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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il fallait un courage hors de pair pour oser publier, en 1948, un livre tel que cet "Uranus", brillant et féroce réquisitoire contre la lâcheté et la bêtise humaines. Or, le courage, ce n'était certes pas ce qui faisait défaut à Marcel Aymé.
Il imagine une petite ville provinciale qui sort tout juste de la Seconde guerre mondiale. Les rares collaborateurs qui ne sont pas parvenus soit à retourner leur veste, soit à se réserver des appuis dans les plus hautes sphères ont été liquidés par les FFI. Un seul rôde encore, affirme-t-on, un certain Maxime Loin, un journaliste viscéralement anti-communiste qui s'est laissé prendre au mirage de la "Grande Allemagne."
Pour le reste, c'est l'heure de gloire du Parti communiste. Il lorgne cependant d'un oeil méfiant vers le Parti socialiste qui, plus modeste mais bien résolu, rêve de rogner peu à peu la suprématie des "Rouges", grands vainqueurs de cette guerrre pour l'unique raison qu'Hitler eut la bêtise de rompre le pacte germano-soviétique.
En cette période de reconstruction, les appartements et maisons préservées par les bombes ont été réquisitionnés pour abriter, outre leurs occupants légitimes, les familles des sinistrés. Ainsi, M. et Mme Archambault doivent-ils partager leur appartement avec l'un des responsables locaux du P.C., Gaigneux, sa femme, Maria et leurs enfants. Cela ne va pas sans créer pas mal de frictions.
Mais la situation s'aggrave le jour où, pris de pitié et aussi de révolte contre sa lâcheté personnelle, Archambault recueille Maxime Loin ...
Le style d'Aymé n'a jamais été aussi lucide, aussi précis, aussi cinglant - aussi matois. Avec un brio amer, il restitue toutes les peurs, toutes les lâchetés, toutes les contradictions d'une époque noire, aussi accablante en son genre que le fut celle de l'Occupation. Symboles antagonistes de ces temps troublés : Léopold, le cafetier et la "grande gueule" du coin, qui ne s'en laisse imposer par personne et qui finira assassiné sur ordre par une gendarmerie passée à la solde des vainqueurs, et le vieux Monglat, qui a collaboré à peu près avec tout le monde et qui a bâti sur la disparition d'un monde une fortune colossale dont il ne peut cependant jouir au grand jour. C'est lui qui fera pression sur ses hautes relations pour que Léopold, qui en savait trop, soit abattu en toute légalité.
Entre les deux, le professeur Watrin, incurable rousseauiste qui croit en la bonté humaine alors qu'Aymé, lui, en doute un peu plus tous les jours. Un incurable qui, pour réconforter Archambault qui vient de voir Gaigneux emmener Loin à la gendarmerie, déclare, tout à la fin du roman : "Attendez. Attendez seulement cinquante ans ..."
"Uranus", de Marcel Aymé : un grand livre, hélas ! méconnu par nos histoires de la Littérature française - et donc à mettre d'autant plus en valeur. ;o)
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Marcel AYME aborde dans cette oeuvre caustique et lucide la période de l'épuration à la fin de la seconde guerre mondiale. Le retournement de situation consacre le temps de l'hypocrisie, celui où la majorité de la population, qui a vécu sans trop d'états d'âme le temps de Vichy, se tait et approuve l'exécution des plus compromis. On sent bien l'aversion de l'auteur pour le parti communiste et les résistants de la dernière heure, dont il dénonce le rôle actif, quoique quelque peu erratique, dans cette épuration.
Les traits du caractère humain sont rendus dans toute leur grisaille anthracite, mais aussi dans ses moments de générosité apeurée : on sent le malaise monter au fur et à mesure que sont présentés les évènements, tant les circonstances sont embrouillées, tant on prend conscience qu'il est difficile de rester une honnête femme ou un honnête homme quand on circule à vue dans un labyrinthe de mauvais sentiments et de motivations embrumées par les circonstances. Avec toujours la peur en toile de fond. Bien sûr, quelques personnages sortent du lot, résistants ou collaborateurs déclarés, mais ils ne sont pas le commun des mortels : dans la médiocrité et la veulerie ordinaires, les vrais héros et les fieffés salauds ne sont pas légion.
