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Critiques de Vassili Grossman (178)
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Vie et Destin

Vie et Destin offre une peinture réaliste de la société russe et de la très rude bataille de Stalingrad. Cette lecture ardue nécessite du temps mais cet effort en vaut la peine car il aide à mieux comprendre le monde et, en particulier, la Russie.

Vie et Destin marque un tournant dans la pensée philosophique et politique de Vassili Grossman. Fervent communiste et partisan du régime soviétique dans Pour une juste cause, il analyse désormais la dérive totalitaire de Staline, qui n’a rien à envier à celle d’Hitler et du national-socialisme, et dont on trouvait déjà des bribes dans la pensée de Lénine. Cette prise de conscience le fait basculer dans le camp des opposants qui sont appelés "les ennemis du peuple ", il craint d’être arrêté, son manuscrit est saisi par le KGB, la police politique, et ne sera sauvé que grâce à l’action de quelques hommes de bonne volonté, désireux de sortir de cet enfer qu’est le totalitarisme. Vassili Grossman montre, d’une manière inacceptable pour les autorités, la convergence entre les systèmes nazi et soviétique (camp de concentration/goulag, police politique : Gestapo/KGB, nationalisme d’État, élimination des minorités et des opposants grâce à la terreur et la répression). Sa réflexion rejoint celle d’Hanna Arendt sur la banalité du mal qui se nourrit de la peur individuelle, légitime lorsque règne ce genre d’ambiance effrayante.

Le personnage de Strum, physicien nucléaire, est isolé car ses recherches sont accusées d’être de la physique juive, occidentale, qui contredit les travaux du maître à penser, Lénine. Puis, lorsque Staline l’appelle, il retrouve son poste et ses amis, ne risque plus d’être arrêté. Alors qu’il avait toujours été courageux, il accepte de signer une lettre qui nie les exactions commises envers des scientifiques et les arrestations arbitraires. Il a honte de sa faiblesse et est tourmenté. Pour Vassili Grossman, le régime soviétique, en détruisant la liberté, a fait régresser son pays et restauré une servitude identique à celle de la Russie des tsars et des serfs. Il s’interroge sur la nature pernicieuse des idéologies, surtout celles qui ont pour but le Bien de l’humanité et sont érigées en systèmes dogmatiques qui font sombrer l’Homme dans la barbarie. Que reste-t-il après un tel chaos, à part l’espoir incertain que la bonté humaine parviendra à vaincre, malgré tout, ces entreprises de déshumanisation ?

Ce roman m’a bouleversée. Il est, pour moi, un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il est à la fois un témoignage rare et poignant de la Shoah en Europe de l’Est et de l’univers totalitaire dans lequel des milliers de personnes, en U.R.S.S., ont été obligées de rester enfermées et de survivre. Certains passages m’ont durablement marquée : les descriptions horribles de ce que les historiens ont appelé « la Shoah par balles » et plusieurs dialogues, expressions des tourments philosophiques et politiques de l’auteur.

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Pour une juste cause

Année 1942, tous les regards sont portés sur Stalingrad et les bords de la Volga. Deux régimes totalitaires vont s''affronter pendant 1 an " pour une juste cause". Vassili Grossman journaliste à l'étoile rouge va être le témoin de cette sanglante bataille.

Dans le roman " pour une juste cause" l'écrivain va raconter l'histoire de ces gens qui vont devenir des héros malgré eux. Comme le fit Tolstoï dans son gigantesque roman " La guerre et la paix " sauf qu'entre temps la révolution d'octobre a balayé l'aristocratie. Vassili Grossman nous présente des personnages venus de tout horizon, ouvriers, paysans ingénieurs....

Le récit serait il un roman national ?

Adolescent lors de la révolution bolchévique Vassili Grossman est un pur produit de la pensée Marxiste Léniniste, et cette pensée on l'a retrouve à multiples reprises dans son récit.

on suit cette famille Chapochnikov qui ne vivent et respirent que par la grandeur de l'union soviétique face au fascisme hitlérien.

" Pour une juste cause" est le premier tome de ce combat entre deux régimes inhumains.

Un livre énorme et une écriture magnifique de Vassili Grossman que j'ai découvert sur France culture, en attendant la suite du second tome "Vie et destin".
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Vie et Destin

Vertigineux ! Un livre à lire au moins une fois dans sa vie. Au moins … Il est tellement foisonnant et bouillonnant qu’une relecture apporterait, j’en suis persuadée, un plaisir égal et un regard encore plus incisif. Si ce livre avait pu paraître en 1960, du vivant de l’auteur, il aurait déclenché une gigantesque déflagration. Encore aujourd’hui, il n’a rien perdu de sa force.



Ce qui est frappant par rapport au premier volet (Pour une juste cause), c’est qu’il s’agit pour ainsi dire d’un miroir inversé : alors que dans le premier volet, l’élan patriotique, l’espoir, le triomphe de la liberté s’amplifient à mesure que l’armée russe recule, dans Vie et Destin, c’est au contraire les doutes et les désillusions qui s’intensifient à mesure que l’armée russe progresse ; l’armée ou le Parti…



A travers une multitude de personnages, l’auteur s’interroge et interroge sur ces formes d’Etat-parti qui étouffent la liberté pour assoir leur emprise. La convergence qu’il établit entre les régimes nazi et communiste est admirablement amenée ; les mécanismes de la délation, de la terreur, de la soumission sont également évoqués avec une effrayante acuité.



Mais c’est aussi et surtout une aventure humaine qui grouille de points de vue, d’aspirations différentes. Elle raconte des hommes, des femmes, des enfants de toutes les classes sociales, dans des camps allemands et russes, dans des villages et des villes, des soldats, des colonels, des membres du comité, des civils, sur le front ou à l’arrière, des bolchéviques, des tchékistes, des léninistes, des anciens propriétaires terriens, des Allemands, des Russes, des Juifs, des Ukrainiens, des Tatars, des Kalmouks, des personnes ayant la confiance du parti et d’autres ne l’ayant pas etc. jusqu’à ce passage hallucinant sur le regard d’un gamin dans une chambre à gaz. J’en ai encore des frissons ! Elle raconte la vie qui continue envers et contre tout avec ses joies et ses souffrances. Cette diversité de regards apporte selon moi une force incommensurable à ce livre.



Si Vie et Destin est souvent comparé à La Guerre et la Paix de Tolstoï – Et pour cause : il s’agit là aussi d’une fresque historique à hauteur d’hommes mettant en scène une famille et ses nombreuses ramifications autour de batailles emblématiques (la campagne de Russie de 1812 pour l’un, Stalingrad pour l’autre), mêlant personnages fictifs et réels et considérations philosophiques – j’ai plutôt eu le sentiment que Vassili Grossman se revendiquait davantage de Tchekhov. (Il va me falloir le lire !)



Ainsi quand, Madiarov, l’un des personnages de Vie et destin, s’exclame « La voie de Tchekhov, c’était la voie de la liberté. […] Tchekhov a fait entrer dans nos consciences toute la Russie dans son énormité ; des hommes de toutes les classes, de toutes les couches sociales, de tous les âges… Mais ce n’est pas tout ! Il a introduit ces millions de gens en démocrate, comprenez-vous, en démocrate russe. Il a dit, comme personne ne l’a fait avant lui, pas même Tolstoï, il a dit que nous sommes avant tout des êtres humains ; comprenez-vous : des êtres humains ! », c’est selon moi précisément l’intention de Vassili Grossman : dire simplement, sincèrement les êtres humains.



Mais, d’après moi, ce qu’il montre aussi, c’est que les hommes ne changent pas. Ce sont les circonstances qui, elles, changent et exhortent ce qu’ils avaient déjà en eux. Strum est sans doute l’un des personnages qui va le plus se révéler à lui-même et je me suis demandé, vu les similitudes avec le parcours de l’auteur, si ce n’était pas une projection de son double.



J’ai malgré tout retiré une demi-étoile en raison de la structure éclatée du roman, celle-là même qui m’avait tant dérangée dans le premier volet et qui a continué à me déranger par intermittence dans la première partie de ce volet-ci. Encore que, en refermant le livre, j’ai hésité à la retirer car cette construction est sans doute autant une force qu’une faiblesse, à l’image de la diversité des hommes qu’elle fait vivre.



Vous l’aurez compris, ce livre est monstrueux autant que magnifique.

Monstrueux, car il nous fait toucher du doigt avec une justesse de ton effarante et une puissance évocatrice saisissante ce qu’est la vie en temps de guerre sous un régime totalitaire.

Magnifique, car la confiance en l’homme de l’auteur transpire entre les lignes, elle est là en filigrane, impuissante mais inébranlable. Elle se manifeste dans la bonté humaine, celle de la vie de tous les jours, une « bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. » Une « bonté folle » comme la nomme encore Vassili Grossman. « C’est la bonté d’une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. » Un grand moment de lecture en ce qui me concerne.

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Vie et Destin

« Vassili Grossman traduit les réalités du nazisme par des équivalents soviétiques familiers au lecteur (…) Il s’est passé chez eux la même chose que chez nous.»

Luba Jurgenson



« Il s’est passé chez eux, dans l’Allemagne nazie, la même chose que chez nous, dans l’Union soviétique ». Rien que pour cela, rien que pour cette analogie profondément iconoclaste et dérangeante encore aujourd’hui, sans parler de sa puissance disruptive dans l’URSS du début des années soixante où une telle parole était rigoureusement interdite et durement sanctionnée, rien que pour cela, donc, ce livre profus, fourmillant d’une myriade de personnages que le lecteur peine à relier entre eux ou à l’intrigue, dont la construction narrative saccadée, faisant se succéder à un rythme d’enfer la puissance de feu de la bataille de Stalingrad à la mort par asphyxie dans une chambre à gaz, l’attente d’une offensive improbable dans la poussière des steppes kalmoukes à la peur insidieuse, honteuse des moscovites traqués par la tchéka, ce livre épique, ample fresque historique, philosophique, sociologique, psychologique parfois difficile à suivre, vaut véritablement la peine d’être lu.

