Citations de Sylvain Prudhomme (412)
J’en ai voulu au soleil d’être si beau : les jours gris au moins on reste chez soi sans honte. (page 212)
Marie a rendu la traduction du livre de Marco Lodoli. J'ai découvert la fin de Vapore. La dispute du père et du fils. La fin du jeu. L'anéantissement du rêve que la vie puisse n'être toujours que légèreté, grâce, refus du sérieux, de la colère, de la haine.
Elle y est allée plus fort. Je me suis abandonné à sa chevauchée ample, profonde, bonne. J’ai senti le plaisir creuser mon ventre, le creuser un peu plus à chaque coup de reins. (page 184)
J'ai vidé l'enveloppe sur mon bureau. Une vingtaine de polaroids en sont tombés. Portraits en buste. Sobres. Simples. Dépourvus d'effets inutiles. Avant tout destinés à remplir l'office de tous les portraits du monde : garder une trace. Empêcher l'oubli.
La force monstrueuse de l'habitude qui avait fini par accoutumer ses nerfs et ses pensées même aux signaux d'alarme les plus désespérants. (Souvenir de la lumière)
Elle se lève pour faire quelques pas en déplissant sa jupe, Il se permet un commentaire élogieux sur son physique. Ça l’agace tellement quand ce n’est pas le moment ! Elle se dit souvent, depuis qu’elle est entrée dans la quarantaine, qu’elle ferait mieux de s’en réjouir, mais ce n’est pas si simple. Elle n’a jamais trouvé le bon équilibre entre le besoin de plaire et la répulsion que provoquent chez elle les regards débauchés sur son corps lorsqu’elle emprunte les tapis roulants ou les escalators. Ces machines infernales dans les galeries marchandes et les aéroports lui font penser aux lignes d’abattage où l’on inspecte les quarts de bœufs.
Parfois c’est bien de revenir à d’anciens amours. On les vit une fois pour toutes. On arrête de se raconter que ça aurait pu marcher. On voit qu’en tout cas c’est trop tard. (page 193)
Je voudrais vivre dans un monde où les choses puisent se dire en face, la vérité s'affronter. Où chacun de nous soit assez libre et fort pour accueillir la liberté des êtres qui l'entourent.
Il y a six photos. Six instantanés pris en quelques secondes six images sur lesquelles leurs expressions se modifient d’une pose à l’autre, la détente d’un éclat de rire succédant à un instant de gravité feinte, le flou d’un mouvement immaîtrisé à plusieurs secondes de concentration soutenue. Sur toutes on sent la même émotion : le bonheur d’être ensemble, et le désir de graver ce bonheur. La conscience qu’il ne durera pas toujours. Le besoin de le fixer. D’en attester la réalité. D’en manifester la saveur, le prix. De pouvoir un jour peut-être, plus tard, se le remémorer. Comprend-on, à les regarder, ce qui arrive ? Ces choses-là se deviennent aux seules expressions des visages ?
Elle regarde la lourde masse de son corps allongée près d’elle. Ce corps qu’elle a maudit hier soir puisqu’elle l’a laissé jouir dans le sien, comme il a déjà joui mille fois en elle. Ce corps que demain elle verra de nouveau debout, de nouveau vivant, animé, léger ou lourd selon les moments, capable tantôt de lui plaire, tantôt de l’agacer si fort. Ce corps avec lequel elle a décidé, il y a des années, jusqu’à nouvel ordre, de composer. (L’île, page 109)
Il aimait les autoroutes. La glissade des autoroutes. L'impossibilité de faire marche arrière. Sur l'autoroute on ne se retourne jamais, il disait. Pas de place pour le repentir. On s'arrête le temps de franchir un péage, de refaire le plein. Et on repart. Marche avant, toujours. On avale l'espace. on le vainc. On le mange.
