment expliquer ses accès de rage, son impulsivité , ses coups de sang? Il se sent « piégé », dépassé.



Si Serge Joncour a opté pour un ton plus grave, il ne se départit pas de son humour, et nous offre des intermèdes plaisants ( Ludovic poursuivant la cérémonie du thé, après la «  chorégraphie parfaite des serveurs ») ou hilarants comme l'essayage de pantalons qui «  mobilisait trois personnes » autour de Ludovic. Comment ne pas rire de concert avec les vendeuses à la vue de « la cabine prise de spasmes » !



Chez Serge Joncour, l' histoire, avec ses luttes et violences sociales, n'est jamais absente de son esprit ou indifférente à sa plume.Si l'argent était déjà au centre de L'écrivain national avec l'exploitation de la forêt, ici la loi des marchés domine, irrigue les vies professionnelles des protagonistes. Ils savent que « le business , c'est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer », «  c'est comme monter sur un ring, il faut donner des coups, sans quoi c'est toi qui en prends ». L'auteur livre un vif témoignage de notre époque où le profit l'emporte ( fabriquer à l'étranger) sur la qualité, le savoir-faire «  made in France ». Il glisse un clin d'oeil indirect à la ville de Troyes et son passé de la bonneterie. Par chapitres alternés on suit les destins protéiformes de ses deux protagonistes happés par une succession d'imprévus, d'embûches, d'embrouillaminis, au bord du précipice, et d'autres vies minuscules.



En filigrane, Serge Joncour renoue avec la dualité ville/campagne. Pour Ludovic, que Paris «  tend comme un ressort », le retour aux sources dans la vallée de Célé lui offre ce « bol d'air » salvateur. Dans cette nature, « l'environnement se foutait pas mal de son gabarit », de sa stature si imposante. Il pose un regard poétique sur la capitale aux multiples perspectives, sur la Seine. Avec tact et pudeur il évoque le désarroi de ceux qui voient leurs aînés se dégrader, ainsi que la maladie,le deuil. Il soulève la délicate question d'aimer de nouveau tout en restant fidèle à celui qui est parti.



Si certains êtres vous habitent de façon obsessionnelle, il en est de même de certains livres. Serge Joncour signe un très beau roman complexe, ambitieux, ample, captivant, foisonnant de personnages, en prise avec l'actualité. Le talent de Serge Joncour est toujours de se raccrocher à l'humain. Il nourrit une empathie généreuse, profondément sincère pour ses protagonistes devant leurs turbulences intérieures. On retrouve avec délectation le style Joncourien: puissant, écorché vif, cinématographique suscitant des images fortes( corbeaux « jaillissant comme des assiettes au ball-trap », geyser,cataracte chute dans l'étang, métaphore du buffle)



Cette love story entre voisins,une passion adultère improbable, « tellurique » teintée de culpabilité, d'autant plus inattendue que tout les oppose, saura tatouer le lecteur de façon indélébile.

Si on a tous rêvé que « quelqu'un nous attende quelque part », après avoir lu Anna Galvada, en quittant le roman prégnant de Serge Joncour, le lecteur va guetter la voix bienveillante, lénifiante qui l'apaisera par son invite : «  Repose-toi sur moi ». «  Double sens quand tu nous tiens », déclare Serge Joncour, en écho au titre magnifique.

Un livre tour à tour, touchant, drôle, inquiétant, violent, poignant, tendre, nostalgique, hypnotique à ne pas laisser au repos et qui ne vous laisse pas au repos! Il enflamme et séduit. On souscrit. STYLISSIME.

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Repose-toi sur moi

Après l’excellent et remarqué « L’écrivain national » sorti en 2014 et qui fut finaliste du prix Renaudot, Serge Joncour nous propose pour cette rentrée littéraire 2016 Repose-toi sur moi son dernier opus.



« Parfois, à de petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l’assurance qu’il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu’un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu’on en fait plus pour les autres qu’ils n’en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c’est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu’ils s’y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment »



Aurore a tout pour être heureuse. Styliste réputée, elle est propriétaire de sa marque de vêtements Aurore Dessage. Mère de deux enfants, mariée à un riche homme d’affaires américains, elle vit dans un luxueux appartement à Paris.



On ne peut en dire autant de Ludovic. Ce provincial, agent de recouvrement de dettes, a quitté la ferme familiale et sa vallée du Célé suite au décès de sa femme Mathilde il y a 3 ans. Il vit depuis seul dans un petit appartement parisien qui ne paye pas de mine.