Rien que pour cela. Pour le démontage patient, rigoureux, scientifique des mécanismes des systèmes totalitaires auquel se livre l’auteur afin d’en exhiber l’implacable logique. Établissant un parallèle entre les ravages de la collectivisation dans les années trente avec sa litanie de famines, de déportations, ses millions de morts et l’extermination massive des Juifs d’Europe, entre les grandes purges staliniennes de 1937 et la Nuit des longs couteaux, ou encore entre les camps de concentration nazis et le Goulag, Grossman n’en finit pas de confronter l’un à l’autre régime dans un vertigineux jeu de miroirs particulièrement sinistre.

Il pousse très loin l’analogie, allant jusqu’à renvoyer dos à dos le « Bien » poursuivi par les nazis, assis sur la distinction de race, et le « Bien » poursuivi par les soviétiques, assis sur la distinction de classe. Le propos de Grossman, qui, inexorablement ramené à sa judéité à mesure que la haine et l’antisémitisme submergeaient l’Est de l’Europe, exterminant les siens, en premier lieu sa mère restée en Ukraine, n’est certainement pas d’établir une stricte équivalence entre les « idéaux » (du point de vue de leurs promoteurs) poursuivis par les deux régimes. Ce qu’il pointe en revanche, et ce sans la moindre ambiguïté me semble-t-il, c’est que vouloir soumettre l’homme à une Idée, quelle qu’elle soit — autrement dit, dans son cas à lui, Grossman, que cette Idée lui parût noble et vertueuse (l’idéal communiste) ou parfaitement monstrueuse (l’idéal nazi) — conduit invariablement au même résultat : des millions de morts.

Car dès lors qu’on « sacrifie l’homme concret à une conception abstraite de l’homme », on verse inévitablement dans le fanatisme et la terreur :

« J’ai pu voir en action la force implacable de l’idée de bien social qui est née dans notre pays. Je l’ai vue au cours de la collectivisation totale; je l’ai vue encore une fois en 1937. J’ai vu qu’au nom d’une idée du bien, aussi belle et humaine que celle du christianisme, on exterminait les gens. »



Rien que pour cela, donc. Et même si ce livre foisonnant aurait gagné, à mes yeux, à être mieux équilibré entre la part dévolue au récit épique, aux réflexions stratégiques, militaires, philosophiques, scientifiques et la part ressortissant aux personnages, à leur ressenti, à leurs émotions, à leurs interactions, suivant en cela le modèle du genre, Guerre et paix dont Grossman disait s’être inspiré, je ne regrette pas le voyage.

D’autant que je n’étais pas seule, accompagnée dans ce périple au long cours par mon complice indéfectible, Bernard (@Berni_29). Rien que pour cela…

Cela dit, Vie et destin est bien plus qu’un roman à idées (aussi approfondies et originales soient-elles), bien plus qu’une fresque historique (aussi ambitieuse soit-elle), bien plus qu’un récit de guerre avec pour épicentre la bataille de Stalingrad. Il est également un roman d’introspection. Non parce que l’auteur s’y livrerait à une confession. Mais parce que, puisant dans sa biographie des éléments propres à nourrir sa réflexion, il fouille, explore l’âme humaine jusque dans ses tréfonds, mettant au jour ses contradictions, ses faiblesses, ses hontes, ses peurs et parfois aussi, sa grandeur. Non pour juger, mais pour comprendre. Qu’il évoque l’insondable douleur d’une mère face à la perte de son fils unique, les tiraillements d’une femme passionnée écartelée entre le devoir et l’amour, le décillement d’un communiste de la première heure confronté à l’arbitraire d’un régime absurde, ou les compromissions honteuses d’un physicien juif de renom, cela sonne toujours juste.



Grossman sait, pour l’avoir vécu dans sa chair et dans son âme, que les ressources de la tyrannie sont infinies et que la liberté humaine est fragile.

« La tristesse, le dégoût, le pressentiment de sa docilité l’envahirent. Il sentait sur lui le souffle tendre du grand État et il n’avait pas la force de se jeter dans les ténèbres glacées… Il n’avait plus de force du tout. Ce n’était pas la peur qui le paralysait, c’était autre chose, un sentiment terrifiant de soumission. »

Il sait, pour avoir assisté, impuissant depuis Moscou, à l’assassinat de sa mère, exterminée avec tous les Juifs de Berditchev en septembre 1941, que ce qui domine chez l’homme, ce n’est pas la révolte et la résistance, mais la résignation et la soumission. Chez les bourreaux comme chez les victimes.

« Bien sûr, il y eut la résistance, il y eut le courage et la ténacité des condamnés, il y eut des soulèvements, il y eut des sacrifices, quand, pour sauver un inconnu, des hommes risquaient leur vie et celle de leurs proches. Mais, malgré tout, la soumission massive reste un fait incontestable. »

Sans doute avait-il compris que la soumission, davantage que la haine ou les bas instincts, est l’auxiliaire zélée du mal, comme l’a magistralement montré Hannah Arendt lors du procès d’Eichmann à Jérusalem, que c’est elle, l’écoeurante soumission, la meilleure alliée de la tyrannie. Que les régimes totalitaires, s’il leur arrive de s’appuyer ça et là sur une poignée de psychopathes, peuvent avant tout compter sur la résignation du plus grand nombre et le zèle de petits hommes médiocres et opportunistes agissant comme des automates :

« Eichmann n’était ni un Iago ni un Macbeth, rien n’était plus éloigné de son esprit qu’une décision, comme chez Richard III, de faire le mal par principe. Mis à part un zèle extraordinaire à s’occuper de son avancement personnel, il n’avait aucun mobile. Et un tel zèle en soi n’était nullement criminel, il n’aurait certainement jamais assassiné son supérieur pour prendre son poste. Simplement, il ne s’est jamais rendu compte de ce qu’il faisait. »



Pour autant, la lucidité de Vassili Grossman — une lucidité qu’il paya au prix fort puisque tous ses manuscrits, tous ses brouillons furent confisqués par le KGB et qu’il mourut sans savoir ce qu’il était advenu de son oeuvre maîtresse — jamais ne verse dans l’amertume.



Jusqu’au bout, il conserve sa foi en l’homme.



« J’ai trempé ma foi dans l’enfer. Ma foi est sortie du feu des fours crématoires, elle a franchi le béton des chambres à gaz. J’ai vu que ce n’était pas l’homme qui était impuissant dans sa lutte contre le mal, j’ai vu que c’était le mal qui était impuissant dans sa lutte contre l’homme. Le secret de l’immortalité de la bonté est dans son impuissance. Elle est invincible. »



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Vie et Destin

Dans la plupart des appréciations critiques, dans les très nombreux commentaires de lecteurs de VIE ET DESTIN, certaines expressions semblent revenir régulièrement : « monument de la littérature du XXème siècle », « oeuvre majeure », « fresque monumentale », « chef d'oeuvre de la littérature russe moderne », « Guerre et Paix du XXème siècle »...

Alors moi, en rédigeant cette 70ème critique ici à Babelio, je me dis que je ne saurai certainement pas trouver d'autres adjectifs, d'autres superlatifs pour mieux exprimer, avec la plus grande humilité dont je pourrais faire preuve en tant que lecteur, mon sentiment profond d'avoir été confronté en lisant VIE ET DESTIN à quelque chose de véritablement.. monumental!



Monument à quoi exactement ? A l'Homme avant tout, dirais-je tout simplement ! Tout vit, tout meurt, mais l'homme reste, nous rappelle sans cesse Vassili Grossman. On entend tout au long de VIE ET DESTIN à la fois "les morts qu'on pleure et la joie furieuse de vivre". On y est invité sans cesse "à vivre et à mourir en hommes", car "c'est là, pour l'éternité, [notre] amère victoire d'hommes sur toutes les forces grandioses et inhumaines qui furent et seront dans le monde".



Oeuvre totale, à la fois document de guerre, réflexion philosophique et roman, ancrée dans l'histoire des crimes contre l'humanité perpétrés par les régimes stalinien et nazi au XXème siècle, VIE ET DESTIN ne cède pourtant à aucun moment à la tentation du nihilisme. Au contraire, elle transcende cette réalité tragique, notamment par cette éloge de l'Homme scandée au milieu même des décombres engendrés par une des catastrophes les plus terribles de l'histoire de l'humanité.

L'auteur réussit ce tour de force avec éloquence. Personnellement, je ne suis guère convaincu par les argumentations assez nombreuses qui cherchent à classer Vassili Grossman parmi les optimistes. A mon sens, son propos dépasse largement ces catégories, trop réductrices en l'occurrence, comme le seraient tout aussi bien, par ailleurs, celles de bien ou de mal dont l'auteur ne cesse d'illustrer le caractère relatif (voir par exemple les chapitres à propos du mal que l'homme, depuis toujours, a pu déclencher au nom du bien, ou sur le fait que beaucoup de partisans des thèses du nazisme étaient profondément convaincus de défendre des idées « humanistes », d'agir pour le bien de l'humanité !). A mon avis, il serait plus judicieux ici de parler d'une position de "compassion raisonnable", à la fois compatissante et compatible avec la condition humaine. En tout cas, ce récit m'a paru totalement exempt de mièvrerie ou de toute autre forme d' optimisme défensif face à l'horreur parfois insoutenable de ce qui est raconté.



