Le coeur de Gilles Archambault est sombre depuis la mort de sa femme Lise, il y a 2 ans et 23 jours. C'est donc dans l'écriture et l'amitié qu'il a puisé la lumière [...]. Il en résulte un roman étonnant, prenant, différent des 31 autres livres d'Archambault: un roman sans mélancolie...
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Nous nous étions abstenus de faire l’amour pendant un mois tellement il craignait de mettre son cœur à mal. Je m’accommodais de la situation. L’amour avec lui n’était pas une expérience mémorable. J’avais connu mieux, mais je ne me plaignais de rien. Je suis ainsi, j’aime bien baiser, mais je peux m’en passer. Il y avait aussi la drôlerie de l’affaire, cet homme plutôt élégant que la plupart des femmes du Québec imaginaient être un chaud lapin était au lit un amant plutôt médiocre. Je me gardais bien de l’humilier, il n’était pas un mauvais bougre. Vantard, d’accord, mais était-ce si grave ? J’ai toujours été influençable. Il suffisait qu’il s’adresse à moi sur un certain ton pour que je fonde. Même lorsqu’il a pris l’habitude de me tromper, j’étais sous le charme.
Il m’appelle à tout moment. À nous entendre, on ne dirait jamais que nous ne vivons plus ensemble depuis une quinzaine d’années. Que me voulait-il cette fois ? S’apitoyer sur son sort, gémir, pester contre l’ingratitude des metteurs en scène qu’il avait aidés à leurs débuts et qui l’ignoraient sans vergogne ? Même refrain en ce qui a trait aux réalisateurs de cinéma. Sa chanson, qui tourne toujours autour de la solitude, je la connais par cœur. Il me la chante, sans tellement la modifier, deux ou trois fois par année autour d’un café. Il aurait voulu réunir une quinzaine de personnes qui ne l’auraient jamais trahi. L’occasion, un anniversaire. Pas le sien, c’était il y a trois mois. Je n’y étais pas, il entendait marquer d’une pierre le quinzième anniversaire d’un film. Son plus grand succès. Qui serait présent ? Suivait une énumération gênée. Il savait que je ne
Il y a des jours où le passé me paralyse. De toute manière, il va falloir que je me défasse de tout un jour prochain. Elle avait raison, il n’est pas mal, mon appart. Un peu trop grand pour moi, sept pièces. Depuis que je vis seul, je ne sais plus où donner de la tête. Yves et Marie-Paule sont mes deux seuls amis. Luc, je l’aime bien, mais enfin. Les autres se sont évanouis. Au début, je m’en félicitais. Je trouvais un peu lassantes les mondanités qui jusque-là avaient été mon ordinaire. Vous, les artistes, me dit souvent Yves, vous avez besoin de cette rumeur-là. Et vous, les écrivains, de quoi vous nourrissez-vous, sinon de vos petits lancements, de vos prix ridicules, des médailles que de guerre lasse on finit par vous décerner ? De belles joutes qui se terminent toujours par un verre.
J’ai l’habitude d’écrire des livres. Une bonne dizaine à ce jour. Je ne suis pourtant pas parvenu à me tenir pour un écrivain. Mes romans me sont parfois un poids, j’arrive mal à les assumer. Quand on paraît leur accorder une certaine importance, il me semble souvent que cet état de choses ne saurait durer. On s’apercevra bientôt qu’il y a dans l’entreprise même de mon écriture une fausseté, une tricherie qui sera mise au jour. À ce moment-là, comment vais-je réagir ? Vais-je imiter Ghislain, accuser le milieu, le taxer d’ingratitude ? Il ne s’est pas aperçu qu’il y avait dans son jeu une superficialité qui allait finir par l’anéantir. Mes romans feraient exception ? Je voudrais bien le croire.
À quatorze ans déjà, on me prenait pour une lolita. J’avais des seins, je savais comment remuer les fesses en marchant. Au début, j’aimais bien. Les garçons ne m’étaient pas indifférents. Puis, je me suis lassée. Un temps, je me suis habillée sobrement. C’était au moment du tournage du film qui nous réunit ce soir. Quel en était le titre, au fait ? Je n’arrive jamais à le trouver. Tellement banal, ce film, je n’ai pas cru un seul instant à l’histoire qu’il racontait. Cette peine indéfinissable, voilà, je l’ai. Le scénario qu’Yves avait écrit n’était pas si mauvais, terne comme lui, mais ses dialogues étaient d’une fausseté lamentable.
Une chose est certaine, il n’y a rien de contraignant pour elle dans cette conversation. Déjà trois fois qu’elle rit bruyamment. Elle doit parler avec Serge, à moins que ce ne soit avec Isabelle, sa compagne. Comment Valéria fait-elle pour vivre avec un éteignoir dans mon genre ? Nous n’avons presque plus de relations. Ghislain n’a jamais compris que je n’aie pas en ce domaine les mêmes attentes que lui. J’ai toujours été modéré. Méfie-toi, me rappelle Ghislain, quand tu auras atteint mon âge, que tu ne pourras plus baiser avec la même aisance, tu regretteras d’avoir fait le difficile.