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Critiques de Sylvie Germain (761)
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Nuit-d'Ambre

Après le Livre des nuits, nous retrouvons Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup et sa descendance. La Deuxième Guerre mondiale est finie et les pertes ont été terribles pour Nuit-d’Or. Hélas, la mort n’a pas fini de frapper Terre-Noire : le premier disparu est Petit-Tambour, celui qui annonçait la fin du conflit et le retour des hommes. Abattu par la balle perdue d’un chasseur, le petit garçon emporte dans la tombe la raison de sa mère et de son père. Reste alors Charles-Victor, son petit-frère en qui naissent un cri et une colère qui se mueront progressivement en haine et en solitude farouches. « Car il venait en un instant d’être trahi par tous. Le frère mort, la mère folle, le père en larmes. Nul n’avait pas donc souci de lui ? » (p. 24)



Le petit garçon décide alors de vivre seul, d’être seul maître de lui et d’entretenir sa haine. « C’est ainsi qu’il s’ingéniait à s’entourer d’ennemis imaginaires, à se croire un mal-aimé maudit de tous, plus seul au monde qu’un lézard tout vif dans la glace au cœur d’un désert de neige. » (p. 39) Comme les enfants et les petits-enfants de Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup, Charles-Victor a reçu en partage une paillette d’or dans l’œil. Mais sa rage épaissit cette marque héréditaire et le garçon devient alors Nuit-d’Ambre. Il n’a de seul amour au monde que sa sœur Baladine, une enfant pleine de grâce et de musique.



Incapable de vivre sur la terre de ses ancêtres, Nuit-d’Ambre monte à Paris et y mène une vie d’études et de violence qui témoigne de « sa faim de la folie humaine. » (p. 198) Dans la capitale, il devient Nuit-d’Ambre-Vent-de-Feu. Plus que tout, il veut se couper de son passé et de son histoire. Électron fou dans un univers qu’il veut rendre le plus cruel possible, Nuit-d’Ambre est un ange noir qui ne sait pas aimer. « Il n’aimait pas les hommes. L’humain l’intriguait. Il ne voyait en l’homme qu’une bête à moitié détournée de son animalité première, à demi fourvoyée hors de la terre et de la boue. Une bête devenue monstrueuse pour être entrée en mutation inachevée, – avec son ventre de requin, son sexe magique de totem, son cœur imprévisible de licorne, tantôt si tendre tantôt si cruelle, et son cou si grotesquement contorsionné vers les abîmes du ciel. » (p. 203) Nuit-d’Ambre ne sait pas aimer et il détruit à plaisir la vie et la confiance. Jusqu’au jour où un ange le rattrapera et fera retomber sur lui tout le poids de sa haine.



À Terre-Noire, il y a aussi Thadée qui est revenu des camps avec les deux enfants d’un camarade de douleur, Chlomo et Tsipele. Il y a toujours Mathilde, première fille de Nuit-d’Or, barricadée pour toujours dans son rôle de vierge froide. Il y a Rose-Héloïse qui a quitté le couvent après la mort de sa sœur et qui attend le retour de Crève-Cœur, l’enfant qu’elle a recueilli et qui a laissé sa raison en Algérie, sur la tombe d’un berger torturé. Et, un peu plus loin sur le domaine, Nuit-d’Or n’arrive pas à oublier Ruth et leurs enfants, disparus dans un camp de la mort. Hanté par sa douleur, il vit en sauvage avec Mahaut, une femme à moitié folle. De l’union de leurs deux solitudes blessées sont nés Septembre et Octobre, deux étranges enfants qui grandissent seuls dans une serre.



Avec Nuit-d’Ambre, Sylvie Germain écrit d’autres nuits qui sont autant d’âges mythologiques où l’homme se révèle toujours plus mauvais et plus sordide. Dans ce deuxième volet, l’auteure use avec génie du bas corporel et illustre à merveille la fureur sous toutes ses formes. Cette fureur confine à l’hybris, à l’orgueil fou et sans limites. Sur les bords de la Meuse, la terre est noire du sang qui y a coulé et des douleurs qui ne cessent d’y éclore. Et l’on se demande quand la fureur retombera et quand la haine sera enfin lavée. « La guerre pouvait bien changer de lieu, changer de forme, d’armes et de soldat, son enjeu demeurait éternellement le même, – il serait demandé à chaque fois et à chacun compte de l’âme de l’homme. » (p. 144 & 145)



Comme dans le premier roman de Sylvie Germain, j’ai retrouvé avec plaisir le besoin de nommer, voire de surnommer les choses et les êtres, dans une dynamique sans cesse renouvelée de créer et de remodeler le monde. Et dans la même idée, la généalogie s’oppose aux liens que chacun se crée : les branches de l’arbre familial se réorganisent et les enfants deviennent les parents des ancêtres. Sylvie Germain manie le réalisme magique avec un art parfaitement maîtrisé et entraîne son lecteur dans un univers aux frontières du réel, la tête dans les étoiles qui peuple les yeux des enfants de Nuit-d’Or et les pieds dans la terre noire d’où l’homme est né de toute éternité.



J’ai préféré Le livre des nuits, mais Nuit-d’Ambre poursuit à merveille la saga initiée sur une péniche. Je ne peux que vous conseiller cette sublime histoire, à la fois poétique et violente !

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Le vent reprend ses tours

J'ai découvert Sylvie Germain il y a quelques années avec le magnifique et impressionnant "Magnus" qui m'avait fortement marqué.