C'est une oeuvre très forte que j'ai détestée adolescente : il faut avoir un peu vécu pour admettre pour véridique ce camaïeu de couleurs sombres : une jeune existence ne peut le faire sans abandonner son élan vital. J'avais donc gardé la conviction que l'auteur éprouvait une haine forcenée envers le genre humain. Je sais aujourd'hui qu'il ne dépeint que la réalité, avec une lueur d'indulgence, incarnée par professeur de mathématiques Watrin, qu'une nuit de bombardement où la mort l'épargna, transforma en vrai sage un peu lunaire le jour et uranien la nuit.
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Ce roman est comme une fenêtre ouverte sur une période de notre histoire de plus en plus difficile à saisir, les témoins de ce monde se faisant de plus en plus rares. Uranus permet de le restituer dans sa complexité en nous situant au-delà des idées toutes faites qui, irrésistiblement, en simplifient la lecture.
Comme les tragédies de Shakespeare, Uranus est à la fois tragique et comique. Comme la plupart d'entre elles, il se refuse à poser l'héroïsme en absolu, et il le situe dans le champ du relatif, du contingent et du prosaïque. Etre un héros, c'est se détruire, et les personnages, assommés par six ans de guerre, veulent tout simplement vivre. Il leur faut un courage confinant à l'inconscience, ou alors une certaine marginalité, pour affirmer leurs convictions, en particulier lorsqu'il s'agit de prendre la défense d'un individu soupçonné, à tort ou à raison, de collaboration avec l'ex-occupant.
Dans une petite ville de l'après-guerre à demi détruite par les bombardements, les personnages sont saisis dans un quotidien redevenu ordinaire, mais toujours aussi imprévisible et dangereux. Ces individus charmants, naïfs, souffrants, parfois odieux ou simplement imbéciles, sont pris dans des situations inextricables où le sens de l'héroïsme se perd. Archambaut, l'ingénieur, est l'homme honnête qui a réussi. Ex-supporter du Maréchal (comme tant d'autres), il doit affirmer son soutien aux nouvelles autorités pour échapper aux soupçons….. Un soir, il rencontre par hasard Maxime Loin, un collaborateur traqué, et le recueille : non pas par sympathie idéologique mais par esprit de charité. Ai-je bien fait ? s'interroge-t-il. La question n'est pas vraiment qu'Archambaut ait mal agi, mais qu'il a mis sa famille en danger.
Car les dénonciateurs sont légions dans ce monde où communistes et gaullistes multiplient les coups tordus pour conquérir le pouvoir. Si Jourdan, un communiste venu des classes supérieures, prône une ligne dure, c'est pour être accepté par ses camarades ouvriers. Il lui faut, comme il le dit crûment, « des morts à son actif ». Dénoncer Archambaut serait pour lui le meilleur moyen de prouver son allégeance à son parti. Gaigneux, qui quant à lui est un communiste ordinaire, défend les intérêts de sa classe et se soucie peu de politique. C'est lui qui finalement enverra Loin devant les juges. Découvert par hasard, Loin protège à son tour son protecteur, en déclarant à Gaigneux qu'il vient de pénétrer chez Archambaut, alors qu'il s'y était réfugié depuis plusieurs jours….. qui peut dire si Gaigneux n'aurait pas dénoncé ce dernier, connaissant la réalité ? Et le mensonge de Loin, qui évite sans doute la prison à Archambaut, ne fait-il pas de lui une sorte de héros ?
La plupart de ces personnages, dont les habitations ont été détruites, vivent chez les Archambaut. Ce qui fait que la politique est éclipsée par des quiproquos de vaudeville. Gaigneux se retrouve épris de la fille d'Archambaut, tout comme Loin, qui se retrouve finalement dans les bras de Madame Archambaut! Cette tonalité légère se retrouve chez Watrin, le professeur idéaliste, qui est lui aussi hébergé chez Archambaut. Chaque jour, Watrin admire la beauté du monde et affirme détenir la formule du bonheur, s'isolant ainsi (assez artificiellement) de ce milieu sordide. Mais le dernier bombardement avait détruit sa maison et tué sa femme dans les bras de son amant, de telle sorte qu'il souffre d'anxiété et d'insomnie. Chaque nuit, il sent la présence d'une force obscure autour de l'existence humaine – Uranus.
