Deuxième roman signé par
Balzac de son nom de plume (après «
Les Chouans »), «
La Peau de chagrin » est son premier véritable succès. Succès mérité d'ailleurs : l'inspiration est radicalement différente du roman précédent : si «
Les Chouans » était un roman politico-militaire, apparenté à un roman historique, «
La Peau de chagrin » se situe dans une veine plus fantastique… et réaliste en même temps.
Au départ, il s'agit d'une variante du mythe faustien : un pacte avec le Diable. Faust troquait son âme contre la réalisation de ses désirs. Raphaël de Valentin accepte de raccourcir sa vie pour ce même motif. Pour l'un comme pour l'autre, c'est un jeu de dupe.
Raohaêl de Valentin, qu'on pourrait surnommer « le débauché « (ça rappelle un film de Michel Deville en 1971) est dans une sale passe : il a perdu son dernier napoléon au jeu et sur le point de se suicider, et fait chez un antiquaire un pacte extraordinaire : cet homme sans âge (bizarre) lui offre une peau de chagrin magique qui lui permet d'exaucer tous ses désirs, mais à chaque voeu exaucé, la peau rétrécit. Trop préoccupé pour se penser à l'avenir, Raphaêl accepte. Dans un premier temps tout lui sourit, il fait un héritage, trouve l'amour avec Pauline, sa jolie voisine, se lance même dans l'écriture d'un livre « La Théorie de la volonté » mais il ne voit pas que
la peau de chagrin rétrécit, lui-même devient malade, une affection qu'aucun remède ne peut guérir. Hanté par la peur de mourir, il vit en reclus, étouffé par l'amertume, il revient vers Pauline et meurt dans ses bras, celle-ci sombre dans la folie.
Les interprétations de «
La Peau de chagrin » sont multiples. Sous l'apparence d'un conte à la fois fantastique et philosophique (comme chez
Voltaire, mais beaucoup moins souriant),
Balzac nous livre une réflexion sur le temps et le désir qu'il présente sous forme d'un paradoxe : « toute » la vie, mais « à l'économie ». Raphael ne le comprend qu'à la fin : il voulait tout avoir et n'a rien eu, il est passé à côté de l'essentiel. Pour parodier un slogan politique récent : vivre mieux, mais vivre moins. Evidemment c'est un choix à faire, mais pas réversible. Encore eût-il fallu, en vivant mieux et en vivant moins, vivre heureux, et ce ne fut pas le cas. La réflexion sur le temps et le désir peut donc se doubler d'une réflexion sur le bonheur. Et même se tripler si on ajoute une réflexion sur l'argent. La sagesse populaire n'est pas loin : le temps c'est de l'argent. L'argent ne fait pas le bonheur. Si l'on continue le syllogisme, il faut conclure : donc le temps ne fait pas le bonheur.
Ces divers thèmes ; le temps, l'argent, le bonheur, le désir, parcourent le roman dans tous les sens, se rapprochent et s'écartent les uns des autres. Raphaël voudrait bien courir ces quatre lièvres à la fois, mais le pacte qu'il a lié avec l'antiquaire le freinent considérablement.
On remarquera que l'amour, pourtant pur et désintéressé, de Pauline ainsi que la relation perverse et ambigüe de Foedora, n'ont pas de poids dans la tragédie de Raphaël. Ou en tous cas, il n'arrive pas à établir un équilibre.
Curieusement (ou pas, après tout), ce roman me rappelle «
le portrait de Dorian Gray » d'
Oscar Wilde : dans les deux romans, il y a une double évolution : chez
Balzac, au fur et à mesure que les désirs sont exaucés,
la peau de chagrin rétrécit ; chez Wilde, au fur et à mesure que les désirs sont exaucés, le portrait vieillit.
Etonnant, non ?