Professeur de lettres en lycée, j'ai été très agréablement surpris de voir qu'un extrait de "Jours de colère" est tombé au bac français en juin 2022 mais également très choqué et énervé par la cabale mené par des candidats, particulièrement via les réseaux sociaux. Insultes, menaces de mort, rien n'a été épargné à cette pauvre et courageuse Sylvie Germain ! Cette attitude d'adolescents de 16 - 17 ans est d'autant plus scandaleuse que le texte ne présentait pas de difficultés majeures ...

J'ai donc décidé lors de mon passage à la bibliothèque d'emprunter un de ses livres pour cet été.

Et mon choix a été très judicieux.

Dans les grandes lignes : Nathan un gamin de 8/9 ans dans les années 1980 se sent seul, pas à l'aise dans sa famille qui ne s'occupe pas de lui et pas à l'aise à l'école où on se moque de lui. Il rencontre un homme d'environ 45 ans qui déguisé fait des animations dans la rue. A son contact, il va beaucoup apprendre et être moins timide et réservé.

Entre les deux va naître une très grande amitié jusqu'aux 17 ans de Nathan.

On suit Nathan adulte sur les traces de cet ami.

Le livre est tellement émouvant qu'il est difficile d'en parler plus .... ce serait trahir la beauté des mots et du style de l’auteure.

J'ai adoré ce livre qui est extrêmement beau, émouvant et bien construit.

Sylvie Germain est une auteure majeure et incontournable de notre temps !



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Le vent reprend ses tours

De passage à Paris, Natan découvre un avis de recherche sous un abri-bus. Sa vie est bouleversée : il connaît en effet ce vieil homme qui a disparu, il le croyait mort depuis plus de 25 ans, tout du moins c'est ce qu'on lui avait dit. Profondément perturbé, il va remonter le fil de sa morne vie et nous parler de ce mystérieux Gavril, un saltimbanque d'origine roumaine, qui a tant compté pour lui durant son enfance et son adolescence. C'est Gavril qui l'a sauvé de son quotidien triste et vide, lui offrant rêve et poésie dans les rues de Paris, le nourrissant de tout ce qui est nécessaire pour grandir, lui apprenant à jouer avec les mots et à connaître ses désirs, et qui a fait de lui, enfant timoré et renfermé, un adolescent épanoui.

Natan dont on découvrira la vie, de sa naissance à l'âge adulte au fil de notre lecture, nous offre ici un voyage dans le pays de Gavril, la Roumanie. Mais une Roumanie terrible, un pays qu'il a fui car il lui a pris tous les siens, et où il ne voulait plus jamais retourner, quoi qu'il advienne. Rescapé de terribles épreuves, Gavril choisira de ne pas mourir en étant privé une nouvelle fois de cette liberté qui lui est si chère à présent...



Voilà un court roman tout en finesse, en tendresse et en poésie, une histoire simple d'amitié et d'attachement intergénérationnelle, qui sous la plume particulière de Sylvie Germain, prend toute sa profondeur et sa force.

Les personnages sont lumineux, le lecteur s'attache à Gavril dès le début du roman, comprend ses motivations et ses actes. Il découvre la vie de Natan (ou Nathan selon les passages du livre !), son enfance auprès d'une mère indifférente et toujours triste, et comprend ainsi au fur et à mesure que les différents éléments se mettent en place, pourquoi il fera certains choix. Marqué à jamais par sa rencontre avec Gavril alors qu'il était un petit garçon, il ne pouvait que suivre ses pas.



J'ai adoré la première partie qui relate la rencontre entre Gavril et Natan et leurs déambulations poétiques dans les rues de Paris. La seconde ressemble davantage à une quête durant laquelle le lecteur redécouvre l'Histoire de la Roumanie...

La narration alterne entre passé et présent, ressenti d'aujourd'hui et souvenir du passé.

C'est un livre empli d'humanité qui ressemble à un conte moderne et qui se savoure tranquillement. C'est aussi un bel hommage aux poètes des rues...

A découvrir !
Lien : http://www.bulledemanou.com/..
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Tobie des marais

A partir du livre de Tobie de l’ancien testament, Sylvie Germain invente un roman, comme elle sait si bien le faire, un roman magique, poétique et envoûtant.

Chaque chapitre est précédé d’un extrait du Livre de Tobie transposé à l’histoire du petit Tobie et de sa famille portée par l’aïeule, Déborah.

Tous les personnages sont magnifiques. Outre les humains, la nature, la musique, la peinture… sont vivants.

Quelle poésie au fil des phrases ! Un véritable enchantement.

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À la table des hommes

Belle idée que celle du conte d'un petit cochon métamorphosé en jeune adolescent vierge de tout.

De l'animal vivant en symbiose avec ses congénères et les éléments naturels au choc de la confrontation avec la violence des hommes et du lent et difficile accès à l'état d'humain.

L'occasion de dénoncer les guerres, toutes les guerres, les religions sources de conflits meurtriers, la haine, la férocité entretenue.

L'animal, sans passé ni futur vit la minute présente, assouvit sa faim et la soif.

L'homme détruit le passé dans lequel il ne se reconnaît pas et endeuille le futur de sa violence, de son absence d'humanité.

Un excellent roman, comme tous ceux de Sylvie Germain.
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Tobie des marais

Un garçon, issu d’une famille frappée par d’horribles deuils, rencontre une fille qui semble frappée d’une horrible malédiction.

(Et ne lisez surtout pas la quatrième de couverture, elle raconte toute l’intrigue jusqu’au dernier chapitre.)