Même si la politique est discréditée, certaines valeurs morales subsistent dans le roman : le pétainisme d'Archambaut et les opinions nazies de Maxime Loin n'ont aucune crédibilité. Monglat, collaborateur enrichi, est un personnage faustien qui paie le prix de son pacte avec le Mal nazi. Plus rien ne compte désormais pour lui que de convertir son magot mal acquis en valeurs sûres, afin de faire oublier son triste passé. Il fait arrêter puis abattre Léopold, le cafetier alcoolique et poète, qui sous l'emprise de l'ivresse l'a dénoncé en place publique.
Une autre valeur subsistante est la tradition littéraire française, avec la tragédie racinienne. Andromaque revient en leitmotiv, soulignant la rémanence de la culture traditionnelle en dépit des déstabilisations apportées par la guerre. Les élèves doivent utiliser les cafés de la ville pour travailler, et c'est dans celui de Léopold que se déroulent les cours de français. Fasciné par le dramaturge, le cafetier se met à composer des vers de mirliton. C'est une preuve comique de la vitalité de cette culture. Mais Andromaque reflète aussi le dilemme qui s'impose à tous les personnages : celui de la conscience morale. L'héroïne cède finalement au chantage de Pyrrhus et l'épouse afin de sauver son fils Astyanax, sacrifiant sa fidélité à Hector, son défunt époux. Les personnages d'Uranus sont dans une situation analogue : pour survivre, ils sont poussés à trahir et à se trahir eux-mêmes. Ainsi affirment-ils avoir toujours été Gaullistes, allant jusqu'à rester immobiles devant le lynchage d'un soi-disant traître par les FFI. Cette passivité est dénoncée comme veule et indigne. Mais en même temps, un autre message se superpose : tout le monde n'a pas l'étoffe des héros, et tout le monde ne peut pas se le permettre….
En somme, le roman présente des personnages ordinaires égarés ou aveugles, qui doivent se situer dans le champ de force d'idéologies émergentes (communisme, gaullisme) contre lesquelles ils ne peuvent rien. Ils subissent en même temps la pression d'idéologies périmées mais persistantes (pétainisme et même, pour Loin, nazisme.) Et surtout, ils ont leur propre vie à vivre. le symbole le plus pertinent et le plus drôle (car ce roman pétille d'humour, en dépit d'une tonalité argumentative parfois assez lourde) en est sans doute le passage où Archambaut saisit le costume qu'il va porter pour la cérémonie marquant le retour des prisonniers de guerre. Ce n'est autre celui qu'il avait revêtu pour la visite du Maréchal. Que voulez-vous, il faut bien retourner sa veste !
Le seul « héros » du livre, finalement, c'est l'auteur lui-même. En 1948, Marcel Aymé a mis en cause un mythe gaulliste qui était en train de supplanter le pétainisme. Il ne s'agit pas d'une dénonciation du premier, ni d'une réhabilitation du second. Comme le suggère le nom du pro-nazi « Loin », le roman met à distance un « Gaullisme » (d'ailleurs concurrencé par un « Stalinisme ») officiel qui dissimule la complexité de l'héroïsme. Il critique cette langue de bois qui accepte toute délation sans la vérifier par la preuve parce qu'elle sert un projet politique, celle qui refuse de considérer que derrière un collaborateur, même avéré, il y a un être humain qu'il faut respecter. Tout ceci au profit d'axiome manichéen : « nous sommes tous Gaullistes ». Et, hypocrisie suprême, cet axiome procède à une relecture simpliste du passé trouble de l'Occupation : «nous l'avons tous toujours été». Un esprit fanatique aussi irrationnel et destructeur que l' « Uranus » qui a rendu Watrin insomniaque.
Uranus nous aide à comprendre une période déjà lointaine, et à la perpétuer dans la mémoire collective. En dénonçant ce mythe d'un Gaullisme universel, le roman préfigure même l'immense travail d'interprétation de cette époque qui a été effectué par les historiens, les sociologues, et même les juges dans la seconde partie du vingtième siècle. Et comment considérer ce livre comme périmé alors qu'aujourd'hui, des idéologies politiques et religieuses extrémistes reviennent en force, menaçant de suspendre la liberté d'expression, et que nous peinons à nous positionner efficacement par rapport à elles en tant que citoyens. Il nous faut respecter, et surtout faire respecter, l'idée qu'il existe des croyances et non une seule, un ensemble de situations possibles et non une seule. Nous devons défendre les notions de conscience morale et de tolérance, si nous ne voulons pas nous retrouver un jour dans une situation comparable à celle décrite dans Uranus.