« dans une vie le drame est toujours là à roder, tout près de tout abîmer. »



Tout semble opposer ces deux individus si ce n’est le fait qu’ils partagent une cour arborée commune (leurs deux appartements se faisant face dans le même immeuble). Si ce n'est que l'un comme l'autre doute, s'interroge, ... La citation qui suit résume à elle toute seule tous ces tourments.



« En se serrant contre cet homme, en s’y plongeant avec tout ce qu’elle mobilisait de forces, elle embrassait l’amour et le diable, la peur et le désir, la mort et la gaîté, elle avait la sensation de se perdre en plein vertige dans ces bras-là, d’être embarquée dans une spirale qui n’en finirait jamais de les avaler. »



L’auteur utilise d’ailleurs beaucoup ce processus d’opposition des genres : la ville vs la campagne, la famille vs la solitude, la pensée vs la réalité, les idées vs les faits, la face visible et la face cachée de l'humain…



« En ville la solitude a un écho démesuré. Il aurait cru que ce serait le contraire, qu’en ville, vivre seul serait un genre de bienfait, une bénédiction, la compensation de toutes ces heures occupées à évoluer au milieu du monde, à être sans cesse entouré. En fait non. »



« A la campagne l’extérieur n’était jamais hostile, dans le froid il bougeait toujours, il ne faisait jamais de surplace, pas même à la chasse, à la limite il aimait bien se faire secouer par un coup de gelée ou une bonne pluie, marcher dans la neige aussi bien qu’en plein cagnard, alors qu’à rester planté sans bouger dans le souffle de ces deux avenues immenses, deux nationales aux perspectives interminables, il était pris de tremblements, comme s’il ressentait l’instant exact, la seconde précise où il attrapait froid, c’était curieux de concevoir ça, pourtant il demeurait immobile, se croyant le plus fort encore une fois. »



Et pourtant… une rencontre fortuite dans cette « petite campagne » va bouleverser la vie de Aurore et Ludovic. Une histoire de corbeaux en est l’origine : leurs cris effrayant et rendant hystérique la femme, l’homme décide de lui venir en aide et d'éliminer les oiseaux.



En fin de première partie, le décor est ainsi planté. Malgré les apparences, on est loin d’une intrigue banale. C’est tout l’art de l’écriture de Serge Joncour. Tour à tour intimiste, tendre, drôle, touchante, poignante, abrupte, hypnotique et finalement addictive, sa prose nous envoûte, nous émerveille, nous émeut et au final nous séduit véritablement.



Les chapitres sont majoritairement courts, l’alternance descriptions et dialogues donne un vrai rythme. Les phrases sont longues, douces, mélodiques, poétiques. Elles nous plongent dans les pensées des deux personnages, leurs questionnements, leurs souhaits et leurs contradictions, décryptent leurs faits et leurs actes.



« Cette femme représentait bien tout ce qu’il détestait de Paris, tout ce qui le rejetait, tout ce qu’il aurait dû fuir, et pourtant elle l’attirait. Tout d’elle l’attirait. »



« plus que jamais elle avait réalisé à quel point cet homme lui échappait complètement, qu’ils n’avaient rien en commun, rien de familier, et malgré ça, à ce moment précis, il était l’être duquel elle se sentait le plus proche, le plus intime. En plongeant sa tête dans son cou, les yeux fermés elle se dit, Je ne le connais que depuis un peu plus d’un mois, mais il est entré en moi par une porte cachée, secrète, que lui seul a su trouver… »



Cela rend surtout Aurore et Ludovic terriblement attachants. On est à leur côté, on sourit ou on souffre avec eux. Plus on avance dans les pages, plus la lecture est agréable, plus on savoure et on a envie de savourer. J’ai eu beau essayer de ralentir mon rythme, j’ai dévoré et avalé la dernière partie à vitesse grand V tellement cet opus est addictif. Il a été impossible de ne pas me sentir concerné tant cela me touchait et me marquait.



C’est aussi un roman contemporain et engagé à l’image des valeurs de l’auteur. Les travers du business actuel sont largement abordés avec finesse :

« parce qu’eux ils savaient bien que dans les affaires il ne faut jamais chasser seul mais toujours en meute, que dans les affaires il ne faut jamais s’isoler, il ne faut jamais partir seul sans s’assurer de ses appuis, à moins de chercher à se faire bouffer. »



Ou force :



« Le business, c’est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer ».