Dans VIE ET DESTIN une large place est faite à ce que j'appellerai (par opposition à une dimension « supra-réelle » et historique) : « l'infra-réel », constitué ici par les innombrables vies et individualités qui défilent tout au long de ses presque 1 200 pages. Environ 150 personnages (nommés) y auraient été recensés – ce dernier point semblerait d'ailleurs avoir découragé bon nombre de lecteurs ! Un record tout de même pour une littérature (russe) nécessitant souvent qu'on fasse une liste des noms des personnages, et de leurs petits-noms, pour pouvoir s'y retrouver au bout d'un moment...!

De cette profusion dans laquelle parfois on peut effectivement s'égarer, émerge en même temps un sentiment que je qualifierais de "continental", sentiment reliant d'un fil invisible tous ces îlots insondables que chaque homme, que chacun de nous constitue. Je me suis donc parfois simplement abandonné au récit, à ces innombrables personnages, parfois à peine ébauchés par quelques phrases au détour d'une courte parenthèse, hommes emportés par une même et seule vague de l'Histoire ; l'Homme à travers les hommes, au gré des courants et des remous provoqués par cette dernière, l'Homme au travers de tous ces hommes pour lesquelles les rôles peuvent se ressembler, s'inverser, s'effacer, resurgir intacts, alors qu'à d'autres moments, des symétries improbables se créent entre eux, des amours naissent sans lendemain ou leur bonté se révèle malgré tout plus grande et puissante que la haine...Tout vit, tout meurt, mais l'Homme reste.



Cette expérience continentale, ce sentiment de partager tant de vies et de destins en si peu de temps sont soutenus en même temps par une écriture d'une grande simplicité, empreinte d'un lyrisme franc, non-recherché, d'une humanité et d'une empathie envers la condition humaine comme j'ai rarement eu l'occasion de rencontrer chez un auteur. Ce sont là des éléments qui, une fois réunis, sont susceptibles de créer un tel sentiment de proximité et de densité émotionnelle qui auront réussi à faire éprouver au lecteur que je suis une sensation omniprésente de lire au plus près de son être et de son corps.



Vassili Grossman ne verra jamais cet ouvrage publié. Trois années après la saisie de VIE ET DESTIN par les autorités russes, il mourra dans d'atroces souffrances, seul, indigent. Jusqu'au bout, il n'aura cessé d'écrire.



Une lecture en essence inoubliable.









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Vie et Destin

Le destin de ce livre est fabuleux : deuxième tome d'une colossale saga à la Tolstoi, il marque la révolution politique de son auteur qui, de fervent communiste, aura profondément évolué dans ses convictions en comprenant autour de l'axe de la bataille décisive de Stalingrad les ressorts profonds du pouvoir stalinien, ce qui l'amènera à être le premier auteur à renvoyer dos à dos communisme et national socialisme en soulignant leur glaçante proximité. On mettra du temps à découvrir cette oeuvre : rédigée en 1960, elle fut l'une des très rares à être confisquée, manuscrit et copie stencyl saisis, par les autorités soviétiques. Censure plus forte encore que l'interdiction, cette confiscation marque bien à quel point le propos du livre inquiétait le pouvoir qui s'est ainsi assuré que personne n'y porte les yeux, ne serait-ce que sur quelques copies privées! Ce n'est que vingt ans plus tard que "Vie et destin" sera publié en Occident, et qu'il acquerra sa réputation de roman majeur du 20ème siècle.



Une toile de fonds pareille, ça ouvre mon appétit de lectrice, et même s'il faut avoir un bel estomac pour avaler les 1200 pages du roman, je vous garantis qu'il se dévore avec beaucoup plus de facilité que je ne le craignais. Certes, les scènes de guerre sont nombreuses puisque la bataille de Stalingrad constitue le socle du roman, mais pas que : on suit un nombre important de personnages dans des contextes différents, en exil loin des villes, dans un camp de concentration allemand, au coeur de Stalingrad assiégée et à l'arrière du front. Partout, on croise des personnages forts, tragiques, broyés par l'histoire. Ce qui frappe et fait la force de ce roman, c'est le parallélisme troublant entre les situations tragiques dans lesquelles ils se retrouvent et les mécanismes de mort et de terreur infligés du côté soviétique comme du côté allemand : sur l'horreur des chambres à gaz se superpose celle des purges de 37 ou la mise à l'écart pour des motifs arbitraires des révolutionnaires de la première heure, l'antisémitisme présent des deux côtés.



Un roman riche de figures et réflexions politiques profondes, qu'il faut effectivement avoir lu dans sa vie pour comprendre le 20ème siècle et les ressorts du pouvoir totalitaire, voire du pouvoir tout court.

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Vie et Destin

« Pour s'implanter, le totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » Hannah Arendt



Vie et destin : deux mots qui se juxtaposent dans un titre qui invite à l'universalité.

Vie et destin est un roman autour de la célèbre bataille de Stalingrad entre 1942 et 1943. Pourtant, dans cette fresque monumentale, ce n'est pas à un roman de guerre que nous convie Vassili Grossman.

Ce fut un moment crucial dans l'histoire soviétique voire mondiale, en effet la bataille de Stalingrad fut tout d'abord une sévère défaite de l'Armée rouge puis dans un second temps la victoire déterminante russe prenant à revers les forces allemandes et qui fut décisive pour le cours de l'histoire, le destin du monde et de l'humanité.

La fin de la guerre, la défaite du nazisme, la paix retrouvée, un renouveau possible, tout ceci fonda un immense espoir pour le devenir démocratique de l'URSS. Stalingrad, c'est le mythe de la grande guerre patriotique, fondatrice, qui survit encore aujourd'hui dans le désir de Poutine de réunifier la grande Russie.

Comment décrypter l'envers sombre du décor sans contester immédiatement les espoirs de justice et de démocratie puisque nous allions vers des lendemains qui chantent, même si plus tard ces lendemains déchantèrent très vite ? Dans l'histoire de la Russie, les souffrances et des humiliations d'un peuple furent effacées au profit de la gloire russe.

Écrit sous Staline, publié sous Khrouchtchev, saisi par le KGB, ouvrage séquestré, mutilé par la censure durant plusieurs années, ce livre a aussi une histoire, appartient à l'histoire. Il est vrai que Vassili Grossman n'y va pas par quatre chemins.

Ce n'est pas qu'un roman de guerre, cela ressemblerait plus à un roman à thèse, le récit de deux totalitarismes qui se sont affronté en face à face, sous deux formes de destruction de l'humanité.

Entre le nazisme d'Hitler et le bolchévisme de Staline, il y a bien une différence nous dit Vassili Grossman : d'un côté un fanatisme de race, de l'autre un fanatisme de classe. de quel espoir peut-on parler si deux régimes finissent par se ressembler tels des miroirs, se renvoyant une image effroyablement identique ? de quelle délivrance peut-on parler si à l'instant même où l'un des adversaires écrase l'autre, on s'aperçoit brusquement qu'ils sont jumeaux.

C'est cette polarité qui vient donner tout le sens du roman : cette question d'un totalitarisme partagé qui enjambe la tragédie d'un siècle de feu et de sang. Comment le XXème siècle a-t-il pu engendrer deux formes si différentes et si semblables, de totalitarisme exterminateur ? Et comment ce totalitarisme a-t-il pu se poursuivre jusqu'au XXIème siècle, jusqu'aux porte de l'Europe ? Qui en porte la responsabilité ?

Ce parallèle entre le dessein du nazisme dans son objectif d'extermination du peuple juif et le totalitarisme soviétique peut paraître hasardeux, il apparaît dès le début du texte et va porter l'ensemble du récit dans un roman choral où différentes voix parfois d'une même famille russe s'entremêlent, mais qui nous fait entendre aussi celles de soldats allemands.

C'est un très long roman qui dresse un panorama édifiant du fonctionnement de la société soviétique en nous plongeant dans l'intimité d'une multitude de personnages, tous complexes, dont les parcours entrecroisés se heurtent à l'histoire dans une période marquée par les deux grands crimes produits par le totalitarisme du XXème siècle, Auschwitz d'un côté et le Goulag de l'autre.

Le livre se déroule sur plusieurs niveaux de réalité. Au centre de l'histoire, on y trouve la famille Chapochnikov, on fait ainsi connaissance avec les deux soeurs Evguenia et Lioudmila à travers leurs destins si dissemblables, mais aussi celui du personnage de Victor Strum, physicien atomiste, théoricien de talent qui voit s'abattre sur lui le fléau d'un antisémitisme que jamais il n'aurait imaginé, tant cela paraît si absurde dans une société dite « socialiste », donc vouée au bien de toutes ses populations. J'ai aimé venir à la rencontre de ce personnage presque insaisissable, traversant le livre, traversant la guerre, se révélant à lui-même, à son destin, à l'amour de Maria Ivanovna. D'autres histoires d'amour s'entremêlent dans le désastre du monde, comme celle d'Evguenia Chapochnikov et du colonel Novikov.

Sur cette scène tragique de l'histoire mondiale, Vassili Grossman fait entendre le peuple, à travers le point de vue de quelques personnages essentiels, en nous faisant déambuler parmi chacun d'eux, capter un regard, une attitude, un geste, corps après corps, tout ceci donne le sentiment du monde, la sensation qu'on rencontre ici le monde, qu'on rencontre un peuple.

Le lecteur doit prendre son courage à deux mains et accepter de se plonger dans un océan de près de mille deux cents pages où il sera emporté comme dans un fleuve, où il se perdra, où il entrera dans des maisons, des laboratoires de physique nucléaire, des usines, dans des camps de concentration, au seuil des chambres à gaz, où il abordera le front de Stalingrad, l'emprisonnement de l'étau allemand, le huis-clos d'une maison acculée et qui résiste dans des conditions totalement ubuesques, où il sera invité à converser avec toute une myriade de personnages dont il oubliera les noms à peine la lecture achevée.

