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EAN : 9791021054165
320 pages
Tallandier (21/09/2023)
4.33/5   3 notes
Résumé :
Aimer passionnément le Moyen Age, c'est embrasser mille ans d'histoire. C'est, dans ce temps long, traquer les images stéréotypées : chaos, violence débridée, rudesse des mœurs...
Si les élites, nobles ou prélats, échappent parfois à ce sombre tableau, les petites gens en constituent la cible privilégiée. Ce livre rassemble une vingtaine de textes écrits par l'une des plus éminentes spécialistes du Moyen Age pour déconstruire pas à pas cette image qui alimen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Le Moyen Âge et les idées qu'on s'en fait
Passionnément Moyen Âge : plaidoyer pour le petit peuple se concentre principalement, vous l'aurez compris, sur l'histoire populaire à l'époque médiévale. Contrairement aux élites cléricales et aristocratiques, voire bourgeoises, il faut prendre en compte la difficulté de ces travaux ne serait-ce que par les sources disponibles. En quantité d'abord, mais aussi sur leur qualité. le peuple est raconté dans le texte par majoritairement ceux qui n'en font pas partie. Ceux et celles qui savent écrire sont ceux qui ont pu apprendre, principalement les élites susdites. Claude Gauvard s'empare de ces sources et y ajoutent surtout des archives judicaires, sur lesquelles elle est spécialiste. Enfin, chronologiquement : la fin du Moyen Âge connait plus de sources. Spécialiste de cette période, c'est bien celle-ci qui est prioritairement abordée. Ainsi, son livre très accessible et qui ne se veut absolument pas être un manuel ou une thèse mais davantage un ouvrage de vulgarisation, est empreint de son travail de chercheuse.

Claude Gauvard dans son introduction de Passionnément Moyen Âge revient sur la fascination exercée par le Moyen Âge encore aujourd'hui. Elle délivre l'historiographie de la période, les ruptures et les continuités chronologiques et leurs débats et note la complexité d'une histoire sur ce sujet dans cette période.

La première fausse que Claude Gauvard aborde est celle du « droit de cuissage ». Ce serait un droit qu'aurait exercé le seigneur à pratiquer le coït sur ses serfs, vierges de préférence. Ce mythe s'est fabriqué à trois moments. Durant le Moyen Âge lui-même où les paysans prennent conscience de leur condition et de leur classe et critiquent leurs seigneurs (et donc leurs abus). Au XIXe siècle lorsque les libéraux et républicains critiquent la monarchie (absolue) et le féodalisme et ses abus. Et enfin en France à la fin des années 1990 dans un contexte de lutte contre le harcèlement sexuel, cette fausse idée revient sur le devant de la scène lorsque les patrons sont vivement critiqués. Ce mythe a une origine avant tout idéologique, il s'opère dans le cadre d'un rapport de force entre peuple et dirigeant. En réalité, le droit de cuissage tel qu'il est imaginé n'a pas existé. Cuissage vient du mot « cullage » qui vient de cueillir (et non de « cul ») et ce mot a deux sens. C'est d'abord une taxe que deux jeunes époux doit à la communauté des célibataires du village dans lequel ils se marient. Et une autre taxe qu'un homme doit au seigneur lorsqu'il épouse une serf, et la libère de sa condition (donc perte de ressource humaine pour le seigneur).

Le deuxième débat énoncé par Claude Gauvard est l'existence ou non d'un amour ou de sentiments au Moyen Âge. Pour le savoir, Claude Gauvard définit ces mots. L'amour ou l'amitié peuvent être des sentiments (que nous connaissons aujourd'hui) mais surtout, inhabituel aujourd'hui, des codes sociaux. Au Moyen Âge, les populations parlent d'amour naturel ou d'amitié naturelle. Ils se définissent par des droits et des devoirs entre membres d'une même famille par exemple. L'amour naturel est le devoir pertinent qu'un membre de sa famille a envers un autre. L'amitié naturelle peut être éphémère : partager le pain et le vin avec le passager. Ce sont parfois des codes diplomatiques : deux princes qui se « baisent la bouche » obéissent à un rite de réconciliation diplomatique : ils font la paix. Cette amour peut être une dévotion, pour Dieu par exemple. Les sources écrites, les images, les gestes et les actions sont autant de sources qui en parlent. Elles concernent principalement les nobles, et masculins ; mais attention à ne pas oublier que le peuple en est sujet et témoin aussi.