Souvent avec justesse :



« C’est pourtant vrai, il ne suffit pas d’être génial pour réussir, il faut surtout anticiper, dans la vie c’est toujours ceux qui ont un coup d’avance qui réussissent, pas les surdoués ! »



« Il ne priverait personne de ce cadeau. » est la dernière ligne des 427 pages de ce formidable livre. Merci Serge de nous avoir offert ce grand moment de sérénité, de beauté, d’humanité, d’introspection, de questionnement, de joie, de vie, d’amour… Que serait la vie sans l’amour ? A quoi servirait ce dernier sans vie ? Parfois il faut savoir oser… Oser aller vers les autres, oser faire confiance à l’autre, oser se remettre en cause, oser desserrer la bride. Le résultat est bien souvent au-delà de nos espérances. Mais autant faut-il oser bouleverser ses habitudes, mettre un mouchoir sur sa fierté et accepter de se reposer sur quelqu’un d’autre comme l’ont fait nos deux protagonistes.



« C’est elle qui prit l’initiative, il avait des lèvres tellement charnues et douces qu’elle n’eut même pas le temps de se demander ce qu’elle faisait, elle n’eut pas le moindre mouvement de recul tellement elle les voulait encore ses lèvres, elle se plaqua cotre l’arbre, elle était éperdument exaucée, cette cour qui depuis des années lui donnait de l’énergie, cette enclave de sérénité, voilà qu’elle allait jusqu’au bout de cette promesse, pour une fois elle était au cœur même de ce refuge qui la protégeait du monde, il faisait nuit maintenant, et dans l’obscurité, sous ces feuillages, tout était plus sombre encore, parfaitement caché. »



Repose-toi sur moi est définitivement un ouvrage qui fait du bien, qui donne envie de lire, qui fait aimer la littérature, tout simplement une lecture indispensable de cette rentrée littéraire. Non, ne vous privez pas de ce cadeau, bien au contraire même. Je vous encourage très fortement à le réserver chez votre libraire ou bibliothécaire favori. Vous passerez assurément un merveilleux moment qui vous marquera longtemps. A lire, relire et transmettre.



Une dernière citation pour la route en guise de conclusion de ce billet :

« Quitter c’est se redonner vie à soi, mais c’est aussi redonner vie à l’autre, quitter c’est redonner vie à plein de gens, c’est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu’ils ne savent pas faire. »



5/5 SUBLIME COUP DE CŒUR



Repose-toi sur moi Serge JONCOUR

427 pages - Editions Flammarion - Parution le 17 Août 2016.
Lien : http://alombredunoyer.com/20..
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Nature humaine

°°° Rentrée littéraire 14 °°°



Ce roman est un tour de force : en 400 pages, il décrypte trente années d'histoire politique et sociale française, trente années de transformations radicales à partir d'une ferme du Lot, parvenant à relier le local et le global, mêlant grands événements et destins individuels scrutés jusqu'à l'intime de façon magistrale.



1976 – 1999, de la grande sécheresse de l'été 1976 comme une annonce du dérèglement climatique à venir, à la tempête dévastatrice du dernier jour de 1999 comme une fin des temps, celle d'Alexandre, éleveur bovin quadragénaire, qui semble attendre l'arrivée des gendarmes. le premier chapitre fait peser une tension et un suspense qui planera durant tout le roman, juste par la force du mot «  détonateur ». A partir de là, c'est toute l'histoire d'Alexandre, de sa famille d'agriculteurs, qui se déroule pour comprendre les mécanismes profonds qui ont conduit Alexandre à cette radicalité annihilatrice.



Le roman dresse un panorama complet à hauteur d'homme d'une agriculture bouleversée par la mondialisation et par trente ans de mutations souvent insensées : de la mort de la polyculture familiale à l'élevage intensif, de l'exode rural à la crise de la vache folle, des paysans activistes d'extrême-gauche à la pression des grandes surfaces qui dérégulent les pratiques, de la désertification des campagnes à la dévitalisation des terres gavées d'ammonitrates. le choix de démarrer ce récit en 1976 est très pertinent car c'est aux alentours de cette période que s'accélère la mondialisation de façon irréversible jusqu'à une folie vertigineuse.



Serge Joncour est un maitre en matière de restitution de toute une époque, multipliant, en plus des thématiques évoquées précédemment, les références à l'histoire de France ( élection de François Mitterrand, nuage de Tchernobyl, marée noire d'Erika ) mais aussi à une culture d'époque ( des téléphones en bakélite en passant par les supermarchés Mammouth ). C'est extrêmement précis, ça bouillonne de vie de partout … peut-trop d'ailleurs par moment, j'aurai aimé voir certains thèmes plus approfondis, mais le projet de l'auteur est d'en faire un cadre dense à son intrigue romanesque.