C’est une lecture mitigée.

Ce n’est pas qu’elle n’écrive pas bien, Sylvie Germain, quoiqu’au début j’ai été rebutée par une impression de préciosité, d’écriture ampoulée - tout ce que je n’aime pas. Mais ensuite l’impression se dissipe et j’ai apprécié de belles descriptions poétiques. Elle inclut beaucoup de références : Bible (l’intrigue suit celle du "Livre de Tobie"), poésie, musique, peinture.

La plupart des personnages sont attachants, l’autrice prend le temps de les camper, mais elle leur veut du mal : que des morts violentes, dont elle n’omet aucun détail, même le plus trash. On a tout le catalogue : décapitation, immolation, explosion, rien ne nous est épargné - jusqu’à l’étouffement avec une cerise.

J’aurais apprécié davantage ce roman s’il n’avait pas été inutilement gore.

Challenge Solidaire 2023

Challenge Départements (Indre)
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Petites scènes capitales

Histoire d'une femme, de l'enfance à la vieillesse, de l'après-guerre aux années 2000. Petite fille abandonnée très jeune par sa maman, Lili/Barbara a d'abord vécu seule avec son père, puis avec la nouvelle femme de celui-ci et ses quatre enfants. Lili n'a jamais su trouver sa place parmi eux. Elle n'était pas maltraitée, non, elle se sentait "seulement" (mais c'est déjà beaucoup) mal-aimée et négligée par son père - un homme bon et sensible pourtant - au profit des trois autres filles de la maison. Elle est restée une enfant secrète et observatrice au milieu des événements et des drames qui ont marqué cette famille.



Encore une fois, j'admire le talent de l'auteur pour condenser de manière limpide et poétique, touchante et pertinente autant de destins, pour camper des personnages à la fois convaincants et allégoriques (cf. notamment les métiers que chacun choisira). Malgré le réalisme des situations, on se sent toujours à la frontière d'un conte à la lecture de ses ouvrages.



On retrouve ici des thèmes récurrents dans son oeuvre, toujours évoqués avec justesse, sensibilité et pertinence : la maternité, le couple, l'identité, le poids de la famille et des erreurs parentales, l'absolue nécessité de s'en libérer. Thèmes qui imprègnent également les textes de Véronique Ovaldé.



Ces "petites scènes capitales" m'ont souvent charmée - beaucoup de passages 'coup de coeur'. Mais je m'y suis parfois ennuyée, peu réceptive cette fois aux intermèdes lyriques et contemplatifs qui me séduisent généralement chez Sylvie Germain.
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Petites scènes capitales

Sylvie Germain écrit comme on retourne la terre : lentement, méticuleusement, elle casse la croûte des apparences pour révéler ce qu'il y a de vivant en dessous, de prêt à être fécondé en dépit de la mort apparente.

Avec ses mots précis quelquefois précieux, de son écriture travaillée, un peu baroque, toujours jubilatoire en dépit des sentiments complexes et des intériorités souvent douloureuses qu'elle analyse avec acuité, elle dissèque l'âme humaine dans toute sa densité et son opacité.

Entre bien et mal, joies passagères et fulgurantes, souffrances latentes et courts bonheurs, c'est notre condition humaine qu'elle passe et repasse au crible à travers chacun de ses livres dans le cheminement qui est propre à chacun et peut le conduire à un possible consentement à sa vie.

Comment survivre malgré la disparition d'une mère, puis la dislocation de la famille dans laquelle on vit, comment survivre en dépit de la relative indifférence d'un père qui semble ne prêter aucune attention à son enfant, comment survivre quand on ne sait pas qui on est et qu'on n'existe dans le regard de personne, l'art peut-il nous aider à nous libérer, tels sont -entre autres !- les thèmes de ce roman très riche.

Un peu mystique, un peu philosophique, toujours profondément humaine, l'écriture de Sylvie Germain nous ouvre à nous-mêmes à travers les autres, nous faisant entrevoir des possibilités de dépasser la souffrance et le mal.

Qui a dit que philo et fiction ne faisaient pas bon ménage ?
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Tobie des marais

"Tiens, lis-le, c'est pas mal !".

Lorsqu'un ami nous file un bouquin en disant ces mots, d'ordinaire, on lui fait confiance, mais on repousse la lecture à une date ultérieure, parce qu'on est déjà embarqué dans d'autres histoires, et qu'on s'est déjà tracé un chemin littéraire à suivre. Commencé il y a un an, je l'ai terminé en 3 jours, et j'ai trouvé le livre remarquablement bien écrit : cela tient d'une écriture poétique, fortement teinté de symbolisme, voire de mystique, mais pas un symbolisme grossier ou une mystique à la vas-y comme que je te pousse. Non, tout est subtilement éclairé d'une lueur tamisée, ponctué d'oxymores puissantes, de rythmes ternaires, de descriptions d'une incroyable profondeur. De pérégrinations douloureuses en pèlerinages intérieurs, l'action se dénoue dans une sorte de rédemption sublime.
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La puissance des ombres

Sylvie GERMAIN. La puissance des ombres.