La troisième fausse idée abordée par Claude Gauvard est l'inexistence de l'esclavage au Moyen Âge. On est ici sans doute dans l'un de mes chapitres favoris. On a souvent imaginé que l'esclavage n'existait pas au Moyen Âge. Il a existé durant l'Antiquité, puis à l'époque moderne sous les traites négrières : qu'il aurait brutalement disparu durant le Moyen Âge, remplacé par le servage. Certes, les sources sont peu nombreuses et les terminologies ambiguës (sclavus en latin pour esclave, servus pour serf, esclave, serviteur), mais cette difficulté à penser l'esclavage au Moyen Âge vient du fait que les élites qui écrivaient ne souhaitaient pas en parler et que les historiens qui ont suivi se sont focalisés avant tout sur le servage, oubliant l'esclavage. En réalité, l'esclavage a continué de l'Antiquité au moins jusqu'à la fin des guerres de Charlemagne. Les esclaves étaient capturés à l'étranger. Une pause semble avoir eu lieu. L'esclavage reprit alors aux XIIe-XIIIe siècles lorsque le besoin de main d'oeuvre se fait ressentir. Cette reprise a eu lieu surtout en Scandinavie, Espagne, à Byzance et dans les cités italiennes, là où il y a beaucoup d'échanges avec les pays d'Islam, des civilisations qui utilisent l'esclavage. L'esclave est beaucoup moins bien traité et considéré que le serf. le serf peut se marier, payer pour s'affranchir, fait partie de la paroisse alors que l'esclave ne possède rien, obéit, peut être casé (avoir un logis dans la seigneurie). On se rend compte que les esclaves ne sont à l'origine pas chrétiens, qu'ils viennent de pays étrangers. Bien que les sociétés se christianisent, les populations croyantes ne protestent pas contre la condition d'esclave. En Provence, au XVe siècle, des cas sont confirmés où des Noirs pourtant libres sont considérés comme esclaves (préjugé), et des listes d'échanges commerciaux en Italie triaient les esclaves par couleur de peau (blanc, noir, métisse). Claude Gauvard pose la question si ce ne sont là des prémices de la traité négrière durant les XIVe-XVe siècles.

Les paysans n'auraient pas d'honneur. C'est la quatrième idée abordée par l'historienne Claude Gauvard dans Passionnément Moyen Âge. Sur ce thème, l'historienne y reviendra régulièrement dans son livre puisqu'elle en est la spécialiste. Très simplement, dans les écrits aristocratiques, les actes des nobles sont empreints d'honneur. L'honneur ne concernerait d'ailleurs que le noble. le paysan, lui, est décrit comme un vilain (un laid), avec beaucoup de descriptions péjoratives. le monde paysan connait pourtant lui aussi de l'honneur affirme Claude Gauvard ! Les lettres de rémission royale (des grâces royales envoyées par le roi après une requête d'un habitant condamné) concernent beaucoup d'homicides liés au monde paysan pour des raisons d'honneur. Ces raisons peuvent être l'insulte à un membre d'une famille, et l'homicide lié à une vengeance par la mort par un membre de ladite famille. Ce droit de défense pour l'honneur est accepté par le roi puisqu'il gracie les meurtriers : ils se sont vengés pour l'honneur. Cependant note l'historienne, les pratiques liées à la défense de l'honneur deviennent à la fin du Moyen Âge de plus en plus réservées aux aristocrates : c'est le cas des duels par exemple.

Peuple et croyance au Moyen Âge
Cette partie « Croire et faire croire » est celle que j'ai le moins appréciée du livre. Claude Gauvard m'a appris beaucoup : elle évoque la construction de Notre-Dame par Maurice de Sully, très bon intendant. Il souhaitait faire de cette cathédrale à l'architecture gothique un instrument de pouvoir et de puissance de l'Église, mais aussi de son évêché dans un contexte de concurrence. Son bâtiment est aussi un lieu d'instruction, non pas nécessairement pour le peuple, mais pour le clergé lui-même grâce aux vitraux, livres et sermons prodigués par Sully.

