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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
À Blémond, petite ville normande partiellement détruites par les bombardements anglo-américains, Archambault, ingénieur de profession, écoute sa fille Marie Anne jouer un air d'Edith Piaf au piano. Il est si fier de sa fille qu'il s'imagine que c'est du Chopin. Celle-ci s'est amourachée du fils Monglat issu d'une famille enrichie dans les trafics et le marché noir, mais résistante de la onzième heure. L'ingénieur a été contraint par la mairie d'héberger René et Maria Gagneux, couple d'ouvriers communistes et leurs quatre enfants. La cohabitation est déjà difficile, les deux femmes se disputant souvent au sujet de la cuisine. Et comme si cela ne suffisait pas, dans l'appartement déjà bien occupé, s'est ajouté un autre réfugié, Watrin, prof de maths sentencieux et un brin philosophe qui avait vu sa maison détruite dans un bombardement. C'est le temps de l'Epuration, de la chasse aux collabos. Il s'en trouve d'ailleurs un qu'Archambault, très imprudemment, autorise pour un temps à se cacher chez lui…
« Uranus » est un roman social se déroulant à une époque assez terrible, où les Français ne s'aiment plus, où l'on dénonce à tout-va, où les femmes sont tondues pour avoir eu une faiblesse avec un soldat allemand, où un milicien se retrouve sauvagement torturé en public, les yeux crevés par une petite frappe laquelle s'en prend ensuite à Léopold, brave cafetier du coin, ancien lutteur de foire et grande gueule, outrée de se retrouver, sans la moindre raison, derrière les barreaux. le lecteur devine dès le début que toute cette histoire ne pourra finir que par un drame. Les personnages sont fort bien campés, tous pleins d'humanité. Il n'y a pas vraiment de héros, rien que de petites gens avec leurs qualités et leurs défauts. Aymé montre parfaitement que dans les périodes difficiles, ce n'est pas le courage et encore moins l'altruisme qui règnent en maîtres, mais plutôt la lâcheté, les petits calculs, l'égoïsme et le conformisme moutonnier. Très agréable à lire (même et surtout à notre époque…) ne serait-ce que pour l'intérêt historique et pour le style inimitable de l'auteur, un des très grands de la littérature française du XXè siècle.
Lien : http://www.bernardviallet.fr
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« C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle?
Moi, si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien »
Ces quelques vers d'Aragon, qui parlent pourtant d'autre chose et d'une autre guerre , sont sans doute le meilleur commentaire de ce livre.
A Blémont, fin 45-début 46, c'était un temps déraisonnable ; la ville avait été détruite aux trois quarts dans les derniers jours de la guerre par un bombardement d'origine indéterminée, peut-être pas imputable aux Allemands comme on veut le croire, la guerre était finie, mais on se battait encore entre Français ; tout avait changeait de pôle, la légalité de la veille était le crime d'aujourd'hui, les communistes et leur chef Ledieu commandaient aux gendarmes, et le trafiquant de marché noir Beuglat aux ministres ; et l'on pourrait continuer encore. En tout cas la pièce n'était pas drôle, quoique...du point de vue d'Uranus...
Telle est la vision qu'en donne Marcel Aymé dans ce livre, écrit à chaud et paru en 1948, qui le fit passer aux yeux de certains pour le collaborateur qu'il n'était pas.
Les acteurs de la pièce : l'ingénieur Archambaud et sa femme et ses enfants, qui doivent héberger quelques sinistrés, l'ouvrier communiste Gaigneux et sa famille et le professeur Wavrin, mais aussi le collaborationniste Loin, recherché par la police et caché par Arcambault, le cafetier Léopold, dont l'établissement doit héberger les cours du collège détruit par le bombardement et grâce à ces cours s'est pris de passion pour Andromaque, quelques communistes, les gendarmes, le trafiquant de marché noir Monglat, quelques figurants (*)...et puis la planète Uranus, qui tient le rôle-titre grâce à Wavrin.
