Clairement, ce roman ne plaira pas à tout le monde, trop sombre, terriblement sombre, d'une noirceur terrifiante qui ferait passer un roman noir classique pour un feel good !
Ce lotissement de Sarah Court, Ontario, à quelques encablures des Niagara falls, a l'air banal de l'extérieur, des pavillons, des écureuils, mais derrière la façade, il n'est peuplé que d'êtres brisés, de familles dysfonctionnelles, des pères ( surtout ), des mères, des fils, des filles qui interagissent dans la souffrance et la violence : un batelier chargé de repêcher les noyés au pied des fameuses chutes et son fils cascadeur dont chaque acte de bravade ressemble à un suicide ; un neurochirurgien alcoolique et son fils boxeur raté, lui-même père d'un enfant obèse victime de harcèlement et qui se rêve vampire ou momie ; un mec qui est passé à côté de sa vie et transforme sa fille en petit boeuf haltérophile jusqu'à ...
C'est très impressionnant comment l'auteur cogne sur le société nord-américaine, comment il gratte jusqu'au sang le vernis des apparences. le thème n'est pas neuf, il a été moultes fois abordés l'horreur domestiques a rarement été aussi glaçante sous les mots d'un auteur.
La construction est implacable : 5 chapitres comme des nouvelles connectées, les deux premières assez courtes et presque banales, puis une montée en puissante qui tient en haleine le lecteur. Chaque mot compte pour une écriture qui tient presque plus de la mise en scène que de la narration, saccadée, visuelle, qui dit tout très vite pour donner une vision d'ensemble large spectre.
« C'est douloureux de priver ma fille de sa rage. Ça me fait mal qu'elle ne puisse pas me la crier au visage, diriger le canon froid et acéré de sa haine contre moi. Et faire fondre la chair sur mes os. C'est là la source de ma plus profonde frustration. Parce que n'importe qui peut devenir père, pas vrai ? La moitié de l'espèce humaine. Il suffit de trouver une femme et de lui dire que vous l'aimez. La paternité suivra. Et pourtant rien n'est si simple. IL est vrai que j'aime ma fille, mais ceci est tout aussi vrai : l'amour est une maladie. Une sorte d'agent pathogène qui existe en dehors de toute logique.
Une obscurité bizarre traverse la fenêtre – un trou sinistre s'ouvre au centre du soleil – alors que des gouttelettes, telles des billes d'argent, frappent ma peau. Aucun bruit. L'eau. le battement de mon coeur. Et ce sinistre trou qui s'élargie au milieu du soleil. »
L'humour ( très noir forcément, loin du consensuel ) permet de reprendre son souffle, d'autant qu'il provient directement des personnages qui tournent en dérision les situations terribles qu'ils subissent. Ce tragique mêlé à du grotesque est très réussi. Et c'est là que l'auteur brouille encore les pistes en y ajoutant une pincée de surnaturel voire de bizarre avec un « démon » dans une boîte de magicien qui se balade dans tout le roman et semble être le narrateur du prologue et de l'épilogue. Je n'ai pas tout saisi, mais cela ravive le trouble du lecteur face à cette furia qui explore les âmes jusqu'à l'os.
Au final, il ne m'a manqué que de ressentir un peu d'émotion, seule peut-être la jeune Abigail a fait vibrer en moi quelque chose de sensible, surtout avec le splendide épilogue qui clôt ce roman impressionnant et très dérangeant.
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Merci à Babelio et aux éditions Albin Michel pour l'envoi de ces épreuves non corrigées.
Après lecture, le contraste entre une couverture presque immaculée et la noirceur qui habite ce roman est plutôt saisissant.
Si l'envie me prenait de vouloir investir au pays voisin du guignol, ascendant twittos, ce ne serait certainement pas à Sarah Court que je poserai mes valoches.
Petit lotissement sans charme, tout le monde se connaît.