Pour fêter leurs vingt ans de rencontre au bas des marches du métro Saint-Paul, à Paris, un couple, Daphné et Hadrien rassemblent leurs amis et leur imposent un thème. Le costume porté doit représenter une station de métro. Chacun joue son rôle et la soirée se déroule dans la joie, la gaîté, la musique, la danse, l’alcool…. Deux serveurs sont là pour alimenter table et bar, servir les invités. Ce sont deux extras, Sylvain Leseudre dit Monsieur Dubo Dubon Dubonnet et Angus. La fête se prolonge, Sylvain fait un malaise, il est conduit dans une chambre afin de se reposer. Cette fête s’achève tragiquement. Un invité tombe du balcon du quatrième étage, de l'appartement réception. S’agit-il d’un accident, d’un suicide, d’une attaque déguisée, d’un règlement de compte ? Mystère. L’enquête conclut à un banal accident. Gaspard, la victime a tenté de récupérer son portable et déséquilibré et a fait une chute et trouvé la mort. Les obsèques se déroulent trois semaines plus tard. Lors de la cérémonie, Agathe, son épouse lit la lettre d’amour que son compagnon lui a écrite lors de leur première rencontre. Que d’émotion !



Quatre mois s’écoulent et Cyril, un autre convive est à son tour,victime d’un accident dans une rue escalier, peut-être celle qui figure sur la couverture. Conclusion de la nouvelle investigation : une chute accidentelle. Cependant de telles morts nous mettent la puce à l’oreille. Et c’est là qu’entre en scène le serveur Sylvain, un écorché vif qui mène une vie plus ou moins recluse. Il faut se pencher sur son enfance, son adolescence et sa vie de jeune homme. A l’âge de huit ans, sa petite sœur Rosine, âgée d’à peine cinq ans, a été victime d’un enlèvement et retrouvée morte, violée. Sylvain porte ce décès sur ses épaules : en effet, il était responsable de sa petite sœur et devait la récupérer à la maternelle, située à quelques centaines de mètres de son école. Mais il a joué avec les copains. Cruel concours de circonstances. La petite fille était là au mauvais moment. Ce drame aurait peut-être pu être évité si Sylvain avait attendu la fillette à l’heure de la sortie. Mais peut-on l’accuser ? Un enfant de cet âge doit-il être investi de telles responsabilités ?



Et depuis ce temps, Sylvain porte sa croix. Il faut dire mais que la vie ne l’a pas épargnée. Son père a quitté le foyer à la naissance de Rosine. La mère a donc élevé seule ses deux enfants. Suite au décès de Rosine, cette dernière a sombré dans l’alcoolisme et l’addiction médicamenteuse. Sylvain, devenu pensionnaire a subi de nombreux outrages de la part de ses congénères. Une part d’ombres peuplent ses jours, ses nuits. Cette épée de Damoclès pèse sur sa tête. Il vivote. Il est pris entre deux mondes, le présent et le passé. Sa vie sentimentale, professionnelle, personnelle, s’en ressentent. Il est déphasé, torturé. Sylvie GERMAIN fait une belle étude psychologique de cet être écartelé, ne sachant plus où se situe le bien, le mal. Un être qui veut, à tout prix venger la mort de sa petite sœur dont il porte la responsabilité.



J’aime beaucoup la couverture, cet escalier rue, en noir et blanc, peut-être le lieu témoin de « l’accident » de Cyril. Merci aussi à Sylvie d’avoir inclus dans son roman la poésie de Marie NOEL ( page 70). Espérance, louange, amour. J’apprécie également le texte, prière de l’homme-rien, du slam, ( pages 73, 74, 75). J’ai lu ce récit en une après-midi, versé quelques larmes ; cependant je suis un peu déçue par la chute. Bonne lecture. ( 09/07/2022).


Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Les échos du silence

Le monde va mal. Depuis des millénaires, l’homme agonise entre guerres et génocides. Il crie vers le Seigneur, mais rarement, très rarement, ce dernier répond. « Comment pourraient-ils savoir où va la gloire de Dieu quand la pitié de celui-ci ne s’est jamais manifestée à eux aux heures les plus vides et esseulées de leur souffrance ? » (p. 18) De ce silence étourdissant, l’homme tire diverses conclusions. Soit qu’il n’est pas digne d’entendre la parole de Dieu. Soit que Dieu ne se préoccupe pas de lui. Soit que Dieu n’a pas les moyens de lui répondre favorablement. Soit que Dieu n’existe pas. « Ça suffit, ce silence a tant duré qu’il ne peut qu’être la preuve de l’inexistence de Dieu – la signature acide du néant. » (p. 21) Comme Job qui crie au désert, révolté et injuste dans ses adresses au Dieu muet, l’homme exige des réponses et des preuves au lieu de se laisser envahir par le silence qui est le témoignage absolu de l’amour de Dieu.



Oser le silence, c’est oser la foi la plus pure. Accepter que le silence est à la fois la réponse et le message demande du courage, mais c’est ainsi que l’homme peut vraiment approcher de Dieu. « Se risquer dans une voie qui consent au silence sans le sommer de se briser ; sans le clore sous vide définitif. Une voie de pure errance dans le désert en expansion dans ce silence même. » (p. 26) C’est dans un murmure que Dieu est le plus loquace. S’il se tait, c’est qu’il s’est retiré du monde qu’il a créé, qu’il l’a confié aux hommes et n’attend désormais que leur amour. Pas leur reconnaissance ou leur gratitude : seulement leur amour, sans déclaration enflammée, ni hauts faits d’armes. L’amour vrai se niche dans le silence. « C’est pourquoi, alors même que son Verbe s’est incarné et exprimé à voix d’homme vivant temporel, à voix d’homme souffrant, Dieu continue à s’évaser en silence tout autour de ce Verbe fait chair. » (p. 63) Finalement, quand les hommes se désespèrent d’entendre Dieu, c’est Dieu qui les écoute, non pas mutique, mais muet par amour. Et son silence dit beaucoup à celui qui prête l’oreille du cœur et de la foi, sans impatience ni exigence. « C’est pourquoi il faut indéfiniment se remettre à l’écoute du silence de Dieu, envers et malgré tout. » (p. 98)



