Central Park
Fourrés verts et noirs, lieux décharnés,
fleuve végétal à lui-même attelé :
entre bâtisses plombées, il glisse sans bouger
et là où la lumière se met à douter,
où la pierre convoite son ombre, il se dissipe.
Don't cross Central Park at night.
Tombe le jour, la nuit s’allume,
Alechinsky trace un rectangle aimanté,
un piège à lignes, une cour pleine d'encre
enfermant une bête effrayée,
deux yeux, rage qui se love.
Don't cross Central Park at night.
Il n'y a pas de porte, ni entrée, ni sortie,
encerclée dans un anneau de lumière
la bête d'herbe dort les yeux ouverts,
la lune déterre des couteaux,
l'eau de l'ombre est devenue flamme verte
Don't cross Central Park at night.
Il n’y a pas de porte d'entrée, mais tous,
au milieu de la phrase pendue au téléphone,
du haut de la cascade du silence ou du rire,
de la cage en verre de l’œil qui nous regarde,
tous, nous tombons peu à peu dans le miroir.
Don't cross Central Park at night.
Le miroir est en pierre et la pierre est une ombre,
il y a deux yeux couleur de colère,
un anneau glacé, un ceinturon de sang,
on entend le vent disperser les reflets
d'Alice démembrée sur l'étang.
Don't cross Central Park at night.
Ouvre les yeux : tu es entré en toi-même,
tu vogues sur un bateau de monosyllabes,
tu traverses l'étang-miroir et débarques
sur le quai de Cobra : c'est un taxi jaune
qui t'emmène au pays des flammes
à travers Central Park au milieu de la nuit.
A Pierre Alechinsky
Le visage et le vent
Sous le soleil inflexible
plaines ocre et collines fauves.
Je grimpai par des broussailles une pente de chèvres
vers un lieu de décombres :
pilastres brisés, dieux décapités.
Parfois des scintillements subreptices :
une couleuvre, un lézard.
Tapis dans les pierres,
couleur d'encre vénéneuse,
des peuples d'insectes friables.
Une cour circulaire, un mur fendu.
Accroché à le terre - nœud aveugle,
arbre tout de racines - le figuier religieux.
Pluie de lumière. Une forme grise : le bouddha.
Une masse confuse, ses traits,
par les escarpements de son visage
montaient et descendaient les fourmis.
Intact encore,
encore sourire, le sourire :
golfe de clarté pacifique.
Et je fus un instant diaphane
vent qui s'arrête,
tourne sur lui-même et se dissipe.
Vent, eau, pierre
L'eau perce la pierre,
le vent disperse l'eau,
la pierre arrête le vent.
Eau, vent, pierre.
le vent sculpte la pierre,
la pierre est coupe de l'eau,
l'eau s'échappe et elle est vent.
Pierre, vent, eau.
Le vent dans ses tours chante,
l'eau en marchant murmure,
la pierre immobile se tait.
Vent, eau , pierre.
On est autre et personne :
entre leurs noms vides
passent et s'évanouissent
eau, pierre, vent.
