À un moment donné, il faut se l'avouer. Me voilà charmée comme je ne l'avais pas été depuis des années.
Julien, je ne l'ai pas vu venir. Il a débarqué de nulle part suite aux caprices du hasard et aux forces insondables des relations humaines (je connais quelqu'un qui connait Julien).
Julien est journaliste, Julien publie essentiellement de la littérature de voyage. Je crois que je n'ai jamais ouvert un livre de littérature d'un journaliste contemporain avant Monsieur Blanc-Gras (ah si, ça me revient, un livre d'
Olivier Guez dans un contexte scolaire ; je n'avais pas aimé). Et je suis une novice de la littérature de voyage, j'ai lu trois fois rien.
Je suis étudiante en
lettres, dans une université qu'on ne nommera pas, mais qui malgré (ou en raison de ?) son aura se trouve être frileuse quand il s'agit de littérature actuelle et de genre, et qui tente malheureusement sans le conscientiser tout à fait de nous inculquer la même réticence, à nous, pauvres hères en quête d'élévation intellectuelle. Surtout quand on sort de l'élitisme Gallimardien. Or, Julien publie essentiellement Au diable Vauvert. Et Julien se plaît à emprunter des chemins parallèles au succès critique universitaire, nullement opposés néanmoins. Mais il est la victime du dédain de principe de cette dernière : on l'ignore ostensiblement. Quelle connerie.
Julien a un style accessible, fluide, agréable, divertissant, et pourtant il prouve que telle écriture n'est pas antithétique avec la finesse, la profondeur et la littérarité. le subtile usage de l'antiphrase, de la syllepse, de la métaphore ; la virtuosité des hypotyposes ; la dimension ludique et horizontale appliquée à un traitement par
ailleurs assez érudit de l'intertextualité en apportent objectivement, si besoin en était, la preuve. Julien a lu les grands : ceux qui déjà s'affranchissaient du système, comme Thompson, Kerouac et toute la clique ; et ceux qui fondent la littérature patrimoniale, comme
Lautréamont,
Chateaubriand et autres
Le Clézio. Mais ici, nul élitisme ; juste de discrets clins d'oeil, quelques mentions légères mais ciselées, comme autant de déclarations d'amour à ce que peuvent les mots. Pour le dire autrement,
Dostoïevski = les Beatles ; j'ai toujours milité pour et c'est agréable de lire un (futur, car l'épithète qui suit ne se donne généralement qu'à titre posthume) grand écrivain pour qui c'est naturel.
Julien est devenu une marotte littéraire, alors qu'apparemment rien ne me destinait à le lire. Avant tout par estime pour lui, mais aussi par jeu, par goût modéré du risque, et par protestation discrète face au snobisme universitaire, je fais d'
ailleurs en ce moment d'
Envoyé un peu spécial le corpus d'un examen de séminaire. Je m'amuse énormément, bien plus que si j'avais choisi
Flaubert, 8 500e itération (Gustave c'est très bien ; mais son statut d'exempla tout puissant, comme pour Marcel, me tape sérieusement sur le système).
Julien est drôle ; il manie l'ironie comme personne, il a beaucoup d'autodérision ; il fait aussi montre d'une didactique rafraîchissante. Julien est également d'une sensibilité rare ; on ne fait jamais, ô grand jamais dans le pathos et la mièvrerie mais, force est de constater que quand les circonstances s'y prêtent, il sait très bien nous attendre au tournant et nous faire voir flou.
Et puis, le format d'
Envoyé un peu spécial, cette succession de chapitres courts, impressionnistes, construits autour d'une anecdote signifiante, est vraiment réussi ; Julien en tire tout le potentiel addictif et littéraire avec, là encore, une certaine virtuosité.
À l'issue de cette lecture, comme souvent avec Julien, une soif du monde se réveille. On a envie de prendre son sac à dos et de se tirer, en s'éloignant des routes convenues. J'aime décidément beaucoup cet écrivain.