Moins de cent pages d’une beauté profonde, d’une prose presque poétique et affolante, d’une voix vibrante, d’un message puissant. Moins de cent pages qui appellent au silence, à la méditation, à la contemplation, au voyage intérieur et spirituel. Moins de cent pages légères comme un soupir et fortes comme un coup de tonnerre. Nourrie d’extraits de la Bible, de poésies de Paul Celan, de textes de Simone Weil, d’Etty Hillesum, de William Shakespeare et de Thérèse de Lisieux, cette réflexion n’assène aucune réponse. Elle tente une interprétation du silence millénaire de Dieu. Sylvie Germain ne lit pas entre les lignes, mais entre les non-dits qui ne sont pas un refus de communiquer, mais une invitation à croire, à aimer et à progresser sur le chemin de la foi.



Je suis une nouvelle fois éblouie par la façon dont Sylvie Germain parle de la Bible et par la façon dont elle propose de la vivre aujourd’hui. Déjà, avec Mourir un peu, elle m’avait donné l’impression d’être une nouvelle figure parmi les pères de l’Église. Sentiment renouvelé ici avec cet appel au silence, à l’oraison intérieure et au cri d’amour muet. La dédicace aux sept moines de Notre-Dame de l’Atlas est appropriée et résonne longuement. J’ai récemment vu le film Des dieux et des hommes : la beauté et la valeur du silence ne sauraient être rompues par les cris de haine, seulement renforcées et rehaussées de gloire.

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Jours de colère

Tout le charme du conteur réside dans sa manière d’exprimer le récit ; choisir la bonne intonation, les bons mots, cultiver le suspens et aimer profondément ses personnages au point tel de les faire exister à nos yeux. Sylvie Germain est une bonne conteuse et ses « Jours de colère » est un roman puissant, rugueux et palpitant. En situant l’action dans le fin fond d’un hameau excentré du monde en plein cœur du Morvan, on pouvait s’attendre au plus à une picaresque histoire, au pire à la sempiternelle fable où biniouserie, Korrigan et autre superstition ne rivalisent pas d’originalité. Il en est tout autre. Sylvie Germain a trempé se plume au cœur du pays breton pour en tirer sa quintessence et nous livrer une histoire, certes à la limite du surréel, forte et profondément ancrée dans cette magnifique région. Cette saga sur deux générations, se passe vers la fin du 19ème siècle jusqu’après la « grande guerre », où le destin de deux familles ne va cesser de se croiser, dans une trame qui s’avère aussi complexe, robuste et toxique qu’une toile d’araignée. Et Sylvie Germain, de tisser méticuleusement chaque fil du récit, en imageant affectueusement l’ensemble de ses personnages (chacun ayant son originalité) à grands renfort de descriptions séduisantes, les plaçant au cœur d’une nature vivante, les faisant évoluer vers un destin inéluctable. L’approche naturaliste de ces « Jours de colère », est indéniablement sa première qualité, tant le style est élégant et incisif, chaque mot semblant peser, au point parfois de recourir au néologisme pour soutenir plus de précisions. A cela, s’ajoute cette extravagante et magnifique histoire, tout aussi réfléchie et parfaitement orchestrée. Ces femmes et ces hommes, apparentant à un monde du passé que le 20ème siècle fera disparaître totalement, vous hantent pendant toute la lecture. On ne cesse de se demander comment cela va évoluer, on prend parti avec l’auteur, et l’on anticipe la suite. C’est un véritable suspens littéraire qui vous saisit de bout en bout, jusqu’aux dernières lignes frissonnantes d’angoisse. « Jours de colère » est un livre sombre et vivant, véritable reflet d’une époque, il ne peut qu’enthousiasmer le lecteur emporté dans ce tourbillon de passion, de malveillance, de pureté et de courage. Un grand, un beau roman populaire, dans le sens le plus noble du terme.
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Petites scènes capitales

Barbara, dite Liliane, dite Lili est une enfant sans mère. Celle-ci a disparu en mer après avoir disparu de la vie de sa fille. « Et si l’erreur, c’était elle, tout simplement ? Du seul fait d’être née, a-t-elle donc commis une faute, une gaffe ? Est-elle responsable de la fuite de sa mère ? » (p. 29) Cette absence douloureuse à plus d’un titre, Lili la porte en silence, désespérant que son père l’aime pour deux, qu’il l’aime plus fort et davantage que les enfants de sa seconde épouse. Mais Lili passe dans la vie sans émouvoir suffisamment les êtres pour qu’ils aient envie de la retenir. Opiniâtrement, elle est en quête de l’amour, quelle que soit sa forme et quel que soit son émetteur. « La liberté, comme l’amour a un coût, celui de l’intranquillité, ni l’un ni l’autre ne sont jamais acquis. » (p. 204) Sera-t-elle un jour heureuse, Lili ? Sera-t-elle un jour enfin sereine ?