C'est une diversité des voix qui composent Vie et destin, que l'on peut voir aussi comme un roman psychologique, éclairant les ressorts de l'âme de ses protagonistes, leurs contradictions, leurs interrogations et leurs évolutions, avec beaucoup de finesse. À la question obsédante de savoir comment survivre, certains expriment le courage, d'autres l'angoisse, d'autres la lâcheté, d'autres enfin la tendresse ou l'amour… Dans un désir d'honnêteté intellectuelle qu'on peut saluer, Vassili Grossman nous livre une peinture sans concession de l'âme humaine face à la violence de l'État qui broie l'intime des vies individuelles, transformant ces vies en êtres méprisants, il va très loin dans la manière de visiter l'être humain dans ses turpitudes, mais il ne juge jamais, se contentant de dire jusqu'où celui-ci peut aller lorsqu'il est acculé, dos au mur face à la barbarie.

Montrer l'individu au milieu de la foule m'a rappelé une certaine tradition tolstoïenne de l'épopée. Même si l'histoire est centrée sur une famille en particulier, les Chapochnikov, j'ai trouvé que la difficulté du roman tenait à la profusion des personnages dont aucun n'émerge en définitive, insuffisamment creusés, j'ai déploré que les histoires d'amour ne soient pas suffisamment incandescentes pour me transporter, l'écrivain s'intéressant davantage au propos idéologique qu'il développe tout au long du livre. Des personnages entrent en scène chapitre après chapitre, leurs destins se croisent dans le fracas de la guerre et le malheur du monde : l'incompréhension, le désir de liberté, la résistance, les trahisons, les lâchetés, la prison politique, la torture, l'humiliation des procès, l'exil en camp de concentration, l'enfermement dans un ghetto, la mort. Les amours clandestines suscitées par les méandres de la guerre deviennent des citadelles fragiles. Vassili Grossman n'a pas le génie littéraire de Léon Tolstoï, malgré le désir de poser un souffle romanesque et Vie et destin n'atteint pas, selon moi, la grandeur inégalable de Guerre et Paix. La qualité littéraire du propos de Vassili Grossman manque au rendez-vous de cette immense fresque.

J'ai pourtant rencontré des passages bouleversants qui disent le sens et la dignité du roman, la lettre émouvante d'une mère à son fils blessé sur le front… Plus loin, cette femme qui mourra dans un véritable sentiment maternel, serrant tout contre elle un enfant qui n'est pas le sien mais le devient dans ce mouvement brownien qui mène une foule à la chambre à gaz… Puis tout à la fin du récit, ces deux amants qui doivent renoncer à leur liaison après la guerre, sans que le sentiment d'amour ne s'efface pour autant…

Le nazisme, c'est le mal absolu dans la quintessence de l'horreur, cela ne peut être contesté. Dire que le communisme est semblable est une démarche audacieuse. Dans cette analogie, Vassili Grossman va très loin. Dans sa genèse, le communisme était une belle idée, tout comme le christianisme : aider son prochain, mais dans une vision absolument collective. Même si à l'origine c'est une idée au service du bien, c'est le mal qui advint. de même, l'idéologie du nazisme convoquait Dieu pour justifier une forme de bien pour l'humanité. Beaucoup de personnes ne peuvent pas encore recevoir cela.

Tout ce mal qu'on fait pour tenter le bien… le combat au nom d'un bien universel fait du mal car il sacrifie l'humain, c'est le propos du livre. Mais en contrepoint de cette volonté d'un bien qui produit du mal, Vassili Grossman nous parle aussi à plusieurs reprises de bonté. À chaque fois, la bonté prend le visage d'une femme, d'une vielle femme d'ailleurs ? Faut-il y voir un signe, un message ?

Il y a encore des fulgurances de bonté possibles, malgré tout. Des endroits existent, dans les pages de ce livre, où se terre une foi dans l'humanité, malgré le mal, dans le visage de ces femmes notamment… Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu, parfois à l'égard d'un ennemi blessé qu'une vieille femme va nourrir, va soigner alors que la guerre a fauché ceux qu'elle aimait, une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie, cette humanité qui ne fait pas de bruit. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social, intimé, ordonné, absolu, qui se termine parfois dans le sang… J'ai aimé me laisser séduire par ce propos.

On dit que ce roman a changé une certaine vision du monde.



« L'État fasciste soutient le médiocre contre celui qui pense, l'incapable contre le talentueux. » Jeliou Mitev Jelev, le Fascisme



Je remercie une fois encore ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) qui m'a accompagné dans cette lecture d'une oeuvre magistrale et qui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille.
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Vie et Destin

Né dans une famille juive, en 1905, sur une terre ukrainienne appartenant alors à l'Empire russe, l'écrivain soviétique Vassili Grossman a peu à peu pris conscience de la complexité de son identité et de l'impossibilité pour un citoyen de construire librement son destin dans un régime soumis aux dogmes totalitaires du Parti Communiste. Il est mort en 1964, à Moscou. Considéré aujourd'hui comme son chef d'oeuvre, son roman Vie et Destin, achevé en 1962, avait été aussitôt saisi par les autorités soviétiques. Il ne sera publié qu'à partir des années quatre-vingt.



Vie et Destin raconte la bataille de Stalingrad, engagée à l'été 1942 entre les forces armées du Troisième Reich et celles de l'URSS. Les combats s'achèvent par l'encerclement des troupes allemandes et leur reddition pendant l'hiver. Une victoire salutaire de l'armée soviétique ! Son retentissement inversa le cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle reste la page la plus glorieuse de l'histoire de la Russie.



Pendant que la bataille fait rage dans le centre et les quartiers industriels de la ville, l'auteur se penche sur le quotidien des membres d'une famille soviétique et de leurs proches. Des personnages incarnant des stéréotypes de leur société, dispersés sur un territoire vaste, exposés à des destins changeants ou contrariés, et qui s'emploient à survivre.



Les profils sont bigarrés : des officiers supérieurs, au combat sous le feu allemand et marqués à la culotte par des commissaires politiques veillant au strict respect de la ligne du Parti ; un spécialiste de physique nucléaire, fin observateur de l'âme humaine, y compris de la sienne ; un vieil ouvrier aux convictions bolcheviques inaltérables, prisonnier dans un camp allemand ; une femme médecin militaire, juive, déportée en camp d'extermination et menée jusqu'à la chambre à gaz, une scène horrifiante ; d'autres femmes, plus ou moins éloignées de leur compagnon, s'efforçant de subsister en ville, en dépit des pénuries et des bombardements ; des communistes déchus de leur aura et échoués au Goulag. A noter aussi quelques apparitions d'officiers allemands, nazis zélés ou soldats fatigués.



Au travers de ces personnages fictifs et de figures historiques réelles, l'auteur trace les contours d'une comédie humaine, dans laquelle chacun s'adapte et se comporte comme en temps de paix et de prospérité (relative). Emotions sentimentales, vanités ridicules, jalousies irrépressibles, lâchetés déniées, compromissions minables : personne ne manque à ses petits travers humains courants.



Grossman avait assisté de bout en bout, comme journaliste, à la bataille de Stalingrad. Il avait ensuite suivi l'armée soviétique jusqu'à Berlin et était entré dans les camps d'extermination nazis (Treblinka). Il n'hésite pas à renvoyer dos à dos les régimes totalitaires hitlérien et soviétique, qui confisquent les libertés individuelles au profit d'une collectivité fantasmée. Il avait aussi noté les failles de leur commandement militaire : pour nourrir l'hystérie du chef suprême, on sacrifie des hommes dans des assauts sans espoir, pour en saluer ensuite l'héroïsme. Grossman avait aussi perçu les limites de ce que les communistes appellent le centralisme bureaucratique, qui implique de se conformer aux décisions venues d'en-haut, même si le bon sens et la conscience conduisent à d'autres options.



Dans le roman, le Parti reproche au spécialiste de physique nucléaire de se consacrer à des théories contraires aux principes matérialistes de Lénine et d'être imprégné d'« abstractions talmudiques ». Un relent d'antisémitisme qui n'est pas un détail de l'histoire. Dès les purges de 1937, Staline s'en prend aux Juifs, qu'il accusera plus tard de « cosmopolitisme sans racine ». le rejet des Juifs prendra de l'ampleur au début des années cinquante, lors du prétendu complot des blouses blanches. En 1953, la mort de Staline aura peut-être évité une seconde Shoah.



A l'instar de Guerre et Paix de Tolstoï, dont Grossman s'était inspiré, la lecture de Vie et Destin manque de fluidité, en raison de la diversité des sites, du découpage des scènes et du nombre de personnages. Une complexité amplifiée par la tradition russe de désigner ceux-ci tantôt par leur prénom et patronyme, tantôt par leur nom, tantôt encore par leur surnom. Une lecture très longue, mais passionnante, qui apporte un certain éclairage aux événements actuels de Russie et d'Ukraine.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Pour une juste cause

Premier volet d'une impressionnante fresque sur la bataille de Stalingrad (le second volet étant le célèbre Vie et Destin, dont rien que la parution est une épopée à elle seule), Pour une juste cause est celle du bien contre le mal, de la liberté contre l'oppression incarnée par le « diable de l'hitlérisme ». Dans ce domaine, il a tendance à verser un peu trop radicalement dans le manichéisme mais quand même… quel souffle !

Car au-delà du fracas de la guerre et des idéologies, comment ne pas entendre la voix du peuple résonner et vibrer sourdement, tantôt avec ferveur, tantôt avec résignation, ponctuée parfois de « ces rires incomparables des Russes, capables de s'amuser avec une merveilleuse simplicité dans les instants les plus terribles, les plus durs de leur destin. »

C'est la voix des ouvriers, des paysans, des ingénieurs, des hommes et des femmes de la vieille garde, de la jeunesse, des soldats que nous découvrons à l'oeuvre dans les usines, dans les mines, dans les hôpitaux, dans les villes, sur les routes, dans la vie de famille, en première ligne, dans la réserve ou à l'arrière, dans tous les recoins de la vie, ou de la mort.



