Philippe Ariès (Blois, 21 juillet 1914 - Toulouse, 8 février 1984) était un historien, essayiste et journaliste français. Auteur incontournable de l'histoire des mentalités et des attitudes de
l'homme devant la mort, qui stimule encore aujourd'hui le développement historiographique sur ces thématiques. Toute la réflexion historique sur la question se positionne par rapport aux travaux de
Philippe Ariès qui constituent un véritable tournant historiographique majeur. Même si ses idées et conclusions ont été remises en question par les nouvelles générations d'historiens, il demeure un historien fondateur. Aucun historien travaillant sur la mort ou sur les mentalités, de manière générale, ne peut occulter les travaux de
Philippe Ariès. Il est également connu pour avoir travers sur l'histoire de la famille et plus particulièrement sur le sentiment de famille, où il s'était rendu compte que ce sentiment, qu'on disait très ancien et plutôt menacé, était en fait très moderne.
Pour revenir au livre, il se décompose en deux grandes parties. La première comporte un court essai, dont le nom est indiqué sur la première couverture, tandis que la seconde partie expose une série d'articles de revues et de communications issues de colloques rédigés et émis par l'auteur lui-même. L'objectif de son étude a déjà été un peu exposé plus haut, il s'agit de rechercher et de réfléchir aux attitudes de
l'homme devant la mort dans nos cultures chrétiennes occidentales. D'ailleurs,
Philippe Ariès revient sur le pourquoi du comment il a décidé d'aborder ce sujet. Il évoque le culte envers les cimetières, amenant son lot de pèlerins auprès de tombeaux, qui intrigue notre auteur. C'est par cette observation qu'il est à poussé à entamer une étude de ce genre. Car rappelons-le : la question que pose l'historien au passé, émerge dans le contexte contemporain de l'historien et par rapport à ses réflexions et son regard. En histoire, comme le disait
Marc Bloch, « le passé et le présent s'interpénètrent ». Les éléments qui nous servent à reconstituer le passé sont trouvés par l'observation de l'homme (d'aujourd'hui).
Pour rapidement présenter l'essai, l'auteur propose une chronologie en quatre temps censée résumer l'évolution de nos attitudes devant la mort :
D'abord, a première phase est nommé « mort apprivoisée » (Antiquité-XIe/XIIe siècle). Durant cette phase, les hommes avaient une relation très familière avec la mort. Ils avaient l'habitude de la côtoyer et chacun se préparait à sa propre mort. le moment de la mort était vécu de façon rituelle en public. Les vivants et les morts coexistent et se côtoient. Pour lui, cette attitude ancienne de la mort était « à la fois familière, proche et atténué, indifférente, s'oppose à la trop à la nôtre où la mort fait peur au point que nous n'osons plus dire son nom » (p. 24). Philippe Ariès considère que c'est le parfait opposé de notre représentation actuelle. L'auteur parle également de coexistence entre les vivants et les morts et évoque la promiscuité dans un même lieu. Par exemple, il y avait en un même endroit des sépultures et un véritable quartier.
Ensuite, la deuxième phase, Philippe Ariès observe des inflexions qui arrivent progressivement et qui concernent le Moyen Âge dit « central ». Pour lui, la mort prend un sens dramatique et personnel, il résume ce phénomène par le titre : « la mort de soi ». Les gens vont commencer à redouter leur propre mort et vont chercher à s'intéresser à leur propre salut. Pour lui ce changement par rapport à la période précédente s'expliquerait par la montée de l'individualisme, par les progrès de l'individu dans les sociétés médiévales. Une relation s'est établie « entre le mort et la conscience qu'il prenait de son individualité » (p. 44).
Dans une troisième phase, appelée « la mort de toi » (XVIIIe – moitié du XIXe siècle) les hommes se soucient plus de la mort de leur proche que de leur propre mort. In sens nouveau est donné à cette dernière, « la mort est désormais de plus en plus considérée comme une transgression qui arrache l'homme à sa vie quotidienne (p.47). Il y a le développement de la société romantique, c'est la grande époque des éloges funèbres. C'est aussi le moment où un instrument extrêmement important apparaît : le testament, où le mourant pouvait exprimer ses idées, ses désirs et ses sentiments. En dernier lieu, le culte des morts dans des monuments personnels apparaît également où la visite au cimetière confère au défunt une forme d'immortalité par le souvenir (Car quand est-ce qu'un homme meurt ? Quand son souvenir tombe dans l'oubli!).
Enfin, la dernière phase, nommée « la mort occultée » ou encore « la mort interdite », qui s'apparente à notre époque actuelle ou la mort devient un tabou. Jusqu'à maintenant, les changements évoqués dans les comportements étaient lents et se situaient dans le temps long. Mais ici il s'agirait d'un changement brutal de par la révolutions des idées et des sentiments traditionnels envers la mort depuis environ la seconde moitié du XIXe siècle. « La mort, si présente autrefois, tant elle était familière, va s'effacer et disparaître. Elle devient honteuse et objet interdit » (p.61). Dans ce chapitre, Philippe Ariès expose un point qui me semble très intéressant . La mort nous nous touche, nous affecte, nous fait souffrir mais nous n'avons plus le droit de l'exprimer et dire tout haut ces émotions et ces sentiments. « Une causalité immédiate apparaît tout de suite : la nécessite du bonheur, le devoir moral et l'obligation sociale de contribuer au bonheur collectif en évitant toute cause de tristesse ou d'ennui, en ayant l'air d'être toujours heureux, même si on est au fond en détresse » (p. 66).
La deuxième partie est tout aussi intéressante, les différents articles viennent étoffer le propos de l'essai. On y trouve de nouvelles preuves qui viennent alimenter le discours de
Philippe Ariès ainsi que des thématiques un peu trop survolées dans la première partie (qui ne fait qu'environ 70 pages).
le caractère un peu poussiéreux des idées et conclusions avancées au sein de l'essai et des articles présents dans ce livre n'enlève en rien l'intérêt que l'on peut lui porter et le fait qu'il reste un obligatoire de l'histoire des mentalités. Pour aller plus loin et opposer aux idées d'Ariès de nouvelles interprétations, on peut par exemple citer l'ouvrage de
Danièle Alexandre-Bidon et
Cécile Treffort qui s'intitule : "À réveiller les morts. La mort au quotidien dans l'Occident médiéval. Pour rappel, selon
Philippe Ariès, la mort chrétienne était plutôt acceptée au Moyen Age (une mort paisible et acceptée).
Danièle Alexandre-Bidon et
Cécile Treffort développent l'idée que la mort apprivoisée que décrit
Philippe Ariès ne concerne que l'idéal ecclésiastique que l'Eglise cherche à véhiculer alors que la réalité du vécu des gens ne serait pas prise en compte par cette représentation « élitiste ».
Il en reste que le livre de
Philippe Ariès est frappant et parfois poignant dans les comparaisons directes que l'auteur réalise entre notre société actuelle et celles du passé. J'avoue m'être parfois reconnu dans certains comportements, attitudes et sentiments face à la mort, d'autant plus que l'ouvrage est admirablement bien écrit.