L'historienne parle aussi de « l'autre croisade des chrétiens », non pas des conflits armés en Terre Sainte mais celle de l'instruction. le pape Innocent III au concile de Latran IV en 1215 confirme et relance l'idée d'une formation beaucoup plus forte des membres du clergé parfois jugé trop incompétent. Elle évoque dans ce chapitre la naissance des ordres mendiants qui prêchent dans les rues, dans un contexte où les hérésies montent comme les Albigeois dans le sud de la France.

Un autre chapitre aborde un épisode célèbre et adoré du Moyen Âge : la fin des Templiers. Une fois la ville de Saint Jean d'Acre perdue en Orient, l'arrêt de la Reconquista, les Templiers reviennent en France sous les ordres de Jacques de Molay. Claude Gauvard revient sur l'inaction du peuple et leur manque de réaction lorsque les membres des Templiers sont brûlés sur le bûcher par ordre du roi après des aveux (forcés) d'hérésie sous la torture. Dans ce cadre, elle aborde la fabrique de l'opinion et les rumeurs qui ont produit petit à petit à l'époque l'idée que l'ordre des Templiers n'avaient plus aucune raison d'exister, ajouté à cela le refus d'une réforme de l'ordre proposée par le pape et l'envie de Philippe le Bel d'être lui-même le fer de lance contre l'hérésie.

Enfin, Claude Gauvard revient sur les merveilles et légendes au Moyen Âge. Tout comme dans l'Antiquité, la culture savante et la culture populaire expliquent certains moments et épisodes de leur vie par des catastrophes naturelles. Ainsi, des défaites, des épidémies, des famines sont liées à la colère des dieux, manifestée par une tempête, un orage, une inondation… Toutefois, Claude Gauvard explique que la fin du Moyen Âge est aussi une période où la rationalité s'exprime, et notamment dans les tribunaux judiciaires. Ainsi, la théorie de la cruentation était la suivante : si le cadavre saignait, c'est que le meurtrier était présent sur les lieux. Cette théorie ne devient plus suffisante pour les juges qui ont besoin de preuve rationnelle. Il n'empêche pas que les légendes sont parfois produites et instrumentalisées par les élites elles-mêmes. L'historienne narre la légende de la fleur de lys comme symbole de la monarchie française. Celle-ci aurait été ramenée en même temps que la Sainte-Ampoule durant le baptême de Clovis. Une explication donnée bien longtemps après les événements, mais qui donne à la fleur de lys une dimension sacrée.

J'an néanmoins moins aimé cette partie car parfois le rapport au peuple n'était pas assez poussé et ne permettait pas à l'ouvrage d'être totalement cohérent par rapport à son sujet.

Gouverner le royaume de France
Dans une troisième partie, Claude Gauvard revient sur la construction de l'État à la fin du Moyen Âge (un chapitre qu'on peut conseiller à ceux qui préparent le concours). Plus particulièrement, elle aborde ce thème sous l'angle de la justice, sa spécialité. L'historienne mentionne d'abord le corps du roi qui se détache petit à petit de la personne : une distinction entre l'être qui incarne le roi, et le corps qui symbolise l'État. Elle raconte l'importance des soins prodigués à ce corps, et parfois les quelques malheurs à ceux qui n'arrivent pas à le soigner.

Ensuite, elle revient sur la naissance du service de l'État qu'elle place au Moyen Âge. Servir pour l'État, encore plus lorsque le roi est malade, incapable, ou fou (n'est-ce pas Charles V ?). Claude Gauvard prend l'exemple du Parlement de Paris né au XIIIe siècle (cour de justice, et d'appel) et qui tend à prendre son indépendance. Son personnel est varié mais les nouveaux membres sont recrutés parmi les réseaux de ceux qui y travaillent déjà. Cette institution devient un tremplin social pour ceux qui y travaillent, et centrale dans l'administration du royaume.