Wavrin, qui lisaif le chapitre consacré à la planète le soir du bombardement ; cela a transformé sa vision du monde. Il nous l'explique en même temps qu'à l'ingénieur Archambaud  dans la citation ci-après, qu'il est souhaitable de lire en complément de ma critique.
Et la pièce va se jouer sous nos yeux. Est-elle ou non drôle ?



(*)Si vous voulez, vous pouvez vous amuser à voir Wavrin sous les traits de Noiret et Léopold sous ceux de Depardieu, qui en ont tenu les rôles dans le film homonyme de Claude Berri sorti en 1990
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Quelle connaissance du genre humain…
Avec toutes ses faiblesses, ces turpitudes, ses mensonges et ses bassesses.
Mais aussi sa sincérité, ses élans de solidarité, sa tendresse…
Le tout rapporté avec humour Marcel Aymé. Ses personnages finissent tous par être presque, voire même réellement sympathiques, malgré leurs défauts.
Outre l'intérêt historique de cet ouvrage, il y a là un témoignage intemporel sur notre humanité. Un peu de blanc, un peu de noir, beaucoup de gris plus ou moins foncé.
Rajoutons le plaisir de lecture en pensant à l'incarnation des personnages par les acteurs du film de Berry des années 90; Noiret, Marielle, Depardieu, Luchini, Galabru, la distribution est prestigieuse et parfaitement accordée aux caractères.
Et n'oublions pas l'intérêt historique de l'ouvrage, un des premiers à s'attaquer au mythe d'une France toute résistante, voulu par De Gaulle pour réconcilier le pays.
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Grand classique de notre patrimoine littéraire écrit en 1948 ou quand libération rime avec épuration (rime riche !), et assurément le meilleur livre que j'ai lu cette année.
Roman sous forme de pamphlet et de réquisitoire implacable sur une sombre période relativement récente et peu flatteuse de l'histoire de France et qui pourrait sous certains aspects faire écho à l'époque actuelle ou à un possible avenir. L'Histoire a parfois tendance à se répéter et on pourrait dans des circonstances similaires voir ressurgir toute l'étendue de la connerie humaine qui, de nos jours, serait portée au centuple à voir comment la bêtise et la haine circulent sur certains réseaux sociaux.
On le sait bien l'homme est capable du pire comme du meilleur, c'est pour cela que ce roman sert de repère, de mise en garde, en tous cas moi je l'ai pris comme tel. Un petit examen de conscience de temps en temps ça ne peut pas faire de mal, au contraire, et la littérature sert aussi à ça.
Pourtant au-delà du contexte pesant et malfaisant de toute cette histoire, le roman ne souffre d'aucune lourdeur tant les personnages et les situations sont à la fois rocambolesques et tout à fait crédibles, on peut dire que tout le monde en prend pour son grade.
Et que dire du style ? Un régal, un véritable plaisir de lecture agrémenté ici et là de savoureux dialogues, aussi je ne peux m'empêcher de finir ce petit billet sans faire part de cette drôle de citation extraite du XIIIe chapitre:
"Toute littérature était suspecte à Arcambaud, mais il se défiait surtout de la littérature romanesque qu'il considérait comme l'un des plus grands fléaux de l'époque. On ne peut pas, disait-il assez littérairement, être à la fois dans l'arène et sur les gradins; lire des romans, c'est voir la vie en spectateur et c'est perdre l'appétit de la vivre pour son compte. Il affirmait que les romans, même et surtout les bons, avaient tué en France le désir d'entreprendre, abruti la bourgeoisie et conduit le pays à la défaite de 1940".

Les fervents lecteurs de Babelio apprécieront...
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Uranus/Marcel Aymé (1902-1967)
Il a fallu une bonne dose de courage et d'habileté à Marcel Aymé pour oser écrire et surtout faire publier ce roman trois ans seulement après la fin de l'Occupation Allemande, soit en 1948. Publication qui fit polémique d'ailleurs tout autant que la sortie en 1990 du film de Claude Berri.