Car du romanesque, il y en a. On n'est absolument pas dans le récit froid et désincarné d'une époque. Les personnages sont magnifiquement campés, à commencer par l'attachant Alexandre, un superbe personnage que l'on voit grandir, réfléchir, se remettre en question puis s'insurger, lui qui traverse les transformations d'un monde paysan qu'il croyait immuable et qu'il voit menacer de toutes parts. Et puis il y a son histoire d'amour avec Constanze, d'un romantisme fou, atypique et puissante.



En fait, cette épopée rurale est un hymne célébrant la poésie de la vie et de la nature, superbement décrite, enveloppant les personnages de sa bienveillance. Comme le titre l'indique, l'homme n'est pas un élément dissociée du décor, il est un élément du décor, il est un parmi les végétaux et les animaux. Serge Joncour donne une dimension quasi animiste à la terre, animée de forces qu'on ressent pour peu qu'on vive à son contact. Pour autant, ce roman terrien et sensible à la fibre écolo n'est jamais naïvement passéiste ou réactionnaire. Il est juste d'une grande acuité pour nous faire réfléchir sur le monde dans lequel nous souhaitons vivre, sonnant avec subtilité le réveil des consciences et de l'indignation légitime face aux travers de notre époque. Je regrette juste une écriture un peu terne qui ne m'a pas emportée autant que le sujet.
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Repose-toi sur moi

Et voilà ! ça nous vole dans les plumes. Autant dire que ça existe. Aimer ! Quand on ne pense plus qu’à ça, jusqu’à déconsidérer l’instant. Miné, muni de doutes et d’espérance ou animé d'une force transmutable.

Exister dans la tête de quelqu’un, dans ses bras jusqu’à plus soif, sans plaisir assouvi ni besoin satisfait. Agir en déraison pour cause de hors-jeu, dans un monde mais à côté. Et puis, vivre ! enfin. À tout prix emporté mais sans délai, au-delà des arrêtés de la vie publique et du cadre familial délimité. Tout ce désordre ! Pour cause d’une attention qui n’a pas de prix, par petites touches imperceptibles, entre trouble et hardiesse, peur et témérité. Cet appel à l’autre et ce rappel à soi.

Une écriture épurée qui prend sa source dans un élan de simplicité pour exprimer des mots de tous les jours. Et, quoi qu’il en soit du corbeau à la tourterelle, de la haute volée chez Serge Joncour.

Merci aux éditions Flammarion : "Personne d'autre ne lui aurait donné une telle preuve d'amour" et à Babelio pour cette opération masse critique, rentrée littéraire.
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Nature humaine

En près de quatre cents pages, Serge Joncour (L’amour sans le faire, L’écrivain national, Repose-toi sur moi, Chien-Loup), avec son talent habituel de conteur, balaie des vingt-quatre dernières années du XXe siècle. Dans Nature humaine, au travers de l’histoire émouvante d’Alexandre Fabrier, c’est toute une époque qui défile avec la transformation des paysans en exploitants agricoles, l’arrivée des hyper et supermarchés, plus l’extension des zones commerciales causant l’artificialisation des meilleures terres.

Si tous les chapitres sont soigneusement datés, tout tourne autour de cette fin décembre 1999, avec ce fameux 1er janvier 2000 qui approche. Quatre grandes parties se succèdent : 1976-1981, 1986, 1991 et 1996.

1976, c’est une terrible canicule qui assomme le pays. Alexandre a quinze ans et il apprécie de voir les filles dénudées à la télé. Par contre, aux Bertranges, dans la ferme familiale, aux confins du Lot, proche de l’Aveyron, sur la commune de Cénevières, il faut travailler dur, trouver à boire pour les vaches, élevées ici uniquement pour la viande.

Si les grands-parents ont passé le relais aux parents d’Alexandre, ils vivent tout près, au bord de la rivière, et s’adonnent au maraîchage. Alexandre a trois sœurs : Caroline (16 ans) qui est brillante élève au lycée, Vanessa (11 ans) qui ne pense qu’à son Instamatic, et Agathe (6 ans), la petite dernière.

Tout près de la ferme, vit le père Crayssac qui refuse tout ce modernisme castrateur et destructeur. Il va même se battre au Larzac contre l’extension du camp militaire car il ne se contente pas d’élever ses chèvres et de vendre ses fromages, il refuse aussi ces poteaux téléphoniques en bois traité qui empoisonne les sols.