Le problème, c'est justement que tout le monde se connaît.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est l'empressement plus que modéré qui m'habiterait à vouloir lancer la délicieuse et folâtre fête des voisins annuelle.
Le ressenti est mitigé, on va pas se mentir, pas de ça entre nous.
Si j'ai apprécié le découpage et l'entièreté des portraits atypiques ici présentés, j'ai failli dévisser maintes fois, la faute à un vilain manque de rythme et de liant, ultime et récidivant occupant de cette communauté inaccoutumée broyée par la vie.
L'écriture de Craig Davidson souffle le chaud et le froid, possible caractéristique géographique canadienne au grand écart thermique aussi prononcé qu'une jolie surprise acnéique sur le visage boutonneux d'un ado pré-pubère alors au sommet de sa joie de vivre coutumière.
Là encore, si les portraits présentent tous un intérêt évident, certains auront l'attrait hypnotique d'un unijambiste s'essayant au grand écart facial sur l'air prémonitoire de casse-noisette alors que d'autres se liront plaisamment, sans plus d'excitation que ça.
Bref, les bonnes âmes de Sarah Court aura eu l'effet irritant d'une clim' déréglée.
Joie profonde alternant avec torpeur passagère, pas vraiment la météo escomptée en cette saison de grisaille persistante.
Ce qui ne m'empêchera pas, en toute contradiction assumée, de retenter ma chance avec Little Heaven, incessamment sous peu.
Le jeudi en 15, pour être précis...
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♫ Noir, c'est noir
Il n'y a plus d'espoir ♫
Ainsi pourrait-on définir le lotissement de Sarah Court. Situé dans une petite ville au Nord de Niagara Falls, ce complexe pavillonnaire bas de gamme est un de ces endroits dont on cherche toute sa vie à s'extirper, au risque sinon de tomber dans une inertie morose. Cinq familles, des voisins qui se connaissent depuis toujours, qui s'apprécient ou se détestent, nous offrent cinq portraits de vie. Des gens brisés, des gens imparfaits, des gens amochés. Tous portent sur leurs épaules une culpabilité, une aigreur, un défaitisme ou des regrets qui dessinent une vision bien tragique de l'existence.
Roman ou recueil de nouvelles ? Il serait très difficile, si on devait le faire, de cataloguer ce roman que je croyais être un thriller sur fond de voisinage. La claque ! On est bien loin ici des aventures de Wisteria Lane. le roman alterne des chapitres très noirs qui relatent plusieurs histoires de vies entremêlées : du batelier au cascadeur, de l'artificier à la mère d'accueil, du neurochirurgien au boxeur, de l'haltérophile à l'autiste… les portraits sont divers, terriblement sombres, certains plus touchants que d'autres, mais tous nous ébranlent dans un point commun : la relation filiale. Les pères décrits dans ce livre portent à leur progéniture un amour totalement imparfait mais inconditionnel. Certains, au terme de leurs erreurs, choisissent le sacrifice ultime pour tenter de réparer et sauver leur enfant.
Deux portraits m'ont extrêmement touchée. le premier est celui du batelier qui ramasse les cadavres que le fleuve charrie dans ses eaux noires et qui a vu toute sa vie son fils aller au devant de la mort comme au devant du plus grand bonheur, sans jamais pouvoir le refréner. A la fin, il accepte cet état de fait et veut juste se trouver au bon endroit, au bon moment, pour lui : « Incandescent, mon fils s'ouvre un chemin au milieu du jour. Comme un tison à travers une page peinte de toutes les couleurs de notre monde. J'accélère à plein gaz pour aller le cueillir, et lorsque je l'atteindrai, il prendra ma main. ».
Le second est celui du boxeur raté, père célibataire d'un jeune garçon de 10 ans, obèse et harcelé. Sa détresse et sa colère face à la cruauté ordinaire des enfants sont bouleversantes. Il se bat, comme il peut, pour rendre heureux ce petit garçon si particulier.
