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sur 2718 notes
Le colonel Chabart, Hyacinthe de son prénom, est laissé pour mort à la bataille d'Eylau. Sa femme se remarie, a des enfants, la vie suit son cours... Sauf que le colonel n'est pas décédé, et revient littéralement d'entre les morts, sous lesquels il avait été enseveli. le crâne fendu, méconnaissable, il entame une procédure pour retrouver sa vie et sa femme, son identité et... son argent.
L'argent c'est bien le noeud du problème ; sa démarche va se transformer en parcours du combattant, et il y a fort à parier qu'il aurait préféré combattre sur le champ de bataille que dans les cabinets d'avoués.
Son cri du coeur lorsqu'il se rend compte qu'il ne retrouvera pas sa vie si aisément en est tout à fait révélateur : "J'ai été enterré sous les morts ; mais, maintenant, je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre ! "
Sa femme se montre machiavélique, et bien qu'avoir instantanément pensé "c'est lui" en le retrouvant, tant d'années après, elle déploie des trésors d'inventivité pour préserver le patrimoine acquis grâce à la mort de son premier époux.
Le colonel finira seul et dépourvu de tout.

Après un début un peu poussif, Balzac livre ici un chef d'oeuvre de psychologie humaine, décryptant et critiquant les rouages de son époque et de la manière de fonctionner des hommes en général.
La tirade finale de l'avoué est bouleversante et effrayante à la fois.
Un petit livre de très grande qualité.
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Petit roman ou grosse nouvelle, à vrai dire peu importe, j'ai été séduit par cette oeuvre bien des années après avoir été séduit au cinéma par le film éponyme avec Depardieu (et sa scène d'ouverture, l'incroyable charge à cheval sabre au clair de la bataille d'Eylau... J'ai encore dans les oreilles le fracas des sabots en dolby stereo).
Pour le coup, j'ai fait les choses un peu à l'envers, mais ce n'est pas grave, car le point de vue choisi n'est pas du tout le même. Bien plus que dans le film, les premiers rôles sont en fait joués par l'avoué et son clerc plutôt que par le colonel lui-même que l'on voit assez peu.
Ici, pas de ces interminables descriptions qui ont fait la légende noire De Balzac, qui m'ont épuisé du Père Goriot avant la fin (c'était au bahut, il y a bien longtemps) et qui m'ont détourné de ce magnifique auteur pour longtemps.
Je lance donc un appel désespéré aux profs de lettres : arrêtez, par pitié, de faire lire du Balzac aux collégiens. J'ai même un doute pour les lycéens. C'est trop tôt, beaucoup trop tôt. Fin de la parenthèse.
Pas de descriptions lénifiantes dans le colonel Chabert donc, mais le propos reste parfois technique, notamment sur les subtilités du notariat, ce que pour ma part j'ai trouvé passionnant, mais rien d'étonnant quand on apprend que Balzac fut lui-même longtemps clerc d'avoué.
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Le colonel Chabert, c'est la définition même du poissard. Laissé pour mort dans un charnier lors d'une guerre napoléonienne, sa véritable bataille se déroulera contre la société. Ressuscité d'entre les morts après une très longue convalescence, il découvre que sa femme a refait sa vie après avoir hérité de tous ses biens. Mais comment prouver le retour à la vie d'un supposé défunt dans le froid et implacable système judiciaire? Comment retrouver une vie usurpée qui ne sied pas à un entourage avide de grimper l'échelle sociale? Un océan de cynisme et de drame sur lequel surnagent deux radeaux: Chabert et son coeur pur et Derville et sa bonté. La Comédie Humaine dans toute sa splendeur.
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Le colonel Chabert /Honoré de Balzac
Alors qu'au sein de l'étude de l'avoué Me Derville un groupe de clercs plaisante tout en faisant semblant de travailler, un vieil homme porteur d'un vieux carrick usé à la corde se présente en demandant à voir l'avoué malgré les moqueries des clercs qui le considèrent tel un intrus dans leur joyeuse compagnie. Il apprend que Me Derville ne consulte qu'à partir de minuit, et en réponse à la question d'un saute-ruisseau, le vieil homme déclare être le colonel Chabert officiellement mort à la bataille d'Eylau. Une sombre défaite de l'Empereur.
