Pour son charme fragile, pour la grâce divine qui habitait son sourire et ornait ses paroles, pour la vertu qui émanait d'elle si naturellement, j'aimais celle qui est étendue là. Je savais qu'elle allait mourir, et sa mort me surprend. Je ne souffre pas, et je désire souffrir. L'essence de cette âme exquise, il me semble que, pour moi, longtemps elle vivra encore, comparable à une petite lampe mystérieuse m'éclairant la vie et m'en signalant la bonté. Et pourtant je ne verrai plus son regard ni son sourire. Je n'ai pas su les voir pour la dernière fois, les fixer en moi pour toujours. Saurai-je longtemps les retrouver dans ma mémoire ? Pauvre enfant qui était tout amour, et que la souffrance d'aimer a purifiée de son feu, où repose-t-elle maintenant ? S'est-elle évaporée comme le parfum de ces roses mortes, ou bien survit-elle dans quelque séjour heureux ? Je ne sais pas. Nous ne savons rien. Ma tristesse ne me fait pas pleurer. Cependant je ne sens plus mon cœur...
L'annonce d'un malheur dépasse notre état d'esprit habituel. Quand nous n'y sommes point préparés, il nous faut un peu de temps pour en connaître la vérité. Notre âme ne s'élève pas d'un seul élan aux grandes joies ni aux grandes douleurs.
Pauvre peuple, qu'on grise de promesses, qu'on abêtit de banalités, et qui te passionnes sans comprendre pour des candidats sans amour, tu as voulu te conduire toi-même ; tu erres, les yeux bandés, cherchant le bonheur. Je te plains, mais ce n'est pas moi qui t'éclairerai. Demande la lumière à ceux qui utilisent ton obscurité pour s'enrichir de tes dépouilles...
Les Maîtres du mystère - L'Intruse d'après le roman d'Henry BORDEAUX