Particulier et déroutant… Ce roman nous chamboule car il nous fait passer par plusieurs états. le style est à l'image de ces histoires, à la fois fluide et hachuré.
Un seul regret : la touche de fantastique que j'avoue ne pas avoir comprise et appréciée. Là, l'auteur m'a perdue quelques instants. le roman n'avait pas besoin de cela mais cela reste vraiment une très belle découverte à laquelle j'ai adhéré. Particulière et surprenante, encore une fois.
Merci à Babelio et aux éditions Albin Michel pour leur confiance.
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"Vous, les vivants, êtes tellement pétris de défauts. Le pire d'entre eux est de chercher constamment à être heureux. Le bonheur est meilleur quand il se vit à petites doses et ne dure pas trop longtemps. Exiger davantage confine à la folie."
Voilà, le ton des "Bonnes âmes de Sarah Court" est donné. Roman noir avec peu d'étincelles d'espoir, ce récit m'est plus apparu comme un recueil de longues nouvelles entrecroisées qui donnent la sensation pénible que tous les personnages tissent leur propre malheur tout en étant persuadés d'oeuvrer à la construction de leur bonheur.
Bien écrit, le roman souffre toutefois de longueurs ; la multitude de personnages peut aussi perturber. Le décor de ce lotissement pavillonnaire canadien, situé tout près des célèbres chutes de Niagara dont le Canada et les Etats-Unis se partagent les eaux, est bien rendu et fait écho à toutes les séries anglo-saxones qui nous montrent la médiocrité humaine derrière les murs ravalés et les pelouses tondues au cordeau.
Ma lecture ne fut pas désagréable mais elle a cruellement manqué d'enthousiasme. Le caractère tarantinesque du récit n'échappera à aucun lecteur un peu averti ; il se retrouve aussi dans la structure en puzzle de la narration. Seul le cynisme de Craig Davidson m'a apporté quelques bouffées d'air acre au fil des pages.
Challenge ABC 2019 - 2020
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L’écrivain canadien raconte avec une superbe humanité les esquintés de St. Catharines, une ville industrielle près des chutes du Niagara.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Le bar est entouré d'une clôture en fer forgé. Des filles trop jeunes pour y entrer selon la loi sont assises en terrasse devant un pichet rempli d'un cocktail vert fluorescent qui ressemble à du liquide de refroidissement. A l'intérieur, le silence règne au point qu'on entend le glouglou des tristesses qui se noient. On dirait que les visages de cette assemblée de poivrots ont été façonnées à partir d'un étain de catégorie bidonville. Tavelé, jauni, privé de cette dignité dont jouit la chair dépouillant les hommes de leur substance. Mais qu'on me troue le cul si je n'y suis pas à ma place.
Certaines créatures vivent à la manière des étoiles : une vive et puissante combustion qui réduit en cendres les êtres qu'ils côtoient, mais aussi et surtout eux-mêmes. Leurs vies sont des brasiers au cœur desquels ils trouvent leur bonheur. Ils se consument à petit feu jusqu'à ce qu'il ne reste que le désir des flammes.
Vous, les vivants, êtes tellement pétris de défauts. Le pire d'entre eux est de chercher constamment à être heureux. Le bonheur est meilleur quand il se vit à petites doses et ne dure pas trop longtemps. Exiger davantage confine à la folie.
"Ça fait terriblement mal de ne pouvoir le sauver, ni le protéger, ni le mettre hors de danger ou le préserver de la douleur. À quoi sert un père si ce n'est à cela ?"
Thomas Lynch, "The way we are"
Quelle connaissance intime de nous-mêmes avons-nous ? Posons-nous la question. Nous affichons un portrait idéalisé et prions pour que personne ne nous demande d'explications. Nous traversons la vie en faisant l'impasse sur les aspects de notre nature avec lesquels nous ne voulons pas composer. Nous mourons complètement étrangers à nous-mêmes.
Joseph Boyden et Craig Davidson