Marcel Aymé cultivera toute sa vie son statut d'écrivain politiquement incorrect et restera toujours difficile à classer, sa verve s'attaquant avec autant d'âpreté aux uns et aux autres. Il sera finalement qualifié d'anarchiste de droite par la critique.
L'histoire se passe dans un petit village de province dénommé Blémont, encore un champ de ruines qui a subi d'intenses bombardements ayant entrainé la nécessité du partage des habitations en faveur des sinistrés, ce qui va créer une promiscuité de tous les instants et induire des situations souvent cocasses .
Les personnages principaux :
Archambaut, ingénieur, homme de haute taille avec un air de bon géant placide et réfléchi conférant à ses paroles une autorité naturelle. Souvent distrait.
Marie-Anne, sa fille qui court le guilledou.
La Famille Gaigneux, militante communiste, sinistrée, qui occupe une partie des locaux des Archambaut.
Monglat, l'ancien collaborateur devenu très riche.
Watrin le professeur, sinistré également, le rousseauiste rêveur moralisateur optimiste qui affirme : « Surtout soyez de bonne humeur. Pensez aux satisfactions que vous allez trouver maintenant dans l'hypocrisie. » Il est féru d'astronomie et obsédé par la planète Uranus dont la connaissance lui a appris à se méfier des au-delà et des infinis pour concentrer davantage toutes ses forces d'amour sur le champ de la vie terrestre.(D'où le titre du roman).
Léopold le cafetier, une force de la nature.
Jourdan le prof communiste qui sème la zizanie et considère la dénonciation comme une chose naturelle dès l'instant où elle sert les intérêts de la cause ; pour lui, toute disposition au mouchardage est une vertu révolutionnaire.
Et Maxime Loin, journaliste anticommuniste qui rêvait d'une Grande Allemagne et se terre nuit et jour.
Tout ce petit monde où se mêlent résistants de la dernière heure et communistes opportunistes aux collaborateurs plus ou moins pétainistes ayant su faire en catimini de bonnes affaires durant l'Occupation allemande, fait montre de tous les traits de caractères de l'humanité où l'hypocrisie et la lâcheté le disputent à la délation et le soupçon accusateur.
Cet ouvrage méconnu, brûlant réquisitoire contre la lâcheté et la bêtise humaines est un chef d'oeuvre de la satire où un humour savoureux reste toujours présent en dépit du caractère accablant de cette époque d'épuration où le drame pouvait à chaque instant s'abattre sur vous.
À lire impérativement ce récit dramatique passionnant, cette véritable étude sociale pour qui veut connaître ce que furent ces années noires et passer un très bon moment de lecture dans une langue française parfaite au vocabulaire d'une richesse incomparable.
Extraits : Jourdan, le professeur communiste s'exprimant face à Watrin:
« Fromantin, pour moi, est le prototype du socialiste français. Avec ses phrases onctueuses, sa dialectique en tire-bouchon, sa voix grasse, retroussée, ses indignations trémolantes, ses regards au ciel et son sale petit rire cochon, il est le parfait tartufe du marxisme. »
Watrin s'adressant à Jourdan :
« Jourdan, vous avez vingt sept ans, vous êtes communiste et vous le resterez, car vous n'êtes plus le fils d'une femme. Vous êtes le fils de vos lectures. »
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Nous sommes en juillet 1945. Dans la petite ville provinciale de Blémont, toute la France a résisté à l'Occupant allemand, toute la France oui, toute la France était communiste ou gaulliste, sauf quelques miliciens. de toute façon, ils ont été lynchés, et ce n'était que justice. Sauf aussi quelques profiteurs du marché noir, mais ils sont en prison ; ou ils le seront bientôt, ce n'est qu'une question de temps.
Et les autres alors ? Tous ceux qui ont "tout bonnement consenti, par [leur] silence, aux crimes des autres [...] les lâches et les hypocrites, mais c'est ce qu'il faut être en ce moment". En réalité, loin des discours de propagande des autorités gaullistes, des journalistes et des partisans communistes, tout le monde a attendu, tout le monde a attendu lâchement. le mari s'est réjoui de la mort de sa femme adultère dans un bombardement, le cafetier s'est enrichi en servant les Allemands, le jeune homme a pris le maquis quelques semaines avant la fin pour se donner une bonne image, l'ingénieur de l'usine n'a rien dit et n'a rien fait...
