Un roman d'une centaine de pages , à peine plus long qu'une nouvelle , mais aussi dense que d'autres oeuvres plus reconnues.
Si nous n'avons pas ici les disgressions philosophiques dont nous gâte
Balzac dans la plupart de ses livres, cet officier nous donne plusieurs niveaux de lecture : portrait humain , le colon est un des héros les plus volontaires et les plus costauds de toute la comédie humaine . Il égale facilement
Vautrin / Trompe-La-Mort , ne serait-ce que par le récit de son réveil et de son évasion de la fosse commune après la bataille d'Eylau . Mais le côté extraordinaire de cet exploit sera presque dépassé par la suite de ses péripéties ; clochardisation, retour au pays, pauvreté , lutte contre ses proches, l'administration...
En plus du portrait humain,
Balzac nous donne à lire un moment d'histoire : guerres napoléoniennes, restauration, apparitions du code civil, de l'administration et des fonctionnaires...Il suffit à
Balzac de , en trois pages, raconter le parcours de Ferraud le nouveau mari de Madame Chabert, pour synthétiser 20 ans de l'histoire mouvementée de notre pays.
Et la description de l'étude d'avoués, avec ses employés paresseux et goguenards, l'exposé de la situation absurde de Chabert , déclaré mort dans un monde n'admettant pas plus la résurrection que l'erreur ou les cas particuliers , pourrait servir aussi bien à Kafka qu'à
Courteline. Mais on est chez
Balzac , alors le lecteur ressent divers sentiments : sympathie, injustice, grandeur épique et est accroché par l'histoire .
Signalons aussi la grande maitrise de l'évocation du temps : l'action principale se déroule pendant la transaction de justice mais un des grands moments du roman, l'évocation de la bataille d'Eylau, a eu lieu plusieurs années avant. Tout comme l'épilogue campagnard se déroulera vingt ans plus tard. Et l'écrivain nous donnera des indications dès le début : arrivé en fin de matinée, il sera demandé à ce qui n'est encore qu'un risible pauvre diable, de revenir à l'étude à une heure du matin. Comme si heure et bienséance n'avaient plus d'importance .
Et , pendant tout le livre , on ne peut pas vraiment donner un âge au héros . En le retrouvant dans l'épilogue, nous ne serons pas si nous sommes devant un vieillard sénile ou un homme lucide et abandonné .
Au fond, notre brave colonel Chabert a été porté disparu à Eylau. Il est revenu mais , comme un mort-vivant, les heures et les années n'ont plus d'emprises sur lui. Immortalité du héros ? de l'écrivain ?
A ma connaissance ce sera , dans la comédie humaine , la seule apparition du colonel Chabert . N'empêche , ce passage éclair en fait l'un des personnages les plus attachants et surhumains de cette comédie pourtant bien humaine .