Minuit venu, Derville reçoit Chabert qui lui raconte son histoire.
Effectivement, les rapports officiels disent bien que Hyacinthe Chabert, colonel de l'armée impériale de Napoléon, grand officier de la Légion d'honneur, est mort lors de bataille d'Eylau, en 1807. Sa veuve Rose Chapotel, ancienne fille de joie qu'il a sorti du ruisseau pour l'installer dans un luxueux hôtel particulier, a hérité de sa fortune et s'est remarié avec le comte Ferraud, aristocrate émigré, conseiller d'État, qui ambitionne une carrière politique sous la Restauration. Elle est une bonne cliente de l'étude de Me Derville.
C'est alors que dix ans plus tard, en 1817 réapparaît un colonel Chabert !
Chabert, en pleine déréliction, confie à l'avoué Me Derville qu'il souhaite à tout le moins récupérer son dû, c'est à dire sa fortune. Il a déjà entamé maintes démarches chez des gens de loi qui tous l'ont pris pour un fou. L'avoué compréhensif et empressé, lui explique que la tâche va être ardue car il va falloir prouver judiciairement qui il est, à des gens qui vont avoir intérêt à nier son existence. Derville et Chabert auront contre eux deux personnes puissantes qui pourront influencer les tribunaux. C'est pourquoi, l'avoué préconise la transaction.
Mais comment va réagir la comtesse en apprenant le retour de son défunt mari, elle qui est remariée avec le comte Ferraud depuis des années et a eu deux enfants ?
« Bientôt personne ne se souviendra de toi » écrivait Marc-Aurèle ! Balzac nous offre ici un court roman illustrant brillament cet aphorisme du grand penseur latin. Un classique incontournable plaisant à lire.

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Encore du Balzac...
Ici, si l'on retrouve déjà dans cet opus de "jeunesse" le tableau acéré de la société française, le regard acerbe et désenchanté de l'auteur sur ses semblables, le style Balzac n'est pas encore tout à fait "entier" : un texte "express", pas d'ouverture sur une très longue description des lieux, pas de personnage dépeint profondément, pas de temps pour une action longuement amenée. On est plus proche de la nouvelle que du roman Balzacien. Plus proche de Sarrasine que des autres ouvrages déjà critiqués dans mes pages.
Mais ça reste de la grande littérature et un grand plaisir de lecture. le plus désespéré des opus que j'ai lu De Balzac jusqu'à présent.
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Comme il me fut agréable, cette fois, de revenir à Balzac après tant d'impatientements et d'assommages où m'avaient laissé quelques-uns de ses romans d'envergure – souvenirs de remplissages et de fastidiosités manifestes, avec meubles superfétatoirement décrits et mollets de tant de pouces de circonférence ! On sait pourtant que je ne néglige pas mes efforts, mais j'entends que ces efforts soient récompensés, et notamment d'une belle éloquence novatrice, d'une impression juste et forte, ou de quelque sensation d'unicité artiste et nécessaire, ce qui n'advient pas toujours chez notre homme. J'ignore si je déforme, je n'avais pas lu Balzac depuis cinq ou six ans, mais le Lys dans la vallée, mon dernier, m'avait laissé une impression de fadeur assez comparable à Notre coeurDe Maupassant, une de ces oeuvres dont la beauté est à peu près faite uniquement pour être admirée d'un point de vue formel, et non pour être mise en rapport avec le sentiment ; alors l'applaudissement intérieur se blase en lassitude, et on finit par trouver tout cela, vraiment, « très bien écrit », un agrément comparable à l'observation d'un fleuve sous de jolies lumières, ce qui est à la fois le meilleur et le pire commentaire qu'on puisse prononcer au sujet d'un livre quand c'est la première critique qui vous traverse l'esprit juste après l'avoir lu.