Uranus est donc la chronique d'un village français sous l'Occupation, dans toute sa crudité historique nue : les Français ne sont pas des héros, pas tous des salauds non plus, mais pour beaucoup des attentistes silencieux, qui ont laissé faire, laissé dire, voire ont essayé d'en profiter pour certains. Ce qui est fascinant d'un point de vue purement historiographique, c'est la force de ce roman par rapport à sa date de sortie, 1948, alors que, pour réconcilier la France, De Gaulle insiste sur l'idée d'une seule France, d'une France combattante et résistante, comme dans son discours lors de la Libération de Paris : Paris a été libéré "avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle" (25 août 1944). C'est ce que l'historien Henry Rousso a appelé le mythe résistancialiste.
Or, Marcel Aymé livre une vision très différente : on croise peu de vrais résistants sur les 100 000 recensés, un seul collaborateur vraiment actif par idéologie sur les 100 000, mais tous les autres personnages font partie de la masse des Français focalisés sur leur propre survie, ne dédaignant pas quelques trafics par appât du gain.
Cependant, alors que le roman pourrait être très noir, très sombre, très pessimiste, il est, malgré sa crudité, d'une grande lumière. D'abord, grâce au personnage de Wautrin. Ce professeur a été tellement traumatisé par les bombardements, la mort de sa femme, la captivité de son fils, qu'il trouve désormais du réconfort dans toute chose, surtout dans la contemplation de la nature. Il s'émerveille du soleil, des oiseaux ou des fleurs des champs. Et aussi grâce au personnage de Marie-Anne. Elle n'est qu'un personnage secondaire, mais c'est la seule qui ne vit pas dans le passé mais dans l'avenir, et qui veut quitter la ville. Elle a des désirs et des projets, elle veut vivre.
Une lecture décidée par hasard, qui m'a bien plu, où j'ai retrouvée un peu de la fantaisie et de l'humour parfois grivois de la Jument verte lue il y a quelques mois, mais, surtout, avec une description de la France de Vichy d'une grande force.
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La ville de Blémont est libérée depuis peu et une partie de la cité est encore sous les gravats. Ainsi, nombreux ont été relogés chez l'habitant, plusieurs familles se partageant un même appartement. Une promiscuité source de nombreux problèmes.
Pour ne rien arranger, un collaborateur (Maxime Loin) est en cavale. L'ingénieur Archambaud, pris de pitié, le cache chez lui. Mais son appartement, outre sa femme et sa fille, est occupé également par les Gaigneux, des communistes militants, et le professeur Wattrin, un doux rêveur, veuf depuis peu sans être pour autant éploré (bien au contraire !).
Autour d'eux gravitent de nombreux personnages qui s'agitent, se bagarrent, se chicanent, se surveillent et se craignent. Car peu d'entre eux peuvent être fiers de leur attitude durant le conflit : entre une collaboration passive, le marché noir, les communistes arrivés en guerre sur le tard, les résistants de la dernière heure. Sans oublier les exactions durant la Libération que beaucoup souhaiteraient oublier.

Marcel Aymé dans ce roman se plait à illustrer toutes les bassesses et petites lâchetés des français sous l'Occupation. Monglat qui a fait fortune avec le marché noir et ne sait que faire de son argent, de peur que celui-ci révèle son trafic avec les allemands. Rochard, syndicaliste, qui veut tout bousculer pour cacher son inaction durant le conflit. Jourdan, marxiste issu de la bourgeoisie, qui ne rêve que du Grand soir pour cacher sa frustration de ne faire famille avec les communistes du cru. Sans oublier Léopold le cafetier, complice du marché noir, qui se retrouve au milieu de toutes ces intrigues alors qu'il ne rêve que de poésie et de vin blanc. Et tous ceux qui sont passé du Maréchal au Général sans se dégrader pour autant.