A Roger Caillois (p. 520)
Le feu de chaque jour
Ville de Mexico
PÉTRIFIÉE PÉTRIFIANTE
…Vallée de Mexico
bouche opaque
lave de bave
trône démantelé de la Colère
obsidienne obstinée
pétrifiée
pétrifiante
Colère
tour fendue
taille ployée comme une plainte
seins barbouillés
front offusqué
morvesang vertesec
Colère
fixité qui s'enfonce dans la blessure colèrelame couteauregard
sur un pays d'épines et de piques…
p.457
Mise au net
Extrait 6
La femme fut portique
de l’au-delà du perçu et du pensé :
là, au-dedans, vertes sont les marées,
le sang est vert, vert le feu,
entre les herbes noires, brûlent des étoiles vertes :
c’est la musique verte des élytres
dans la nuit originelle du figuier ;
– là, au-dedans, les extrémités des doigts sont des yeux,
le toucher voit, les regards palpent,
les yeux entendent les odeurs ;
– là, le dedans est le dehors,
c’est partout et c’est nulle part,
les choses sont les mêmes et sont autres,
dans la geôle d’un icosaèdre,
il y a un insecte tisseur de musique,
et un autre qui démaille
les syllogismes que tisse l’araignée
suspendue aux fils de la lune ;
– là, au-dedans, l’espace
est une main ouverte et un front
qui ne pense pas des idées, mais des formes
qui respirent, cheminent, parlent, changent,
et qui silencieusement s’évaporent ;
– là, au-dedans, pays d’échos entretissés,
se précipite la lumière, lente cascade,
entre les lèvres des crevasses,
la lumière est eau, l’eau temps diaphane
où les yeux lavent leurs images ;
– là, au-dedans, les câbles du désir
miment des éternités d’une seconde
que l’électricité mentale
allume, éteint, allume,
résurrections flamboyantes
de l’alphabet calciné ;
– il n’y pas d’école là-bas, au-dedans,
c’est toujours le même jour, la même nuit toujours,
le temps n’est pas encore inventé,
le soleil n’a pas vieilli,
cette neige est identique à l’herbe,
toujours et jamais sont la même chose,
il n’a jamais plu et il ne cesse de pleuvoir,
tout est en train d’être et n’a jamais été,
peuple sans nom des sensations,
noms qui cherchent un corps,
transparences impies,
cages de clarté où s’annulent
l’identité entre ses ressemblances,
la différence dans les contradictions.
Le figuier, ses mensonges et sa sagesse,
prodiges de la terre
– dignes de foi, exacts, redondants, –
et la conversation avec les spectres.
Apprentissages avec le figuier :
parler avec vivants et morts.
Parler aussi avec soi-même.
…
/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
« […]
[…] comme le dira Octavio Paz (1914-1998), “la poésie mexicaine ne trouvait pas sa forme propre. Chaque fois qu'elle se risquait à exprimer le meilleur et le plus secret de son être, elle ne pouvait que mettre en oeuvre une culture qui ne lui appartenait que par un acte de conquête spirituelle“.
[…] Enrique González Martínez annonçait qu'il fallait “tordre le cou au cygne“ moderniste pour pénétrer dans la réalité concrète de la vie quotidienne : “Cherche dans tout chose une âme et un sens / caché ; ne te drape pas dans la vaine apparence“ […] »
« Le poème tournoie sur la tête de l'homme
en cercles proches ou lointains
L'homme en le découvrant voudrait s'en emparer
mais le poème disparaît
Avec ce qu'il peut retenir
l'homme fait le poème
Et ce qui lui échappe
appartient aux hommes à venir »
(Homero Aridjis, « Le Poème », in Brûler les vaisseaux, 1975.)
0:00 - EFRAÍN BARTOLOMÉ
1:49 - MANUEL ULACIA
3:40 - VERÓNICA VOLKOW
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5:41 - AURELIO ASIAÍN
6:12 - Générique
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Référence bibliographique :
Poésie mexicaine du XXe siècle, traduction de Claude Couffon et René Gouédic, Genève, Patiño, 2003.
Images d'illustration :
EFRAÍN BARTOLOMÉ : https://es.wikipedia.org/wiki/Efraín_Bartolomé#/media/Archivo:Efraín_Bartolomé_en_Berna,_1999.jpg
MANUEL ULACIA : https://www.lavenderink.org/site/books/manuel-ulacia/?v=76cb0a18730b
VERÓNICA VOLKOW : https://www.rogeliocuellar.mx/archivo/fotografia/4559/mx-rcu-esc-vovo-a-00020
MARISA TREJO SIRVENT : http://www.elem.mx/autor/datos/109900
AURELIO ASIAÍN : https://www.amazon.es/Aurelio-Asiaín/e/B001JWYBQ2/ref=dp_byline_cont_pop_book_1
Bande sonore originale : Mike Durek - The Good News Or The Bad News
The Good News Or The Bad News by Mike Durek is licensed under a CC-BY Attribution License.
Site :
https://freemusicarchive.org/music/Michael_Durek/Piano_Music_for_The_Broken_Hearted_1221/05_The_Good_News_Or_The_Bad_News/
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