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Grand classique de notre patrimoine littéraire écrit en 1948 ou quand libération rime avec épuration (rime riche !), et assurément le meilleur livre que j'ai lu cette année.
Roman sous forme de pamphlet et de réquisitoire implacable sur une sombre période relativement récente et peu flatteuse de l'histoire de France et qui pourrait sous certains aspects faire écho à l'époque actuelle ou à un possible avenir. L'Histoire a parfois tendance à se répéter et on pourrait dans des circonstances similaires voir ressurgir toute l'étendue de la connerie humaine qui, de nos jours, serait portée au centuple à voir comment la bêtise et la haine circulent sur certains réseaux sociaux.
On le sait bien l'homme est capable du pire comme du meilleur, c'est pour cela que ce roman sert de repère, de mise en garde, en tous cas moi je l'ai pris comme tel. Un petit examen de conscience de temps en temps ça ne peut pas faire de mal, au contraire, et la littérature sert aussi à ça.
Pourtant au-delà du contexte pesant et malfaisant de toute cette histoire, le roman ne souffre d'aucune lourdeur tant les personnages et les situations sont à la fois rocambolesques et tout à fait crédibles, on peut dire que tout le monde en prend pour son grade.
Et que dire du style ? Un régal, un véritable plaisir de lecture agrémenté ici et là de savoureux dialogues, aussi je ne peux m'empêcher de finir ce petit billet sans faire part de cette drôle de citation extraite du XIIIe chapitre:
"Toute littérature était suspecte à Arcambaud, mais il se défiait surtout de la littérature romanesque qu'il considérait comme l'un des plus grands fléaux de l'époque. On ne peut pas, disait-il assez littérairement, être à la fois dans l'arène et sur les gradins; lire des romans, c'est voir la vie en spectateur et c'est perdre l'appétit de la vivre pour son compte. Il affirmait que les romans, même et surtout les bons, avaient tué en France le désir d'entreprendre, abruti la bourgeoisie et conduit le pays à la défaite de 1940".

Les fervents lecteurs de Babelio apprécieront...
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Après Brûlebois, son premier roman, je me suis attaqué à Uranus, oeuvre de maturité. Si le premier m'avait vaguement charmé, le second m'a totalement conquis ! Un chef-d'oeuvre, rien de moins. Tout le talent d'écriture est à son sommet. Alors que le jeune auteur usait de gestes appuyés, ici tout est fait en sobriété, avec tact, en petites touches... pour pousser le bouchon bien plus loin ! Et ce qui manquait dans la première oeuvre romanesque, à savoir une intrigue solide, est ici parfaitement maîtrisée. Pourtant, c'est la même chose ! Les mêmes gens, la même veulerie, la même mesquinerie, la même grandeur, le même alcoolique, la même folie, la même petitesse, la même petite ville de province avec ses petites gens et ces bourgeois fatigués, le même molosse tonitruant, le même pleutre qui se sent des ailes quand on lui donne un bâton pour taper son voisin. Tout pareil, en mieux, en parfait, avec des dorures à l'or fin et des chants d'angelots enivrés qui font de leur mieux mais ils ont un sacré coup dans le nez, alors...
Lien : https://www.tristan-pichard...
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« C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle?
Moi, si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien »
Ces quelques vers d'Aragon, qui parlent pourtant d'autre chose et d'une autre guerre , sont sans doute le meilleur commentaire de ce livre.
A Blémont, fin 45-début 46, c'était un temps déraisonnable ; la ville avait été détruite aux trois quarts dans les derniers jours de la guerre par un bombardement d'origine indéterminée, peut-être pas imputable aux Allemands comme on veut le croire, la guerre était finie, mais on se battait encore entre Français ; tout avait changeait de pôle, la légalité de la veille était le crime d'aujourd'hui, les communistes et leur chef Ledieu commandaient aux gendarmes, et le trafiquant de marché noir Beuglat aux ministres ; et l'on pourrait continuer encore. En tout cas la pièce n'était pas drôle, quoique...du point de vue d'Uranus...
Telle est la vision qu'en donne Marcel Aymé dans ce livre, écrit à chaud et paru en 1948, qui le fit passer aux yeux de certains pour le collaborateur qu'il n'était pas.