Un roman publié en 1948 et qui ne fut sûrement pas apprécié par tous à l'époque. Adapté avec réussite en 1990 par Claude Berri (avec l'inoubliable Gérard Depardieu dans le rôle du bistrotier). Une formidable réussite, une comédie cruelle et joyeuse pour une sombre vision de l'être humain.
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L'histoire, dit-on, est faite par ceux qui la font (pardon, par ceux et celles qui la font), nous sommes bien d'accord. Mais ceux et celles qui la racontent, c'est une autre histoire, je dirais même plus, c'est une « autre » histoire, c'est une vérité recomposée. Tous les historiens et romanciers vous le diront (je le suppose n'en connaissant pas personnellement) : si on a devant soi sur la table, les faits, avec toutes les preuves, en revanche les causes, les effets, les motivations, tout ce qui n'est pas matériellement prouvé, reste du domaine de l'interprétation. La logique bien sûr permet de combler quelques trous, mais tout le reste peut être soumis à discussion, voire à polémique. Et quand on touche à des sujets sensibles – en gros ceux qui nous touchent personnellement) – je vous raconte pas (comme dit mon fils qui met des négations partout, sauf dans sa façon de parler).
« Uranus », publié en 1948, est pour Marcel Aymé un certain coup de culot, d'audace et certainement de courage. A cette époque les esprits étaient échauffés, et les têtes près du bonnet (surtout certaines femmes qui avaient payé de leur chevelure le trop plein de courage de certains de leurs concitoyens). le roman évoque clairement la période de l'Occupation et de la Résistance, que nous connaissons en long en large et en travers, et celle de l'épuration, plus discrètement évoquée dans nos manuels scolaires. Il ne s'agit pas ici de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, encore moins de juger et condamner. La chose certaine c'est qu'il y a eu globalement un combat entre la barbarie et la civilisation, mais le problème c'est que les combattants étaient des êtres humains, donc tour à tour barbares et civilisés, suivant qu'ils étaient guidés par leur esprit, leur coeur ou leur âme, ou bien leur portefeuille, ou encore autre chose encore plus bas… Marcel Aymé, on le connait : il ne fait pas dans la dentelle. Vous vous souvenez de Jean Dutourd et de « Au bon beurre » ? Côté causticité, c'était déjà du costaud. Marcel Aymé, c'est pareil, il va peut-être même plus loin dans la dénonciation de la veulerie, de la malveillance, de la délation, du manque de scrupule, de l'opportunisme…
Nous sommes à Blémont, un patelin qui pourrait être n'importe où, y compris chez vous ou chez moi. Léopold est cafetier. Mais pas n'importe quel cafetier. C'est un cafetier, sans doute un peu alcoolique et un peu brut de pomme, mais il est du style du cuisinier Ragueneau dans « Cyrano » : il a des prétentions littéraires, et une prédilection pour Racine, en particulier « Andromaque ». Aussi quand, à la suite de bombardements, son café (le « Café du Progrès ») devient l'école du village, il est aux anges. Entre les cours de français où il se délecte et les conversations de comptoir où il tient sa place, il ne s'ennuie pas. C'est que la clientèle, c'est du premier choix : des néo-résistants de la dernière heure, des trafiquants de marché noir, des militants communistes, socialistes, tout ce que vous voudrez, des nostalgiques du Maréchal, etc. etc. de calomnies en délation, les ignominies qui avaient cours sous l'Occupation se perpétuent, elles changent seulement de camp, et pas toujours.
