Sylvie Germain associe deux tragédies. La première est celle d’un homme sans souvenirs. Franz-Georg n’a plus aucune mémoire de son enfance. Il se raccroche au seul témoin direct de son existence passée : son ours en peluche Magnus. Dévoilant peu à peu les mensonges, les entourloupes et les fictions, Franz-Georg grandit dans une quête d’identité tumultueuse. A chaque fois qu’il croit s’être un peu retrouvé, ses illusions s’effondrent et le laissent pantois. Qui est-il, à part cette quête effrénée de lui-même ? Comme Descartes disait « Je pense donc je suis », de même Franz-Georg pourrait dire « Je cherche donc j’existe ».
Il semblerait toutefois que cette tragédie ne soit pas suffisante à elle-même et pour en renforcer la puissance dramatique, Sylvie Germain la double d’une tragédie historique d’autant plus convaincante qu’elle est encore très polémique : la brève mais effroyable prise de pouvoir des nazis. Dans ce contexte, le mensonge et la dissimulation trouvent une justification qui se suffit à elle-même. Toutefois, la trame devient du même coup un peu plus simpliste car on devine tout de suite pourquoi Sylvie Germain nous prend par la main, et jusqu’où elle veut nous conduire.
Dans la forme, Magnus fait parfois songer à L’écriture ou la vie de Jorge Semprun. Dans les deux cas, un personnage découvre avec stupeur que les mots ne suffisent pas pour désigner une expérience. Si Franz-Georg ni Jorge Semprun ne peuvent raconter leur passé –dans un cas parce qu’il n’a jamais été raconté, dans l’autre parce qu’il excède les mots-, doit-on faire comme si ce passé n’existait pas ? Et comment poursuivre son existence avec cette faille béante en soi ? La ressemblance s’arrête là car face au récit de Jorge Semprun, Magnus fait piètre apparence. Toute l’histoire de Franz-Georg sert en dernier ressort à juger une époque, là où Jorge Semprun avouait la confusion et l’incroyable irréalité d’un monde qui ne peut plus se dire. Finalement, on comprend Franz-Georg et son inconsistance : dans Magnus même, il n’existe qu’à unique fin de preuve.
Ce petit désagrément ne devrait toutefois pas nous faire passer à côté d’une écriture racée et dynamique, qui alterne passages narratifs et documents ou poèmes faisant écho à la progression de l’histoire. C’est lorsque Sylvie Germain suspend le jugement et prend du recul qu’elle révèle son talent littéraire :
« Dans une petite alcôve baignée d’une lumière blême et protégée par une grille, une cinquantaine d’urnes en argent ciselé, de tailles diverses, est alignée en deux demi-cercles superposés. Des cœurs qui furent vivants, qui ont battu avec orgueil dans des seins d’impératrices et des torses d’empereurs tout-puissants. Qui ont battu avec ardeur, avec aussi des peurs et des colères, des jalousies, des rêves et des chagrins, des hontes et des espoirs. De ces cœurs seigneuriaux qui tour à tour ont sonné, dans l’or, l’acier, la splendeur et le sang, les heures du Saint Empire romain germanique, il reste désormais une cohorte de vieux muscles ratatinés dans du formol, montant la garde autour du vide. »
La beauté de cette réflexion ne se retrouve malheureusement qu’à l’état de fragments épars dans le reste d’un Magnus qui se disperse trop souvent en facilités moralisatrices.
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