Dans un autre chapitre, elle poursuit son idée avec une question intrigante : peut-on juger les juges ? La justice devient rationnelle par la charge de la preuve, mais a aussi de plus en plus pour mission de rendre la « bonne justice » en cherchant la vérité, et non plus en rendant des verdicts pour avoir la paix sociale. Dans ce chapitre la spécialiste aborde le métier de juge au Moyen Âge qui souffre d'abord d'un déficit de légitimité auprès de la population. Cette dernière croit d'abord surtout au Jugement Dernier. Les théoriciens médiévaux avancent l'idée alors que les juges ont un pouvoir de justice délégué par le roi, et donc de Dieu. le métier de juge devient légitime. Les règles de la justice s'appuient donc sur les écrits chrétiens. Claude Gauvard poursuit sa description du métier de juge. D'abord, la difficulté du métier. Outre ceux qui pourraient avoir envie de se venger contre des peines trop lourdes, c'est la charge de rendre la « bonne justice » avec la peine exemplaire (exemplaire ne veut pas dire la plus sévère). Cette réussite permet de faire des juges des personnages centraux de l'administration monarchique, poussant même la population à utiliser elle-même la justice : c'est une judiciarisation de la société.

Sur le même thème de la justice, Claude Gauvard aborde l'idée beaucoup répandue d'un peuple très violent. Mais comment définir cette violence ? D'abord, du temps des principautés dans la féodalité (IXe-XIIe siècle), les seigneurs se faisaient souvent la guerre il est vrai. Mais un premier mouvement de paix, la paix de Dieu, eu lieu au XIe siècle pour réglementer et stopper les abus des guerres. Ensuite, pour nuancer, certaines violences sont par contre autorisées. Nous avons parler des vengeances pour l'honneur où de nombreux habitants du peuple ont été pardonnés par le roi par lettre de rémission après des homicides destinés à venger l'honneur d'un membre de leur famille. 

Dans cette partie, Claude Gauvard aborde donc la peine de mort. Très souvent exigée par les avocats mais dans l'art de mieux négocier ensuite, elle est en réalité très peu donnée. Et lorsque le coupable y est condamné, il peut demander à être gracié. Plus intéressant encore, l'historienne parle des difficultés des juges à sanctionner ainsi. Non par peur de révoltes – qui peuvent se produire – mais n'oubliant pas qu'ils sont des humains et que condamner devant Dieu à Homme à la mort est difficile.

Claude Gauvard parle ensuite de l'opinion publique et de sa création à la fin du Moyen Âge. Dans un pays cloisonné (grand, où l'on voyage peu, différentes langues), les nouvelles lois parviennent dans les territoires au bout d'un ou de deux mois. La réception de l'information dépendant aussi de l'importance de la nouvelle, de l'émetteur et du récepteur. Surtout, elle coûte très chère mais est primordiale en période de conflits. Elle aborde aussi les modalités de la transmission de l'information, les acteurs de celle-ci et la diffusion. Une information qui peut être écrite, ou orale, ou combinant les deux. Elle évoque aussi la propagande construite par une élite culturelle et politique et diffusée aux autres élites, mais aussi au peuple. Dans le cadre du conflit de la guerre de Cent Ans, l'opinion publique naît. le peuple confronté à différents partis et aux aléas de la guerre n'a pas à attendre la propagande politique pour se faire une opinion de ce qu'ils vivent au quotidien, et peuvent manifester leur opinion durant les révoltes (grande Jacquerie de 1358).

La condition féminine au Moyen Âge
Après une brève historiographie où Claude Gauvard explique que les historiens ont pris du temps à s'emparer du sujet de la condition féminine au Moyen Âge, l'historienne rappelle que les sources de l'époque sont écrites par et concernent principalement les Hommes. Dans un chapitre où elle revient sur la condition féminine à l'époque médiévale, elle relate qu'il ne faut pas être caricatural. Si certains voient dans le Moyen Âge une période où les femmes sont les plus mal considérées, d'autres y voient une époque de naissance des premières féministes comme Christine de Pisan ou encore de la pureté de la femme. Un chapitre qui peut se résumer à « Eve ou Marie », la première étant responsable selon l'Eglise de tous les malheurs des Hommes, et la deuxième le modèle à suivre. de même, dans ce chapitre, l'historienne revient sur le rapport dans l'imaginaire contemporain des femmes avec les tâches domestiques. Par anachronisme, on pourrait ainsi prétendre que les femmes médiévales qui restent à la maison sont ainsi mal considérées. Ce serait oublier que l'administration de la domus, des biens, des finances et de la famille sont des rôles importants à l'époque, tout comme les aristocrates qui sont les intercesseurs de la paix dans les conflits.