J'ai trouvé la mise en place un peu longue. Je ne sais si j'ai manqué de concentration mais j'ai eu du mal à m'approprier les personnages (et les villes !). Combien de fois ne suis-je pas revenue en arrière parce que j'avais oublié le contexte ou la filiation d'un personnage ! Ils sont présentés à la chaine dans un contexte et un historique qui leur sont propre, si bien qu'un personnage peut ne pas réapparaitre avant plusieurs centaines de pages. Ce manque d'interaction et d'alternance m'a gênée. C'est plus proche d'une mosaïque de personnages et de destins, même si une grande partie d'entre eux sont les membres (étendus) d'une même famille.



A noter que j'ai également été surprise de découvrir dans la préface de Luba Jurgenson que, déjà, ce premier volet avait valu des ennuis à son auteur. Si le décès de Staline lui a évité des poursuites, il a quand même été contraint d'en publier « une version expurgée ». J'ose espérer que mon exemplaire est la version originale, rien n'est précisé à ce sujet. Il lui aurait été reproché de « déformer l'image des Soviétiques » alors qu'il me semble au contraire qu'il la sublime. La foi envers le Parti est d'ailleurs omniprésente. Il y a bien une ou deux remarques à demi-mots un poil plus critiques mais pas de quoi fouetter un chat, encore moins un Staline. Franchement, je n'ai pas bien compris ce qui avait pu lui défriser la moustache…



Une chose est sûre, la résilience des Russes est à l'honneur. Ode au patriotisme, à la Mère patrie, au travail aussi, ce n'est pas tant un livre sur la guerre qu'un livre sur le quotidien de la guerre, celle des soldats comme celle des civils. La guerre s'installe peu à peu dans les discussions, dans la vie quotidienne, devient un état d'esprit, fait corps. « À cette époque la guerre était cette mer dans laquelle se jetaient tous les fleuves et dans laquelle naissaient tous les fleuves. »



Ce premier volet se termine à Stalingrad en septembre 1942, alors que les dernières poches de résistance russes sont fortement mises à mal, et ce n'est rien de le dire. Forcément, cela appelle une suite ; d'autant que certaines destinées restent en suspens. A suivre donc…

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Vie et Destin

Que dire après toutes les critiques précédentes, qui n'ait pas déjà été expliqué et analysé à propos de ce livre ?





Que c'est une dénonciation en règle du système soviétique en cours sous Staline et que l'auteur met en parallèle le fascisme d'Hitler et le communisme stalinien.



Qu'il nous fait ressentir la terreur qu'il y avait à vivre à cette époque en Russie.

Que cette peur, n'est pas due seulement à la guerre, mais aussi au NKVD qui faisait que vous deviez vous méfier de tout le monde, de vos propres propos et ceci que vous soyez Général sur le front, chercheur dans un labo ou voir même commissaire politique.



Qu'en écrivant cette fresque en 1960 et en la soumettant au comité de lecture officiel, l'auteur devait déjà savoir quelle n'avait aucune chance d'être publiée ou peut-être a-t'il espéré que sa célébrité plus le temps écoulé pourrait permettre une publication qui ne vint, un peu miraculeusement, que dans les années 1980.



Qu'il faut lire ce livre, ainsi que ceux de Varlam Chalamov, Alexandre Soljenitsyne entre autres, pour prendre conscience de ce qu'était la vie en Russie communiste.



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Vie et Destin

Il y a des livres qu'il faut désirer avant de les rencontrer et même, lorsque vous en avez commencé la lecture, il continue à se dérober. C'est progressivement que je suis rentrée dans celui-ci. Le nombre de personnages ne facilitait pas ma compréhension. Sans doute, cela aurait-il été plus aisé si j'avais lu" pour une juste cause". J'ai dû m'accrocher résister contre l'ennui qui me prenait à certains moments. je ne regrette rien bien au contraire. D'emblée, l'incipit de cette fresque donne le ton." Le brouillard recouvrait la terre" . Dans la lignée d'un Tolstoï, et de son Guerre et Paix, Vassili Grosmann plonge le lecteur au cœur des années sombres que furent la guerre de 39-45 plus précisément en 1942 en plein siège de Stalingrad. Le brouillard, c'est l'incertitude quant à l'issue de ce conflit, mais c'est aussi celui qui s'est emparé des esprits, et qui les a empêchés d'y voir plus clair et de percer les discours des tyrans qui les gouvernent

Derrière les destins de Lioudmilla et de son mari le physicien Strum, de leur fille Nadia, de Tolia, fils que Lioudmilla a eu d'un premier mariage avec Abartchouk, de sa soeur, Evguénia, qui a quitté son mari le commissaire Krymov, pour le colonel Novikov, commandant une colonne de blindés, Sofia, une amie d'Evguénia qui se prend d'affection pour le petit David, dans un train, dont ils ne reviendront jamais, derrière le destin du vieux léniniste Mostovskoï, prisonnier dans un camp allemand, ou celui de la jeune Katia, envoyé comme radio, dans la maison "n°6 " qui résiste contre les assauts répétés des mitrailles allemandes, Vassili Grossmann dépeint la vie d'une multitude de personnages secondaires . Leurs destins se croisent et s'enchevêtrent.

Au delà de leurs conditions de vie, de leurs angoisses, de leurs réflexions, il revient plus d'une fois sur la similitude entre les systèmes nazis et les systèmes communistes, ne se privant pas de dénoncer tout ce qui fait de l'Union soviétique un état totalitaire : les famines des années 1920, les arrestations arbitraires, les camps de prisonniers, l'antisémitisme sournois, qui va s'amplifier après la guerre, et la nécessité de surveiller ses actes avec la peur de "lâcher brusquement une parole imprudente".

La vie et la liberté sont précaires à plus d'un titre ; personne n'est à l'abri d'une dénonciation. La méfiance qui surgit dans les moments les plus insignifiants, c'est aussi ce brouillard, qui empêche les êtres humains d'être clairvoyants. Dès la fin du premier chapitre, l'auteur révèle une des questions centrales qui le tourmente. " La vie devient impossible quand on efface par la force les différences et les particularités. "

Son roman est aussi une grande réflexion philosophique sur la liberté, l'instinct de liberté, l'instinct de conservation, sur la violence qui s'exerce sur l'homme , au point de le contraindre et de neutraliser ses capacités de défense. Pourtant , malgré les nombreuses pages sombres, l'optimisme de Vassili Grossman, ne cesse de couler tout au long de son livre. Sa foi en la bonté de l'homme est le souffle qui lui permet sans aucun doute de continuer à écrire et qui pourrait peut-être aussi expliquer sa naïveté en livrant son manuscrit à l'édition.

Achevé en 1960, le livre ne parait qu'en 1980. Que s'est -il passé entre les deux ? Quand Vassili Grossman, remet son manuscrit à la revue Znamia, qui avait déjà publié en 1952 la première partie "Pour une juste cause", son rédacteur après l'avoir lu, le fait parvenir au KGB. Chacun des membres du comité de rédaction semblent avoir pris peur et préféré dénoncer Grossman. Quelques temps plus tard, 2 hommes du KGB frapperont à la porte de son domicile et réquisitionneront tous les exemplaires, y compris des sacs remplis de brouillons ainsi que les rubans de sa machine à écrire et les feuilles carbones. C'est dire l'importance que revêtait un tel manuscrit aux yeux du KGB.
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Le phosphore

Emprunté dimanche 21 janvier 2024 à la réserve de la médiathèque



***Coup de coeur

Un très court texte d'une cinquantaine de pages, et toutefois d"une extrême densité bouleversante... à valeur universelle !



1960: le narrateur, brillant ingénieur chimiste ayant réussi, père de famille, installé confortablement à Moscou se souvient de sa jeunesse, 30 ans auparavant, alors qu'il était fier d'aller travailler comme chimiste dans l'une des mines du Donbass, parmi les plus dangereuses et plus profondes...

Il y rencontre un groupe d'amis de son âge, le temps des beuveries et des grandes discussions où chacun était persuadé de s'engager dans un "avenir radieux"...et prestigieux !



Parmi ces brillants jeunes intellectuels aux nombreux talents, un seul détonnait dans le groupe: un certain Krougliak, juif provincial, aux origines très modestes , toujours sociable, amical, hospitalier ; en dépit de ses qualités, il était l'objet de plaisanteries méprisantes et traité avec condescendance par le reste du groupe.



"Oui, nous étions tous différents, par nos caractères comme par nos spécialités, nos destins et nos espoirs n'étaient pas les mêmes.Mais il y avait quelque chose qui liait tout le monde: le phosphore, le sel de la terre !

Et de fait, tous ces étudiants gais, bambocheurs, amateurs de discussions, de gros mots et d'alcool devaient devenir des gens célèbres. (...)



Le seul dans notre groupe à n'avoir ni phosphore ni sel de la terre et à ne pas briller dans les amphithéâtres des universités, était David Abramovitch Krougliak."



...Et pourtant, parmi tous ces jeunes ambitieux, il est le seul à rendre service, à être toujours dans l'empathie, dans la plus grande discrétion ; les autres , le narrateur compris, ont tendance à être bien oublieux....



Alors, trente ans après, notre narrateur ayant réussi, se retrouve cependant dans une profonde dépression...

Garde-t-il une certaine culpabilité envers son ami, Krougliak , qu'il a délaissé injustement ?



Car Krougliak fut pourtant le seul à réchauffer le coeur du narrateur, quand il etait seul et malade dans les mines du Donbass ; toujours le seul à le soutenir quand il fut accusé de " cosmopolitisme " et que ses autres amis l'évitaient et l'ignoraient même....

Tous ses amis devenus importants, seul , Krougliak , le " perdant" lui offrit spontanément son soutien !



