Jouant avec brio au roman policier, un autre superbe point d'entrée dans la Région de Benet.
Publié en 1980, traduit en français en 1987 par
Claude Murcia chez Minuit, le sixième roman de
Juan Benet est à la fois celui de sa reconnaissance par le (relativement) « grand public » espagnol (le livre fut cette année-là finaliste du prix Planeta) et celui d'une incursion pleine de ruse et de malice dans le genre policier.
Un cadavre retrouvé au petit matin adossé à une fontaine d'un village de Région fournit l'occasion d'une enquête étonnante, toute en discrétion et en petites touches lâchées comme par inadvertance, juge et procureur s'effaçant de fait au profit du capitaine Medina, sévère et efficace militaire provisoirement en disgrâce, et cantonné de ce fait à la direction du petit détachement gardant une forteresse relique dans la montagne, lieu emblématique du terroir imaginaire de Benet. Sous ses faux airs de Langlois, cet autre possible roi sans divertissement (qui souligne au passage, l'air de rien, l'existence de plus d'une correspondance entre Benet et
Giono) traque sans relâche les déserteurs tentant de rejoindre le maquis et de fuir ensuite le district, tout en ajustant délicatement les pièces d'un puzzle légèrement mafieux, et en se découvrant peu à peu des sentiments qu'il pensait devoir lui rester étrangers. Benet s'amuse ici énormément, construisant les faux-semblants par dizaines, usant de ses coutumières vraies-fausses digressions, dont l'utilité réelle se révèle souvent beaucoup plus tard dans la narration, toujours éclatée, même si l'on reste ici loin des extrêmes de l'inaugural «
Tu reviendras à Région ». le docteur Sebastian, l'un des protagonistes centraux du premier roman de Benet, joue d'ailleurs un rôle essentiel dans cet «
Air d'un crime », contrepoint permanent dont on se réjouira de découvrir la fonction au fil des pages…
Un roman très réussi qui, affectant une ambition moindre que d'autres écrits de Benet, parvient aisément à communiquer le charme trouble de Région et à subvertir au passage les versants procéduraux comme les paradigmes énigmatiques du roman policier « classique ».