Dans cette partie, Claude Gauvard revient sur deux personnages qui ont marqué la fin du Moyen Âge : Christine de Pisan et Jeanne d'Arc, leur rôle de femmes qui se « sont faits hommes » et qui ont marqué leur milieu, leur histoire et sont à l'origine de maintes études. En particulier, l'intéressant chapitre sur Jeanne d'Arc où l'historienne revient sur le procès en sorcellerie et dont l'acte de condamnation ne mentionne justement pas que Jeanne fut condamnée pour ce motif puisque ce ne fut pas prouvé, mais uniquement pour rébellion.
Lien : https://leschroniquesdejerem..
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"Passionnément Moyen Âge : Plaidoyer pour le petit peuple". Rien que le titre de cet ouvrage de l'historienne Chaude Gauvard est un délice.

Claude Gouvard fut une enseignante chercheuse : elle est spécialiste de l'histoire politique, sociale et judiciaire du Moyen Âge.

Élève de Bernard Guenée, son directeur de thèse, elle fut influencée dans sa formation par la méthode de Jacques le Goff et devint maître de conférence à Paris Sorbonne.

Ce qui la passionne essentiellement, c'est l'influence du droit et des tribunaux, laïcs et ecclésiastiques, sur l'évolution des mentalités au Moyen-Âge : c'est un domaine très éclairant tant les sources écrites sont nombreuses.

Elle a pu ainsi laisser un peu de côté l'histoire traditionnelle, trop souvent simple chronique des hauts faits militaires tenue par les biographes officiels des seigneurs, pour se pencher sur la vie quotidienne du petit peuple, constitué en grande partie par la paysannerie (les "vilains", terme issu du latin tardif "villanus", habitant du village).

Ainsi elle a examiné divers lieux-communs à la lueur des jurisprudences et fait de multiples observations qui vont à l'encontre des clichés habituels sur l'époque qui s'étend environ de l'an mille à la fin du XIV ème siècle.

Ainsi, par exemple, l'honneur n'était pas réservé à la seule noblesse. La réputation d'un villageois était le fondement de son statut dans son groupe social et un nom entaché était source d'un grand nombre d'exclusions, notamment économiques et sur le marché des alliances.

Le droit dit de "cuissage" est un terme sur lequel un contresens fondamental a été commis lors de la révolution française et au XIX ème siècle : le mot "cuissage" vient en effet de "cullagum" ou "couillage" signifiant "cueillette" : et il s'agit bien là de cueillettes de redevances qui étaient de deux sortes : si un serf ou une serve se mariait en dehors du domaine de son seigneur, une indemnisation était prévue pour compenser la perte économique infligée à ce dernier ; mais aussi on considérait dans les campagnes que le garçon qui se mariait portait préjudice à l'ensemble des célibataires du village en leur ôtant un parti possible ; d'où une coutume d'indemnisation, le plus souvent symbolique (le marié payait un coup à boire à ses anciens compagnons, ce qui leur permettait de supporter plus joyeusement la perte d'une promise potentielle).

Très vite les ordalies (épreuves de l'eau, du feu), les jugements de Dieu et les duels dont le vainqueur était blanchi, furent règlementés puis interdits, notamment par le pouvoir religieux qui avait à coeur de ne pas laisser le champ libre à des pratiques heurtant trop frontalement le bon sens.

La place des femmes, sans être très enviable, était moins contenue dans la sphère domestique que ce ne fut le cas à partir de la Renaissance, surtout dans le redoutable XIX ème siècle : elles exerçaient des métiers, dont certains leur étaient réservés et où elles pouvaient devenir maître (dans le tissage de la soie notamment) ; elles pouvaient avoir des charges professionnelles représentatives de leur corporation. Elles étaient enfin le coeur des maisonnées, sachant que "la maison" n'avait pas le même sens au Moyen-Âge qu'aujourd'hui : la sphère du monde extérieur était beaucoup plus réduite : en-dehors de la maison se trouvait le village, puis... le grand danger des chemins bordés de forêts inhospitalières).

