Le pouvoir aujourd'hui n'a d'autre forme de légitimité que l'état d'urgence et partout et continuellement en appelle à lui et travaille en même temps secrètement à sa production (comment ne pas penser qu'un système qui ne peut désormais fonctionner que sur la base d'un état d'urgence ne soit pas également intéressé à maintenir cet état à n'importe quel prix ?).
FORME-DE-VIE, 4 (1993).
Justement parce qu'il détruit la vieille trinité État-nation-territoire, le réfugié, cette figure apparemment marginale, mérite d'être considéré, au contraire, comme la figure centrale de notre histoire politique. Il ne faut pas oublier que les premiers camps furent construits en Europe comme les espaces de contrôle pour les réfugiés et que la succession camp d'internement/camp de concentration/camp d'extermination représente une filiation parfaitement réelle.
(...) La survivance politique des hommes n'est pensable que sur une terre où les espaces auront été ainsi "troués" et topologiquement déformés, et où le citoyen aura su reconnaitre le réfugié qu'il est lui-même.
C’est dans cette perspective que nous devons envisager la réapparition des camps dans une forme, en un certain sens, encore plus extrême, dans les territoires de l’ex-Yougoslavie. Ce qui se passe là actuellement n’est pas du tout, comme certains observateurs intéressés se sont empressés de le déclarer, une redéfinition du vieux système politique selon de nouvelles dispositions ethniques et territoriales, c’est-à-dire une simple répétition des processus qui ont conduit à la constitution des États-nations européens. Il y a plutôt une rupture irrémédiable du vieux nomos et dislocation des populations et des vies humaines selon des lignes de fuite totalement nouvelles. D’où l’importance décisive des camps de viol ethnique. Si les nazis n’ont jamais pensé atteindre la « solution finale » en mettant enceintes les femmes juives, c’est parce que le principe de la naissance, qui assurait l’inscription de la vie dans le système de l’État-nation était toujours, bien que profondément transformé, en quelque sorte en état de marche. Maintenant, ce principe entre dans un processus de dislocation et de dérive où son fonctionnement devient de toute évidence impossible et où nous devons nous attendre non seulement à de nouveaux camps, mais aussi à des définitions normatives de l’inscription de la vie dans la Cité toujours plus neuves et plus délirantes. Le camp qui s’est maintenant solidement installé en elle est le nouveau nomos biopolitique de la planète. (« Qu’est-ce qu’un camp ? », 1995)
Chacun à sa façon, les textes de ce recueil proposent une réflexion sur des problèmes précis de la politique. Si la politique semble aujourd’hui traverser une éclipse persistante, où elle apparaît en position subalterne par rapport à la religion, à l’économie et même au droit, c’est parce que, dans la mesure même où elle perdait conscience de son propre rang ontologique, elle a négligé de se confronter aux transformations qui ont vidé progressivement de l’intérieur ses catégories et ses concepts. Il arrive ainsi, dans les pages qui suivent, que l’on recherche des paradigmes proprement politiques dans des expériences et des phénomènes qui d’habitude ne sont pas considérés comme politiques (ou ne le sont que marginalement) : la vie naturelle des hommes (la zoé, autrefois exclue du domaine proprement politique) remise, suivant l’indication de Foucault, au centre de la polis ; l’état d’exception (suspension temporaire de l’ordre juridique, qui se révèle en constituer plutôt la structure en tous sens fondamentale) ; le camp de concentration (zone d’indifférence entre public et privé et, en même temps, matrice secrète de l’espace politique dans lequel nous vivons) ; le réfugié qui, brisant le lien entre homme et citoyen, passe de figure marginale à facteur décisif de la crise de l’État-nation moderne ; la sphère des moyens purs ou des gestes (c’est-à-dire des moyens qui, tout en restant tels, se libèrent de leur relation à une fin) comme sphère propre de la politique.
GLOSES MARGINALES AUX Commentaires sur la société du spectacle
1.Stratège.Les livres de Debord constituent l'analyse la plus lucide et sévère des misères et des servitudes d'une société --celle du spectacle, où nous vivons -- qui a étendu aujourd'hui sa domination sur toute la planète.
Lundi 8 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Yannick Haenel tenait la conférence : L'amour, la littérature et la solitude.
Il sera question de cette attention extrême au langage qui engage notre existence. C'est-à-dire des moyens de retrouver, à travers l'expérience poétique de la solitude, une acuité, une justesse, un nouvel amour du langage. Écrire, lire, penser relèvent de cette endurance et de cette précision. C'est ce qui nous reste à une époque où le langage et la vérité des nuances qui l'anime sont sacrifiés. Écrire et publier à l'époque de ce sacrifice planétaire organisé pour amoindrir les corps parlants redevient un acte politique. Je parlerai de Giorgio Agamben, de Georges bataille, de László Krasznahorkai, de Lascaux et de Rothko. Je parlerai de poésie et d'économie, de dépense, de prodigalité, et de la gratuité qui vient.
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