Les acteurs de la pièce : l'ingénieur Archambaud et sa femme et ses enfants, qui doivent héberger quelques sinistrés, l'ouvrier communiste Gaigneux et sa famille et le professeur Wavrin, mais aussi le collaborationniste Loin, recherché par la police et caché par Arcambault, le cafetier Léopold, dont l'établissement doit héberger les cours du collège détruit par le bombardement et grâce à ces cours s'est pris de passion pour Andromaque, quelques communistes, les gendarmes, le trafiquant de marché noir Monglat, quelques figurants (*)...et puis la planète Uranus, qui tient le rôle-titre grâce à Wavrin.
Wavrin, qui lisaif le chapitre consacré à la planète le soir du bombardement ; cela a transformé sa vision du monde. Il nous l'explique en même temps qu'à l'ingénieur Archambaud  dans la citation ci-après, qu'il est souhaitable de lire en complément de ma critique.
Et la pièce va se jouer sous nos yeux. Est-elle ou non drôle ?



(*)Si vous voulez, vous pouvez vous amuser à voir Wavrin sous les traits de Noiret et Léopold sous ceux de Depardieu, qui en ont tenu les rôles dans le film homonyme de Claude Berri sorti en 1990
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Tout dans ce roman m'a séduit: l'écriture de Marcel Aymé, le contexte, l'intrigue, les personnages, la poésie, les références culturelles, les émotions. Je découvre cet auteur et je vais m'attacher à tout lire de lui. Son style et son érudition m'ont fait penser à d'autres auteurs de la même époque comme J. Kessel ou R. Gary, et je me rends compte que c'est ce type d'écriture qui me plaît. La dualité des protagonistes, la part de blanc et de noir qui se trouvent en chacun de nous, sont parfaitement mis en lumière dans ce roman qui ne juge pas mais qui place l'humanisme à égalité avec les idéaux.
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L'histoire, dit-on, est faite par ceux qui la font (pardon, par ceux et celles qui la font), nous sommes bien d'accord. Mais ceux et celles qui la racontent, c'est une autre histoire, je dirais même plus, c'est une « autre » histoire, c'est une vérité recomposée. Tous les historiens et romanciers vous le diront (je le suppose n'en connaissant pas personnellement) : si on a devant soi sur la table, les faits, avec toutes les preuves, en revanche les causes, les effets, les motivations, tout ce qui n'est pas matériellement prouvé, reste du domaine de l'interprétation. La logique bien sûr permet de combler quelques trous, mais tout le reste peut être soumis à discussion, voire à polémique. Et quand on touche à des sujets sensibles – en gros ceux qui nous touchent personnellement) – je vous raconte pas (comme dit mon fils qui met des négations partout, sauf dans sa façon de parler).
« Uranus », publié en 1948, est pour Marcel Aymé un certain coup de culot, d'audace et certainement de courage. A cette époque les esprits étaient échauffés, et les têtes près du bonnet (surtout certaines femmes qui avaient payé de leur chevelure le trop plein de courage de certains de leurs concitoyens). le roman évoque clairement la période de l'Occupation et de la Résistance, que nous connaissons en long en large et en travers, et celle de l'épuration, plus discrètement évoquée dans nos manuels scolaires. Il ne s'agit pas ici de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, encore moins de juger et condamner. La chose certaine c'est qu'il y a eu globalement un combat entre la barbarie et la civilisation, mais le problème c'est que les combattants étaient des êtres humains, donc tour à tour barbares et civilisés, suivant qu'ils étaient guidés par leur esprit, leur coeur ou leur âme, ou bien leur portefeuille, ou encore autre chose encore plus bas… Marcel Aymé, on le connait : il ne fait pas dans la dentelle. Vous vous souvenez de Jean Dutourd et de « Au bon beurre » ? Côté causticité, c'était déjà du costaud. Marcel Aymé, c'est pareil, il va peut-être même plus loin dans la dénonciation de la veulerie, de la malveillance, de la délation, du manque de scrupule, de l'opportunisme…
Nous sommes à Blémont, un patelin qui pourrait être n'importe où, y compris chez vous ou chez moi. Léopold est cafetier. Mais pas n'importe quel cafetier. C'est un cafetier, sans doute un peu alcoolique et un peu brut de pomme, mais il est du style du cuisinier Ragueneau dans « Cyrano » : il a des prétentions littéraires, et une prédilection pour Racine, en particulier « Andromaque ». Aussi quand, à la suite de bombardements, son café (le « Café du Progrès ») devient l'école du village, il est aux anges. Entre les cours de français où il se délecte et les conversations de comptoir où il tient sa place, il ne s'ennuie pas. C'est que la clientèle, c'est du premier choix : des néo-résistants de la dernière heure, des trafiquants de marché noir, des militants communistes, socialistes, tout ce que vous voudrez, des nostalgiques du Maréchal, etc. etc. de calomnies en délation, les ignominies qui avaient cours sous l'Occupation se perpétuent, elles changent seulement de camp, et pas toujours.