Les évènements miraculeux tenaient une grande place dans les mentalités, mais il ne faut pas imaginer une crédulité un peu crétine due à l'obscurantisme. Les miracles étaient collationnés après coup et servaient à illustrer dans les récits les actions militaires, les prémices d'épidémies, les incendies et autres évènements funestes (ou fastes : le couronnement d'un roi, la visite d'un dignitaire etc).
(Notons que même en ce qui concerne le dogme de la virginité de Marie, il fut assez long à sortir de l'indifférence : introduit par le synode de Latran en 649, il n'eut raison de l'incrédulité populaire que quand l'Église interdit, sous peine de sanctions, la représentation de Vierges allaitantes ou enceintes et les fit retirer des lieux publics -voir "Le chemin des vierges enceintes, une autre voie pour Compostelle" de Jean-Yves Loude).

D'autres chapitres retiennent l'attention : le grand chantier de Notre-Dame de Paris, dont Maurice de Sully ( XII ème siècle) voulut faire un livre taillé dans la pierre à visée d'enseignement et d'édification pour le clergé et le peuple : allégories et sermons y furent sculptés sur la façade, Victor Hugo n'a rien inventé ; les croisades et l'extermination de l'ordre des Templiers ; les grands mouvements d'épuration des moeurs qui ne touchèrent pas que le monde ecclésiastique et monacal, mais aussi celui des juges ; l'émergence de l'idée d'État...

"Passionnément Moyen-Âge" est un livre touchant car il émane d' une intellectuelle et d'une érudite spécialiste de l'époque médiévale, mais qui a eu à coeur de se mettre à portée du néophyte sans pour autant abandonner la rigueur de la recherche fondée sur les documents et l'archéologie.

Il en émane une grande tendresse envers les "vilains" et les "manants", trop souvent oubliés ou maltraités par l'histoire.


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La médiéviste Claude Gauvard consacre, depuis de nombreuses années, ses recherches au petit peuple, cette tranche majoritaire de la population trop souvent négligée. Elle explique que l'occultation de cette grande catégorie d'individus est principalement le fait du XIXe siècle et de ses historiens qui ont choisi de concentrer leurs études sur l'élite.
Dans Passionnément Moyen Âge. Plaidoyer pour le petit peuple sont recensés une vingtaine de textes qui visent à réhabiliter le peuple et ses réalités. Claude Gauvard souhaite restituer aux petits gens leur place, leur puissance et leur dignité. Loin d'être uniquement des analphabètes ou des êtres innocents, ils donnent la température du pays et essayent d'agir pour leurs intérêts. Souvent informés des événements qui se passent dans la région, ils ont, à leur manière, un poids dans l'horizon politique. Ils font également preuve d'honneur, de dignité et, a contrario de ce que l'on pense, ils n'usent pas de la violence injustement.
Aujourd'hui, en partie parce que le Moyen Âge a hérité d'interprétations fantasmées, les médiévistes cherchent à exhumer la vérité et sont très critiques avec leurs sources. On découvre ainsi que de nombreuses idées reçues sont fausses ou ont été mal transmises.
Par exemple, vous saviez que le droit de cuissage n'était qu'un mythe élaboré au Moyen Âge découlant de la taxe sur les formariages (mariage de serf en dehors de la seigneurie)? Ou encore que l'esclavage n'a pas disparu avec le servage. Au XIV-XVIe siècle, il y a même eu une véritable traite négrière en Europe.
L'ouvrage de Claude Gauvard permet ainsi de rétablir un certain nombre de vérités qui entrent souvent en contradiction avec ce qui nous a été transmis par l'intermédiaire des films, des romans ou encore de nos professeurs.
Un livre accessible, didactique et essentiel pour une vision plus réaliste du Moyen Âge!
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critiques presse (1)
LeMonde
27 octobre 2023
Un livre pour le peuple et sur le peuple. Un livre militant au plus beau sens du terme.
Lire la critique sur le site : LeMonde

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Vidéo de Claude Gauvard
À l'occasion de la 26ème édition des "Rendez-vous de l'Histoire" à Blois, Claude Gauvard vous présente son ouvrage "Passionnément Moyen Age : plaidoyer pour le petit peuple" aux éditions Tallandier.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2909711/claude-gauvard-passionnement-moyen-age-plaidoyer-pour-le-petit-peuple
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