Occupés, déportés et prisonniers, la triple peine...
Annette Becker est une historienne spécialiste de la Première Guerre Mondiale et plus particulièrement des départements occupés du Nord et de l'Est de la France.
Son étude porte sur les populations de ces territoires, sur leur survie sous le joug allemand.
Pas de grands récits de guerre mais une description de la vie quotidienne, des épreuves et souffrances vécues par les civils de ces régions.
Tout d'abord l'occupation avec les réquisitions, les évacuations, les représailles, lots communs à toutes les guerres sauf que ce sont des civils, enfants, vieillards et les femmes qui vont être déportés pour travailler en Allemagne ou mis dans des camps, mélangés aux prisonniers de guerre. La différence avec ces derniers, c'est que ces personnes ne bénéficient d'aucune protection, à commencer par la France qui ne s'en préoccupe absolument pas. Presque, ils n'existent pour personne sauf pour ceux qui vont les exploiter.
Certains de ces civils vont être réquisitionnés, emmenés au front, pour creuser et construire les tranchées et abris allemands où ils mourront sous les bombes françaises !
Ce sont toutes ces épreuves que nous racontent en détail l'auteure dans la première partie de son ouvrage. Elle évoque également la détresse des populations restées sur place et obligées de subvenir à tous les besoins des vainqueurs qui vont véritablement les affamer. Des récits qui trouvent un étrange écho avec ce qui adviendra vingt-cinq ans plus tard.
La seconde partie est consacrée aux interventions humanitaires.
La Croix Rouge, bien sûr mais aussi le Vatican joueront un grand rôle dans l'aide apportée à ces civils. En effet, ces populations n'ayant plus aucun lien avec la France, ne bénéficiant pas des services officiels, vont se tourner vers le Vatican pour la recherche des combattants dont elles n'ont aucune nouvelle, ne sachant pas s'ils sont prisonniers, blessés ou morts. Cela engendra, d'ailleurs un conflit entre Genève et Rome dont les victimes civiles finiront pas pâtir.
Une étude passionnante, parfois surprenante tant elle évoque des sujets rarement abordés comme le travail des femmes en Allemagne, l'exploitation dont sont victimes les prisonniers considérés tour à tour comme arme de guerre et de propagande, les français n'ayant en l'occurrence rien à envier aux allemands dans leur conduite. Est évoqué aussi le refus après guerre de commémorer les civils morts en Allemagne (aucun nom de civil sur les monuments aux morts) ainsi que le retour des corps réclamés par les familles et qui sera très rare.
Annette Becker a eu accès aux archives du CICR et du Vatican rendues accessibles peu de temps avant la rédaction de son livre qui lui ont permis de fournir un véritable travail d'archiviste, d'enquêtrice, extrêmement foisonnant, précis et détaillé. Un ouvrage de référence sur un sujet rarement traité.
Si le sort et le traitement de ces populations occupées de "La Grande Guerre vous intéresse, cet essai devrait vous convenir.