Le Vietnam au temps de la Révolution française…
Il existe plusieurs façons d'appréhender un fait historique dans un roman. L'auteur peut, par exemple, choisir de développer une épopée pittoresque avec moult rebondissements, ce sera alors un roman d'aventure dans lequel le fait historique est présent en filigrane et sert davantage de contexte à la romance, il peut aussi faire de son livre un roman essentiellement historique avec moult détails et dates bien précises en en romançant le moins possible le déroulé, mais en se tenant aux faits, rien qu'aux faits. Les livres récents « Pour mourir, le monde » de Yann Lespoux, ou encore «
Les naufragés du Wager » de
David Grann illustrent ses deux façons de traiter du fait historique.
Christophe Bataille choisit une autre voie avec ce court livre, celle de l'épure et celle des sens.
L'auteur ne s'encombre pas vraiment avec l'exactitude des faits, et utilise dates et liens de causes à effet avec parcimonie, voire de façon lapidaire. L'essentiel étant de voir comment un fait historique, en l'occurrence l'aide de religieux français (des Dominicains) au Vietnam peu avant la Révolution française, est parvenu à l'oubli le plus total.
Pour réhabiliter la mémoire de ces hommes et de ces femmes partis à l'aventure en cette terre inconnue, bravant tous les dangers et notamment les maladies,
Christophe Bataille tente d'imaginer ce qu'ont vécu ces gens, l'accueil qui leur a été fait en ces contrées exotiques, leur vie là-bas des années durant. Il a choisi, pour ce faire, de mettre au premier plan l'aspect sensoriel de cette aventure.
En moins de cent pages, nous prenons ainsi connaissance d'un fait historique relativement méconnu tout en ayant une vive impression en termes de sensations olfactives et visuelles, ce qui a pour effet de marquer fortement la lecture et de rendre ainsi le fait historique en question marquant. Un procédé bien vu pour retenir un événement historique dans sa globalité.
«
Soeur Catherine ne se lassait pas de ces champs inondés aux teintes changeantes. le matin, les pousses vertes étaient rouges du ciel nouveau ; puis le soleil donnait une pureté singulière à ce plat paysage. Les femmes, pourtant, continuaient de repiquer le riz. le jour tombait enfin, irisant les eaux de verts sombres et inquiets. Comme la France étaient loin ; tout y paraissait futile. Au Viêt-Nam, parmi ces paysans qu'elle comprenait mal, devant la nature sauvage, soeur Catherine était humble ».
Sous le règne de Louis XVI, le jeune empereur du Vietnam, Canh, est envoyé à la cour pour demander de l'aide au Roi et échapper aux révoltes de son pays. Son père, le prince Nguyen Anh, chassé de son palais par les paysans en révolte, s'est lui-même réfugié au Siam. La France, dont il a eu vent de la puissance d'antan, pourrait-elle leur prêter main forte ?
Le jeune empereur a seulement sept ans, a fait neuf mois de mer pour parvenir jusque-là et adresser sa demande et, après avoir entraperçu les fastes de la cour, mourra rapidement d'une pneumonie, non sans avoir touché le coeur de l'évêque Pierre Pigneau de Bréhaigne qui décide alors, contrairement à l'avis du roi qui comment à s'inquiéter sérieusement de l'humeur du peuple français, de préparer deux navires pour aller sauver le Viet-Nâm. le but est à la fois d'y envoyer des soldats pour faire la guerre mais aussi des religieux pour lutter contre l'impiété et répandre la bonne parole. Il faut dire aussi que chacun se prend à rêver de ce pays lointain dont la faune et la flore faisaient alors l'objet de multiples rumeurs enchanteresses, faisant oublier un temps les premiers prémisses de la Révolution.
Soldats et dominicains missionnaires débarquent ainsi dans ce pays après un voyage tumultueux. Si les premiers échouent très vite du fait d'un manque de volonté pour comprendre ce pays, du fait des maladies et de leurs manières brutales, les seconds vont être aimés et intégrés car ils s'adaptent, écoutent, respectent les habitants et leurs coutumes. Leur vie cependant sera une vie de dur labeur et leur seule récompense le sourire des gens du pays qui se plient assez volontiers aux rites catholiques tout en conservant leurs croyances.
« Il avait fallu mille ans aux Vietnamiens pour se libérer du joug chinois ; contre les Français, moins de deux semaines suffirent. Ceux-ci étaient courageux et armés, mais la maladie les prit. La chaleur les indisposa. Ils dormaient dans les rizières, parmi les moustiques et les crapauds buffles dont les cris gigantesques troublaient le sommeil. Ils étaient épuisés et inquiets. La végétation silencieuse leur était hostile ; l'eau les tuait lentement. Ils étaient sales et vides comme leurs barriques de vin. La solitude leur devint insupportable. Tous les matins, on retrouvait l'un d'eux tués dans son sommeil ».
Le style adopté alterne entre descriptions poétiques de toute beauté et énumération rapide, on pourrait dire lapidaire, des faits pour mieux passer à la description suivante.
Quant la fin imaginée par
Christophe Bataille, elle est particulièrement émouvante, l'auteur s'est laissé aller à une réinterprétation personnelle du mythe d'Adam et Eve, ou, tout du moins, à ce que peut apporter une vie recentrée sur l'essentiel.
Simplement beau, vain et nostalgique.
Un grand merci à Francine -@afriqueah- à qui je dois cette lecture (livre repéré dans la liste « Pépites parmi les récits courts » de Fanny -@Fanny1980-)