"Plus qu'une parabole sur l'opportunisme de l'amitié, "Le Phosphore", rédigé entre 1958 et 1962, évoque la vie même de Vassili Grossman. Et en particulier les "trahisons ordinaires" qu'il dû subir dans les années 60 lorsque son roman "Vie et destin" fut saisi par le KGB."(4e de couv)



Doublement réjouie de découvrir ce texte humainement intense , et grandement surprise de le dénicher dans les réserves de ma médiathèque...Devant donc en faire la demande à une bibliothécaire, nous nous sommes rendus compte avec la bibliothécaire, que cet orphelin tellement oublié dans une réserve poussiéreuse, n'était pas empruntable car pas équipé correctement ( de ses pastilles magnétiques)...Le nécessaire fut fait, et je repartis en ce dimanche pluvieux avec un rayon de soleil au coeur, ayant l'impression d'avoir rendu visite enfin...à un ami injustement oublié de tous; impression doublement confirmée losque j'ai constaté avec regret, qu'il n'y avait aucune chronique de lecteur sur cet écrit de Vassili Grossman, qui mérite pourtant grandement une lecture attentive !







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Vie et Destin

Tout d'abord c'est l'histoire de ce livre qui m'a beaucoup intrigué, car Vie et Destin est le premier détenu placé sous les verrous par le KGB en 1962. L'auteur ne fut pas arrêté, mais sa vie fut brisée après la confiscation l'oeuvre de sa vie. Sous l'ère de Khroutchev et malgré une certaine distension, ce livre a fait très peur aux responsables du KGB de l'époque parce qu'il dresse un tableau parfaitement réaliste et effrayant de la société soviétique d'alors. La bataille de Stalingrad est le fil conducteur qui est le tournant déterminant de l'affrontement entre le nazisme et la démocratie. Dans ce moment charnière, l'auteur nous fait vivre à travers différents personnages ce moment historique: Strum le physicien juif déclassé, la vie des soldats russes et allemands, l'ouverture d'un camps de concentration nazie, les destinées mêlées d'une famille russe. Il en faut du courage pour dénoncer un fait désormais évident, le stalinisme n'est que l'autre face de la médaille du nazisme hitlérien! Car la victoire de Stalingrad a jeté le peuple russe dans les mains cruelles de Staline qui a instauré la terreur, à travers la délation, les milliers de camps où du jour au lendemain on recrutait n'importe quel citoyen sous forme d'arrestation et de déportation pour travailler aux grands projets voulus par Staline. La Kolyma, un territoire grand comme chez nous où on aurait compté 476 camps entre 1929 et 1953 et jusqu'à 18 millions de déportés dans tous ces bagnes. Une main d'oeuvre à bas coûts pour des chantiers gigantesques! Je recommande de voir si c'est encore possible la série sur ARTE sur l'histoire des Goulags, stupéfiant!

Mais ce livre est plus qu'un roman, il nous apporte une profonde réflexion sur des thèmes importants: l'homme face à l'Etat, l'antisémitisme, et un des textes les plus beaux que j'ai découvert, sur la nature de la bonté.

Si aujourd'hui, ce livre est est un chef d'oeuvre reconnu dans le monde occidental, il n'en est toujours pas de même en Russie, ce qui peut nous donner à réfléchir sur l'évolution des sociétés actuelles, même si la notre est loin d'être parfaite, elle a encore le mérite de nous laisser libre de lire le livre de Grossman.
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Tout passe

Peut-être avez-vous lu le livre majeur de Vassili Grossman : Vie et destin dont le manuscrit fut confisqué par le KGB.

Mais l'auteur a un autre livre à son actif, un roman que j’aime particulièrement et que j’ai relu tout récemment.

Vassili Grossman fut un communiste convaincu jusqu’à la seconde guerre, là sa vision changea, il fut l’un des premiers à entrer dans Treblinka, puis il découvrit le massacre des juifs à Babi Yar où sa mère mourut.

Lorsque après guerre l’antisémitisme stalinien se fit plus fort avec le procès des blouses blanches, Grossman change, prend la plume et dénonce.



Tout passe c’est l’histoire d ’ Ivan Grigorievitch qui revient chez lui après trente ans de camps. Il fut un idéaliste mais il a depuis longtemps perdu la foi.



Il est accueilli à Moscou par son cousin Nikolaï Andreïevitch qui ne lui a jamais fait un signe pendant trente ans.



Nikolaï et sa femme Maria Pavlovna accueil Ivan avec quelques réticences. Il faut dire que Nikolaï c’est l’homme des compromis, il a survécu à toutes les purges, il a vu le système broyer beaucoup d’hommes et de femmes autour de lui, c’est lui qui a signé (comme Grossman) des manifestes pour punir les traitres à la patrie, les vendus, il craint une société où le simple fait de penser met en danger.

C’est la rencontre d’un homme terrassé par la peur, toujours prompt à obéir, et d'un homme qui pense que

« l’histoire de la vie, c’est l’histoire de la violence invaincue, insurmontée. La violence est éternelle et indestructible. Elle se transforme mais ne disparait pas et ne diminue pas ...L’humain ne s’accroit pas en l’homme. » prêt à tout pour vivre en liberté, pour parler



Vassili Grossman mêle le destin d’hommes et de femmes et nous dit ne pas voir de différence fondamentale entre le servage russe sous le Tsar et le fanatisme bolchevique qui fait plier les êtres.

En un chapitre extraordinaire Vassili Grossman dresse le portrait de tous les Judas, tous ceux qui ont dénoncé, calomnié, trahi car pour eux l’état et le parti sont trop puissants pour ne pas être obéis.



Des lâches ? des monstres ? ils n’ont pourtant jamais cessé d’aimer leurs proches, aimer la musique ou la littérature



« Ces hommes ne souhaitaient de mal à personne mais toute leur vie ils avaient fait le mal »

A la lecture de ce roman magnifique et terrible on comprend les paroles de l’auteur qui font penser à Stig Dagerman

« L’angoisse de l’âme humaine est terrible, inextinguible, on ne peut la calmer, on ne peut la fuir ; devant elle sont impuissants même les paisibles couchers de soleil champêtres, même le clapotis de la mer éternelle »
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Vie et Destin

Choisir un livre pour l’île déserte ? Ca me semble hors de portée. Comment dire que celui-ci est plus important que cet autre-là ? Comment sacrifier tant de livres qui m’ont étonnée, ravie, fascinée, subjuguée, qui m’ont appris des mondes et des temps que je ne connaitrai que par eux ?

Et puis… et puis j’ai ouvert « Vie et destin ». Je n’ajouterai rien à tout ce qui en a été dit, et bien dit. Il n’y a sans doute pas une seule page à oublier de ce livre. Mais j’ai été sidérée par les monuments à l’intérieur du monument : la dernière lettre bien sûr, les « gribouillages » d’Ikonnikov, l’inspection des ultimes préparatifs de la chambre à gaz, la maison 6 bis, la fin de Sofia et David, la déroute morale de Strum.

Ces moments-là laissent sans voix. Qu’y ajouter ?

Puisqu’ils disent tout, ce sont eux qui me parleraient encore sur une ile déserte. Donc, voilà, j’ai trouvé le livre que j’emporterais.

Il m’a fallu du temps : six décennies depuis que j’ai appris à lire ; pas sûr que j’aurai celui d‘en découvrir cinq autres…



PS : pour ceux qui prennent le livre pour la première fois, il y a sur la toile des sites qui récapitulent les noms des personnages et leurs liens. Je me mords les doigts d’y avoir pensé à la moitié de ma lecture seulement !

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Vie et Destin

Quoi que j'écrive dans cette critique je ne saurais rendre justice à la grandeur de ce roman.

« Vie et Destin » embrasse le champ de bataille de Stalingrad lorsque le destin de la Russie, de l'Allemagne, du Monde se joue.

Il le fait à hauteur d'Homme. Ou plutôt à hauteurs d'Homme. de la plus élevée à la plus terre à terre.

Dans un même chapitre, il vous emmène vers les plus hautes réflexions humaines sur le bien, le bon, l'État et vous ramène juste après dans une maison de Stalingrad assiégée par l'ennemi tous mourant de faim.

Le récit semble englober toute l'humanité au travers de personnages marquants.

Il y a le scientifique craignant pour sa vie à Moscou.

Il y a la mère prise au piège du Ghetto qui écrit sa dernière lettre à son fils. Quelle lettre. Elle rassemble à elle toute seule une force, une émotion qu'on ne retrouverait qu'au centième dans un autre roman.

Il y a l'officier qui lutte pour sa vie.

Il y a l'affamé.

Il y a le couard.

Il y a le juste.

Il y a le planqué.

Il y a le torturé par les remords et la culpabilité. Il y a le commissaire politique.

Il y a le prisonnier du camp. Tellement prisonnier de ses propres co-détenus, de son idéologie, du chef de camp qui lui parle de leur proximité.

Il y a la femme qui marche vers la chambre à gaz.

Il y a tant d'humanité dans ce roman.

La fresque est gigantesque. Vassili vous emmène avec lui dans l'isba au milieu de la forêt, dans l'abri pilonné par l'artillerie, dans la plaine à bord d'un char qui se prépare à foncer sur Stalingrad.

Le roman fut saisi par le KGB. Trop dangereux.

Un roman avec des personnages fictifs, une menace pour l'URSS ? Oh que oui et bien plus.

Il établit avec une grande force que l'état totalitaire qui oeuvre pour le « bien » de son peuple écrase l'Homme.

Qu'il soit Communiste ou Fasciste.

Il y a quelques chapitres du côté allemand. Mais seule la consonance des noms et patronymes différencie les protagonistes.

Le discours, l'attitude sont horriblement proches.