Mais ce roman-ci, je l'affirme, est tout autrement fait et vaut surtout justement par son dédain d'être un roman. Par son défaut de préciosité et d'emphase, par son peu d'apprêt à traduire une thèse valorisante, par sa relative négligence de vouloir concéder aux éloquences et aux édifications des grands littérateurs, en somme par son manque d'ambition, pour ainsi dire, parce qu'il est manifeste que ce livre n'est qu'une longue nouvelle appliquée et ne prétend pas éclairer sur les droits de l'homme et autres simagrées avantageuses du même acabit, cette oeuvre semble d'emblée s'être défendue d'en être une, son auteur n'a visiblement pas aspiré à mieux qu'à un travail efficace, et c'est cette absence de procédés courus et plus ou moins mondains qui, dans son sujet et dans son style, trahit la force mâle d'une patte extrêmement puissante.
Faut-il encore rappeler son sujet célèbre ? Un officier de Napoléon est déclaré mort à la bataille d'Eylau, mais cet homme en réalité n'est pas mort, et après plusieurs années de convalescence et d'errance, il vient réclamer ses droits, sa fortune ainsi que sa femme qui s'est entretemps remariée. Me Derville, un avoué aussi scrupuleux que stupéfait, doit l'aider à recouvrer ses biens.
M. Balzac n'est importun, je trouve, que lorsqu'il s'entête à faire par bravoure son auteur d'importance, ce qu'il limite ici à un seul passage d'un assez suprême ennui dans lequel il explique par le menu l'identité du comte Ferraud, le nouvel époux, morceau qui doit servir à révéler les opportunités scabreuses offertes par les successions de régimes et où s'engouffre en l'occurrence une aristocratie complexée en mal de monarchie. Pièce assez inutile et superflue, et disparate, venant singulièrement briser l'enchaînement par scènes et dissoudre en digression la structure rythmée du récit (ce résumé présente bien l'intérêt d'indiquer que le comte pourrait trouver avantageuse la dissolution de son mariage, mais c'est une disproportion assez marquée pour ne servir qu'à cela, d'autant que cette figure n'apparaîtra nulle part en effet dans la suite : cet être, en somme, actantiellement ne mérite même pas la projection d'une telle ombre). Hormis cela, Balzac manifestement ne tient qu'à dérouler avec effets une intrigue à la fois simple et pertinente et dont la morale ne s'impose point comme une lumière ou un humanisme, un peu au même degré que « Boule de suif » De Maupassant : ces deux-là, dans ces histoires compendieuses, valent par la prodigieuse dextérité de leur narration, par l'habileté de leur art à ne pas s'enticher de pittoresque pour la pavane et la postérité, et par leur faculté de concentration à ne point dériver du but essentiel qu'ils se sont fixé, à savoir la relation exacte d'une intrigue suffisante en elle-même ; quand ils succombent autrement aux tentations contraires, on ne lit que l'orfèvre, et le bijou disparaît, un peu comme si la minutieuse description d'un joyau, quoique prolixe et savante et belle, ne permettait pas de le visualiser.
Combien, par exemple, la demi première partie du livre, pourtant inutile au récit sinon à introduire le lecteur dans le cadre singulier d'une étude d'avoué, est extraordinairement fluide et drôle ! Il faudrait montrer comme la technique de l'écrivain s'arrange ici justement pour se rendre imperceptible au lieu d'un étalage de figures et de componction, tandis que ces dialogues plaisants et enchaînés comme des impromptus sont en vérité extrêmement difficiles à produire ! On a là des clercs, saute-ruisseaux et maîtres, qui travaillent et badinent dans leur cabinet-relique chargé de documents et de poussière, et on suit cette bande méconnue, parmi les odeurs de dossiers, comme si l'on y était introduit en stagiaire, sans façons et avec toutes les humeurs véridiques et fraîches, sans rien des ampoules descriptives que l'on sait du souvent emphatique écrivain ! Nulle nécessité d'étendre ou d'allonger cette sauce parfaitement diluée, c'est d'une grande justesse de quantité, pour ainsi dire, le dosage est exact parce que l'auteur ne s'ingénie pas à faire dans la hauteur ostensible, dans le mélange pour gourmets, dans les délicatesses de courtisan ! Ah ! c'est une bonne leçon pour moi ! vraiment bonne ! Certes, on distingue encore à la loupe de l'expertise le travail infini du mot juste, mais au service du rythme du sujet, cela, et de rien d'autre, on ne charge pas une couleur déjà juste ! Et quand le Colonel fait son entrée : description essentielle seulement, avec sélections des attributs les plus symboliques, tandis qu'il serait au contraire si pompeux et impressionnant de replacer tout le discours de l'habilleur, avec les mesures du coude, et tout le fatras phrénologique qui aujourd'hui fait tant rire. Cette fluidité-là m'étonne et me galvanise : j'en suis absolument admiratif !