Et tout ça sous l'oeil de Marcel Aymé. En fait c'est lui le seul personnage positif de cette histoire : son regard à la fois malin et cinglant, d'une terrible lucidité, est impitoyable. Pourtant il n'accable pas ses personnages, il ne les défend pas non plus. Certains critiques ont cru voir dans ce roman une réhabilitation du maréchalisme, d'autres une dénonciation du gaullisme naissant sur les mythes de la Résistance, billevesées que tout cela : s'il y a dénonciation, c'est celle de la bêtise et de la bassesse humaines. « L'homme est une laide chenille pour celui qui l'étudie au microscope solaire » disait Alexandre Dumas dans « le Comte de Monte-Cristo ». Marcel Aymé ne disait pas autre chose :
« Je ne dis pas que vous soyez un hypocrite, mais il y a des époques où le meurtre devient un devoir, d'autres qui commandent l'hypocrisie. le monde est très bien fait. L'homme a en lui des dons qui ne risquent pas de se perdre. »
Je n'ai pas besoin de vous conseiller le magnifique film de Claude Berri (1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Philippe, Noiret et Michel Galabru (entre autres) ...

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La première question que je me suis posée c'est de me dire pourquoi mettre une critique pour un auteur aussi célèbre et une oeuvre aussi connue (elle a donné naissance à un film récent)? La critique est simple c'est un livre plaisant à lire et qui apporte de la joie. C'est suffisamment rare pour être remarqué. Je dois reconnaitre que j'ai pleuré de rire en le lisant. C'est simple le jour où votre moral est en berne lisez Marcel Aymé!
C'est une belle écriture. L'auteur se moque gentiment des personnages. L'émotion et le rire sont toujours proche chez Marcel Aymé c'est la marque de ce grand écrivain.
Faites vous plaisir ouvrez ce livre!
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Un roman dans lequel Marcel Aymé nous livre un conte philosophique historique. L'intrigue sert la réflexion et nous interroge sur l'après-guerre, dans cette France scindée en deux, celle des collaborateurs et des résistants, celle des vainqueurs et des matamores, celle des patriotes et des ennemis. Et surtout celle de tous ceux qui ont attendu que ça se passe...
« Cette vague d'hypocrisie, qu'il croyait voir déferler sur la France, prenait maintenant à ses yeux des proportions grandioses. »
Troisième volet d'une trilogie consacrée à la Deuxième Guerre Mondiale (avant-guerre, Occupation et ici Libération et épuration, époques que l'auteur a bien connues, lui qui fut même un temps mal vu après avoir publié dans des revues collaborationnistes tels que Gringoire ou Je suis partout), ce livre nous questionne sur le bien-fondé de nos choix, de nos actions ou de nos passivités, tout en finesse, sans aucun manichéisme, mais en toute impitoyable lucidité. Par le biais de situations cocasses, ridicules, follement dangereuses, paradoxales.
Dans ce récit truculent, avec l'humour percutant et ravageur et la grande acuité d'observation qu'on lui connaît, Marcel Aymé campe avec tendresse, mais sans illusions des personnages qui doutent, tâtonnent, essaient, cherchent à se racheter, s'arrangeant comme ils peuvent avec leur conscience, se réinventant tant bien que mal un futur... Profondément humains.
Désabusé, mais serein, féroce, mais indulgent, il fait le bilan désenchanté de cette période sombre et ambivalente de notre histoire dont les plaies sont encore à vif (écrit en 1948) et renvoie finalement tout le monde dos à dos, avec toutefois une affection particulière pour celui qui s'efforce de se dégager de l'influence mortifère d'Uranus pour décider d'aimer cette vie qui ne lui a pas été ôtée, à tout prix. Tout un symbole...
« Il pensait à tous ces hypocrites, au nombre desquels il se comptait lui-même, et que rien n'obligeait à taire leurs convictions ni à feindre d'en avoir d'autres. »
La drôlerie dévastatrice d'Aymé ne nuit pas à la gravité du sujet, bien au contraire, et le comique – irrésistible – sert un propos qui nous laisse ébranlés, perplexes et émus.
« Désoeuvré, il tourna autour de la table, puis réfléchit à une disposition des meubles qui eût laissé plus d'espace pour se mouvoir. Par exemple, on pouvait mettre la commode sur la desserte et le bonheur-du-jour sur le secrétaire. »
Du grand Marcel Aymé, avec beaucoup d'échos dans les traumatismes, inquiétudes, clivages, fractures et montées des intolérances actuels. À lire ou relire sans plus tarder.
Lien : https://sharingteaching.blog..
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