Et tout ça sous l'oeil de Marcel Aymé. En fait c'est lui le seul personnage positif de cette histoire : son regard à la fois malin et cinglant, d'une terrible lucidité, est impitoyable. Pourtant il n'accable pas ses personnages, il ne les défend pas non plus. Certains critiques ont cru voir dans ce roman une réhabilitation du maréchalisme, d'autres une dénonciation du gaullisme naissant sur les mythes de la Résistance, billevesées que tout cela : s'il y a dénonciation, c'est celle de la bêtise et de la bassesse humaines. « L'homme est une laide chenille pour celui qui l'étudie au microscope solaire » disait Alexandre Dumas dans « le Comte de Monte-Cristo ». Marcel Aymé ne disait pas autre chose :
« Je ne dis pas que vous soyez un hypocrite, mais il y a des époques où le meurtre devient un devoir, d'autres qui commandent l'hypocrisie. le monde est très bien fait. L'homme a en lui des dons qui ne risquent pas de se perdre. »
Je n'ai pas besoin de vous conseiller le magnifique film de Claude Berri (1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Philippe, Noiret et Michel Galabru (entre autres) ...

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Uranus/Marcel Aymé (1902-1967)
Il a fallu une bonne dose de courage et d'habileté à Marcel Aymé pour oser écrire et surtout faire publier ce roman trois ans seulement après la fin de l'Occupation Allemande, soit en 1948. Publication qui fit polémique d'ailleurs tout autant que la sortie en 1990 du film de Claude Berri.
Marcel Aymé cultivera toute sa vie son statut d'écrivain politiquement incorrect et restera toujours difficile à classer, sa verve s'attaquant avec autant d'âpreté aux uns et aux autres. Il sera finalement qualifié d'anarchiste de droite par la critique.
L'histoire se passe dans un petit village de province dénommé Blémont, encore un champ de ruines qui a subi d'intenses bombardements ayant entrainé la nécessité du partage des habitations en faveur des sinistrés, ce qui va créer une promiscuité de tous les instants et induire des situations souvent cocasses .
Les personnages principaux :
Archambaut, ingénieur, homme de haute taille avec un air de bon géant placide et réfléchi conférant à ses paroles une autorité naturelle. Souvent distrait.
Marie-Anne, sa fille qui court le guilledou.
La Famille Gaigneux, militante communiste, sinistrée, qui occupe une partie des locaux des Archambaut.
Monglat, l'ancien collaborateur devenu très riche.
Watrin le professeur, sinistré également, le rousseauiste rêveur moralisateur optimiste qui affirme : « Surtout soyez de bonne humeur. Pensez aux satisfactions que vous allez trouver maintenant dans l'hypocrisie. » Il est féru d'astronomie et obsédé par la planète Uranus dont la connaissance lui a appris à se méfier des au-delà et des infinis pour concentrer davantage toutes ses forces d'amour sur le champ de la vie terrestre.(D'où le titre du roman).
Léopold le cafetier, une force de la nature.
Jourdan le prof communiste qui sème la zizanie et considère la dénonciation comme une chose naturelle dès l'instant où elle sert les intérêts de la cause ; pour lui, toute disposition au mouchardage est une vertu révolutionnaire.
Et Maxime Loin, journaliste anticommuniste qui rêvait d'une Grande Allemagne et se terre nuit et jour.
Tout ce petit monde où se mêlent résistants de la dernière heure et communistes opportunistes aux collaborateurs plus ou moins pétainistes ayant su faire en catimini de bonnes affaires durant l'Occupation allemande, fait montre de tous les traits de caractères de l'humanité où l'hypocrisie et la lâcheté le disputent à la délation et le soupçon accusateur.