Tous les personnages, et Derville tout le premier, sont, je trouve, d'une psychologie vigoureuse et vraisemblable : Balzac évite les « types » si chers à Hugo qui ne fit toujours que produire des allégories ; la situation étonnante en elle-même se passe de pareilles longueurs, on a là une « affaire » premièrement, un cas de droit intéressant et rare dont il va falloir mener la résolution finement, et telle circonstance ne s'étend guère au-delà de la curiosité professionnelle qui anime un spécialiste attentif à remporter toutes les plaidoiries qu'il entreprend. Il n'y a pas lieu de traduire cette singularité exceptionnelle en une analogie de quoi que ce soit : l'intrigue n'exagère donc ni la pauvreté de Chabert, ni la perfidie de la comtesse, ni l'expertise de l'avoué, et cette aberration juridique qu'on suit pas à pas ne s'accompagne d'aucune exacerbation de sentimentalisme, d'aucune démonstration d'éloquence, il ne s'agit de critiquer nulle institution sociale ni de grandiloquer une cause généralisable : une analyse des acteurs et de leurs motifs particuliers doit seule conduire à la résolution de l'énigme, et le regard de Derville ordonne (car c'est lui qui constitue l'essentiel de la focalisation du roman, et les rares scènes où il est absent se perturbent en confusions ou en épanchements préjudiciables : l'avoué rétablit la raison, il est un agent structurant des phénomènes au point qu'il paraît par moments représenter le lecteur lui-même en sa construction naturelle de synthèses successives de l'intrigue). Point d'excès de pathétisme, donc, et le colonel n'est pas exactement une victime en dépit du mauvais tour que prendra sa réclamation, car c'est par fierté, et, je crois, une logique fierté, qu'il renonce lui-même à plaider, dégoûté et jetant son abandon comme la preuve ostensible d'un souverain mépris dont il tire une consolation, sinon une brève vengeance : sa déchéance est l'ultime étape d'un traumatisme sans résilience, c'est-à-dire sans acceptation entière de la condition humaine, le fruit d'adaptation échouée. Ce « cas » presque impossible ne rencontre pas de prétexte à des morceaux de tristesse fleurie ou à des envolées de scélératesse exemplaire, et c'est chaque fois tout sobrement que Chabert pleure, irrésistiblement et sans que l'expression des sanglots soit à pousser aux simagrées, et tout simplement aussi que la comtesse découvre ses intentions et ses calculs, sans révélations ignobles et inattendues à la Dumas ; en somme, ce qu'il y a de supérieurement sensible dans ce roman, c'est qu'on ne s'attarde pas sur des détails élégamment entretenus pour complaire à un public romantique et bienséant ; le tout demeure viril, contrôlé, d'une taille littéraire (ce mot s'entend des deux façons) où le choix narratif est focalisé à l'efficace et ce en dépit d'une compétence déjà fort éprouvée à faire dans le lyrisme et dans la vétille.