Dans cet océan de violence, de haine, d'emprisonnent, de torture… que reste-t-il à l'humanité ?

Peut-être la bonté simple individuelle modeste pure désintéressée et d'une bien plus grande noblesse que toutes ces grandes idéologies qui broient les corps.

En conclusion ?

Sans doute une des plus grandes lectures de ma vie.

Lecture qui rejoint « le Maître et Marguerite » de Mikhaïl Boulgakov, Siddartha de Hermann Hesse.

Attention quand même

Plus de 1000 pages qui pourraient décourager (il ne faut pas).

Ce n'est pas un roman sur les mouvements de troupes de la bataille de Stalingrad. le centre du récit c'est l'être humain.

Cela parle beaucoup de l'histoire de la révolution soviétique. Ne pas connaître son histoire comme les purges et procès de 1937 serait pénalisant

Les noms Russes avec les patronymes. Parfois seul le patronyme est utilisé, parfois le diminutif.

Cela peut être difficile à suivre, parfois.
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Vie et Destin

Troisième lecture pour ce Livre-Monde.

L'émotion est vive, la sidération intacte, le choc peine à être amorti.

Deux mois de lecture attentive et patiente, crayon en main, pour relever les coups de poings, portés par l'auteur, contre cette perversion de la révolution qu'est devenue l'URSS de Staline, bien avant, et bien après les années de guerre, et jusque au plus profond des combats contre le nazisme.

Ma pensée va d'abord à l'auteur, à ses doutes, ses interrogations, ses angoisses, au fur et à mesure de l'écriture du livre. Dix années d'écriture qui coexistent avec la perte de ses dernières illusions sur le régime, au fur et à mesure des exactions de l'État stalinien, jusqu'après la mort de Staline et après le 20ème congrès en 1956. Croit-il encore le changement possible lorsqu'il écrit à Nikita Krouchtchev en février 1962, un an après avoir vu le KGB perquisitionner chez lui et saisir son manuscrit.

« Je vous prie de rendre la liberté à mon livre …»

« Ce livre ne contient ni mensonge, ni calomnie, seulement la vérité, la douleur, l'amour des hommes »

Je reprends ses mots, qui disent si bien ce qu'il a écrit : la vérité, oui, dans la bouche de ses personnages, une foule de personnages autour de la famille Chapochnikov de près ou de plus loin, à Stalingrad, en Ukraine, à Kazan, Kouïbychev, Saratov, Moscou, en Sibérie ou dans la steppe kalmouke.

Grossman les saisit dans leur quotidien, à hauteur d'homme ou de femme. Ils sont mécaniciens, gardien d'usine, aviateur, tankiste, paysan, commissaire politique, ingénieur, militaire, ils travaillent à l'arrière dans les villes de la Volga où la population de Moscou s'est repliée, ils se battent sur le front, ils ont été faits prisonniers en aout 42 par les allemands, ils ont été envoyés en camp par la Tchéka, ils découvrent qu'ils sont juifs et parqués pour cela dans des guettos avant de subir la sélection et de mourir dans une chambre à gaz, ils sont russes mais aussi allemands, officier SS ou soldat dans les camps, au sein des sonderkommandos ou sur le front, dans les éventrements de Stalingrad, dans l'encerclement final, vivants sous les bombes puis morts quelques minutes après, comme ceux d'en face.

« Vie et destin » est un hymne à l'humanité, dans ses doutes et ses erreurs, dans sa diversité, et la radicale individualité de chacun. C'est un hymne à la liberté, et certains en ont une idée plus précise que d'autres, comme Grekov qui assure le commandement de la maison 6bis à Stalingrad, face aux allemands, là où, sous les bombes, le soldat Serioja Chapochnikov parle de « La chartreuse de Parme » avec Katia la jeune radio de 19 ans : « t'as aimé ? ».

Grekov, « le franc-tireur », accusé de n'être pas dans l'orthodoxie, le commandement lui envoie Krymov, commissaire politique, en redresseur de tort, ce dernier finira dans les geôles de la Loubianka, le régime se méfie de ses larbins.

La vérité des personnages de Grossman, c'est souvent la peur, il y a bien sûr la peur des soldats, viscérale, terrible, « son angoisse était si grande qu'il ne la sentait pas » dit-il de Novikov avant l'assaut des blindés qu'il doit lancer. Il y a aussi la peur loin du front. Nul mieux que Victor Pavlovitch Strum ne l'incarne dans le livre, éminent physicien, replié à Kazan, il est l'exemple même de l'individu conscient d'être écrasé par la force et la puissance de l'État mais incapable de résister. Torturé par le doute, il s'interroge sur les suites de cette soirée chez les Sokolov, il se souvient de ses peurs passées comme après qu'il ait jeté la Pravda par terre alors qu'il était étudiant et toutes ces nuits à se lever pour guetter la voiture qui ne passerait pas par hasard. Soumis à un véritable lynchage par ses collègues, une fois revenu à l'Institut à Moscou, il renonce au dernier moment à écrire une lettre de repentir. Quand Staline lui téléphone pour lui demander comment vont ses recherches, il s'extasie, mais derrière le retour en grâce, on lui fait signer la dénonciation d'un collègue. Il prend conscience alors, qu'il le fait contre son intime conviction, mais s'aperçoit qu'en 1937 déjà il avait accepté d'accuser ce collègue, le piège se referme.

La vérité des personnages de Grossman se vit aussi dans la douleur, et cette douleur est partout : dans les camps, au front, à l'arrière. Parce qu'il parle de sa mère à travers elle, la douleur d'Anna Semionovna qui adresse à Victor Pavlovitch cette lettre qu'elle sait être la dernière, la douleur de Sofia Ossipovna, du guetto, au train, du train à la sélection, jusque dans la chambre à gaz. Les douleurs causées par l'amour, les lettres de l'autre qui n'arrivent pas, les trahisons, les abandons, le désamour. Tout ce qui touche profondément à la nature humaine, rejaillit des personnages de « Vie et destin » et ces personnages sont sublimes jusqu'au plus allusif d'entre eux, comme cette vieille femme qui accueille Semionov agonisant. Elle le cache, elle le nourrit, elle le lave. Les personnages de femmes ont dans le roman une force incroyable, elles assument leur vie, leurs amours, elles résistent, elles incarnent l'humanité et souvent la bonté.

L'amour des hommes oui, Grossman le porte tout au long de ses pages, avec la conscience que leur destin, en Russie ne va pas dans le sens de la liberté à retrouver, au contraire il s'en éloigne et la troisième partie du livre porte un pessimisme lourd, celui d'un homme résigné. Il fait dire à Krymov dans les fers de la Loubianka : « les temps nouveaux n'avaient besoin que de la peau de la révolution et on écorchait les hommes encore vivants »

La révolution bolchévique resterait dans ses fondements une différence de taille avec le nazisme, mais qu'en reste il ? Grossman construit dans le livre une comparaison minutieuse des deux états totalitaires qui oppriment et écrasent. Il fait prophétiser par Liss le SS, la victoire de l'URSS et la défaite du nazisme, pour dire alors : « Si c'est vous qui gagnez, nous périrons, mais nous continuerons à vivre dans votre victoire. »

Que reste-t-il donc aux hommes sinon d'être des hommes ? de vivre au plus près de ce qu'ils ont d'humain, comme Novikov qui retarde l'assaut des blindés de 8minutes pour permettre de neutraliser les batteries qui auraient massacré ses tankistes. Staline au téléphone hurle de foncer.

Tout est dit.

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Vie et Destin

"Vie et destin" est un grand roman russe. Par "grand roman russe", entendons, sur le modèle de Guerre et Paix de Tolstoï, un récit en prose assez long, des personnages évolutifs, des intrigues, mais surtout la rencontre de tous ces éléments avec la grande Histoire, figure du destin, du collectif et de la Nécessité. Chez Tolstoï, il s'agit des guerres napoléoniennes, chez Grossman, de la bataille de Stalingrad. "Guerre et Paix" se place au point précis où l'entreprise impériale française trouve sa limite et sa fin, "Vie et Destin" est situé à un moment comparable, pour ce qui concerne l'empire allemand de Hitler. La grandeur de ces romans, que seuls les Russes, semble-t-il, savent écrire (mais on peut lire aussi "Migrations" du Serbe Milos Tsernianski), c'est la rencontre de la vie individuelle des personnages romanesques, et du destin collectif des peuples, de la politique et de la guerre.



Le roman de Grossman est si vaste que, pour une simple chronique, on ne saurait tout dire. Pour résumer, on avancera qu'il s'agit ici, d'abord et avant tout, d'un roman, à savoir d'une fiction qui fait appel à l'imagination, invente des personnages et des situations, promène le lecteur en des lieux interdits : on assiste à de longues discussions entre internés dans des camps de concentration russes ou allemands, on voit Eichmann trinquer pour inaugurer la chambre à gaz flambant neuve que ses ingénieurs viennent de construire, Staline est au téléphone avec un physicien juif mal vu de ses supérieurs, on meurt avec un personnage gazé, on erre dans l'Ukraine affamée avec un soldat russe perdu, etc ... L'imagination romanesque construit l'histoire au niveau de chaque personnage, jusqu'à ce qu'une conversation entre un détenu et le commandant allemand de son camp révèle le sens profond de ces promenades imaginaires et littéraires d'un camp à l'autre : nazisme ou stalinisme sont deux faces de la même réalité tyrannique et sanguinaire, sont deux forces équivalentes en nature et en valeur, qui luttent l'une contre l'autre pour la suprématie. ('Liss [commandant du camp allemand] approcha son visage de Mostovskoï : "Vous me comprenez ? Je ne parle pas parfaitement russe, mais je voudrais tant que vous me compreniez ... Nous sommes vos ennemis mortels, oui, bien sûr. Mais notre victoire est en même temps la vôtre. Vous comprenez ? Si c'est vous qui gagnez, nous périrons, mais nous continuerons à vivre dans votre victoire. C'est un paradoxe : si nous perdons la guerre, nous la gagnerons, nous continuerons à nous développer sous une autre forme mais en conservant notre essence." p. 469) Qu'on se réfère au roman communiste de Malraux, "L'espoir" : l'auteur disait qu'en aucun cas, il n'aurait pu camper, mettre en scène, faire interagir et dialoguer des Franquistes. Les Franquistes, dans son roman, ne sont présents que sous la forme de lointains avions, de forces mécaniques et impersonnelles, l'humanité étant incarnée, elle, par les Républicains de gauche. Grossman procède tout autrement, et c'est justement ce triomphe du roman qui rend son livre tellement scandaleux, au plan politique, puisqu'il n'y a plus ni bons, ni méchants. On pourrait dire avec Philippe Muray, que Grossman, en échappant aux engagements idéologiques obligatoires et au manichéisme politique, "désobéit au XX°s", et le roman avec lui.