Les chapitres sont très courts et ressemblent à des instantanés, des photos que l’on prend au bord du gouffre. Quant à l’oxymore qui compose le titre, il renvoie aux moments anodins qui marquent les enfants parce qu’ils sont des premières fois, des traumatismes, des découvertes ou des éblouissements. « Les petits riens ne sont jamais insignifiants, la beauté foisonne dans l’infime. » (p. 85) Et, quel que soit l’âge de celui qui les vit, ces instants-là sont uniques et ne reviennent jamais à l’identique, à l’instar des multiples morts qui jalonnent la vie de Lili. C’est toujours le même fait, la brusque et éternelle rupture du souffle vital, mais ce n’est jamais la même personne. Et, à y bien regarder, toute la vie de Lili semble composée d’instants qui précèdent la mort, ce qui les rend uniques et les figent à jamais comme la représentation de ce qui est avant la disparition. « Mais qu’il surgisse sans crier gare, ou qu’il s’en vienne à pas menus, tout deuil ouvre des failles qui n’en finissent pas de serpenter sous la peau, d’interrompre les pensées soudain saisies de bouffées d’idioties. » (p. 130) Enfin, les petites scènes capitales, ce sont surtout les morts, capitales s’entendant au sens de la peine dont on ne se relève jamais.



Petites scènes capitales m’a rappelé La chanson des mal-aimants, mais il y manque la pointe de magie qui m’enchante tellement dans les romans de Sylvie Germain. Ce roman reste un très beau texte qui vibre de la plume forte et poétique de l’auteure.

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Hors champ

Une semaine, une semaine suffit à effacer un homme. Une semaine ce n'est rien dans la vie d'un homme. Et la vie d'un homme sur la grande page du temps, quel espace remplit elle ?

Aurélien devient flou, indistinct, trouble au yeux des autres. Sylvie Germain maîtrise magnifiquement les sens dans ses écrits, c'est peut être pour cette raison qu'elle sait peu à peu si bien les atténuer, les diluer, les dissoudre. Hors champ, c'est une histoire de miroir, celui du jeu de nos reflets. Nous n'apparaissons que si nous nous projetons dans les autres.

Nous ne nous définissons que contre la paroi des autres. Comme si ce qu'elles nous renvoient de nous est ce qui nous donne nos contours, notre forme. « Je vis, j'existe, je suis aimé, j'aime, je vois, je sens, tu me touches » . Un incroyable sonar nous permet d'être vu, perçu, reçu par les autres. Qu'est ce qui enraye cette machine ? Qui n'a pas au moins une fois eu cette impression d'être hors champ, invisible, inaudible, comme absent des autres. Aurélien, dans ce conte à rebours, s'efface, tombe dans l'oubli. L'écriture de Sylvie Germain est pleine d'odeurs et de couleurs , de silence et de bruit. Qu'est ce qui s'accroche aux parois de notre mémoire ? Qu'est ce qui s'accroche à notre regard ? Qu'est ce qui nous rappelle aux autres pour ne pas nous perdre totalement ? Une vie comme une poignée de sable.

Astrid SHRIQUI GARAIN
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Rendez-vous nomades

Difficile de faire une critique de ce livre magnifique. Sylvie Germain y est comme à son habitude une "éveilleuse", quelqu'un qui s'efforce de nous amener à vivre notre vie avec intensité et émerveillement, dans un perpétuel questionnement de nos sens et de notre intelligence, mettant la possibilité de l'existence de Dieu au coeur de nos interrogations, l'important n'étant pas d'être enfermé dans une croyance mais bien plutôt d'être ouvert à tout ce qui suscite une perception autre que purement rationnelle.

Elle y décrit le travail de l'écrivain comme le travail de celui qui essaie de transcrire par des mots la réalité spirituelle qui donne à ceux-ci force et vie, reliant le lecteur au mouvement du monde.

Un livre dont je suis ressortie comme "habitée" et que j'ai beaucoup aimé.
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Magnus

Un roman très fort sur la mémoire, l'identité, la transmission et les secrets familiaux.

Franz-Georg est au début du roman un petit garçon de 5 ans. Après une forte maladie, il a perdu la mémoire et doit tout réapprendre. C'est sa mère qui se charge de lui raconter l'histoire familiale. Nous sommes en Allemagne, tout juste à la fin de la seconde guerre mondiale, et Franz-Georg s'accroche à Magnus son ours en peluche.

Mais très vite, le lecteur et Franz (car on découvre en même temps que lui) perçoit que quelque chose cloche, la famille semble bancale, et des choses sont disimulées.

Lesquelles? C'est en fait ce que Franz va chercher à découvrir tout au long de sa famille et c'est ce parcours initiatique que Sylvie Germain nous narre.

Un très beau roman, dont le thème m'a touché, tout autant que le style de l'autrice que j'ai découvert avec grand plaisir.
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L'encre du poulpe

Abandonnée par l'homme qu'elle aime, Laure fuit de train en train, de ville en ville, à l'aveugle, pour tenter d'étouffer la douleur qui la submerge. « Mais comment sauver la mer noyée à l'intérieur d'elle-même ? Oui, comment échapper à soi-même, à cette perpétuelle crue de larmes au-dedans de sa chair ? » (p. 13) Un dimanche triste et pluvieux, alors que la tentation d'en finir la saisit, elle entre dans un aquarium. « Cela ferait une heure de trompe-l'œil, de trompe-vide. » (p. 11) Elle passe devant les vitres immenses et les créatures marines, et c'est un face à face troublant avec une pieuvre qui réveille en elle le goût de vivre.