Et pourtant, l'oeuvre ne sacrifie rien, bizarrement, au pittoresque, à la couleur, à cette atmosphère si propre à Balzac de sombreur et d'usure des temps, à ce vernis jaunâtre, à cette tonalité de vieux régime passé et délavé, où l'on trouve encore de la perruque décolorée et des bas monarchiques à demi hors d'usage, où le feu d'une cheminée rend toujours une impression gothique d'enfermement, où les pierres monumentales gardent la mémoire de leur érection et où les métiers sont comme des charges royales, avec leur relent à demi décomposé d'anciennes lignées, d'art de la conversation (spirituelle ou infamante), et de points d'honneur germant en duels désuets. Ceci, c'est l'ambiance lourde De Balzac, toute la façon de peinture grise comme l'hiver, avec ce fatalisme sans importance des machines politiques considérables qui broient de l'homme, et ces figures individuelles noyées dans ce bain vaste et profond comme des fleuves qui emportent Paris en maints courants. Ah ! ces grandes âmes discernables par le roman seul et qui sont tout et qui ne sont rien, qu'une germination vitale élève malgré eux avant la retombée de misère où tout s'effondre dans une forme de décrépitude, où tout nécessairement s'achève en oubli ! Balzac, c'est toujours l'odeur de la décomposition en cours, parce que toute force est aussi une dépense et en cela un épuisement, une extraction de vie, une extinction, une vacuité au fond puisque l'effort est condamné au néant, et l'on perçoit ce devenir fatal dans les moindres actions entreprises par des bêtes humaines pour faire valoir leur peu de droit qu'elles s'estiment à une distinction, mais ces droits au fond sont usurpés puisque tout est mort, puisque du moins tout est continuellement moribond et particulièrement celui qui ne peut consentir au glas de toute existence : ces velléités d'orgueil sont des outrecuidances, des prétentions turpides et anti-philosophiques, tous ces gens salement intéressés font partie du vaste peuple pourrissant et dont la dégradation est plus qu'imminente, actuelle, permanente, non pas dégradation morale à la façon thétique de Zola qui exige qu'un homme soit une créature décadente, mais liée de manière indiscutable à la cessation prochaine de la vie, perspective indéniable, elle, et qui rend toute volonté dérisoire, futile et moquable ; tout a ici-bas une fragrance de cadavre et de cendre – c'est la leçon tacite De Balzac.
« La destination de tout et qu'il faut sans cesse garder à l'esprit, c'est l'anéantissement auquel il faut déjà un peu se résoudre et qui constitue le repère d'injustice indétrônable » semble ainsi exprimer Balzac en élevant une main magistralement amusée sur nos vanités universelles autant que sur ses propres ambitions : Chabert ne réussira pas, soit ! mais il a cependant gagné à démontrer que le succès moral est à renoncer aux chicanes, car dans une société aux procédés madrés de constructions et d'édifices c'est-à-dire de politique, c'est l'artifice qui l'emporte le mieux face aux bontés et aux simples ; là va toute l'estime que Balzac porte à sa modernité, les intrigues triomphent, ruses et corruptions raflent la mise, l'honnêteté ploie sous l'intelligence, et Paris admire davantage la cause plaidée avec brio que la justice indéniable d'une raison saine mais par ailleurs ennuyeuse – le divertissement naît déjà, sous cette plume, et l'écrivain décrit ses effets. La femme, dans ce jeu captieux et de dupes, a obtenu l'avantage de pouvoir rivaliser, car la feinte est son attribut naturel, et tous ses atouts concourent à sa gloire, d'autant qu'ils sont factices et précieux ; en somme, dans une urbanité qui fait l'apologie de la décoration et de l'apparat, l'arme nouvelle est de toute évidence : la féminité. Si pour Chabert, trop machiste et trop droit, il advient de son détour l'oubli et le gâtisme, c'est-à-dire un châtiment sous forme de dégradation, c'est déjà que ses peu d'insistances, s'opposant à des puissances de coquetteries et d'argent mais surtout à l'air du temps si ingrat, l'ont perdu. Voilà qui explique que le constat final de Derville est à peine amer : c'est que, fort de son métier qui l'a accoutumé aux injustices et