Au fil du récit, je vais retrouver tous les combats d’une époque, contre le nucléaire, comme à Creys-Malville ou à Golfech, avec la violence des manifs réprimées très sévèrement et les attentats ou sabotages menés par certains activistes. C’est d’ailleurs en 1980 que la vie d’Alexandre prend une tournure décisive. Caroline est étudiante à Toulouse et Alexandre la ramène en GS jusqu’à son appartement qu’elle partage avec quelques colocataires. Là, il est captivé par Constanze, Allemande de l’Est venant de Leipzig, qui étudie la biologie et le droit, blonde sublime…

Le dimanche 21 septembre 1980, c’est la fête dans l’appartement de Caroline, à Toulouse, et Alexandre se sent ringard devant ces militants politiques anti-nucléaires. Cela ne l’empêche pas d’écouter Xabi, basque espagnol, et Anton, une autre Allemand. Quand Constanze le voit avec eux, elle commence à s’intéresser à lui. C’est le début d’une histoire d’amour très chaotique qui va beaucoup influencer Alexandre, fou amoureux de Constanze.

Serge Joncour dont j’avais bien apprécié l’humour lors de la présentation de Nature humaine aux Correspondances de Manosque 2020, m’a maintenu captivé par son récit branché sur une actualité me rappelant beaucoup de souvenirs. Il démonte avec talent toute l’évolution du monde agricole aspiré par la grande distribution en plein essor. Le nombre de fermes diminue de plus en plus car, pour les jeunes, pas question de travailler aussi dur tout en se privant de loisirs. C’est pendant ces années-là que la société de consommation et le libéralisme triomphant ont signé l’arrêt de mort de toute une civilisation basée sur l’amour des bêtes et de la nature.

Quand Constanze découvre les Bertranges et tout l’environnement préservé, elle est ébahie. Elle apprécie, adore même mais ce n’est pas suffisant pour qu’elle reste là… À cause d’elle, par amour pour elle, Alexandre se retrouve complice des activistes mais cela lui a permis de vivre une expérience inoubliable avec cette distribution de tracts en 4L.

Bien sûr, 1981 scelle l’arrivée de la gauche au pouvoir avec l’élection inimaginable de François Mitterrand. Hélas, il faudra déchanter quelques années plus tard.

En 1986, on commence à parler d’une autoroute qui détruirait tout l’équilibre de la vallée. On évoque aussi la donation-partage pour la ferme avec les conséquences financières pour Alexandre qui devra rembourser ses sœurs. C’est surtout l’année de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl mais, par bonheur, les nuages radioactifs ont eu le bon goût de s’arrêter à la frontière de notre pays…

1991 et tout s’accélère. Alexandre a 30 ans. Caroline enseigne au collège et sa petite Chloé captive toutes les conversations.

En 1996, si Alexandre a la ferme pour lui seul, la surprise annoncée par Crayssac fait son effet mais Constanze est bien loin. Tout est fait pour le pousser à moderniser ce qui devient une exploitation agricole, élever toujours plus de vaches et s’endetter pour quinze ans.

Poussé à bout, Alexandre n’en peut plus comme beaucoup d’agriculteurs qui ont cru bien faire en suivant les conseils des banquiers, des spécialistes agricoles et de la grande distribution. Tout se termine avec la terrible tempête du mardi 28 décembre 1999. Plus d’électricité, des dégâts considérables, beaucoup de victimes mais, pour Alexandre, c’est l’occasion d’un sursaut qui, peut-être, sera salvateur.

Finalement, avec cette fin ouverte, Serge Joncour pourrait, s’il le souhaite, nous faire vivre encore un peu avec Alexandre…




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Chien-Loup



Si vous aimez les livres où la nature sauvage reprend ses droits, où les animaux règnent en maîtres et en proies selon la loi de la nature, où les humains, de chiens deviennent loups, alors ce livre est pour vous.



Alternant les chapîtres sur 100 ans d'écart, il met en parallèle les émois de la première guerre mondiale et le dur labeur des femmes privées d'hommes et l'année 2017 avec ses êtres qui se pensent domestiqués mais recèlent toujours cette part de sauvagerie tapie au fond d'eux-mêmes et qui ne demande parfois que peu de choses pour se réveiller.



Vous tomberez amoureux de "Alpha" alias "Bambi", le merveilleux chien-loup dont la représentation mi-domestiqué, mi-sauvage, résume le caractère de l'être humain, la nature de la vie tout court.



Et vous vivrez en prime une belle histoire d'amour !



Un livre remarquable doué de sensibilité, d'une bonne dose de philosophie et d'un amour immodéré de la nature ! Il y a quelque chose qui rend heureux dans ce livre et va à la recherche de notre côté primitif enfoui quelque part sous des siècles de "civilisation".



A lire et relire sans modération !
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