"Est-ce que c'est pas toujours un peu sa propre mort qu'on prépare en relisant la vie des autres. Est-ce que ce n'est pas surtout à ça que servent les histoires : nous tendre un miroir. Nous permettre de nous promener dans l'existence d'êtres qui ne sont plus et dont la vie est toute entière là, sous nos yeux, avec ses hauts et ses bas, ses périodes fortes et ses creux, jusqu'au dénouement. A tenter de comprendre ce qu'ils ont cherché. Ce qu'ils ont souffert. Où ils ont réussi. Où ils ont échoué. Tout cela sans jamais cesser de penser à nous, vivants. A ce qu'ils peuvent nous apprendre."
vivre c'est maintenir entier le petit nuage que nous formons, malgré le temps qui passe, malgré les bonnes et les mauvaises rencontres. c'est réussir à faire tenir ensemble toutes les petites gouttes de vapeur qui font que ce nuage c'est nous, et personne d'autre. Depuis que j'ai lu Spinoza je m'encourage, elle racontait, , je me suis dit allez petit nuage, avanti, fends vaillamment le monde, reste le petit nuage que tu es, sois-le toujours plus, un petit nuage vaillant et unique. Parfois je tombe amoureuse, elle disait, je rencontre un autre nuage qui me plaît très fort et l'autre nuage me bouscule, son intégrité chamboule la mienne, nous ne pouvons empêcher nos parties de se mêler, tous les deux nous sommes un peu confus.Je suis heureuse, je suis triste, tout est brouillé, il me faut du temps pour m'habituer à ce nouvel état. Et puis petit à petit je me retrouve, je me ressaisis au sens propre. Vaille que vaille je ramasse les parties de moi-même. Le petit nuage que je suis reprend son chemin.
L'histoire des miens était une histoire de moutons, bergers de père en fils, une histoire de transhumances, d'agnelages, d'estives, de quartiers d'herbe à faire brouter, de bergeries à curer, l'histoire d'un seul et unique voyage, toujours le même, pendulaire, réglé, entre la même plaine et les mêmes montagnes chaque année. L'histoire de mes cousins, une histoire de papillons.
Il était comme une terminaison de nous-même envoyée à l’aventure, une sonde par laquelle des bouts du monde nous étaient rapportés. Il était notre explorateur. (page 230)
Je conservais. Je stockais. J’étais l’archiveur des voyages de l’autostoppeur. (page 171)
La France.
Cette entité extraordinairement vague et circonscrite à la fois, à l’assaut de laquelle il partait toujours plus ou moins en s’en allant sur les routes.
Je reste en France.
Réponse qu’il faisait à ceux qui lui demandaient où il allait. (page 105)
Tout aurait peut-être continué longtemps si un soir des habitants n'avaient repéré cette anomalie : le stade allumé, les demi-finales des championnats de football interquartiers, les navétanes battant leur plein jusqu'à minuit, tous projecteurs plein pot, pendant qu'à trois cent mètres de là les fenêtres de l'hôpital régional se trouvaient dans le noir, couveuses débranchées, blocs opératoires et réserves de médicaments abandonnés aux trente-cinq degrés ambiants. (Awa beauté)
Au cimetière tout va vite. Devant les portes encore fermées, ils sont une trentaine à attendre dans le soleil, enfants, petits-enfants, anciens élèves de chant. Il y a même quelques très vieux qui sont venus aussi, parents d’amis qui ont tenu à être là, nonagénaires appuyés sur des cannes ou en fauteuil dont on ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont là en repérage, ont bravé la distance et la chaleur aussi pour venir voir, se rendre compte , conscients que leur jour approche.
Elle la connaît cette dévoration des hommes remplis de désir. Ce regard fauve, presque grossier, tellement carnassier parfois qu’il lui faut presque se retenir de se retourner et de leur tomber dessus.
Ça va tu me déshabilles comme tu veux la marchandise te plaît.
Tous ces hommes qui parlent qui parlent.
Qui l’appellent Awa.
Qui la tchipent quand elle passe.
Qui lui disent ma chérie viens.
Qui font semblant de se fâcher si elle ne répond pas. (Awa beauté, page 76)