Que représentent les deux abstractions accolées, "Vie" et "Destin" ? On saisit (et c'est explicité dans les dernières pages du livre) que le destin est la guerre, à savoir la politique, l'oppression que subissent les hommes pris entre deux régimes totalitaires féroces ("La vie était horrible. Et ils surent qu'une fois la guerre terminée, la force qui les avait jetés au fond de ce trou, leur avait enfoncé la gueule dans la boue, cette force opprimerait les vainqueurs aussi bien que les vaincus." p. 514) . La vie, de son côté, s'épanouit en mille formes variées : l'herbe, les saisons, les amours, les angoisses, tout ce que les êtres humains éprouvent sur la terre. ("Pourquoi je pleure ? Comment te dire ? Je pleure parce que je vis, je pleure de chagrin parce que Slava n'est plus et que je vis... je pleure à cause de la lumière du matin : tout est si beau autour et le malheur est si grand. Pour tous, et pour moi aussi..." p. 508) Peu de lyrisme cependant (au moins dans la traduction française) : Grossman semble un écrivain marqué par sa formation de romancier réaliste socialiste, à qui tout sens de la transcendance a été ôté. En revanche, on trouve de nombreux passages pédagogiques, explicatifs, explicitant ce qu'il faut penser de ceci ou de cela, ce qui range l'auteur dans l'école des auteurs de gauche publiant pour l'édification des masses.



Voilà peu de mots, qui, je le crains, ne disent pas l'essentiel de ce roman foisonnant. J'espère au moins qu'ils inciteront certains à se lancer dans la lecture de cet ouvrage qui compte parmi les plus importants du XX°s.
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Vie et Destin

Шедевр! Un chef-d'oeuvre !, comme seuls (ou presque) les russes savent en écrire.

Cela fait des années que je souhaitais approcher ce texte, mais ses presque 1200 pages m'effrayaient...et puis la guerre mondiale ...encore un livre pour ressasser les même choses....bref! une envie de culture et de découverte contrariée par ma paresse.

L'été, saison des romans légers pour certains, fut pour moi au contraire l'occasion de me plonger dans ces pages. Comment ignorer un auteur majeur de la littérature, et surtout un auteur dont ce titre fut saisi et interdit par la KGB...

Tout ce qui gêne les sbires bas de plafond, quel que soit les lieux où ils exercent leurs activités de censure, mérite d'être lu.

Une rapide recherche sur Babelio des livres qui furent interdits ici où là prouve si besoin était que tous ont passé le temps, et en sortis grandis... Certains même, interdits ici ou là, font le bonheur de nos gamins et le nôtre et bâtissent notre culture littéraire.

Oui, "Vie est destin" est un livre superlatif, par les thèmes développés, par sa taille, par le courage de l'écriture et des propos de l'auteur qui fut un temps journaliste. Il couvrit la bataille de Stalingrad et accompagna les soldats russes jusqu'à Tréblinka.

Des pages courageuses pour nous décrire, au ras du terrain, et des trous de bombes, la vie de ces soldats russes dans le froid de Stalingrad, leurs privations, leur faim, mais aussi ces commissaires politiques qui les surveillaient, qui demandaient leur exécution parce qu'ils avaient reculé de quelques mètres, ces commissaires politiques qui à leur tour connurent plus tard l’exécution sommaire, la balle dans la tête...

La guerre vue au travers de morceaux de vie de nombreux personnages..Difficile de tous les enregistrer.

Et il en fallut du courage, pour décrire d'une part les conditions d'extermination des juifs dans les camps de la mort, il nous en faut aussi à nous lecteurs, pour lire ces pages froides, presque mécaniques, sans accroc, bien huilées, ces pages décrivant l'arrivée des gamins, des femmes et des vieux, le tri de ces juifs inutiles pour le travail forcé, éliminés, leurs derniers voyages depuis leurs wagons jusqu'aux fours, tout ça lu des dizaines de fois. Mais la mécanique bien rodée de ces camps, décrite par Grossman, fait froid dans le dos....témoigner en souvenir de sa mère, juive comme lui donc, une mère qui fut exterminée.

"Il existe un droit plus grand que celui d’envoyer les hommes à la mort sans se poser de questions, c’est celui de se poser des questions en envoyant les hommes à la mort." Beau sujet de dissertation!

Mais un personnage central mérite toute notre attention, et mobilise Grossman : Staline...

Staline comparé à Hitler, dans leur politique de répression, et d'élimination des juifs. Staline était mort depuis presque 10 ans quand Grossman publia ce texte, mais il gouvernait encore la Russie, par des sbires attentionnés poursuivant sa pensée. Son idéal de violence et de répression imposait le mutisme à la population. Courageux, Grossman multiplie les critiques, les comparaisons entre nazisme et stalinisme. On frémit de certaines paroles de ses personnages:

"Au nom de la morale, la cause révolutionnaire nous avait délivrés de la morale, au nom de l’avenir elle justifiait les pharisiens d’aujourd’hui, les délateurs, les hypocrites, elle expliquait pourquoi, au nom du bonheur du peuple, l’homme devait pousser à la fosse des innocents. Au nom de la révolution, cette force permettait de se détourner des enfants dont les parents étaient en camp. Elle expliquait pourquoi la révolution exigeait que l’épouse qui n’avait pas dénoncé son mari innocent fût arrachée à ses enfants et envoyée pour dix ans en camp de concentration."

....

"...il faut haïr Staline et sa dictature !

Mais non, non, bien plus ! Il faut condamner Lénine."

....

ou encore

"Ce qui se jouait, c’était le sort des Juifs, que l’Armée Rouge avait sauvés, et sur la tête desquels Staline s’apprêtait à abattre le glaive qu’il avait repris des mains de Hitler, commémorant ainsi le dixième anniversaire de la victoire du peuple à Stalingrad."

Camps nazis ou Goulag stalinien étaient comparables...il le clamait haut et fort. L'enfer en miroir.

Il dénonce également les chercheurs devant faire leur autocritique, imposée par le Parti, parce que leurs découvertes n'étaient pas conformes à l’orthodoxie du Petit-Père, les pourquoi et comment briser les hommes, l'utilité économique des camps...

Alors le KGB saisit son livre, Grossman rejoignit la liste des auteurs interdits de publication.

Diverses parties du livres furent retrouvées, mais certaines pages manquent encore à jamais. Le lecteur doit alors se contenter à plusieurs reprises de=========== et imaginer ce que ces signes cachaient.

Vassili Grossman eut le courage d'écrire ce texte, prit le temps de nous informer, de partager ses douleurs...Alors, cela valut le coup pour moi, de prendre le temps de vivre par pages interposées cette douleur et ces témoignages....des pages qui m'apprirent que l'armée russe utilisait à Stalingrad des armes et des avions américains, qui m'apprirent ce qu'était le Lend-Lease.

S'il est des pages que chacun devrait lire, et relire, ce sont celles nous alertant sur l'antisémitisme et ses causes, des pages qu'on devrait extraire et partager, des pages qui malgré leur âge n'ont pas pris une ride.

Oui, j'ai passé une très bonne semaine estivale de lecture, pas toujours facile toutefois, mais tellement instructive et passionnante.

Un très grand merci à Vassili Grossman. Là-haut, au paradis des hommes de cœur, vous êtes certain de ne pas rencontrer les sinistres personnages de votre roman.
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Vie et Destin

La bataille de Stalingrad fait rage. Une famille disloquée par les évènements, la guerre et les aléas du régime soviétique...



Une foison de personnages, certains récurrents, d'autres secondaires mais qui révèlent beaucoup de l'état d'esprit du peuple soviétique à la fois mesquin et généreux, courageux et pleutre, servile ou rebelle...

Ainsi, pour évoquer que ceux qui m'ont le plus marqué :

- Strum , le physicien génial veut rester droit dans ses bottes, ne rien renier face aux décisions arbitraires et injustes de l'Institut , ressasse et rumine ses états d'âme sur l'honneteté intellectuelle même si cette honneteté fait défaut vis à vis de sa femme jusqu'au retournement de sa situation.

-Krymov, le commissaire du peuple arrété et enfermé à la Loubianka probablement sur dénonciation. Mais dénonciation de qui ? Lui, qui se pensait irréprochable, intouchable, réfléchit, souspèse le paroles prononcées parfois imprudemment.

- de Spiridonov, seul directeur à être resté dans Stalingrad pendant la bataille, qui sera pourtant accusé de lâcheté parce qu'il a quitté la ville le dernier jour des combats pour retrouver sa fille qui vient d'accoucher..



Un incroyable récit sur la réalité brutale du régime soviétique "dénonciation, arrestation, interrogatoire, torture, déportation, exécution".

Tout y est. Tout y est en 1962...

Il est incroyable de penser que Vassili Grossman ait cru en toute bonne foi que son roman serait publié.
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