aux scélératesses triomphantes, il est, lui, un homme qui passe, quelqu'un qui ne tient à rien, une entité plus ou moins fantomatique et sans effets déterminants, conscient de son impotence relative en dépit de ses talents, rien qu'un témoin du monde tel qu'il est. Il n'en veut tirer nul sentiment de désolation exceptionnel, adaptable et oublieux ou plutôt sans attaches, tout cela est pour lui ordinairement de la vie humaine et produisant quotidiennement ses déchets et ses monstres, et il n'y a pas lieu de s'y appesantir, ce serait plonger dans le gouffre affreux avec tous ceux qui se scandalisent des méfaits qu'ils subissent jusqu'à l'obsession, le vice et la folie, et jusques… au roman, car tous ses motifs dérivent de là, et ce dont on parle et dont on fait récit c'est toujours ce dont l'obtusion de quelqu'un a produit les conclusions les plus atrocement mémorables. Derville est un individu qui traverse l'existence, car il sait que c'est l'insistance qui précipite ; Derville est exactement Balzac qui observe des pantins de conjoncture et qui les laisse s'enferrer dans leurs abymes passionnels et dévorants. Sans cette obstination, il n'y aurait pas de personnage balzacien : toute intrigue est soulevée par le désir personnel d'un autre état, d'un rétablissement à cette (dé)mesure à laquelle on s'accroche en projet et se suppose férocement digne, le contentement serait l'achèvement de toute intrigue, en quoi ce Derville est destiné à n'être toujours qu'un second rôle d'adjuvant mercenaire, incapable de soutenir une péripétie, inclinant trop au constat au lieu du désir. Il est l'efficacité microcosmique qui mesure froidement la probabilité du succès, et ceci, je crois, est incompatible avec la vision balzacienne du roman où le tempérament domine les êtres et les effondre, c'est-à-dire leur part d'irrationnel et notamment de vice. Il faut accepter la défaite immorale, rebondir, s'adapter, se reconfigurer sans cesse : voilà peut-être l'éthique la plus propre à définir la vie même de l'auteur-Derville, à l'opposé d'une conception existentielle de l'atermoiement et de la rancune, tous deux propices à la paralysie qui est déjà le commencement d'une nécrose. Balzac songe peut-être : « le mieux est d'être pleinement vivant : que notre vitalité donc nous incite perpétuellement aux entreprises accessibles. » La persistance dans la défaite ou dans l'impossible est une rumination de presque trépassé, une garantie de passer spectre insensiblement ; « Il faut atteindre à ce qu'on peut et ne point naïvement se figurer le monde meilleur qu'il est » : ses personnages, il me semble, même évidemment bons, payent toujours le moindre défaut à cette philosophie d'une certaine manière de mourir vivants.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Un roman court (150 pages environ) mais où on retrouve ce génie de la description qui transporte, de rendre les détails de l'âme humaine qui mettent à nu la bonté ou la noirceur. Redécouvert et apprécié même si les 20 premières pages ont été un peu difficile à lire (décor et contexte à poser). Ensuite, passionnant et terrifiant. Qui se cache derrière celui qui est dans la rue, quelle histoire est la sienne?? Beaucoup de plaisir à redécouvrir Balzac.
Lien : https://czumbiehlfaure.wixsi..
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Un livre que j'ai etudié au lycee !Mon premier livre que j'ai lu De Balzac et qui n'est pas le meilleur selon moi meme si le style du maitre sauve le tout ! l'histoire est credible, les personnages detaillés comme toujours avec Balzac et l'ensemble est tres agreable !
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Génial !
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Ce livre est un véritable chef d'oeuvre de la littérature française. Incisif quand il le faut, l'auteur c'est quand nous interpeller et quand nous émouvoir. On ne peut avoir que de l'émotion pour ce pauvre colonel victime d'un injustice. Il sera manipulé et trompé à mainte reprise par sordide femme. Commencé par ce livre pour découvrir Balzac est une bonne chose plutôt que de commencer par le "Père Goriot"
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