Cet ouvrage méconnu, brûlant réquisitoire contre la lâcheté et la bêtise humaines est un chef d'oeuvre de la satire où un humour savoureux reste toujours présent en dépit du caractère accablant de cette époque d'épuration où le drame pouvait à chaque instant s'abattre sur vous.
À lire impérativement ce récit dramatique passionnant, cette véritable étude sociale pour qui veut connaître ce que furent ces années noires et passer un très bon moment de lecture dans une langue française parfaite au vocabulaire d'une richesse incomparable.
Extraits : Jourdan, le professeur communiste s'exprimant face à Watrin:
« Fromantin, pour moi, est le prototype du socialiste français. Avec ses phrases onctueuses, sa dialectique en tire-bouchon, sa voix grasse, retroussée, ses indignations trémolantes, ses regards au ciel et son sale petit rire cochon, il est le parfait tartufe du marxisme. »
Watrin s'adressant à Jourdan :
« Jourdan, vous avez vingt sept ans, vous êtes communiste et vous le resterez, car vous n'êtes plus le fils d'une femme. Vous êtes le fils de vos lectures. »
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Nous sommes en juillet 1945. Dans la petite ville provinciale de Blémont, toute la France a résisté à l'Occupant allemand, toute la France oui, toute la France était communiste ou gaulliste, sauf quelques miliciens. de toute façon, ils ont été lynchés, et ce n'était que justice. Sauf aussi quelques profiteurs du marché noir, mais ils sont en prison ; ou ils le seront bientôt, ce n'est qu'une question de temps.
Et les autres alors ? Tous ceux qui ont "tout bonnement consenti, par [leur] silence, aux crimes des autres [...] les lâches et les hypocrites, mais c'est ce qu'il faut être en ce moment". En réalité, loin des discours de propagande des autorités gaullistes, des journalistes et des partisans communistes, tout le monde a attendu, tout le monde a attendu lâchement. le mari s'est réjoui de la mort de sa femme adultère dans un bombardement, le cafetier s'est enrichi en servant les Allemands, le jeune homme a pris le maquis quelques semaines avant la fin pour se donner une bonne image, l'ingénieur de l'usine n'a rien dit et n'a rien fait...
Uranus est donc la chronique d'un village français sous l'Occupation, dans toute sa crudité historique nue : les Français ne sont pas des héros, pas tous des salauds non plus, mais pour beaucoup des attentistes silencieux, qui ont laissé faire, laissé dire, voire ont essayé d'en profiter pour certains. Ce qui est fascinant d'un point de vue purement historiographique, c'est la force de ce roman par rapport à sa date de sortie, 1948, alors que, pour réconcilier la France, De Gaulle insiste sur l'idée d'une seule France, d'une France combattante et résistante, comme dans son discours lors de la Libération de Paris : Paris a été libéré "avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle" (25 août 1944). C'est ce que l'historien Henry Rousso a appelé le mythe résistancialiste.
Or, Marcel Aymé livre une vision très différente : on croise peu de vrais résistants sur les 100 000 recensés, un seul collaborateur vraiment actif par idéologie sur les 100 000, mais tous les autres personnages font partie de la masse des Français focalisés sur leur propre survie, ne dédaignant pas quelques trafics par appât du gain.
Cependant, alors que le roman pourrait être très noir, très sombre, très pessimiste, il est, malgré sa crudité, d'une grande lumière. D'abord, grâce au personnage de Wautrin. Ce professeur a été tellement traumatisé par les bombardements, la mort de sa femme, la captivité de son fils, qu'il trouve désormais du réconfort dans toute chose, surtout dans la contemplation de la nature. Il s'émerveille du soleil, des oiseaux ou des fleurs des champs. Et aussi grâce au personnage de Marie-Anne. Elle n'est qu'un personnage secondaire, mais c'est la seule qui ne vit pas dans le passé mais dans l'avenir, et qui veut quitter la ville. Elle a des désirs et des projets, elle veut vivre.
Une lecture décidée par hasard, qui m'a bien plu, où j'ai retrouvée un peu de la fantaisie et de l'humour parfois grivois de la Jument verte lue il y a quelques mois, mais, surtout, avec une description de la France de Vichy d'une grande force.
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