Dans ce texte très court, j'ai retrouvé la plume délicate et dentelière de Sylvie Germain. L'autrice convoque avec habileté de grands maîtres littéraires et donne à son roman une profondeur miraculeuse, un écho légendaire. C'est toujours un bonheur de découvrir un écrivain que j'apprécie dans un genre où je ne le connaissais pas, ici le texte pour jeunes lecteurs. Et c'est une franche réussite. L'histoire est simple sans être niaise ou simpliste, les enjeux sont complexes, mais abordables. L'encre du poulpe est un très bon texte pour aborder avec des collégiens les méandres du chagrin d'amour.
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L'inaperçu

Je pense n'avoir jamais lu Sylvie Germain mais je voyais passer de temps en temps des chroniques sur certains de ces livres et en particulier Magnus alors j'ai eu envie de découvrir sa plume.



L'inaperçu, celui que l'on ne voit pas, celui que l'on de remarque pas, presque l'invisible. Voilà de quoi il s'agit, que ce soit Pierre Zebreuze qui va entrer dans la famille Bérynx par l'intermédiaire de Sabine, mais aussi l'invisible d'une famille, la face cachée de celle-ci et de ses membres. Sous un déguisement de Père Noël, Pierre va apporter chez Sabine un vent de liberté, un air de renouveau dans son existence. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, ce n'est pas ce que vous imaginez car la vie au sein des familles est parfois bien loin de ce qu'elle montre. Et d'ailleurs qui est Pierre Zebreuze. Un incident va faire exploser tous ces beaux arrangements, ces prises de pouvoir et montrer le vrai visage de chacun.



L'auteure s'attaque dans ce roman à la famille, vaste sujet et j'ai trouvé que le regard porté sur celle des Bérynx, son fontionnement est assez juste surtout quand celle-ci est "gouvernée" par un patriarche comme Charlam, maître absolu de son monde. Mais ce monde cache bien des blessures, des silences, des non-dits. En prenant Pierre comme révélateur, cet homme discret, anonyme qui va être une sorte de Père Noël pour Sabine mais un père Fouettard pour d'autres, Sylvie Germain, démonte peu à peu dans la seconde partie tout le bel édifice de cette famille, les masques tombent, les vérités et les rivalités s'avouent ou se révèlent....



Deux parties et presque deux écritures, deux rythmes. Dans la première partie c'est finalement la vie "banale" d'une famille mais on ressent la pression mise sur celle-ci par Charlam et l'effacement total de Sabine, veuve culpabilisante du fils disparu de la famille, qui subit cette famille. L'auteure lève peu à peu le voile sur chacun des membres et tous (ou presque) et surtout d'ailleurs les femmes, mettent à jour leurs blessures, leurs actes cachés.



Un être apparaît et la bulle familiale éclate mais pour lui qu'en advient-il ? Et si lui aussi avait beaucoup à dire, s'il n'était pas l'être aussi lisse, aussi "sans histoire" qu'on croyait. Sylvie Germain laisse à chacun la parole pour mettre à jour Pierre à travers ce qu'on découvre dans son appartement et sur ce qu'il avouera un jour lui-même.



C'est avec une écriture très fluide, très juste que Sylvain Germain analyse la famille, ses fractures et j'ai trouvé le contraste des deux parties assez saisissant. L'on passe de la banalité de vies, même si certains événements sont assez traumatisants, à une deuxième partie où l'enchaînement des aveux nous plonge dans les drames d'existences où les cicatrices ne sont jamais refermées.



Il y est question de culpabilité, de règlements de compte, de guerre, d'handicap, d'absence, d'amour mais aussi d'absence, de deuil et de résilience, de rivalités et d'enfermements.



Je dois avouer que je suis restée assez spectatrice du récit et de ses personnages, même si Pierre m'a touchée mais j'ai eu un peu de mal avec tout ce qui touchait l'évocation des peintures de Mark Rothko, peintre expressionniste et leurs significations m'ont tenue à distance. Oui voilà, j'ai été présente mais pas impliquée, une galerie de personnages, j'ai lu sans déplaisir mais sans passion, j'ai peut-être trouvé les révélations un peu trop "grosses" pour certaines, un peu "stéréotypées" même si possibles, un peu trop pour une famille et un homme. Mais c'est un roman et dans un roman tout peut arriver.



"C'est un peu à cause de lui que Henri est devenu un témoin itinérant, soucieux d'arracher à l'inaperçu, et donc à l'oubli immédiat, des destins qui passent et aussitôt s'effacent, engloutis par des guerres, des révolutions ; à cause de cet homme qui sera mort sans que l'on sache ni comment ni pourquoi, car justement sans témoin, et sans laisser d'autre trace qu'un grand poster jaune dont l'éclat se fane avec le temps. (p229)"
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Patience et songe de lumière : Vermeer

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Le 21 août dernier, j'ai critiqué le catalogue de la grande exposition consacrée au peintre Johannes Vermeer qui se tint en 1996 au musée du Mauritshuis à La Haye. Elle rassemblait la presque totalité des oeuvres peu nombreuses de l'artiste : 23 sur environ 35 connues. Je vous ai fait parcourir en ma compagnie, pas à pas, les petites salles et me suis arrêté devant chacune des toiles pour mieux vous les faire connaître.



Il se trouve que je viens de tomber sur une friandise littéraire, ces petits bonbons que l'on suçait autrefois, patiemment, avec délice, dans les salles de cinéma. Je possédais depuis longtemps le livre de Sylvie Germain qui se planquait dans ma bibliothèque. Comment l'avais-je oublié ? En le feuilletant, j'ai cru me retrouver une deuxième fois au Mauritshuis. L'auteure parlait des mêmes toiles du peintre. Avec d'autres mots. Je lisais un long poème qui distillait des fragments de vision de cette peinture trop limpide, fascinante, du « Maître de Delft »…



Un épais rideau s'ouvre sur « L'atelier du peintre ». Vermeer, assis sur un tabouret, est en train de peindre :

« Il est le maître des couleurs et dicte à chacune son rôle dans le grand jeu du visible pour mieux en révéler la mission au sein de la dramaturgie de l'invisible. »



Le peintre nous conduit à son modèle Clio, la muse de l'histoire, qui pose devant lui, le front ceint d'une couronne de laurier :

« Malgré sa position en recul, le modèle occupe en fait une place essentielle ; tout en effet conduit l’attention vers la jeune fille : la lumière qui la nimbe, la lourde oblique du rideau, la direction devinée du regard du peintre. (…) Clio est une chaste fiancée qui attend que le peintre l'unisse à la splendeur du visible, qu'il lui révèle le secret de la lumière, qu'il l'intronise épouse de l'invisible. Car c'est lui seul, le peintre, qui préside ici à la cérémonie des noces entre la poésie et la peinture, entre le chant et la lumière, entre la beauté et les couleurs. »



Puis, Clio pénètre dans une pièce où une « Liseuse » est penchée sur une lettre devant les carreaux plombés de la fenêtre ouverte qui l'éclaire :

« Et si la lettre (…) n'en était pas une ? S'il s'agissait d'une page arrachée au livre à couverture safran que tient Clio au creux de son bras satiné d'azur et de brume lunaire ? »



Une autre liseuse « La jeune femme en bleu » est installée devant une carte géographique :

« Son ventre porte un enfant, un nouvel être, un inconnu. Son ventre recèle la force du dehors dans le dedans le plus clos de sa chair, il abrite un étranger dans son intimité. »



Les nombreuses femmes de Vermeer sont transfigurées, seules, méditatives:

« Les doigts égrènent, des notes, des mots, des fleurs de dentelle, des gouttes de lait, des perles. Des doigts d'orantes qui caressent des rosaires de lumière. » ; « Leurs corps sont des fléaux d'invisibles balances où se pèsent le grain de la lumière ; leurs visages sont des masques de claire résonance où tinte une parole à jamais à venir. »



Pendant ce temps, quelques hommes travaillent.

« L'Astronome » :

« Chez Vermeer c'est la clarté qui découpe les ombres, leur assigne leur place, et qui, lorsqu'elle monte à l'aigu, blanchit les couleurs et allègent les formes. »

Un « Géographe » est penché sur une carte :

« Et l'on songe cette fois à Spinoza, compatriote et exact contemporain de Vermeer. (…) Spinoza, le solitaire polisseur de verres d'optique, l'artisan-philosophe dont la vision du monde et l'oeuvre qui en émane font écho à celle de Vermeer ; un écho de cristal, sec, net et limpide. »



« La jeune femme assoupie » somnole sur un rebord de table :

« Elle dort la lumière. Il ne faut pas la réveiller. Ses yeux seraient insoutenables de Beauté.

»

Vers la fin du livre, Marcel Proust intervient. Dans son roman « La Prisonnière » il envoie Bergotte aller admirer à une exposition « La Vue de Delft » :

« Pris d'étourdissements, il fixe son regard sur un détail du tableau. Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. »

Une indigestion, le jaune l'éblouit tellement. Il s'écroule sur un canapé et meurt.



Cette « Vue de Delft », baignée dans une lumière dorée, termine le parcourt poétique :

« La Vue de Delft est un voyage dans l'immensité close au coeur de l'apparence, une lente dérive dans les remous de l'immobilité, un embarquement de l'instant pour l'absolu et pour l'éternité. »



Il existe une troublante relation entre la peinture et l'écriture, deux arts s'influençant mutuellement. Sylvie Germain en fait une éclatante démonstration poétique dans ce livre succulent qui ne parle plus de peinture mais d'art : pureté… apparence… beauté… vie…



« Toutes l'oeuvre de Vermeer est un arrêt au bord de l'extrême du visible, de la lumière et des couleurs ; à la lisière de l'invisible et de la nuit. »



Je ne vous dirai pas si j'ai aimé ce livre. Vous l'aurez facilement compris.






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Le vent reprend ses tours

En 2015, Nathan à bientôt 44 ans, de passage à Paris, découvre une petite annonce concernant la disparition d'un monsieur du nom de Gavril. Incroyable, cela faisait 27 ans que Nathan pensait Gavril mort et surtout qu'il se croyait responsable de cette mort. Toute sa vie suite à cette accident ensemble alors qu'il avait 17 ans, il s'est empêché de vivre véritablement, il s'est enfermé sur lui même comme dans une vie des plus maussade. Il doit appeler ce numéro, contacter l’hôpital. Comment va t-il retrouver ce vieil ami, va t-il pouvoir encore voyager avec lui ? Est-il encore vivant ?



Je vous laisse découvrir ce qu'il va en être de cette amitié entre ces deux personnages, ce qui va advenir de Nathan en lisant ce très beau roman de Sylvie Germain.



Ce fut un grand plaisir de retrouver cette plume qui m'est si chère, cette poésie toute particulière de l'auteure comme ces voyages au plus profond des êtres qu'elle aime nous mettre en scène, donner vie.



Il est attachant ce Nathan comme son ami Gavril. C'est une magnifique histoire d'amitié et un très bel hommage aux Tsiganes déportés.



Un très bel hymne aux mots.
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Sylvie Germain

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